Jean-Jacques Manicourt : " La poésie relève de la trouvaille, du mot d'enfant." "
Pourquoi devient-on écrivain et pas peintre ou musicien ? Le talent, me direz-vous... Un talent différent... Vraiment ?
L'un aime le mot, s'en sert comme le sculpteur se sert d'un ciseau ou le peintre d'un pinceau... L'amour de la matière première... Voilà le catalyseur de tout acte créatif... Mais il y a ce petit plus invisible, insaisissable mais que l'on ressent en filigrane...
Jean-Jacques Manicourt est l'auteur chez Chloé des lys de "(Amour) Haine" et "Lettre à Renée"... Il accepte de répondre à mes interrogations...
Depuis quand écris-tu ?
J'écris depuis mon premier chagrin d'amour, ce qui laisse à penser que l'écriture, pour le coup, était une sorte de travail de deuil. Ou, pour le dire autrement, parce que les femmes m'y conduisent. Il y a là un réel indicible, un roc incontournable. Etre conduit en écriture par le désir, la beauté, la chair et le sang, c'est, je crois, ce qu'il y a de plus vivant dans l'existence. En somme, écrire c'est continuer à vivre, à désirer. Voilà un premier élément de réponse ; mais je pourrais très bien prétendre demain que les femmes n'y sont pour rien !
Ta réponse est plus que concise ! Voyons... Parle-moi de ton univers littéraire. Comment définirais-tu ton style ?
Ah, la concision ! J'aime faire court ; au moins quand il s'agit d'écrire l'os de ce que je veux dire.
Espérant qu'il ne va pas s'arrêter en si bon chemin, je lui repose ma question... Alors, ton univers littéraire ?
Tu me demandes l'impossible. Je m'explique : mon univers littéraire est presque aussi vaste que l'univers des particules: j'aime lire, et ce depuis fort longtemps. Si on ajoute à cela que j'ai connu la TV noir et blanc....
Mais, tu as raison. Précisons.
Alors je cite en vrac (mais dans le sens noble du terme, comme si je me rendais dans une épicerie fine et non dans une hyper surface):
Michel Tournier - Vendredi ou les limbes du Pacifique
Gustave Flaubert - Madame Bovary
Italo Calvino
Italo Svevo
Daniel Pennac
Donatien Marquis de Sade
Jacques Lacan
Monpassant
Verlaine
Rimbaud
Appolinaire
Molière
Skakespeare
Christian Bobin
Il me faut arrêter là ; la liste est longue et son énumération peut ennuyer. L'univers littéraire, on baigne dedans, comme dans les signifiants avant de se mettre à parler.
C'est probablement parce que j'ai pris de bons bains de romans, de poésie, de mots singuliers, de phrases à pleurer, à se tordre de rire, à mourir, qu'un jour, je me suis surpris à écrire comme on se surprend à parler après avoir babillé. Paf, en un éclair !!!
Ce que j'aimerais écrire, et qui constituerais mon univers littéraire, si tant est que j'en possède un, c'est un roman dont l'érotisme en filigrane serait insupportable pour qui le lirait. Pour le moment, je babille...
Par ailleurs, tu as vu juste. J'aime ce qui est concis. Le mot avec toute sa chair, saignant. Le mot du désir, pas moins. Ce mot relève de la trouvaille. La vie exige un effort de poésie ; je m'y emploie. En fait, je préfère ma poésie à ma prose.
Tu ne m'as pas parlé de ton rapport avec tes héros... Comment tu les construis, conçois... Y es-tu attaché ou pas du tout. Facile de mettre le point final ou pas ?
Mes personnages se construisent petit à petit, au fil de l'écriture. Selon mon humeur aussi, je suppose. Ils prennent corps dans le rapport qu'ils entretiennent avec le lien social. Si, à un moment donné de l'écriture, je ne les aime plus ou ne les considère plus, c'est une indication pour cesser d'écrire (raison pour laquelle, il y a quelques débuts de roman dans mes tiroirs). En outre, le roman exige du souffle ; il faut que les personnages tiennent la distance. Parfois, je les aime au point de ne plus les quitter, même après le point final. Parfois, je les quitte sans remords sans que je sache pourquoi.
Qu'est-ce que permet la poésie et ne permet pas le roman et vice versa... Pourquoi préfères-tu la poésie ?
La poésie est plus proche d'une production de l'inconscient. Justement, je m'intéresse aux mots d'esprits, aux rêves, aux lapsus, à tout ce qui achoppe. J'ai écrit, il y a de cela quelques années, un petit poème qui témoigne de cela
Mon désir courtise tes chairs
Fugace, y loge l'objet précaire
Dans un trou, vaille que coûte
Peu chère, ton image m'envoûte
Mais l'Autre du désir nous aliene
Et la petite bébête, du preste con
Jusqu'au cerveau lent nous enchaîne
Insuffle à nos corps, les démons.
Je crains déjà de trop expliquer. Au fond, je ne peux pas dire que je préfère la poésie à la prose.
Je n'ai jamais encore rencontré quelqu'un qui me réponde aussi rapidement ! Du coup, je liste les questions de peur d'en oublier et de tarir sa "confession".
1/ Pourrais-tu me donner une définition... TA définition de l'écriture. Tu as déjà abordé, parlé du sujet, mais j'aurais besoin de quelque chose de plus... concis et de plus précis.
2/ Pourquoi t'intéresser à l'inconscient au travers de la poésie, justement. Dans ton extrait, (prose) tu traites de l'évolution psychologique de ton personnage dans une sorte de monologue. est-ce que la poésie traite de ton état psychologique ?
3/ D'où viennent tes personnages ? Du quotidien, de ton entourage ? Purs produits de ton imagination ?
Je n'ai jamais encore rencontré quelqu'un qui me pousse à en dire plus. Enfin si, une collègue de travail !!! Elle a raison....le plus souvent.
Définition de l'écriture : effort singulier d'un sujet pour poétiser la vie.
Je ne peux faire plus concis, et plus con aussi.
Ce n'est pas que je m'intéresse à l'inconscient à travers la poésie, c'est que la poésie est la manifestation de l'inconscient.
Alors oui, ma poésie a pour objet l'objet de mon désir.
D'où viennent mes personnages ? De là où je les ai rencontrés. Pour cela, je fais le tour du monde imaginaire, réel et symbolique.
Ainsi Sarkozy dans l'homme qui tua Sarkozy, je ne le connais que par le biais de ses discours (préservez-moi), de ses prestations à la télé (supprimons-la).
Ainsi Renée dans "Lettres à Renée", je l'ai vraiment rencontrée, aimée et haïe; mais ce qu'elle est devenue au fil de l'écriture ne ressemble en rien à ce qu'elle fut réellement.
C'est ce que permet l'écriture: une grande liberté qui confine à celle dont est dotée l'enfance.
Je ne pouvais pas répondre plus vite.
"Ce n'est pas que je m'intéresse à l'inconscient à travers la poésie, c'est que la poésie est la manifestation de l'inconscient.
Alors oui, ma poésie a pour objet l'objet de mon désir."
Est-ce que tu peux développer, s'il te plaît ? Pourquoi la poésie et pas la prose ?
La poésie relève de la trouvaille, du mot d'enfant. Picasso disait : "Je ne cherche pas, je trouve." Je crois que la poésie a pour objet cette trouvaille qui se saisit entre un temps d'ouverture un peu miraculeux et un temps de fermeture, d'évanescence. On ne la cherche pas cette trouvaille, on la trouve avant qu'elle nous échappe. Peut-être qu'être poète, c'est être disponible à ces trois temps.
La prose relève davantage de la construction, même si, à l'occasion, elle peut revêtir les habits de la poésie. Bon, j'ai le sentiment de théoriser quelque chose qui ne doit pas l'être.
C'est un élément de réponse, mais je dois bien t'avouer que, pour n'y avoir jamais songé sous cet angle-là, je suis en peine d'en dire davantage. Pour le moment.....
Travail de l'auteur, des textes, des mots... Travail ou instinct ? L'auteur sent-il lorsque la poésie doit prendre le pas sur la prose et vice versa ?
Jean-Jacques, ton avis en guise de conclusion ?
Je lui propose donc mon premier jet et voilà sa réponse et voilà sa conclusion qui sera donc la mienne également...
Déjà le premier jet me convient ; c'est en même temps assez proche de ce que je pense et en même temps un peu étranger. Je pourrais presque dire en guise de conclusion qu'il y a un écart entre l'énoncé et l'énonciation : de là où j'énonce, c'est précisément là où je suis (un peu) écrivain. Cela ressemble à un aphorisme, et je sens que tu pourrais me demander de développer...
Sûrement, il y a tant à dire... Mais c'est dit, je m'arrête là... pour cette fois...
Vous pouvez retrouver Jean-Jacques Manicourt sur facebook .... http://www.facebook.com/profile.php?id=100000630643817&v=wall
Christine Brunet
www.christine-brunet.com
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