Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème "" : "On a changé mon mari/ma femme" Texte 2"...
UN DOCTEUR A CHANGÉ MA FEMME
Ma femme n'était pas vraiment belle, mais je lui trouvais, beaucoup de charme. Selon moi, il y a dans ce que j'appelle le charme une sorte de délicat équilibre entre des imperfections, parfois tellement mineures.
Ma femme se plaisait à dire que ses lèvres étaient trop minces, sa poitrine un peu trop volumineuse, ses fesses trop imposantes, ses oreilles légèrement décollées et ses paupières tombantes Ces petits défauts physiques, c'est elle qui les pointait. Pour les amis, que j'avais interrogés sans avoir l'air d'accorder une grande importance à leur réponse, elle semblait aussi jolie que la plupart des femmes de son âge.
Quoi qu'il en soit, ma femme était douce, intelligente et bienveillante. N'étaient-ce pas là des qualités plus importantes que des attraits physiques ? Entre nous, cela avait été un coup de foudre lors de notre première rencontre à un stage de yoga. Plus de six ans après, je continuais de brûler de la même passion.
Ma femme occupait un poste de secrétaire dans l'entreprise de son oncle. Quant à moi, ingénieur dans une entreprise d'électronique, j'étais souvent en déplacement à l'autre bout du monde.
Ma femme jouait régulièrement au loto. Il lui était arrivé de me dire : "Si un jour, je gagne au loto, je me ferai refaire les seins, les lèvres et les oreilles." Je ne prenais pas vraiment ses propos au sérieux, car il me semblait qu'elle n'aurait pu se montrer aussi facile à vivre qu'elle l'était si elle avait été un tant soit peu mal dans sa peau.
Aussi à mon retour d'un séjour professionnel de plusieurs mois aux États-Unis, le choc que je vécus fut phénoménal.
Ma femme, accompagnée de sa sœur, était venue m'accueillir à l'aéroport. Sa sœur était telle que je l'avais toujours connue, vêtue et coiffée de manière extravagante, mais ma femme, oui ma femme, m'apparut sous un jour tellement neuf ! Elle était ravissante. Pour être franc, je crois bien que si je l'avais croisée en rue, je ne l'aurais pas reconnue. Habillée d'un élégant tailleur rose, arborant un chignon banane, elle ressemblait à une actrice. Son visage était habilement et discrètement maquillé. Sa posture altière traduisait une évidente confiance en soi. Sa voix me parut plus grave que d'habitude. Elle aurait pu plaire à un homme jeune, à un homme plus distingué que moi, voire envoûter un réalisateur de cinéma.
Rentré chez nous, j'appris que le docteur Lemoinet, chirurgien esthétique, avait mis toutes ses compétences au service des desiderata de ma femme. Elle était ainsi devenue une très séduisante trentenaire.
Au fil des jours, je me rendis compte qu'elle avait beaucoup changé. Elle aimait sortir, s'affirmait davantage, me rabrouait quand, fatigué par une journée de travail, je rechignais à l'accompagner au restaurant. Elle reprit une formation, renonça à travailler chez son oncle, fut engagée par une société de marketing, puis en vint à suivre des cours de théâtre et tenta de me persuader de consulter le docteur Lemoinet pour une rhinoplastie esthétique.
Adieu les bons petits plats qui m'attendaient jadis ! Adieu les réunions de famille sans chichi organisées pour les fêtes ! Adieu les fous rires pour des riens !
Je pris conscience que nous formions dorénavant un couple mal assorti. Je commençai à maudire le docteur Lemoinet bien qu'à la réflexion s'il avait refusé d'intervenir un de ses confrères l'aurait sans doute fait avec le même résultat. Je méditai longuement sur le rapport entre la beauté du corps et la délicatesse du caractère. Je ne tirai toutefois aucune conclusion de mes cogitations.
J'en viens, à présent, à me demander si ma femme acceptera de faire encore un bout de route avec moi et si notre vie conjugale ne risque pas de se transformer en un chemin de croix.