"Et si 2012 voyait la fin de l'humanité ?" ... Texte 2
ROUGE CHLOROPHYLLE
N’es-tu point lasse, ma sœur ? Je le suis, moi.
Si je… Quoi ? Je ne prie pas, non. Ne sois pas stupide ! Non, tu vois, je suis simplement assise, là, en tailleur, sur un rocher, et ce depuis des heures, et des heures… Et des mois !
J’écoute le bruit de l’eau qui coule, en une majestueuse cascade, qui va nourrir le fleuve, bien plus bas. Et même si ce bruit est passablement tonitruant, il m’apaise… Il est pur. Si pur. Merveilleusement pur dans toute sa puissance.
Chut ! Écoute cela… C’est beau, n’est-ce pas ?
Chut ! Ça me rend… malade ! Il y a cette colère, sourde, là, en moi. Cette… haine !!! Prête à exploser, comme le Pinatubo ! Peut-être ont-ils raison, au final ? La terre a tout donné. Tout. Et de l’eau, et du bois, et le feu… (Pas le feu, exact). Des fruits, les animaux… Et tous ces cadeaux eussent dû suffire mais non ! Non, ma sœur. Ceux de leur espèce, les mâles ! Ces stupides singes arrogants ! Ils en ont voulu toujours plus ! Et des armes ! Et des chars ! La bombe H ! Ils ont… Ils ont piétiné les fleurs !
Mes jolies petites fleurs… Mes arbres… Mes forêts… Je ne pleure pas, non !!!
Mégalomanie, oppression… Toujours plus de pouvoir… Corruption. Ils ont piétiné la vie, leurs frères, pour toujours mieux piétiner la nature.
(?) Ils ont stigmatisé les différences, tout à fait. Le profit ! N’en parlons pas ! Tu as raison. Stupides singes… Ils ne respectent rien. Ni personne. Ma pauvre Amazonie !…
Ils ont éventré la Terre, ils ont pollué les mers, ils ont fait un trou énorme, dans le ciel.
Alors, ils ont peut-être raison. Je suis lasse de tout cela. Je ne me dresserai pas sur la route de nos frères, non. S’ils ont pris leur décision, qu’il en soit ainsi. Non, je resterai assise, là, en tailleur, sur ce rocher. Qu’ils engloutissent les hommes dans les entrailles de la Terre ! Qu’ils les brûlent, tous, sans exception ! Que la planète vomisse sa lave sur les gouvernements corrompus ! Qu’ils fassent monter les eaux ! Qu’ils libèrent… le Kraken ! Qu’ils laissent exploser la foudre ! Je m’en moque ! Peut-être, même, que je les aiderais. Ou prendrais les commandes… Car ce n’est pas très gentil de provoquer mère Nature !
Quelques mois plus tard, en Allemagne, Angela se réveilla d’un long coma dans sa chambre d’hôpital psychiatrique. Il lui fallut plusieurs dizaines de minutes avant de réaliser qu’elle était là, toute seule, abandonnée. Personne ne répondant à ses appels.
Elle se mit péniblement sur son séant, puis se leva, titubant, arrachant, au passage, ses perfs. Elle arpenta le long couloir vide, où le silence n’était rompu que par les ampoules qui
grésillaient. Elle trébucha sur un livre, sans doute oublié par un mioche. Il s’agissait d’un exemplaire du Petit Nicolas, qu’elle piétina hargneusement.
Dehors, un bien étrange spectacle s’offrit à ses yeux pas encore bien réhabitués à la lumière du Soleil : la nature avait presque entièrement repris ses droits. Le monde redevenait sauvage. Des squelettes de voitures et d’autocars pourrissaient, comme de vulgaires carcasses de gnous et d’éléphants dans la savane. Des réverbères, des kiosques, se dressaient encore, désormais insolites, comme les immeubles, envahis par les racines et les lianes.
Tout en explorant ce monde perdu, Angela remarqua des tracts collés un peu partout sur des panneaux d’affichage : « Paco Rabanne prédit la fin du monde pour le 26 décembre 2012 ». Étrange. Mais Angela continua sa marche, et se prit un journal en pleine face. Elle s’en saisit pour regarder les gros titres :
« Bilan 2012 : 4 avril : inquiétante montée des eaux ; Venise anéantie ! 6 mai : l’image choc d’une SDF, morte en serrant son enfant dans ses bras devant le Bundestag, fait le tour du monde. 12 septembre : réveil des volcans éteints ; la foudre tombe du ciel sur les résidences officielles présidentielles, les sièges de l’Otan, de l’ONU, et sur toutes les bases militaires. La fin du monde serait-elle à nos portes ? 12 décembre : déjà plusieurs milliards de morts ; les plantes ont envahi le monde et anéanti les hommes. Retour de manivelle ou… vengeance divine ? Ceci pourrait bien être notre ultime publication ».
25 décembre 2012, population mondiale : 1.
Angela chiffonna le journal et le jeta. Après quelques heures à, tour à tour, trembler de peur et se féliciter d’être la nouvelle Ève en ce nouvel éden, elle entendit un bruit strident semblant provenir du ciel. Elle s’immobilisa, se retourna, et leva des yeux hébétés de bovin. « Fais chier » murmura-t-elle. Et le fragment d’une quelconque station spatiale la pulvérisa…
26 décembre 2012, population mondiale : 0
– Non, mes frères, ne détruisez pas la Terre, exigea Déméter. Je vous ai aidés et vous l’avez eue, votre partie d’Apocalypse… Je veux, maintenant, mon paradis vert ! La Terre n’était pas responsable de l’arrogance destructrice des hommes ! Leurs armes… Leurs usines. Leur pétrole ! La politique ! Tant pis pour eux. Au tour des fleurs et des plantes de régner.
– Car ce n’était pas très gentil de provoquer mère Nature, répondit Zeus, amusé. Soit, ma sœur, si tu veux… Bien ! Qu’allons-nous faire, à présent, sans nos jouets ? Une idée ?