Le sanctuaire de la vierge noire, un feuilleton signé Didier FOND

Publié le par christine brunet /aloys

Didier fond

 

LE SANCTUAIRE DE LA VIERGE NOIRE

 

Troisième partie

 

 

Les villageois ne tardèrent pas à s’apercevoir qu’effectivement, des changements avaient bien eu lieu. D’abord Yolande ne s’intéressait plus au sort de ses gens, ne traversait plus le village comme autrefois en s’arrêtant pour bavarder avec les paysannes ou jouer quelques instants avec les enfants. Et au fond, personne ne désirait la voir renouer avec ses anciennes habitudes. Ceux qui la croisaient quelquefois sur les chemins, toujours accompagnée de son chevalier servant, ne s’avisaient pas de lui adresser la parole, se contentant d’un salut certes respectueux mais plus dicté par la crainte que l’affection. Car l’étranger continuait de faire peur à tout le monde. Et pas seulement lui. Yolande était devenue méchante, violente, et ne se privait pas de cravacher au visage tous ceux qui osaient lui barrer un tant soit peu le chemin. On se mit à la détester autant qu’on l’avait aimée.

 

Ensuite, le Sire Hugues mit ses menaces à exécution. Les paysans ne connurent plus un instant de tranquillité. Sans cesse bourdonnaient autour d’eux les serviteurs envoyés par leur seigneur pour surveiller les travaux et s’assurer que nul ne chômait. Eux aussi avaient changé, et pas en bien. Querelleurs, soupçonneux ; et lorsqu’un matin, ils apparurent, tenant chacun un fouet dans une main, les villageois n’en crurent pas leurs yeux. On risqua quelques plaisanteries sur l’utilisation de ces armes. Mal en prit à ceux qui avaient cru pouvoir faire quelques traits d’esprit. Les fouets sifflèrent et s’abattirent sur leurs épaules et ne s’arrêtèrent que lorsque les hommes furent à terre. Les autres villageois avaient regardé la scène sans rien dire, trop stupéfaits pour intervenir. Et puis ils comprirent. Ils comprirent d’autant mieux que ceux qui tentèrent de protester auprès du Seigneur Hugues ou de sa fille se virent eux aussi fouettés presque jusqu’à ce que mort s’ensuive.

 

Le malheur s’abattit alors sur cette contrée autrefois si heureuse. Outre les mauvais traitements dont étaient quotidiennement victimes les paysans, Sire Hugues leur laissait à peine de quoi subsister. On voulut se révolter ; quatre villageois furent pendus dans la cour du château, les meneurs. Parmi eux, se trouvaient le père du jeune Thibaut, beau garçon de l’âge de Yolande et qui avait autrefois partagé les jeux de la jeune fille lorsque tous deux étaient enfants et que sa mère, morte alors qu’elle avait dix ans, descendait au village afin de s’assurer de la paix et de la prospérité du domaine. Yolande et l’étranger avaient assisté au supplice. Cet affreux spectacle n’arracha à la jeune fille qu’un seul commentaire : « Ce fut bien rapide. » Lorsque, trois jours après, on accorda aux familles le droit de venir chercher les corps afin de les enterrer, Thibaut croisa Yolande dans la cour. Elle partait faire une promenade dans la montagne. Elle jeta au jeune homme un regard méprisant et moqueur, et, éperonnant son cheval, bondit sur lui. Seul un réflexe prodigieux permit à Thibaut de ne pas être renversé et piétiné. Avec un éclat de rire strident, Yolande franchit la porte du château et disparut dans un nuage de poussière. Le jeune homme, qui avait été contraint de se jeter de côté, se releva péniblement ; il cracha par terre et leva le poing. « Tu payeras tout cela ! » gronda-t-il.

 

Le soir même, pendant le repas, l’étranger aborda le problème des villageois.

 

« Ils vous détestent », dit-il au Seigneur des Roches Rouges.

 

« Ils nous craignent, répliqua Yolande. La peur est une arme suffisante pour les faire tenir tranquilles. »

 

L’étranger se frotta pensivement le menton. « Pendant un certain temps, oui. Mais arrive un moment où le désespoir est plus fort que la peur. »

 

La belle Yolande leva sur lui un regard ironique.

 

« Que voulez-vous dire, mon ami ? demanda-t-elle. Faudrait-il changer nos coutumes ? Nous avons toujours traité ainsi nos paysans. Et vous avez pu voir que nous savons mater les révoltes. »

 

« Certes, admit l’étranger. Cependant, le danger n’est pas écarté. Ils s’entendent trop bien entre eux. Si vous voulez vraiment avoir une totale domination sur eux, il faut semer la discorde dans leurs rangs. »

 

« A quoi bon se… » commença Yolande mais son père frappa du poing sur la table.

 

« Tais-toi, dit-il rudement. Laisse parler notre hôte ! »

 

« Je n’ai rien de plus à dire, murmura l’étranger, toujours pensif. Toutefois, si vous me laissez faire, je peux vous certifier que dans deux jours, vos paysans seront tellement désunis qu’il y aura querelle entre toutes les familles et même à l’intérieur des familles. »

 

« Je serai curieux de voir ça, dit le seigneur. Mais cela ne risque-t-il pas de nuire à leur travail ? »

 

« Non, si nous agissons intelligemment. Me donnez-vous l’autorisation de régler ce problème ? »

 

Hugues réfléchit quelques minutes. L’étranger paraissait très sûr de lui. Et jusque-là, ses conseils avaient été judicieux.

 

« Vous l’avez, répondit-il enfin. Je suppose toutefois que vous allez demander quelque chose en échange ? »

 

« En effet. Mais je crois que cela aussi, vous me l’accorderez sans protester. Je demande la main de votre fille. »

 

Yolande eut un sourire coquet tandis que  Sire Hugues se renversait sur son siège et riait aux éclats.

 

« Je vous la donne de grand cœur, répliqua-t-il. Vous saurez faire son bonheur et je crois que ses sentiments à votre égard dépassent la simple amitié. » Yolande eut le bon goût de rougir, mais pas longtemps et très peu. « Remplissez votre mission, reprit Hugues. Et lorsque tout sera fini, vous épouserez ma fille. »

 

Le lendemain matin, l’étranger descendit au village, parcourut les champs, les ruelles, les sentiers, entra dans les maisons. Il n’eut point besoin de parler. On recula devant lui et puis on s’immobilisa. On ne lui refusa rien. A son doigt, scintillait la redoutable bague.

 

(A suivre)

 

Didier FOND

fonddetiroir.hautetfort.com

grand-père va mourir

 

 

 

Publié dans Feuilleton

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P
Il faut jeter la bague dans un étang !<br /> Mais les poissons vont s'entretuer ...
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E
Thibault, à l'aide!!! Mais quel horrible homme que cet étranger , et que Yolande et son père sont devenus ignobles eux aussi...
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C
Pauvres villageois...
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C
Aïe ! Mais quand les villageois et, surtout, les seigneurs vont-ils comprendre avant l'irréparable ????
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J
Vingt dioux, la situation s'empire ! Thibaut va-t-il séduire le coeur de Yolande pour un revirement ?Comment donc ces braves villageois dans la région vont-ils retrouver paix, calme et sérénité ? Didier, tu nous tiens en haleine ...
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