"Et si 2012 voyait la fin de l'humanité ?" ... Texte 3
FIN DU MONDE
En rentrant du jardin avec une branche de thym, je passe dans le hall. Mon attention est attirée par des chuchotements. Au début, c'est juste un murmure, une parole retenue comme si quelqu'un se parlait à lui-même ou faisait des confidences au téléphone. Je saisis à peine un mot ou deux. Je m'approche de la porte du bureau. Je dresse l'oreille. J'entends : "J'ai peur. Je ne veux pas mourir."
Je frappe à la porte, je n'obtiens pas de réponse mais j'ouvre. Maxence est face à l'écran de l'ordinateur, je m'approche de lui. "Qu'est-ce qui se passe ?"
"Lis, Maman. Lis donc…" Je regarde la phrase qu'il me désigne du doigt : "la fin du monde est prévue pour le 21 décembre 2012".
"Tu te rends compte, juste avant Noël. Je ne veux pas mourir… Je n'ai que 13 ans. J'ai peur !"
Je hausse les épaules. "Ce sont des bobards. Quand tu étais bébé on prédisait aussi plein de choses pour le premier janvier 2000. Pourquoi donc es-tu allé sur ce forum ? Tu n'as rien de mieux comme occupation ?"
"J'ai lu dans le journal que les Mayas avaient fait des prédictions, alors, je cherche… Lis tout, tu comprendras. Il y aura un alignement de planètes, l'activité du soleil va augmenter… Einstein lui-même avait affirmé que ça pourrait occasionner de graves conséquences…"
Je hausse de nouveau les épaules : "Oh Maxence ! Laisse cela. Va plutôt m'acheter un pot de crème fraîche à l'épicerie du coin. J'en manque. Ça me sera utile et ça te changera les idées." Il me fixe sans paraître me comprendre. Il répète : "J'ai peur. Tu dis toujours qu'il faut avouer ce qu'on a sur le cœur."
Oui, je suis convaincue qu'il faut oser s'exprimer pour se soulager. Mais là, j'ai un coup de pompe, je suis lasse, fatiguée, je ne sais plus où donner de la tête. Mes heures sont comptées pour venir à bout de mes préparations culinaires et j'agis au plus pressé. En cette veille de réveillon de Noël 2011, j'ai passé toute la matinée et le début de l'après-midi à jouer les grands chefs. Je n'ai pas l'esprit à argumenter. Combien d'autres fois, n'ai-je pas pris le temps de discuter avec lui pour tenter de remettre ses idées en place ? J'en ai l'expérience : ça n'est pas facile de convaincre un ado hypersensible que les rumeurs, légendes urbaines ou superstitions qui circulent dans les médias ne méritent pas l'intérêt qu'il leur porte. Comment lui laver l'esprit de ces pensées noires ? Je me contente de lui caresser la tête, de poser un bisou sur sa joue et je retourne à la cuisine. Au bout d'un temps, je crie : "N'oublie pas la crème fraîche". Quelques minutes plus tard, il sort en claquant la porte. À son retour, il est en compagnie de son copain Fabien, un gamin qui a les deux pieds sur terre. Maxence a le sourire aux lèvres. En plus de la crème, il s'est offert des cuberdons à l'orange.
Quand j'en ai terminé avec mon pâté de poissons, mes crumbles aux légumes et mes verrines apéritives, il est près de seize heures. En guise de goûter, je vais porter des cakes aux olives aux garçons. Avant d'entrer, j'entends leur conversation.
"Ce qui doit arriver, arrivera. On ne peut rien empêcher. Se tracasser ne pourra rien changer."
"Tout de même, quand je lis ce qu'on raconte sur les blogs et les forums, j'ai peur de mourir !"
"On passera tous par là… T'as déjà rencontré mon grand-père ? C'est pas comme tes vieux ou les miens. C'est un rigolo. Eh bien, il dit qu'il y a trop à faire pour perdre son temps en blabla et en disputes."
"Ben oui mais j'ai peur…"
Qu'aurais-je dit de plus que Fabien ? Je frappe, j'entre : "Voici quelques cakes aux olives. Si vous voulez de la limonade, venez vous servir à la cuisine." Seul Fabien me remercie. Je lis une sorte de flamme dans le regard de Maxence. Un instant, je me demande s'il ne joue pas simplement à se faire peur. Il n'a plus l'âge de lire des histoires d'ogres, de sorcières, de méchantes reines mais c'est sûr, il adore les films d'horreur, de vampires, de morts-vivants. Il lui arrive de s'en délecter à longueur de dimanches pluvieux.
Le soir, dans le lit, blottie contre Rudy, mon mari, je lui parle des peurs de Maxence, du malaise que j'éprouve à l'avoir abandonné à ses craintes. "Tu as fait ce que tu croyais bon. Qui peut se vanter d'être parfait ? Tiens, tu aurais pu lui demander ce qu'il pensait être la fin du monde ? Une tempête ou un tremblement de terre ? Il se fait peut-être un film comparable à ce qui s'est passé en mars au Japon. Tu aurais pu aussi lui dire que si dans un an, c'est vraiment l'anéantissement de notre espèce, nous mourrons tous et que finalement, ce sera mieux que de pleurer son mari et son fils morts dans un accident d'auto comme le fait ta sœur depuis plus de dix ans. Tu t'imagines ! Mourir tous ensemble, ça simplifierait tout ! Pas de deuil, personne à consoler sans résultat. Tu vois ça t'aurais emmené loin…"
Le lendemain, toujours un peu culpabilisée de mon attitude vis-à-vis de Maxence, je me relie à Internet. Je lis : "Un astéroïde menace la terre pour 2036 !" Voilà qui rassurera sans doute Maxence. Il est près de dix heures et il profite des vacances scolaires pour s'offrir une grasse matinée. Je souris, convaincue que si je cherchais encore un peu, je trouverais une date de fin du monde encore plus éloignée !