Le sanctuaire de la vierge noire, un feuilleton signé Didier FOND

Publié le par christine brunet /aloys

Didier fond

 

LE SANCTUAIRE DELA VIERGE NOIRE

 

Quatrième partie

 

 

Après avoir enterré son père, Thibaut avait quitté le village et s’était réfugié dans la montagne, au fond d’une grotte, afin d’y ruminer son désir de vengeance. La rage l’envahissait lorsqu’il repensait à sa rencontre avec Yolande, à la façon dont son père avait été tué. Il rêvait la nuit qu’il mettait le feu au château et qu’il faisait périr le seigneur Hugues et sa fille dans les plus affreuses souffrances. Sa haine se tournait également vers l’étranger, car il avait compris que ce dernier était à l’origine de tous les malheurs qui s’étaient abattus sur le village depuis son arrivée.

 

Mais les provisions qu’il avait emmenées en partant finirent par s’épuiser. Il dut un matin redescendre au village. Il pensait que Guillaume, son meilleur ami, ne se ferait pas prier pour lui venir en aide. Quelles ne furent pas sa surprise et sa consternation de constater à quel point ses anciens condisciples s’étaient transformés. Pas un seul ne lui ouvrit sa porte et Guillaume lui-même le jeta dehors sans ménagement avant même qu’il eut ouvert la bouche. Partout, c’était la même atmosphère de morosité, de méfiance, de jalousie. Dans les champs, c’était à celui qui travaillerait le plus et le plus vite, et le mieux. A l’intérieur des maisons, les femmes étaient prêtes à s’entretuer pour savoir qui filerait le plus gros tas de lin, qui tisserait les plus beaux draps pour la damoiselle… Plus d’entraide, de solidarité ; chacun vivait pour soi et les querelles ne cessaient d’éclater dans chaque famille. Thibaut ne réussit même pas à obtenir un morceau de pain. On le chassa de partout.

 

Alors que, désespéré, terrifié, il reprenait le chemin de la montagne, il aperçut, assise sur une pierre, la doyenne du village. Elle était aveugle. Autrefois, chacun prenait soin d’elle. A présent, elle ne parvenait à se nourrir que de racines et de quignons de pain qu’on voulait bien lui jeter. Elle était si faible qu’elle paraissait déjà hors de ce monde. Thibaut s’assit près d’elle, lui prit la main. « Que s’est-il passé ? » demanda-t-il doucement.

 

« L’étranger, souffla la vieille. C’est lui qui est venu. Et tout a changé. Ils ont vu quelque chose, et ils ont tous changé. Prends garde à lui, Thibaut. Si tu le croises, ne le regarde pas… Moi, je suis aveugle, il n’a pas pu me transformer… »

 

« Sais-tu ce qu’ils ont regardé ? »

 

« Une bague… Il disait regardez ma bague… Et ils sont devenus ce que tu as vu. »

 

Thibaut réfléchit quelques instants. « Alors, le Sire Hugues et sa fille ont dû aussi voir la bague », murmura-t-il enfin.

 

« C’est probable… Ils n’ont jamais été méchants… Souviens-toi, Thibaut, quand vous étiez enfants… »

 

« Et pourtant, il a tué mon père, elle a voulu me tuer… »

 

La vieille ferma les yeux. « Ce n’est pas eux, enfant, ce n’est pas eux… Lui… lui seul  », chuchota-t-elle et elle bascula en arrière.

 

Le jeune homme n’eut que le temps de la retenir et la serra contre lui. « Que faut-il donc faire ? » demanda-t-il. Mais la vieille ne répondit pas. Elle était morte.

 

Pendant ce temps, au château, on fêtait les épousailles de l’étranger avec Yolande. Quatre jours de fêtes ininterrompues. La jeune châtelaine baignait dans le bonheur absolu. Ces noces n’avaient cependant pas modifié son comportement. Elle cherchait querelle à tout le monde et n’était contente que lorsqu’elle avait réussi à faire pleurer ses servantes. Un soir, alors qu’elle reposait auprès de son mari, ce dernier désira l’entretenir d’un sujet qui, dit-il « était fort grave ». Le Seigneur Hugues devenait vieux, il gérait certes bien son domaine mais ne tirait toujours pas le maximum de ses paysans.

 

« Que voulez-vous qu’il fasse de plus ? » interrogea Yolande en baillant. Cette discussion l’ennuyait.

 

« Oh, je connais beaucoup de moyens pour améliorer encore la situation. Mais je ne peux pas me permettre de les appliquer. Je ne suis pas le Seigneur du château. »

 

Yolande eut un geste d’impatience. « Il est vieux, comme vous l’avez dit, et il mange trop. Il finira bien par mourir. Vous prendrez sa place. »

 

Il y eut un silence. Puis la voix de l’étranger s’éleva de nouveau. « Lorsqu’il mourra, il sera sans doute trop tard pour agir. »

 

« Mon bel amour, vous ne voudriez tout de même pas qu’il rende son âme à Dieu cette nuit même, juste pour vous faire plaisir ? N’y comptez pas. Ce n’est pas nous qui décidons de l’heure de notre mort ou de celle des autres. »

 

« Vous vous trompez, ma mie. Rappelez-vous les pendaisons de paysans… »

 

Yolande haussa les épaules. « S’ils sont morts, c’est qu’ils devaient mourir de notre main. Et puis, vous n’allez pas comparer ce qui n’était qu’une juste punition à… » et elle se tut, n’osant pas poursuivre.

 

« Tant pis, soupira l’étranger. Une fois maître du domaine, je vous aurais tout donné, y compris ma bague… »

 

Yolande soupira de nouveau, se tourna sur le côté. « Faites ce qu’il vous plaira, rétorqua-t-elle enfin. Mais ne me mêlez pas à cette histoire. »

 

Quelques jours plus tard, à l’issue d’un repas encore plus copieux qu’à l’ordinaire, le Sire Hugues décéda, dit-on, d’une attaque d’apoplexie

 

Le châtelain mort, ce fut bien évidemment sa fille qui hérita de ses biens et par l’intermédiaire de Yolande, son beau mari. La disparition de son père n’affecta pas la jeune châtelaine. Tout au plus se borna-t-elle à dire : « Vous voyez, ce n’était pas la peine d’imaginer des choses insensées, la nature fait bien les choses. »

 

(A suivre)

 

Didier FOND

fonddetiroir.hautetfort.com

L'annonciade

 

 

Publié dans Feuilleton

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D
Mesdames, auriez-vous résisté à la bague ?... et au bel étranger ?...
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E
En effet seul l'amour pourra remettre cette histoire à l'endroit... et pas de bague, s'il vous plait, même si c'est un saphir de Bulgari!
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C
Comment s'en sortiront-ils ?
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C
Méfions-nous des jolies bagues, on n'sait jamais. Cela devient passionnant. Yolande, réveille-toi!
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J
Il n'y a que l'amour qui puisse triompher de tous ces malheurs ! Ah quel romantique suis-je ! Ou alors, il faut la lui faire avaler, sa bague, à l'étranger hypnotiseur ... Mais je vois bien Thibaut être l'outil du changement. Vivement la suite demain.
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