Texte 6 concours "Je suis un monstre"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Vous direz peut-être que je suis un monstre comme mon mari me l’a dit juste après ma mère : « Tu es vraiment un monstre d’égoïsme ! ». 

Je suis un monstre parce que j’ai enfin décidé de m’occuper de moi-même et d’oublier un peu les autres. Je viens d’avoir cinquante ans. Ce fut le déclic, le départ vers une autre vie, une vie qui va être plus tournée vers moi. 

De plus en plus de gens ont la chance de vivre centenaires (mais est-ce vraiment une chance ?). Donc, imaginons que j’atteigne l’âge canonique de cent ans, je suis donc arrivée à la moitié de ma vie et il est grand temps de jeter un coup d’œil dans le miroir.  

Qu’ai-je fait pendant ces cinquante années ? Quand suis-je allée au cinéma ou au resto avec une amie ? Jamais ! D’ailleurs, des amies, je n’en ai plus. Je me suis consacré entièrement à ma famille. Je voulais que tout le monde aille bien : mon mari qui mettait ses pieds sous la table en rentrant de son boulot (oui, c’est vrai, c’est lui qui faisait bouillir la marmite, il me l’a répété si souvent ! mais la marmite à soupe, c’est toujours moi qui la mettais à bouillir !), mes six enfants que j’ai élevés comme une mama italienne, mes parents qui étaient invités à chaque fête, mais qui n’en ont jamais organisé une chez eux et les chiens,  les différents chiens que nous avons eus, ont été plus gâtés que moi ! 

Bien sûr, j’ai reçu des cadeaux : tous les bricolages de fête des mères que je faisais semblant d’adorer (que les instits ont mauvais goût quand même !), un bijou de la part de mon mari pour célébrer les événements importants comme notre anniversaire de mariage (jamais de fleurs, parce que les fleurs sont périssables, vous connaissez la chanson, et que les bonbons, ça fait grossir !) et, de la part, de mes parents, … attendez que je me souvienne. Rien ! Je me rends compte aujourd’hui que je n’ai jamais reçu un seul cadeau de mes parents une fois devenue adulte et la Saint-Nicolas, un mythe. 

Bien sûr, j’ai pu profiter de vacances à l’étranger (toujours dans un hôtel avec piscine d’où les enfants ne voulaient pas déplancher, moi, je déteste l’eau, l’odeur du chlore, de la sueur et des produits solaires !). Nous allions dans des hôtels 5 étoiles (oui, mon mari est plein aux as, je ne vous l’ai pas encore dit ? tandis que mon compte est aussi plat que la poitrine que je n’ai pas !). Au moins, pendant cette courte période (il fallait à chaque fois écourter les vacances parce qu’il y avait un imprévu au travail de mon mari), je ne devais plus cuisiner ni nettoyer ni lessiver, mais je ne vous dis pas le boulot que j’avais en rentrant…

Mon mari a eu des maitresses. J’ai toujours fait semblant de ne pas m’en apercevoir même si je trouvais un cheveu blond sur sa veste (alors que je suis rousse) ou une carte d’hôtel dans une poche d’un de ses innombrables costumes. Pourquoi aurais-je fait une scène ? Ça aurait servi à quoi ? Je n’allais pas prendre mes clics et mes claques et le quitter ! Avec quel argent aurais-je pu commencer une autre vie ? 

Et maintenant, à cinquante ans, après m’être rendu compte que j’avais vécu comme une esclave pendant tout ce temps, j’ai fait mes valises et je pars. C’est un heureux hasard qui me le permet. Ma mère, prise de remords, sans doute, m’a offert un cadeau pour mon anniversaire : un billet de loterie à gratter de 3 euros (elle a dû, par inadvertance, casser sa tirelire !). Vous l’avez compris : ce billet était gagnant (si ma mère l’avais su, sûr qu’elle l’aurait gardé, son billet !), mais moi, il va me permettre de commencer – enfin – une nouvelle vie. 

Quand j’ai annoncé à mon cher mari et à mes chers parents que je larguais les amarres grâce au pactole tombé du ciel, ils m’ont lancé cette phrase assassine : « Tu es vraiment un monstre d’égoïsme ! ». Quant aux enfants, je n’oserais jamais vous répéter tout ce qu’ils m’ont jeté à la figure… Evidemment, égoïste comme je suis, je n’avais pas songé à partager le butin en 6 ! 

Eh bien non ! Je n’y ai pas songé ! J’ai juste pensé à m’acheter une valise et à la remplir à fond, car je ne reviendrai pas. Ils peuvent tous se passer de moi et je vais le leur prouver. 

Allez, je vous laisse, j’ai encore quelques vêtements à entasser dans la malle avant que le taxi arrive…

Portez-vous bien…

Signé : le monstre ! 

 

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M
Heureusement que l'héroïne a eu de la chance au jeu ! Chouette chute !
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E
Dans ce genre de vie de monstre aux arrêts, peu brisent les chaines et certaines vont chercher le vieux fusil de derrière les fagots... Bravo pour cette monstresse à qui la fortune a enfin souri...
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A
Une monstruosité bien tournée et une fin jubilatoire, c'est vrai que les monstres ont bien inspiré nos auteurs(es). A demain pour le monstrueux moment du choix.
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P
Beaucoup de femmes doivent être des monstres comme ça...enfin, moins qu'avant !
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C
Ah ok, merci Christine, on vote DEMAIN, dans les commentaires du dernier texte donc le texte 7. Belle journée à tous les monstres.
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C
Un thème qui a eu son succès, sixième texte déjà. Il y a beaucoup de monstres ...
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C
Avant dernier texte... Il faudra voter demain ! ;-)