Texte N°5 concours
CONFIDENCES SECRÈTES…
Cela se passait il y a plus de dix ans, au salon du livre de X. Je m'y étais préparée à cette séance de dédicaces ! J'avais imprimé des signets pastel sur lesquels figuraient d'un côté un de mes poèmes apprécié d'un ami conteur, de l'autre les coordonnées de mon site et de mon blog. J'avais revêtu un nouveau chemisier blanc, un boléro fuchsia et une écharpe en soie assortie.
Après avoir salué Laurent, mon éditeur, j'avais disposé mes livres et des signets sur la table. Tout était en place. Je me suis assise. Il suffisait d'attendre un peu… Et tout s'était passé sans anicroche. J'avais plutôt bien assumé. Dès qu'un visiteur marquait son intérêt pour mes textes, je me levais, j'entamais la conversation. J'avais vendu un premier recueil aux parents d'une petite fille qui avait été attirée par la couverture très colorée et les titres des contes. Je prenais de l'assurance.
Il était aux environs de treize heures lorsque l'homme s'était approché du stand et avait feuilleté mon livre. Il devait avoir la quarantaine. Plutôt grand et robuste, il avait les cheveux châtains coupés court, un visage aux joues roses et des yeux bruns. Il était habillé d'un imperméable "à la Colombo". Je me suis levée, je l'ai salué comme je l'avais fait pour d'autres. J'ai expliqué : "les contes, ce n'est pas seulement pour les enfants, ce n'est pas seulement du merveilleux non plus." Il a eu un sourire énigmatique. Il a dit : "Mes parents sont en vacances en Savoie. Je surveille leur propriété. Ils comptent sur moi. Je m'occupe du parc." Il s'est penché vers moi : "Il ne faut surtout pas dire que je suis seul. Personne ne le sait." Il a ajouté quelques phrases à propos de ses activités de bricolage et de rangement avant de confier : "Je suis parfois violent." Je vis alors que son regard avait changé, que ses joues étaient devenues plus roses.
Mon mari parcourait la foire. Il s'était intéressé à un calligraphe et à diverses activités, mais revenait régulièrement vers le stand. Il m'y photographiait en conversation avec des visiteurs. Lorsque l'homme l'a vu viser et pousser le bouton de son appareil, il s'est approché davantage de moi et a dit d'un air suspicieux : "Je ne veux pas qu'on me photographie. J'ai horreur des photographies…" Dans son ton, la colère et la détermination se mariaient et formaient un cocktail inquiétant. La bulle de sécurité vous connaissez ? Eh bien, elle avait été violée, cette bulle et je n'en menais pas large.
Je me suis souvenue des quatre mots : "Je suis parfois violent". Je me suis reculée un peu en m'évertuant à banaliser les choses. "C'est juste pour avoir des souvenirs… On ne garde que celles où personne ne peut être identifié sauf moi et l'éditeur." L'homme parla encore de la nécessité de ses protéger des intrus, puis s'éloigna après m'avoir assuré qu'il allait repasser.
La grande salle continuait de bourdonner de conversations, mais pour moi tout avait changé. J'avais perdu ma sérénité, ma confiance, Mon imagination prenait le dessus, j'envisageais plusieurs issues et je me sentais impuissante à réagir. Je me suis mise à transpirer. Avait-il emporté un de mes signets ? Ne risquait-il pas de s'en prendre à mon mari ? N'allait-il pas casser notre appareil photo ? Heureusement après quelques minutes, je le vis repasser de l'autre côté de l'allée sans même jeter un coup d'œil au stand de Chloé des Lys. Peu à peu, je retrouvai mon calme.
Le soir, chez des amis, je racontai mon étrange rencontre. Nos amis me demandèrent de décrire l'homme, car, affirmaient-ils, le fils d'un riche industriel de la région avait déjà séjourné en hôpital psychiatrique pour paranoïa ! L'année suivante j'ai revu l'homme à ce même salon. Mais il ne fit que passer et je baissai la tête. Vous comprendrez dès lors pourquoi je reste assez floue à propos de l'endroit où cela est arrivé.