Texte n°4 du concours "Les petits papiers de Chloé"
LES CHAUSSURES BEIGES
"Je ne dois pas faire de bruit en marchant."
"Je ne dois pas faire de bruit en marchant."
"Je ne dois pas faire de bruit en marchant."……..
Ma mère passe derrière moi. "Mais qu'est-ce que tu fais là ?"
"J'ai été punie. Je montais l'escalier. La sœur directrice m'a prise par le bras. Elle m'a dit : "Vous en faites du bruit ! Vous marchez comme un soldat." J'ai réagi : "Mais ma sœur…" "En plus, vous me répondez ! Vous me copierez cinquante fois : je ne dois pas faire de bruit en marchant."
Je me lève et je continue avec aplomb : "Mais je n'en peux rien. Ce sont mes nouvelles chaussures. Écoute, Maman. Quand je marche ici sur le parquet, elles font aussi beaucoup de bruit."
"Oui, c'est vrai. Puisque c'est ainsi, on les gardera pour le dimanche…"
Ouf, ma stratégie a fonctionné ! Maman n'y a vu que du feu !
"Maintenant, termine cette punition, même si elle n'est pas juste !"
En fait, ces chaussures neuves, offertes par mes grands-parents à l'occasion de la braderie, m'ont valu quelques critiques désagréables de copines. "C'est pas beau cette couleur…", "Et puis le petit talon, c'est laid…"
À mes yeux, le verdict de mes copines condamnait ces souliers beiges qui, du coup, ne me plaisaient plus ! C'était des "salomés" un modèle qui faisait fureur dans les années cinquante, des souliers décolletés, à lanière, fermés par une boucle. J'en avais eu des noirs vernis, des blancs, des bleus, des bruns qui ne m'avaient valu aucune remarque. Il fallait, oui il fallait, que je n'aille plus en classe avec ceux-ci !
Quand je rencontrais un problème, j'avais pour habitude de le retourner dans tous les sens pour le résoudre. Je n'étais satisfaite que lorsque j'avais trouvé plusieurs moyens de parvenir à mes fins et que l'un d'eux s'imposait clairement à moi. Alors j'ai cherché, cherché encore… J'aurais pu, par exemple, abîmer mes chaussures en les frottant contre des pierres. Un jour, en jouant à l'équilibriste dans le jardin de bon-papa, cela m'était arrivé mais je me souvenais parfaitement du regard sombre de ma mère et de son flot de paroles ! Si j'adoptais cette solution, je m'exposerais à sa colère. Je n'y tenais vraiment pas. J'aurais pu aussi marcher dans des flaques d'eau. Mais là encore, gare aux représailles !
Comment faire pour ne plus porter ces chaussures ?
Une remarque de mon institutrice allait me donner la solution…
"Les enfants, cessez de faire un tel bruit dans les escaliers. On dirait le défilé militaire de la fête nationale ! Si cela continue, il y aura des punitions dans l'air !"
Eurêka ! Il me restait juste à imaginer comment mettre mon plan à exécution !
À l'école, pour un fou rire, pour une faute d'orthographe, pour un "merci" ou un "pardon" oublié, pour une bagarre dans la cour de récréation, il y avait souvent une sanction : verbes à conjuguer à différents temps, phrases ou mots à recopier cinquante fois ou, pour les plus grandes, petite dissertation sur le sujet. À chaque âge, son type de punition. J'avais un peu plus de neuf ans. Il suffisait de m'inspirer des châtiments infligés à des amies.
J'ai réfléchi et soupesé chaque mot de cette fausse punition. Fausse punition certes mais vrai remède !
Mes chaussures beiges ont été réservées pour le dimanche. En ce temps-là, on distinguait en effet les habits et accessoires du dimanche et ceux de la semaine. Pour aller à l'église, à un dîner dans la famille ou chez bon-papa, je m'habillais avec plus de recherche ! Il m'arrivait même de porter un chapeau, des gants en crochet et de prendre un petit sac à main. Ces fichues chaussures beiges s'assortissaient à mes plus jolies robes. Et puis les adultes sont moins spontanés que les enfants. Ils ont appris à se taire et à mentir à bon escient ! Qui parmi eux aurait osé dire que mes chaussures étaient laides ?