Texte 7- le dernier ! Concours "Les petits papiers de Chloé"; "lâcheté(s)" - On vote sur ce post !
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Résultats le 31/10
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Je sais, j’ai été lâche. Je n’ai rien fait, pas bougé le petit doigt pour que les choses se déroulent autrement, mais si j’avais dit ou fait quelque chose, est-ce que tout aurait été différent ?
Je ne voulais surtout pas le perdre. Je n’aurais pas supporté de vivre seule. J’ai toujours eu peur de la solitude. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai épousé John : pour ne pas être seule, pour ne pas avoir à affronter les épreuves de la vie sans aide, pour ne pas avoir les pieds froids la nuit.
Quand j’ai épousé Patrick, j’étais très jeune. Ma mère venait de mourir ; je n’avais ni frère ni sœur. Ma mère et moi, nous avions toujours vécu en symbiose : jamais l’une sans l’autre. Je ne me serais sans doute jamais mariée si ma mère avait vécu plus longtemps. Mais la maladie l’a emportée alors qu’elle était encore dans la fleur de l’âge. Il faut dire qu’elle ne s’est pas vraiment battue pour rester avec moi. Elle m’aimait, je le sais, mais jamais elle n’avait pu oublier son bel amant, mon père, et son véritable désir était d’aller le retrouver là où il devait l’attendre, dans un lieu auquel je n’avais pas accès.
Patrick m’a trompée avec tout ce qui bouge : sa secrétaire (le coup classique), ma meilleure amie (oui, je sais, ça fait terriblement cliché, mais c’est la vérité), la voisine,… Je n’ai jamais rien dit. Là aussi, j’ai été lâche. Je préférais fermer les yeux afin qu’il ne me quitte pas. Je n’aurais pas supporté de vivre seule dans ce grand appartement vide dont j’avais hérité à la mort de ma mère. Et pourtant, il est parti, m’abandonnant à mon triste sort. J’avoue que je n’ai pas vraiment souffert de la solitude à ce moment-là, car avant de partir il m’avait laissé un cadeau : une petite graine qu’il avait implantée dans mon ventre. J’avais quelqu’un à qui parler : une vie qui se développait à l’intérieur de moi. Nous étions deux, seules contre le monde entier, comme je l’ai été longtemps avec ma mère jusqu’à ce qu’elle m’abandonne.
John, je l’ai rencontré au bureau. Un gars sympa qui s’intéressait à moi. Ça ne m’a pas laissé indifférente. Un jour, Elodie, ma petite fille allait me quitter, elle aussi, et je me retrouverais seule pour le restant de ma vie. J’ai dit « oui » à John, même si je ne l’aimais pas vraiment : il semblait si amoureux. Et puis, il était fou de ma petite Elodie. Il avait toujours rêvé d’avoir des enfants, d’avoir une petite fille aussi jolie que Boucle d’Or, aussi mignonne, qui deviendrait une jeune fille attirante, mais ça, je l’ai compris bien tard.
Elodie n’avait pas douze ans quand j’ai senti les premiers regards appuyés de John. Je n’en ai pas dormi de la nuit. J’avais sans doute mal vu, pas John, non pas lui, pas le papa de remplacement, pas le beau-père, charmant, attentionné, qui avait fait sauter sur ses genoux ma petite fille toute son enfance. Je me rends compte que j’ai employé le verbe « sauter ». Je ne savais pas à cette époque, qu’un jour, il signifierait tout autre chose !
Elodie grandissait en beauté (ça non plus, je ne l’avais pas remarqué avant d’avoir capté le regard envieux de mon amant). Elodie avait grandi si vite ; elle était devenue femme si tôt, si jeune. Elle était attirante, c’est indéniable, même pour un amant fidèle et amoureux comme John. Elodie commençait à se maquiller ; sa poitrine pointait maintenant sous son corsage trop serré ; elle s’achetait ses vêtements toute seule (elle n’avait déjà plus besoin de moi) et ses jupes étaient de plus en plus courtes, ses pulls de plus en plus décolletés.
Je n’ai rien dit, j’ai été lâche. J’ai fait semblant de rien. Je pensais qu’Elodie n’oserait jamais séduire son beau-père, celui qui l’avait fait sauter sur ses genoux. J’ai pensé que John n’oserait jamais toucher sa belle-fille, ma petite fille, ma poupée, mon ange.
Quand la police est venue sonner à ma porte pour m’annoncer que ma fille avait porté plainte contre mon compagnon, j’ai à nouveau été lâche. J’ai fait semblant. Non, je n’avais rien vu, rien remarqué. Ce n’était pas possible. Ma fille mentait. John n’aurait jamais osé…
Un jour, Elodie allait me quitter ; qu’importe que ce soit maintenant. John, lui, resterait avec moi jusqu’à la fin de ma vie. Entre les deux, j’avais choisi. Ma fille mentait, je le savais !
Ce jour-là, John est rentré à la maison, un grand sourire aux lèvres, un bouquet de fleurs dans les mains. Il m’a embrassée et m’a simplement dit : « Merci chérie ».
Et moi, je me disais : « Pardonne-moi, ma chérie, mon Elodie, mon amour. Je suis si lâche, mais je ne pourrais pas vivre seule, tu comprends ? ».