Texte n°6 du concours "Les petits papiers de Chloé"
Réfectoire
Le réfectoire se voulait un lieu à la fois récréatif et solennel. Récréatif car chacun se retrouvait avec les autres aux mêmes heures, quatre fois par jour, dans cette immense pièce aux tables placées à angle droit, cernées d’autant de chaises que de commensaux; c’était un repas d’élèves et pas de moines et l’on pouvait parler en ce lieu, mais pas tout de suite. Les places, les voisins et les chefs de table étaient les mêmes pendant une semaine; le lundi, l’ordre était changé. Les Grands étaient à la table du Recteur, les Moyens étaient entre eux, de même que les Petits. Ainsi, le réfectoire était-il le seul endroit, avec la messe conventuelle et les offices du dimanche, où tous les élèves étaient régulièrement rassemblés. Les repas principaux étaient précédés de la prière chantée: “Bénissez-nous Seigneur – bénissez ce repas, cette table accueillante, et procurez du pain à ceux qui n’en ont pas, ainsi soit-il”.
Le côté solennel commençait ici. Le repas continuait dans le silence; l’élève lecteur de la semaine prenait place sur le bureau suspendu qui dominait la pièce, et donnait la lecture. Le ton était calqué sur celui du réfectoire des moines: il restait monocorde tout au long de la phrase, et chutait sur le dernier mot qui précédait un point. Cette chute était différente si la phrase se terminait par un signe de ponctuation autre que le point. Ce rite rendait d’abord étrange le texte, roman ou journal, lu par le soliste; mais l’oreille s’y faisant jour après jour, il redevenait ce qu’il était, et voulait être sans doute: un texte récité d’une voix dont tout sentiment était exclu.