" Et si 2012 voyait la fin de l'humanité"... Texte 1
Le jour où ça craquera
Je veux être dans tes bras *
« Quand, à force de n'y pas croire,
Notre monde explosera,
Quand se fera la nuit noire
Je veux être dans tes bras.
Au diable ces lois trop grandes
Qui de nous, disposeront,
Moi, simplement, je demande
Que ça ne soit pas trop long. »
Leur sommeil avait été agité, peuplé de rêves étranges que l’aube sale peinait à dissiper. Saisis d’une irrépressible angoisse métaphysique devant la vertigineuse solitude d’un monde vidé de son humanité, ils osaient à peine se regarder.
« Tout bien pesé, je crois que j’aurais préféré y passer tout de suite… » murmura-t-elle en se massant douloureusement l’estomac.
Il opina sans un mot, un bras passé autour des épaules de sa compagne dont le délabrement physique aurait nécessité les soins les plus urgents. Il se demanda combien de temps elle aurait pu espérer survivre. Et lui-même qui, rongé tout comme elle par l’incessant bombardement des particules de haute énergie, s’efforçait sans succès de faire semblant d’être à peu près en forme.
Survivre… Il faillit éclater de rire devant l’absurdité d’une telle idée. Ne vivaient-ils pas les derniers jours du monde ? Et, suivant en ceci leur propre choix, leur tout dernier jour ? Il vérifia la présence, dans sa poche, du précieux tube de pilules. Tout ça n’avait plus aucun sens…
Il se remémora des pans entiers de leur insouciante jeunesse. Le temps du bonheur, les jours heureux. Et la fin des jours heureux.
Après la chute du rideau de fer, on avait pourtant bien cru y avoir échappé. Et la dissémination sournoise des armes de destruction massive n’avait pas fait ressurgir l’inquiétude que l’on aurait dû légitimement éprouver. Jusqu’à ce que, de façon inattendue, le spectre de la guerre atomique refît son apparition.
Israël, las des tergiversations du gouvernement des Etats-Unis, avait pris l’initiative d’une première frappe sur l’Iran. De façon indépendante mais bizarrement concomitante, l’Inde avait attaqué le Pakistan, dévastant Islamabad et pulvérisant les silos de missiles nucléaires.
Les pays arabes avaient réagi en décrétant un embargo total sur le pétrole destiné aux pays occidentaux, provoquant une attaque de grande envergure de l’armée américaine au Moyen-Orient. Russes et chinois avaient lancé un ultimatum resté sans effet. La situation internationale s’était très vite dégradée.
Puis tout s’était déchaîné…
Une ultime folie destructrice s’était emparée des hommes. L’humanité ne venait-elle pas, au fond, d’accomplir son inéluctable destin ? Levant les yeux vers le ciel qui s’assombrissait, il la serra plus fort contre lui. Elle pleurait doucement, à petits hoquets réguliers.
Il essuya de l’index les larmes qui coulaient sur ses joues creuses. Son pauvre visage déformé par la souffrance. Il se pencha pour chantonner contre son oreille un refrain des années soixante. Un succès populaire qu’elle avait bien aimé.
Elle renifla, puis le regarda en souriant faiblement.
« Ce sera bientôt terminé… » chuchota-t-il tendrement. « Réjouissons-nous de tout ce que nous avons eu la chance de connaître. Toutes ces années de bonheur qu’aucun Docteur Folamour ne pourra jamais nous voler ! »
Il vida la moitié du tube dans la paume de sa main et lui tendit le reste. D’un geste machinal, elle en fit autant. Puis, comme s’il s’agissait de quelque chose de tout à fait banal, ils avalèrent le tout presque en même temps.
Sans qu’ils s’en rendissent compte, la résignation avait peu à peu succédé au désespoir. Ils allaient en finir ensemble.
« Aujourd'hui, tu dois me croire,
C'est pour toi que je vivais,
En attendant la nuit noire
Ne me quitte plus jamais.
Je ne veux plus penser même
Qu'il y avait un ciel bleu,
Je souhaite à tous ceux qui s'aiment
De mourir comme nous deux. »
* Chanson d’Anne Sylvestre