Jean-Claude Slyper : Je crois que mes personnages sont ordinaires, banals, triviaux comme peut l’être le quotidien, ils sont aussi absurdes et grotesques, mais émouvants

Publié le par christine brunet /aloys

S7300123_3.jpeg    Jean-Claude Slyper est un auteur, mais pas seulement : il démontre une fois de plus que la création peut être multiple, passionnelle mais réfléchie.

 

     Jean-Claude, tu te présentes, s'il te plaît ?

     Je suis né à Paris, je vis à Paris, mais il y a d’autres villes qui m’ont charmé, emballé, attiré : Berlin, Londres, Rome, Bruxelles, Dublin, Erevan, Marseille. Je pratique la basse et la contrebasse. Depuis tout petit j’aime arpenter la ville de jour comme de nuit, surtout la nuit, quand tout est silence, taches de lumière et ombre. J’adore rouler sur de petites routes et découvrir de cette façon les pays, des chemins de traverse en quelque sorte, je reconnais ne pas faire œuvre écologique à rouler ainsi en voiture mais je me donne bonne conscience en me disant que ce serait pire en avion.

J’écris depuis le milieu des années soixante-dix. De petits textes, souvent pour composer des chansons quand je jouais en groupe. Je n’ai pas le souvenir d’un événement déclencheur en particulier, plutôt mon appétence pour les histoires, les contes, les scénarios qu’enfant j’imaginais pour mes jeux, les rédactions à l’école.


   Quel genre de texte écris-tu ? 


Comme je le disais, mes premiers textes étaient courts puisque paroles de chansons, puis ils se sont allongés pour raconter des histoires plus longues. En réalité, je ne choisis pas vraiment entre la nouvelle et le roman, entre un écrit d’une page et un autre de centaines de pages. La rapidité et la brièveté me replongent dans mon passé musical, c’est un jeu de raconter vite une idée ou une histoire, trouver le tempo, la musicalité. Evidemment, certains sujets demandent longueur, largeur et temps afin de les fouiller et d’en déterrer les secrets.

 

   Tu me donnes ta définition de l'écriture, s'il te plaît ?... et puisque tu y es, de ton style...

  Une définition de l’écriture : ça peut être le besoin de figer sur un support stable l’activité humaine ; ça peut être fouiller ce que l’on appelle l’âme ; c’est aussi essayer de comprendre comment et pourquoi évoluent les femmes et les hommes dans leur environnement. Ecrire peut être une thérapie. Ecrire, c’est aussi être un conteur dépositaire de la culture et de l’histoire de sa famille, de son clan, de son peuple. Ecrire c’est toucher l’universalité. C’est aussi et surtout un outil pour découvrir et comprendre le monde.

 Mon style est assez classique, j’aime jouer avec les mots, les situations dans lesquelles nous plonge le quotidien.


Tes personnages... Comment les crées-tu ? D'où sortent-ils ?   

 Mes personnages sont dans l’interface, hommes, femmes, animaux ou parfois objets, ils ouS7300127_2.jpeg elles se frôlent, se frottent, se heurtent comme ils ou elles se cognent dans la réalité de leur vie, de la ville. Ils ou elles sont dans le décalage entre leur vision d’eux-mêmes ou d’elles-mêmes et l’image que leur renvoient les autres. Ils ou elles agissent rarement comme on est supposé le faire, sans penser à mal, parfois, ils ou elles sont presque aussi absurdes que leur vie, que la vie. Leur naissance peut être provoquée par un souvenir, une odeur, un paysage, une discussion, une image, un paradoxe, il y a souvent une touche d’immatériel, de saugrenu ou fantastique, ils ou elles le sont souvent, parfois, jamais. Ils ou elles me confrontent à la difficulté de la communication entre ce que voient mes yeux, ce qu’entendent mes oreilles, ce que pense mon cerveau et ce que voit l’autre, ce qu’il ou elle entend, ce qu’il ou elle pense, ou pas d’ailleurs ; souvent mes personnages ne pensent à rien juste à continuer à vivre.

 Dirais-tu que tes héros s'inscrivent dans ton univers comme dans la vraie vie, dans des rapports sociaux quotidiens ?

Je crois que mes personnages sont ordinaires, banals, triviaux comme peut l’être le quotidien, ils sont aussi absurdes et grotesques, mais émouvants. Evidemment je grossis le trait afin de faire émerger la poésie des petites choses de tous les jours, la part émouvante et attachante des hommes et des femmes, des animaux et des choses aussi ; il me semble que toutes les personnes portent en elles des réserves de bizarre, de fantastique que je cherche à dénicher. Mes héros ou  héroïnes jouent avec les concepts, les émotions et les sentiments en les poussant jusque dans leur absurdité enfouie. Alors oui, ils et elles s’inscrivent dans mon univers comme dans la vraie vie, mais ils et elles en sont un miroir déformant et grossissant.

 

 Tu parlais de l'écriture : dans quel style te retrouves-tu le plus ? La brièveté (en rapport avec ton univers de chansons...) ou la longueur ?

J’ai besoin des deux styles, court et long, dans le style court je retrouve effectivement l’énergie qui tend le blues, le jazz, le rock’n’roll, le rythm‘n’blues, il faut maintenir un rythme élevé, si possible, avec une histoire simple ; dans le rythme long, l’immersion dans la vie des personnages doit être totale et demande de prendre son temps pour la raconter, enfin moi je prends mon temps, un peu comme si j’étais réticent à les abandonner, j’ai besoin de les sentir vivre en moi, et je pousse le plus longtemps possible leur compagnonnage, je replonge en enfance quand je détestais quand une histoire se terminait, que ce soit un film, un livre, et même la visite des ami.e.s.

Dans mon quotidien, j’ai besoin d’écouter une chanson de Bob Dylan, de Janis Joplin, de Nina Simone mais aussi un opéra de Verdi ou de Borodine, court et long, toujours, de lire un poème de Pouchkine, Le cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers ou Melmoth, l’homme errant de Charles Robert Maturin.

 

 Comment perçoit-on ta passion d'écrire autour de toi ? 

C’est assez mitigé, bizarrement, on pourrait croire que l’on trouve ma passion d’écrire formidable, mais dans mon entourage certains sont indifférents, par moments j’ai l’impression que ça les ennuie, que ça les embête même, quand d’autres, et c’est la plupart, approuvent totalement et avec entrain. Je crois que l’on balance toujours dans son entourage entre jalousie et bienveillance, ce qui rejoint ta dernière question : je crois que c’est beaucoup plus compliqué d’être lu par des intimes que par des inconnus, pour ma part je préfère être lu par des inconnus car les émotions des rapports intimes ont tendance à polluer le jugement, les enjeux ne sont évidemment pas les mêmes. Avec les intimes je ne sais jamais si l’éloge est sincère, si derrière la critique ne se cache pas quelque ressentiment, et quand il n’y a ni éloge ni jugement c’est encore pis car ça me plonge dans un océan d’indifférence, mais peut-être est-ce de la timidité dans ce cas.

 

 Facile ou compliqué d'être lu ?(tu parlais d'écriture thérapeutique... on met tous un peu de nous dans nos mots...)

 

 S7300124_2.jpegMais pour répondre plus précisément à la question facile ou compliqué d’être lu, je réponds facile, car c’est quand même le but du jeu d’être lu, quand tu fais de la musique c’est pour être écouté, quand tu écris c’est pour être lu, enfin c’est ainsi pour moi. Après des années à lutter contre ma réticence à faire découvrir mes écrits — je ne me sentais pas prêt, comment l’être quand on a la prétention de pénétrer dans l’univers de la littérature ? — j’ai sauté le pas. Et maintenant je trouve normal d’être lu, je peux même dire que j’aime ça. C’est peut-être un des aspects thérapeutiques de l’écriture : oser se montrer, oser s’offrir aux critiques, plus qu’aux critiques, au j’aime ou j’aime pas. Pis encore, il y a l’indifférence, le mouais ou c’est bien pour uniques commentaires. Finalement, c’est le même trac de monter sur scène et de se montrer à lire. Parfois c’est douloureux d’écrire, c’est difficile de se montrer sévère et intransigeant envers soi, de suivre une certaine discipline  — je dois dire que je n’y arrive pas toujours —, mais heureusement des instants de bonheur compensent les maux de tête. Juste une phrase qui nous enchante, un enchaînement de mots, de sonorité et d’images.

 

Publié dans interview

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E
<br /> Vrai que les intimes ont une attitude souvent étrange. De mon côté il y a soit indifférence totale ou alors une sympathie réelle mais aucun intérêt profond . Je m'y suis faite et n'y pense plus mais c"était curieux!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bonne M..e!<br />
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