Texte n°6 concours
PREMIERE SEANCE DE DEDICACES
Après avoir triomphé de multiples épreuves, surmonté bien des obstacles, vaincu les doutes et les critiques, me voilà en haut de la montagne, contemplant fièrement le chemin parcouru, défiant ceux qui n’avaient pas cru en moi et souriant à la foule des lecteurs qui allaient se presser devant le stand où je me tiens, bien droit, derrière une pile de livres tout frais sortis de presse. Devant moi, un écriteau arbore mon nom en lettres dorées.
Je suis enfin présent à la Foire du Livre !
Pendant des années je m’y suis promené avec des airs gourmands, plus intéressé par les écrivains que par leurs œuvres.
Je me disais « Un jour, ce sera moi qui serai là, et les visiteurs feront la file devant ma table ». Mission accomplie ! Enfin, en partie, car voilà une heure que je me suis installé et aucun futur lecteur ne s’est présenté.
Pour ne pas avoir l’air de guetter le client, je fais mine de griffonner dans un carnet, je feuillette un de mes livres, j’en dispose un debout pour que l’on voie bien le titre… quelle jolie couverture ! Comment est-il possible qu’elle ne capte pas tous les regards ?
Je consulte mon gsm, je prépare mon stylo, j’imagine le texte des dédicaces… bref je deviens nerveux.
Oups, voilà un homme qui s’approche. Je lui souris le plus naturellement possible et mon sourire reste coincé sur son « Où se trouvent les toilettes ? ».
Je réponds que je l’ignore et il se barre.
Ah, voilà une vieille dame qui ralentit. Je m’enhardis et lui demande ce qu’elle aime lire. Elle balaie la table d’un regard dédaigneux et me lance, lèvres pincées : « Je ne lis que les grands auteurs ». Re-gloups.
Les gens continuent de parcourir l’allée devant moi, certains sans un regard, d’autres dégoûtés comme s’ils découvraient des boudins graisseux dans ce temple du Livre. Où est l’erreur ? C’est moi qui n’ai pas l’air d’un vrai écrivain ? C’est mon livre qui n’est pas assez gros ? C’est le titre ? La couverture ? Le nom de l’auteur ? De la maison d’édition ?
Devant mon air dépité, ma voisine, une jolie jeune femme que je n’avais pas remarquée, n’ayant d’yeux que pour ma merveille, se penche vers moi et murmure : - C’est votre première fois ?
- Heu, oui. Et vous ?
- Oh moi, j’ai l’habitude. C’est mon dixième ouvrage.
- Ah bon ? Et vous vendez bien ?
- Pas plus que vous. Faudra vous y faire.
- Et pourquoi certains dédicacent à tour de bras ? Regardez, là, il y a foule devant une table.
Ma consoeur rit en haussant les épaules.
- Evidemment ! C’est Amélie Nothomb !
Nous avons sympathisé, et pendant que nous parlions, des passants prenaient nos livres en mains, les jaugeaient, et puis s’en allaient pour ne pas nous déranger.
Je n’ai rien vendu mais j’ai rendez-vous demain avec Isabelle.