Texte n°7 concours
Ça y est, c'est le grand jour ! Le grand jour, c'est moi qui l'interprète ainsi ! Parce que vraiment je ne pensais pas que ça allait se passer comme ça et pour prédire l'avenir je ne m'appelais pas Mme Irma. Ils m'ont installé dans le sas du grand magasin. Le premier supermarché de la ville. Le plus proche. Systématiquement le coin des habitués pour les courses de tout les instants et surtout le rendez-vous des petits vieux du quartier qui s'y retrouvent lorsqu'ils ont décidé de s'acheter le kilo de farine ou de sucre en poudre manquant à la maison.
J'étais glacé ! L'ouverture et la fermeture automatique des portes devenaient ma hantise. La petite table de camping qu'on m'avait prêté pour m'installer moi et ma pile de livres était mal équilibrée et j'avais trouvé l'astuce pour la caler avec un des flyers plié en quatre que j'avais réalisé et illustré par mes propres moyens parce que l'imprimerie restait chère. Même avec mes gants en polaire, mes doigts gourds étaient désormais blancs. Avec cette foutue maladie de Raynaud je me demandais alors comment je ferai pour dédicacer mon livre au premier admirateur qui daignera s'intéresser à moi et emprunter ma plus belle écriture avec fierté ? J'avais mal.
Dehors il faisait un froid de canard, je n'allais pas commencer à me plaindre car j'étais à l'abri, aussi j'avais remarqué la caissière à l'entrée du magasin engoncée dans son gilet remonté jusqu'au cou. Je l'imaginais grelottante entourée d'articles de bouffes à scanner et de bips intempestifs comme marquant une montée d'enchère au passage du laser rouge de sa caisse enregistreuse. De temps en temps on se lançait quelques coups d'œil. Mais jamais trop longtemps parce qu'on avait pas que ça à faire. On était chacun là pour autre chose. En l'occurrence, elle pour encaisser et moi pour déballer ma littérature. À mon grand dam il n'y avait pas énormément de monde qui s'arrêtait à mon stand de fortune. Je ne désespérais pourtant pas d'offrir quelques signatures.
Ma patience ayant des limites elle fut néanmoins récompensée par une petite dame qui s'approcha de moi à pas lents. Je distinguais à peine ses yeux aux travers des verres épais de ses lunettes qu'elle repoussait aussitôt à chaque fois qu'elles glissaient sur son nez. En dépit de tout son sourire ne m'échappa pas. Elle saisissait un prospectus dans le petit paquet de flyers entreposé devant moi et sans aucun doute je devinais qu'elle en déchiffrait le contenu. Elle m'envoya un autre regard qui était encore plus agréable que le précédent. Cette dame avait l'art de communiquer son engouement tout simplement et avec beaucoup de naturel que je ne pus que m'en satisfaire. Après un certain nombre de politesse j'étais ravi de cette rencontre. Quant à la dame, elle se doutait bien que j'allais lui caser un de mes bouquins. Et c'est sans aucune réticence qu'elle accepta un exemplaire. Elle me confia ensuite qu'elle était amateur de poésie et qu'elle en connaissait un rayon. Elle voulait me présenter à un de ses amis qui en connaissait un autre qui en connaissait un autre, ce dernier avait des relations ayant des assentiments identiques. Le bouche à oreille à ce qu'on m'a dit marchait bien... Si j'osais, à mon tour, j'aurai pu lui confier que j'étais aux anges, et je me voyais déjà en haut de l'affiche.
Le moment de la dédicace était propice. Je questionnais cette sympathique dame histoire de construire une citation rapidement, une maxime, un sentiment approprié, ou de surcroît une pensée de bon aloi. J'en avais justement une sous la main qui n'attendait qu'à être distribuée gracieusement. Machinalement j'attrapais d'une main l'exemplaire qu'elle me tendait et l'autre que je tentais de réchauffer par mon souffle tiède, mon sang circulait difficilement aux extrémités. Le froid et le stress ne m'aidait pas. La dame trépignait un peu. Le courant d'air transformait l'endroit en un gouffre glacial avec le passage incessant des clients qui maintenant faisaient affluence à cette heure. Elle s'arrangea correctement une large écharpe de laine rouge lui couvrant aussi les épaules. J'entrouvris la couverture neuve avec délicatesse pour ne pas la casser par un plis disgracieux et mon stylo glissait sur la première page encore vierge, absorbant ces mots personnels : « Si les gens ne revendiquent pas d'être différents on finit par se satisfaire de tout ».
Et « À ma première admiratrice » signé SOPHIE PORCHETIERE le 8 janvier 2008. La petite dame me saluait et repartit comme elle était arrivée, discrètement. En s'éloignant je devinais qu'une confiance illuminait son regard qu'elle partagea une dernière fois en se retournant. Une amitié s'était improvisée. Enfin un attroupement de badauds animés par la curiosité avait formé autour de ma petite table un paravent d'humains qui me protégeaient du froid et me réchauffaient le cœur. J'étais content de moi.