Concours acte 2. Texte 3
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La machine enchantée
Je galopai parmi les fougères sans me retourner. Franchement, je n’avais pas envie de voir de plus près le grand type en peau de bête qui me poursuivait un tibia à la main. Le sous-bois touffu était une vraie plaie pour qui devait s’y déplacer rapidement et je fus soulagée lorsque je reconnu le bosquet où m’attendait Lec. Sa coque aux rivets rutilants, masquée sous un bouclier d’invisibilité, se révéla à mon approche. La porte s’ouvrit et l’intérieur s’illumina.
‒ Comment s’est passée la visite ? demanda une voix désincarnée.
‒ Très intéressante. La préhistoire n’est pas de tout repos, mais elle a son charme, répondis-je en observant sur l’écran principal mon poursuivant s’arrêter, ébahi par ma soudaine disparition.
‒ Quelle est la prochaine destination ?
‒ Il semblerait qu’il se passe des choses intéressantes au royaume de Moab.
‒ Destination enregistrée.
Toujours aussi efficace Lec m’emmena rapidement sur les lieux où j’assistai à de nombreux drames.
‒ Non de…
Je fermai mon clapet. Ce n’était vraiment pas le moment de blasphémer alors que je m’attardais dans un monde où les dieux se divertissaient du malheur des hommes soumis aux malices du destin.
À mon retour, j’informai Lec de ma soudaine envie de visiter l’Angleterre d’un vingtième siècle naissant et il me déposa dans un dix-neuvième mourant où je me faufilai pour assister à une farandole d’évènements qui m’embarquèrent, finalement, à bord d’un paquebot dont le nom rimait avec panique. Loin de me rebuter, l’expérience me donna envie de visiter des lieux bien plus dangereux encore et quand Lec m’annonça la découverte de nouveaux mondes extérieurs, je trépignai d’impatience. En attendant, je me contentai de flâner dans quelque jardin aux senteurs de rose en songeant avec nostalgie aux mondes extérieurs visités dans mon enfance.
Mais l’enfance était loin et Lec me réservait tout autre chose…
Au cours de mes pérégrinations je dus garer mes fesses pour éviter sortilèges, coups d’épées, et attaques d’esprits puissants, qui cherchaient à m’entraîner dans des combats épiques parmi des paysages grandioses, d’inquiétants châteaux et de sombres forêts. Je dus louvoyer dans l’espace, parmi les mailles fines d’un univers aussi froid que sa politique, crapahuter sur des mondes étranges, face à de nouvelles espèces, et vagabonder sur des mondes tout en ombre et lumière. J’en abandonnai quelques uns ‒ très peu ‒ trop ennuyeux pour ma soif d’aventure et m’attardai sur le plus farfelu. J’en évitai d’autres aussi, ennuyée par les ahurissantes considérations pseudo-psychanalytiques de l’autorité me les ayant imposés, pour me replonger avec bonheur dans les mondes qui me plaisaient.
Jusqu’à cette pause ; involontaire et mélancolique.
Le temps passa, puis Lec m’attira à nouveau, m’appâtant avec ses mystères tout en dissimulant les secrets complexes qu’il gardait en son sein, comme un trésor à découvrir. Pour dissiper ma tristesse il ouvrit la porte sur de nouveaux mondes d’aventures palpitantes. Dans son sillage s’illuminèrent le Japon moderne et la Chine ancestrale, se découvrirent les noirs secrets de l’Angleterre du moyen-âge, s’esclaffa la France du dix-huitième, frémit celle du dix-neuvième, se démontèrent les arcanes du vingtième et se dévoilèrent des mondes inconnus jusqu’alors. Un sillage qui donna un sens à ce qui en avait peu, ou pas, ranimant une flamme en veille.
Lectio, la magicienne du voyage. S’en servir n’est pas difficile pour qui sait s’y prendre. Ouvrir, tourner… commence alors une traversée du temps, de l’espace, de l’imaginaire.