Texte n°3 Concours pour les Petites papiers de Chloé

Publié le par christine brunet /aloys

Un repas de famille

Ils sont tous là, dans le salon où on les a priés de boire le champagne entre eux. Henri-Pierre ne descendra que pour passer à table. Après tout, 93 ans, ça se fête mais à son rythme. Autant que ça reste une fête.

C’en est une pour les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants en tout cas. Les pièces rapportées, comme le suggère la légende qui a souvent raison dans ces situations, se demandent avec plus ou moins de discrétion s’il y aura encore un 94ème anniversaire. « En bien, » dit Eve-Lucille en descendant sa troisième flute, les joues d’un rouge heureux, « si c’est le cas on se consolera avec le champagne ». « Se consoler ? » Marie-Odette, sa belle-sœur, a un zeste de reproche horrifié dans la voix mais le regard complice, et choque doucement sa flute contre celle d’Eve-Lucille avec un clin d’oeil (qui s’appelle Germaine mais ne veut pas qu’on le sache).

Julie, la gouvernante, a annoncé qu’on pouvait passer à table, ce qui permet de remarquer que si Henri-Pierre sera bien en bout de table comme toujours, la place à sa droite ne sera plus occupée par son aîné, Armand-Léopold mais, comme le révèle le porte-nom, par Pimprenelle. Pimprenelle ? Mais qu’est-ce que c’est que ce prénom non seulement commun mais ridicule ? Qui est-elle donc ? « L’infirmière, » suggère Marie-Elodie en pouffant de rire. « Elle termine de lui attacher son lange… ». Armand-Léopold éructe un puissant « Marie-Elodie ! Tiens ta langue… et s’il t’entendait ? »

« J’ai bien entendu, mon fils. Je ne suis ni sourd ni dupe » ! Henri-Pierre apparaît, souriant, dans la salle à manger, au bras d’une jolie jeune femme à l’aspect réservé, en jeans et pull de cachemire vert foncé, un simple collier de perles au cou, mais un cabochon de taille spectaculaire au doigt. « Je vous présente Pimprenelle, ma… on va dire pour l’instant : fiancée ! »

Concert horrifié dont les arguments se chevauchent sur des timbres de voix allant de l’hystérie à la fureur, passant par le bégayement et les quintes de toux. Tu plaisantes ! Tu es devenu fou ? Te remarier pour faire une veuve ? Et nous dans tout ça ? Tu ne vas pas lui laisser ton argent ? Non mais tu veux qu’on t’interne ? Elle n’en a qu’à ton argent….

« Bien sûr, elle n’en a qu’à mon argent, ne la sous-estimez pas. Mon argent est notre bénédiction à tous les deux : sans lui je n’aurais jamais osé lui demander de devenir ma femme dans mon état, et sans lui elle n’aurait même pas considéré la chose. Mais figurez-vous que tout ça m’est bien égal, je l’aime et à sa manière… elle m’aime aussi. Je n’ai plus eu le goût de l’amour depuis longtemps, et connais trop bien celui de l’intérêt. Je ne suis pour vous qu’un placement qui tarde à venir à échéance ».

Chœur de protestations aussi sonore qu’un train qui siffle dans la nuit, Eve-Lucille et Marie-Odette vont jusqu’à se lever la bouche en cul de poule en gémissant « mais enfin père chéri… »

« Asseyez-vous, taisez-vous et faites honneur au délicieux potage de Marceline. Quant au reste, ne gâchez pas l’harmonie de ce dernier repas familial… avant celui du mariage, naturellement. Bien qu’il ait déjà eu lieu dans l’intimité, avec la signature de tous les documents garantissant l’avenir de Pimprenelle. Mais nous comptons sur vous pour honorer le banquet le mois prochain, avec des mines plus de circonstances que ces teints de cadavres maquillés à Hollywood que vous affichez aujourd’hui. Allez ! » et il se lève, s’appuyant sur l’épaule de Pimprenelle, une Pimprenelle qui lui effleure la main d’un caresse chaude et enveloppante, et puis y dépose les lèvres, « réjouissez-vous de ce que parfois, l’argent fasse le bonheur ! »

Publié dans concours

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P
Très amusant !<br /> Encore une future (veuve joyeuse ) :-)<br /> Et des enfants éplorés...
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P
Puisqu'ils sont d'accord tous les deux, pourquoi pas? J'imagine la tronche de la famille ! L'argent ! Toujours l'argent !
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R
J'ai bien peur que le potage de Marceline nait pas été apprécié comme il se serait dû. Pourtant, puisque j'y étais à ce repas, je dois admettre (moi le petit-fils désintéressé) qu'il était réussi. Potage au potiron. Miam !
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J
Il a tellement raison, Henri-Pierre ! J'ai tendance à rejoindre Silvana, car dès les premières lignes j'ai pensé au style d'Edmée, mais, comme Bob, je sais de qui ce n'est pas. Et zut, il pense qu'il ne s'agit pas d'Edmée. Je sais par contre que ce n'est ni de Silvana, ni de Bob ! Rires. Tiens, et Didier, que devient-il ?
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M
Une histoire joliment écrite et provocatrice.
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S
Personne ne raconte les histoires de famille mieux qu'Edmée...<br /> Mais je peux me tromper.
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E
Voici en tout cas un récit où l'argent fait le bonheur (des uns, et le malheur des autres comme il se doit :) )
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B
Non le style est trop classique pour du Carine, mais le ton... oui ! En fat j'ai l'impression souvent de savoir de qui ce n'est pas ! Pas du Brunet par exemple, ni de l'Edmée... N'empêche, j'ai trouvé ça très marrant... si ça continue dans cette verve variée je vais revenir les lire toutes ces nouvelles d'Aloys.
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C
C'est pas moi c'est pas moi c'est pas moaaaa
S
Cynique et tellement réaliste à la fois ! Ah, l'argent, qui comble de tout sauf de sincérité... Et je crois reconnaître la plume vivante et acérée de l'auteur... Je dirais : Carine-Laure...
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C
Voyons voyons Séverine, je n'ai pas le don d'ubiquité, pas encore en tout cas. Si tu veux des scoops me concernant, ils seront gravés dans la prochaine interview de notre Polichinelle d'amour. Ce sera lancé ce matin sur FB si ce n'est pas censuré.
S
Zut, zut, zut !!! Je sens que je vais encore avoir tout faux sur les pronostics... Peut-être le précédent est-il de toi, alors, Carine-Laure...<br /> Bon d'accord, d'accord, j'arrête et je patiente pour savoir.<br /> Bises à tous, les amis :-D
C
Eh bien non, mauvais plagiat de Carine-Laure, ce n'est pas du Carine-Laure (je rigole hein).