Un extrait de "la novolizta", le nouveau roman de Gauthier Hiernaux
Mes doigts brillaient d’un vermillon sombre dans le clair-obscur de la ruelle. Je les examinais avec attention alors que ma conscience s’écoulait comme un filet d’eau dans la gouttière voisine.
Les gouttes de sang s’écrasaient sur les pavés en se mêlant à celles générées par le ciel. Quand plus aucune des miennes ne suivrait ce chemin, je serais mort.
L’endorphine avait anesthésié la douleur mais je savais que je disposais de quelques minutes avant de perdre conscience. Mes yeux se braquèrent lentement vers cet amas de caisses derrière moi, puis volèrent jusqu’à ce balcon au-dessus de ma tête… Le claquement sec de l’élastique frappant le bois m’avait averti, beaucoup trop tard, de ce qui m’arrivait mais, même si j’étais actuellement dans l’impossibilité de trouver d’où était parti le coup, je le cherchais quand même. J’avais toujours été curieux…
Une nouvelle fois, mes doigts redescendirent vers la pointe acérée qui m’avait transpercé le cou comme la lame d’un couteau dans une motte de beurre. Sa position me rappela l’histoire de Paulie Bosco et de l’arête de poisson qui avait failli réussir là où nous avions si longtemps échoué. Cette histoire aurait pu prêter à rire mais, dans l’état où je me trouvais, j’avais peur que les soubresauts ne me fassent perdre encore davantage de sang. Il fallait songer à des événements moins cocasses, ce qui, dans la situation actuelle, ne devait pas être trop difficile…
Je tournoyai lentement, un peu malgré moi, puis mes genoux fléchirent et heurtèrent de plein fouet le macadam. Dans cette position, abruti d’une fatigue soudaine qui m’empêchait de relever la tête, je ne pouvais que contempler la flaque vermeille qui se formait tragiquement sous moi. Bien qu’en étant la source, j’ignorais comment l’endiguer. Je ne pouvais qu’attendre… simplement attendre.
Au loin, j’entendis le hurlement sinistre d’un chien, puis une dispute dans un immeuble voisin me vint aux oreilles. Un gargouillis submergea bientôt les autres bruits et je me rendis peu à peu compte qu’il provenait de mon propre corps.
Une nouvelle fois, ma main remonta jusqu’à ma gorge. J’essayai de retirer le trait mais mes forces m’abandonnaient peu à peu. Je ne réussis qu’à rendre la plaie plus béante.
Je me laissai glisser sur le flanc, mon corps s’était sans doute résolu à mourir.
Ainsi, c’était comme ça que j’allais terminer ma vie ; dans une ruelle sombre, le cou percé d’un trait d’une arme hautement prohibée d’après le catalogue des Tours de Justice impériales. C’est peut-être mieux ainsi.
Plic. Ploc.
Je m’évanouis, quelques secondes tout au plus. Ce fut le bruit de bottines frappant le pavé qui me tira de l’inconscience.
« Le tireur », pensai-je.
Qui pouvait-il être ? Le choix était vaste! La vie que j’ai menée m’avait fabriqué des ennemis à ne plus savoir qu’en faire. J’en comptai au moins trois qui auraient été jusqu’à m’assassiner. Mais mon ennemi n’était sans doute pas celui qui avait pressé la détente. Je devais avoir eu affaire à un vulgaire mercenaire – un étranger certainement car je connaissais peu de citoyens de la Nouvelle Ere prêts à brader leur réincarnation en donnant la mort pour de l’argent.
Le bruit se rapprocha. Le soudard ne devait plus être qu’à quelques mètres de mon corps moribond. Les semelles dérapèrent bientôt sur une dalle et un bout de chaussure se coinça sous mon aisselle. Je fus retourné sans ménagement, comme un sac de linge sale, comme une carcasse des abattoirs d’Oskar Enko.
Quelqu’un dont je ne pouvais voir le visage tant il était haut perché entra dans mon champ de vision. Je pus quand même distinguer le sourire malsain de l’homme satisfait de sa besogne. Il ne m’avait pas raté, je ne survivrais probablement point. C’est du moins le calcul qu’il fit en me laissant agoniser dans cette ruelle sordide.
Mais en retombant dans le monde des chimères, je me fis la promesse de le détromper.
Gauthier Hiernaux
http://grandeuretdecadence.wordpress.com