"Et si tout n'était qu'illusion ?" Texte 3
Philosophie de jardin
Cette fois, tu as perdu !
Je savoure ma victoire. Ce matin, j’avais cru que cette journée se déroulerait comme toutes les autres : un petit-déjeuner, une promenade revigorante suivie d’une sieste et peut-être même une conversation avec Didi, ma pipelette de voisine. Je reconnais avoir, malgré tout, appréhendé une nouvelle confrontation avec mon vieil ennemi, bien que cela aussi, finalement, fasse partie de la routine.
Mon ennemi, ce roué qui vient toujours parader dans le jardin mitoyen pendant que je fais du jardinage, me provoquant par ses petites remarques ironiques sur ma propension à faire des trous dans la terre, ou qui cherche noise à Mademoiselle Pinson quand elle prend le frais sur sa terrasse, dans le jardin suivant.
L’infâme Jasper, qui se moque de tout et de tout le monde dans le quartier. Le pendard à qui j’ai plus d’une fois fait connaître ma façon de penser, sans que cela ait le moindre effet. Les remontrances et autres remarques, il s’en moque royalement ; tout comme il se moque de réveiller ses voisins en vidant ses poubelles au milieu de la nuit, ou encore de ce que ces mêmes voisins pensent quand il traverse leurs jardins pour rejoindre plus rapidement le restaurant de la rue des vignes.
Oh ! il y a bien eu cette fois ou le vieux Gamin ‒ oui, c’est son nom ! Ridicule, n’est-ce pas ? surtout à son âge ! ‒ je disais donc, cette fois ou le vieux Gamin l’avait coincé dans cette même rue des vignes, pour le chapitrer. Ha ! la semonce à peine tombée, le sournois avait déjà disparu, laissant le vieux s’étrangler sur son sermon.
Mais cette fois, cette fois, je ne vais pas le laisser s’en tirer à si bon compte. Je le tiens, il est dans mon jardin et je n’ai pas l’intention de le lâcher. Son petit sourire narquois ne m’impressionne pas, pas plus que son faux air décontracté. Qu’il me fixe, s’il pense que je vais flancher, il s’illusionne, je ne suis pas de ceux qui se laissent intimider par le premier fâcheux venu. Sous ses airs bravaches, il a peur, je le sens, je le sais et… Oh ! que c’est délectable, il sait que je le sais. C’est bien, qu’il enrage, ce psychopathe va payer pour ses crimes, enfin !
‒ Max ? Mon Maxou, arrête de pédaler, ce n’est qu’un vilain rêve.
‒ Quoi ? Non ! Laisse-moi, je le tiens…
Désespéré, je comprends que ma victoire et toute cette euphorie autour de mon triomphe n’étaient qu’illusions. Je frémis et si tout n’était qu’illusion ? Mais oui, c’est ça ! Je suis une illusion, la sienne, celle qu’il a créée pour avoir le plaisir de la narguer.
Je sors de la maison, me dirige vers le nain qui trône au fond du jardin, lève la patte et soulage ma morosité sur son corps dodu. De l’autre côté de la haie, je l’aperçoit, ce sorcier, ce démon ronronnant, ce passager du multivers qui ne se laisse prendre que dans les rêves illusoires de pauvres chiens comme moi.