Un texte de Camille Delnoy "La chambre blanche"
La chambre se présente petite et blanche. Neutre de toute empreinte, c’est pour cette raison que je l’aime. Aucune ombre, aucune trace, rien qu’un silence sans couleur à l’image de ma mémoire. Elle est propre, c’est le plus important.
Une armoire exiguë, sœur cadette d’une boîte d’allumettes, une chaise et une table meublent ce carré d’exil.
Un œil dans le mur m’offre un regard protégé sur l’extérieur.
D’ici, je ne risque plus rien. Chaque jour, je m’y installe, silencieux et aux aguets. Mais aux aguets de quoi, de qui ? Peu m’importe ! Je regarde.
De ma chaise, je contemple le port et les plis du vent.
Un papillon erre en toute innocence sur le visage d’un bateau. Le sel y a sculpté des vents et des îles. Ses grands yeux me fixent, me parlent, mais je n’entends rien ne comprends rien.
Les mouettes griffent le ciel liquide de leurs cris blancs. Un écho, une résonnance qui me trouble.
Je ferme et referme les rideaux.
J’efface l’extérieur.
La nuit tombe et murmurent les étoiles aux élans mutilés.
À chaque nuit qui se présente, averse de mouches dans la tête, je me sens brusquement gavé d’une absence.
Absence floue, regard suspendu.
C’est une éclipse qui rime avec gommage.
Le psychologue, à longueur de séances, n’arrête pas de me dire : « Il vous faut reprendre le pas, cher monsieur, la trace vôtre qui vous ouvrira les écluses de la mémoire ».
Faut-il vraiment une mémoire à la page redevenue blanche que je suis ? Sinon quelles blessures, quelles morsures peuvent bien m’attendre, tapies au verso de cette page ?
Il fait nuit à boire l’instant café.
Je ferme les yeux sur le cri d’un éclair.
Mes rêves – mais, sont-ce vraiment des rêves ? me mènent, pas alourdis, en un étrange grenier. Sombre est ce grenier où se figent les souvenirs repliés, tassés en boîtes de carton sous la lucarne, rumeurs passées, dépassées, prisonnières des coins et des ficelles en nos épaisses poussières volontaires. Dans cet espace, tout chuchote, rien ne se dit. La clé s’est perdue dans une chute.
Est-ce la mienne ?
La sienne ? Qu’importe ! Close est la porte.
J’aime cette chambre blanche. Assis derrière l’œil du mur, je laisse venir à moi ce qui n’a ni nom ni racine.
Une heure à l’endroit, une heure à l’envers, ainsi vont les mailles d’un temps distendu à l’infini. Dans le coin supérieur de la vitre, timide, une mouche tricote des lambeaux de lumière.
Je ferme et referme les rideaux blancs.
Les mouettes, comme à leur habitude, griffent le ciel liquide de leurs cris blancs.
J’aime vraiment beaucoup cette chambre blanche
Camille Delnoy