Acte 3 - Texte 4

Publié le par christine brunet /aloys

            

Cher monsieur de Clerbois

 

   Mes nom et prénom se sont certainement éjectés de votre champ visuel. Il en est tout autre pour moi. La famille de Clerbois et toute sa clique sont encore bien vivantes dans ma mémoire. Souvenirs d'enfance, senteurs printanières, des cris d’enfants qui s’amusent et gambadent dans les sous-bois. Lors des grandes vacances d’été, vous jouiez en toute innocence à cache-cache ou à colin-maillard entre les dépendances du majestueux château de Clerbois avec la horde de vos petits camarades, tous issus du même milieu que vous. C'étaient les belles années de l'empire de Clerbois. Vos parents et grands-parents recevaient tout le gratin du monde politique et même la crème de la crème du Gotha se déplaçait jusqu’aux si chaleureux salons de ce petit Versailles. Je n’en croyais pas mes yeux, c’était à chaque fois une enfilade de futures têtes couronnées ou déjà couronnées. À l'époque, j'avais huit ou neuf ans, tout comme vous. Rassurez-vous, ce n'est pas d'un viol dans les caves du château entre deux champagnes millésimés, des Rothschild bien sûr, dont je veux parler ici. Non. En ces temps-là, le temps de l’insouciance donc, j'étais si menue que personne ne prêtait attention à ma présence. Et j'étais si calme, si insignifiante, si transparente. Cependant j'avais des oreilles pour entendre et aussi des yeux pour épier. Quel dommage que les GSM n'existaient pas encore à cette époque, j’aurais photographié, filmé, enregistré à gogo toutes ces scènes succulentes. Mon père lui aussi était un personnage quasi transparent. Achille, le brave jardinier tellement attentif à la floraison des arbustes de la propriété. Et cet Achille dont vous avez certainement oublié l'existence depuis tout ce temps en plus de ses oreilles pour entendre et ses yeux pour voir avaient, pour écrire, un crayon entre les doigts. Eh oui ! Rien ne lui a échappé. Les noms de vos illustres invités, les heures et dates de leurs arrivées ainsi que celles de leur départ. Excitante lecture que celle de ces petits carnets aux historiettes si précises, les après-midi froides et pluvieuses, dans mon minable et humide appart de la banlieue bruxelloise, tout en rêvassant à une terrasse ensoleillée quelque part au centre de cette station balnéaire, knokke. Vous connaissez cette ville, knokke, n'est-ce pas?

   Revenons à cette lecture exaltante, des rebondissements à chaque page. On pourrait en faire une série sur Netflix, pourquoi pas ? Car il ne manque aucun ingrédient pour obtenir un succès monstre (j’insiste sur cet adjectif), croyez-moi. Du sexe ? Saviez-vous que des de Clerbois vous ne portez que le nom ? Mais ne paniquez pas, le sang qui coule dans vos veines est celui d’un nom bien plus prestigieux. Vous pourriez même vous imaginer portant fièrement sur la tête une couronne flamboyante, ornée de précieux joyaux. Des magouilles de fric ? Alors là, on parle de montagnes de tunes, ça oui. Vous souvenez-vous de ces incendies qui ont ravagé les communes de bip bip ? Et les infrastructures hôtelières érigées quelques années plus tard, une coïncidence pensez-vous ? Vraiment ? Des trafic d’armes ? Aussi ! Des trafic d’enfants ? Oui, et pour ces tristes affaires-là, les éclaboussures surgiront bientôt et je ne serai pas à l’origine de ces divulgations salaces. Ces caves qui restaient pour nous de profonds mystères, caves dont les clés étaient introuvables et nous voulions à tout prix délivrer ces pauvres « fantômes » qui s’égosillaient … Des meurtres ? C’est à tomber à la renverse, je n’en reviens pas de tous ces assassinats commis aux quatre coins de la planète et commandités depuis cette magnifique bâtisse du dix-huitième siècle qui était celle de votre enfance, de notre enfance cher Patrice de Clerbois. Je continue ? Vous êtes toujours vivant ? Vous pensiez que vos ancêtres avaient accumulé vos milliards de dollars à la sueur de leur front ? Non mais quoi, vous rigolez ? Asseyez-vous cher monsieur de Clerbois, vous suez et vos membres inférieurs vous lâchent. Les magouilles, vous les soupçonniez. Mais là, avouez, vous avez zappé des épisodes. Tout cela est détaillé dans les dizaines de carnets que mon père, Achille, votre fidèle jardinier, a précieusement mis de côté. Et voilà, le jour est venu, je suis prête. À présent, je suis une grande fille. Trop pauvre, hélas. Et vous, vous êtes devenu un grand garçon. Richissime. Vous comprenez ? Réfléchissez. Bientôt, je reviendrai vers vous. Nous devons discuter, vous et moi.

 

Salutations sincères,

 

Clotilde D.

Publié dans concours

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P
J'ai vu Mr de Clerbois porter la main à son cœur et avoir des sueurs froides ! Je ne pense pas qu'il vivra encore longtemps !
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C
Il n'attendra pas la fin du concours pour crever, celui-là.
C
Crescendo et hop la finale, grandiose, bien aiguisée. Une stratégie féminine, ça.
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M
J'aime vraiment beaucoup.
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E
Oh que j'adore, ça sent la vengeance avec panache ! Bravo!
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P
Beau petit monde chez les de Clerbois !!!!!
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S
un jardinier futé, caché dans les futaies, avec un crayon affûté .... ça va saigner!
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A
Oh ! la charmante petite famille ! J'espère que clotilde a prévu un gilet pare balle...
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