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Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème " : "Je me suis perdu(e)/désorientation" Texte 4...

Publié le par christine brunet /aloys

Letizia et la bête

Alors que je pensais à Letizia, je le vis. Au fond de la coupe, il me regardait, alerté déjà. Je dressai lentement le fusil, avant de réaliser qu’il n’était pas armé. « Clac » et le dix-cors a déguerpi.

Je peste en mon for intérieur, Letizia est envahissante, elle me distrait et je fais des erreurs de débutant. C’est sûr, je ne m’en vanterai pas auprès des copains (ils se marrent déjà).

Sur un coup de tête, je décide d’y aller. Je n’ai rien à perdre et qui sait ? Les jours précédents, il a plu et aujourd’hui, il fait sec : une occasion idéale pour lire les traces. Je suis réputé pour mon décryptage des empreintes.

Deux heures déjà que je suis sa trace, bien nette sur le sol humide. La profondeur et la taille des ovales confirment que l’animal est très grand.  Le temps devient long, j’éprouve de la fatigue et je commence à avoir mal aux pieds, malgré mon habitude de l’exercice.  Je ne connais pas ce coin de la forêt, mais qu’importe. L’endroit est désolé, je me sens ailleurs, étranger. Il n’y a pas de réseau. Bientôt, cela grimpe et s’éclaircit, j’arrive sur le dessus d’une carrière abandonnée. A perte de vue, des arbres et du ciel, beaucoup de nuages. Le sol est caillouteux et je perds la piste. Dépité, je regarde autour de moi, scrutant à trois cent soixante degrés. 

Il est là soudain, tête dressée qui me fixe, la ramure bien découpée sur le ciel gris. Il n’est pas près, mais je peux tenter de le tirer.  Je me concentre et vise décidé, l’index sur la gâchette, il est à moi enfin. C’est mon tour. Et puis, dans le viseur, je vois le sourire de Letizia et ses cheveux, ses épaules et sa main toute fine, ce que je préfère chez elle. Mon doigt se relâche et complètement vidé, je baisse l’arme pour regarder le cerf. Il descend la côte lentement, hautain et indifférent, avant de s’évanouir dans la futaie.

Je reprends mes esprits, après une absence. Il va falloir rentrer et je suis éreinté, déboussolé. Déjà l’ombre recouvre la cime des hêtres. 

Deux jours plus tard, un forestier m’a trouvé assis sur une souche, hagard, cramponné au fusil. Comme j’étais complètement déshydraté, j’ai été évacué en hélicoptère et ce n’est qu’après un passage à l’hôpital que j’ai pu rentrer chez moi. Lorsque j’ai émergé, Letizia lisait dans un fauteuil près du lit « La dernière harde » de Genevois ; elle m’a souri. C’est elle qui m’a tout raconté, car j’ai perdu le fil la seconde nuit de mon errance. Lorsque j’ai raconté que quelqu’un avait multiplié la forêt, ajoutant des arbres aux arbres, au gré de mes avancées, j’ai vu des moues dubitatives. 

Les mois ont passé et le printemps est revenu. Je vois Letizia deux fois, trois fois par semaine. Elle embellit de jour en jour, je trouve. 

J’ai remisé mon fusil, sans doute restera-t-il dans l’armoire, mais ce n’est pas encore déterminé. De loin en loin je l’ouvre, pour respirer l’odeur du bois et du plomb.

Je reviendrai flâner en forêt, il le faudra bien, mais je ne sais pas quand, je crains d’avoir peur. Je demanderai à Letizia de m’accompagner.

 

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Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème " : "Je me suis perdu(e)/désorientation" Texte 3...

Publié le par christine brunet /aloys

Malencontreuse escapade

 

Allez, pour une fois, une aventure vécue ! Si, si…

« Au temps de ma jeunesse folle », comme aurait dit l’ami François Villon, je n’avais encore ni « maison » ni « couche molle » mais, loin de m’en soucier, faisais par monts et par vaux de la prospection sismique dans la région de Berne pour le compte d’une compagnie française de géophysique et de ses clients suisses.

Bon, très vite, juste pour planter le décor : j’étais alors chargé, en gros, de l’utilisation et de l’entretien d’un laboratoire d’enregistrement numérique monté à l’arrière d’un camion tout-terrain. Je dis bien : tout-terrain… 

En quoi consistait plus exactement mon boulot ? Eh bien, le géologue de la société cliente, généralement fort désireuse de découvrir du pétrole dans son sous-sol, prenait une longue règle, la posait bien à plat sur la carte de la région et traçait au crayon gras un grand trait rectiligne.  Et le long de ce « trait », mon équipe et moi avions pour mission d’aller planter des sismographes à intervalles réguliers, puis de faire péter à chaque fois une charge explosive  préalablement descendue au fond d’un trou bien rebouché, le but étant d’ébranler le sol et de recueillir les ondes réfléchies par les diverses couches à différentes profondeurs.

Arrêtons là les explications techniques ! Vous avez déjà deviné que, « la carte n’étant pas le territoire », il y avait souvent entre les desiderata du client et l’accès à son tracé idéal comme un petit… hiatus. À quiconque pourrait nourrir un doute, je conseille une promenade dans le canton de Berne.

Alors voilà, nous avions ce jour-là, assez tôt le matin, réussi à installer le labo sur une pente pas trop raide, en lisière de forêt. Il faisait exceptionnellement beau, le travail avait bien avancé et nous profitions d’une pause casse-croûte bien méritée.  Et à l’issue de ce déjeuner bucolique, histoire de mieux digérer et de me vider un peu la tête avant la reprise du boulot, l’envie me prit d’aller faire un petit tour en pleine nature. Ben oui, comme ça…

Si quelqu’un doute qu’il soit facile de se perdre en forêt, je l’invite tout de suite à aller, par exemple, cueillir des champignons dans un coin bien boisé qu’il ne connaît pas… En lui conseillant de bien mémoriser l’endroit où il laisse sa bagnole !

En tout cas, pour ce qui me concerne, au bout d’une bonne heure, je compris que j’étais bel et bien paumé ! Impossible de retrouver le petit sentier que j’avais emprunté avant de m’enfoncer plus profondément entre les arbres. Perdu dans mes pensées, j’avais négligé de prendre le moindre repère. Quel repère, d’ailleurs, rien ne ressemblant autant à un sapin qu’un autre sapin ?

Je m’arrêtais pour réfléchir et faire taire le début de panique qui me gagnait. Qu’allaient penser les gars de mon équipe en voyant les heures tourner sans me voir revenir ? M’attendraient-ils patiemment jusqu’à la fin de l’après-midi avant de prévenir de ma disparition mon responsable de mission ? 

Je décidais que le mieux à faire était de continuer à grimper et d’escalader au besoin un sapin pour espérer apercevoir l’orée de la forêt, et donc la bonne direction à prendre pour me sortir de ce mauvais pas. Ce que je réussis à faire au bout d’un moment, avec le soulagement que l’on imagine, repérant même une petite route descendant vers un lointain village. Sauvé !

Bon… pas encore complètement. Parce que je ne reconnaissais pas du tout le paysage, et le village en question n’était pas celui près duquel nous nous étions provisoirement installés et dont, miraculeusement, je pouvais encore me rappeler le nom compliqué. 

Après une bonne demi-heure de marche forcée, transpirant à grosses gouttes, j’arrivai dans le bled où je m’arrêtai pour essayer de demander mon chemin. Essoufflé, la gorge sèche, après avoir réussi tant bien que mal à me faire comprendre, je faillis tomber sur le cul en apprenant que j’aurais encore une dizaine de kilomètres à me taper à pieds pour revenir à mon point de départ ! Et le temps passait…

Je remerciai poliment et, un peu découragé quand même, me remis péniblement en route. 

Au bout d’une dizaine de minutes, une  voiture, arrivant derrière moi, s’arrête à ma hauteur. « Kann ich Sie irgendwohin bringen ? » me demande une gentille dame en baissant sa vitre. 

Chouette, je crois piger qu’elle me propose de me prendre à bord. Je dis « je crois », parce que le dialecte qui se pratique dans le pays, ce n’est pas vraiment le Hochdeutsch, hein ! 

C’est le moment de déstocker mon allemand des grandes occasions…

« Sehr gern, vielen Dank, ich habe mich verloren ! » lui dis-je,  prenant soin de préciser que je me suis perdu afin de l’encourager à persister dans ses bonnes intentions. En espérant m’être bien exprimé…

Mon schleu approximatif a dû l’amuser car elle me répond en français avec un large sourire. Ouf…c’est parti pour aller beaucoup mieux !

« Montez, montez, je vais vous ramener là-bas ! C’est à mon mari que vous avez demandé votre chemin, il ne parle pas français et n’était pas très sûr que vous aviez compris ses explications ! » Brave dame…

Fourbu et terriblement embarrassé, j’ai donc finalement retrouvé les copains vers cinq heures de l’après-midi. Pas trop « paniqués » pour la plupart, assis à l’ombre en sirotant une bière ou, allongés sur le dos, chapeau sur les yeux, en train de mâchonner un brin d’herbe. Savourant visiblement cette longue pause inattendue. 

Mais mes deux meilleurs potes, se doutant de ce qui avait dû se passer, s’étaient décidés à partir à ma recherche, et je pouvais en entendre un m’appeler au loin. Alors, avec le risque de tourner en rond, il a fallu aller récupérer ceux-là avant de pouvoir plier bagage, ce qui prit encore un certain temps, comme on pourra s’en douter… 

La journée n’avait certes pas été très productive, mais tout s’était bien terminé et j’avais appris à mes dépends à ne pas être trop « tête en l’air ». Ceci pour le côté positif.

Le soir même, tranquillement attablé dans un « Gasthaus », commentant en rigolant ma mésaventure (car après coup, il est évidemment beaucoup plus facile d’en rire), j’appris qu’il y avait dans ce coin-là un ravin très dangereux au fond duquel avait été retrouvé mort, bien après sa disparition, un jeune touriste victime d’une chute.

Heureusement que je n’étais pas là pour faire du tourisme !

 

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Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème " : "Je me suis perdu(e)/désorientation" Texte 2...

Publié le par christine brunet /aloys

DÉSORIENTATIONS

 

Delphine, une participante à l'atelier récit de vie, avait déménagé. Elle m'avait annoncé que l'appartement qu'elle avait acheté se trouvait dans une résidence construite dans un parc, à une dizaine de kilomètres tout au plus de son ancien logement. Selon elle, à partir d'un certain carrefour il suffisait de tourner quatre fois à droite. Je n'avais donc pas pris la peine de programmer mon GPS, d'autant plus que le temps passant, il se montrait de plus en plus capricieux. Je comptais me fier aux quelques repères fournis par Delphine : un feu de signalisation, une publicité concernant un restaurant, une clinique privée, un autre feu tricolore, un petit bois,  des champs…  Grossière erreur ! 

J'étais seulement parvenue à repérer le premier feu et la publicité relative au restaurant. Les panneaux indicateurs se faisaient rares au fil de la route et aucun n'avait indiqué le fameux Villers où je devais me rendre. 

Je pensai alors téléphoner à Delphine qui m'avait invitée à sa pendaison de crémaillère. Après une brève tentative, je ne dénichai pas mon portable dans la poche de ma veste où j'ai l'habitude de le mettre. 

Je me garai donc sur le bas-côté de la route et commençai à chercher mon téléphone portable. Je le trouvai finalement dans mon sac, mais il n'afficha aucune barre de réseau. Comme j'avais écrit la nouvelle adresse de Delphine sur un papier glissé dans la pochette extérieure de mon sac à main, je me résignai à tenter d'utiliser mon GPS. Hélas, il résista une fois de plus à mes tentatives d'utilisation. Tout cela me porta à croire que mon horoscope devait être bien mauvais ce samedi-là et que je ferais même peut-être mieux de rebrousser chemin.  

Je ne connaissais pas vraiment Delphine. Elle m'avait invitée à sa pendaison de crémaillère comme elle avait invité les quatre autres participants à l'atelier. Je m'étais rendue chez elle près d'un an plus tôt, à son ancienne adresse, pour fêter ses soixante-cinq ans et je m'y étais beaucoup amusée autour d'un sympathique buffet.

En fait de récit de vie, Delphine ne nous avait lu que des épisodes de sa vie sentimentale. J'ignorais encore qu'elle était daltonienne, confondait à l'occasion droite et gauche et n'était soucieuse que de mettre en valeur des signes extérieurs de richesse. Je méconnaissais surtout ses problèmes de santé mentale. Les apparences ne s'avèrent-elles pas trompeuses pour des personnes plutôt naïves comme moi ? 

Il était près de 15 heures, je restai dans ma voiture, embarrassée, espérant simplement apercevoir un piéton auquel je pourrais m'adresser. 

Enfin, s'approcha un jeune cycliste roulant sur un vélo qui s'avéra être pliant. Je sortis rapidement de mon auto, l'apostrophai et lui indiquai l'adresse que je recherchais. Il proposa de s'installer à mes côtés pour me guider jusque-là. Il rangea son vélo dans le coffre de l'auto. "Ce n'est pas facile à trouver, me dit-il. Je vous ferai prendre un raccourci, ça ira plus vite…"   Il me fit rouler quelques kilomètres en ligne droite, puis me pilota à travers un dédale de chemins de campagne, avant de m'amener à déboucher devant une résidence- services pour personnes âgées. Je fus surprise d'apprendre que dans ce bout du bout de Villers se trouvait une sorte de mini village pour personnes désorientées. 

Je commençai alors à paniquer me demandant quel genre d'univers j'allais découvrir. Après une courte hésitation, je demandai au jeune homme de m'aider à regagner un axe principal ce qu'il fit avec gentillesse, m'assurant que cela ne l'ennuierait vraiment pas d'enfourcher ensuite sa bécane pour rentrer chez lui.

De retour chez moi, j'envoyai un message pour expliquer à Delphine que j'avais eu un empêchement de dernière minute !  

J'attendis impatiemment de revoir Delphine à notre atelier. Elle  vint à la séance suivante et lut un texte bizarre dans lequel elle confiait plusieurs étranges particularités de son parcours. Ce jour-là mes yeux s'ouvrirent : je compris qu'elle confondait gauche et droite quand elle parla de l'endroit où se trouvait la machine à café, qu'elle voyait mal les couleurs quand elle qualifia de gris  son carnet rouge. Je m'aperçus aussi que c'était un homme tout de blanc vêtu qui l'attendait à la porte du bâtiment pour la ramener chez elle.  

Un futur en robe de brume se profilait devant moi. Je pris conscience que j'avais soixante-neuf ans et que je pourrais glisser moi aussi vers la fragilité.  

 

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Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème "" : "Je me suis perdu(e)/désorientation" Texte 1...

Publié le par christine brunet /aloys

 

Où suis-je ? J’ai dû m’assoupir sans m’en rendre compte. Le soleil brillait de mille feux quand je suis partie ; il fait noir maintenant ! 

Non seulement je suis plongée dans un noir d’encre, mais en plus il fait très froid ici, glacial même ! Je n’ai jamais ressenti un froid aussi engourdissant. J’ai même du mal à raisonner convenablement. J’essaye de me souvenir des dernières heures que j’ai passées avant d’être entrée dans cet état végétatif. 

Je suis plutôt du genre frileuse.  Si on remonte à mes origines, on se retrouve sous les tropiques. Mes ancêtres sont originaires d’Asie du Sud-Est. Au fil des migrations, ma famille s’est éparpillée non seulement en Asie, mais aussi en Afrique, en Amérique latine ou encore dans les Caraïbes. 

Moi, je suis née dans les Antilles : en Guadeloupe plus exactement. Cet archipel des Caraïbes doit son nom à Christophe Colomb qui voulait ainsi rendre hommage à la Vierge, protectrice des navigateurs,  Notre-Dame de Gaudalupe. Ses îles sont  très prisées des touristes.  « Marie-Galante,  les Saintes, la Désirade », rien que prononcer ces noms vous fait rêver, j’en suis sûre. J’ai toujours vécu sous un climat tropical tempéré. J’ai rarement connu des journées dont la température était inférieure à 20°. Vous comprendrez pourquoi je tremble aujourd’hui. Je n’ai jamais eu aussi froid. J’aurais dû rester dans mon île ! Quelle idée de vouloir voyager, découvrir le monde pour finir morte de froid dans… Dans quoi au juste ?
Voilà, mon cerveau dégèle enfin ! Je sais où je suis : dans un avion ! Je sens des vibrations et des turbulences qui ne trompent pas. C’est la première fois que je prends l’avion et c’est sans doute la dernière. Je ne savais pas qu’il faisait aussi froid dans ces engins volants ni aussi noir d’ailleurs ! Normal, il ne doit pas y avoir d’électricité dans le ciel ! Comment pourrait-on équiper les astres de pylônes électriques pour alimenter ces véhicules volants ? Je n’y n’avais jamais réfléchi, mais maintenant, ça me semble logique ; toutefois,  personne ne m’avait jamais dit qu’on voyageait dans le noir…et dans le froid ! Si j’avais su…

Oups ! J’ai dû me rendormir ! A moins que j’aie perdu connaissance ! C’est ce froid qui m’engourdit ! Me voilà incapable de bouger ! J’essaye en vain de mieux m’envelopper dans ma robe verte. Je la croyais plus chaude que ça ! Dès que je pourrai, je la troquerai pour une autre plus chaude et plus à la mode peut-être. Jaune, je crois que cette couleur me siéra à merveille. Je verrai s’ils en ont dans les boutiques de l’aéroport. Suivent-ils la mode dans ces magasins de passage ? 

Je me demande ce que font les autres passagers de cet avion. Je n’entends rien, pas un bruit, pas un murmure, pas le bruissement d’un papier d’emballage qu’on froisse, même pas la voix de l’hôtesse de l’air. C’est bizarre quand même ! Elle ne devrait pas donner des conseils au micro ? Peut-être s’est-elle endormie aussi ??? Je vais vérifier ça…
« Mademoiselle ? Oh oh ? Y a quelqu’un ? »
Ça devient franchement angoissant ! Mon cœur  se met à palpiter très fort ! Il se passe quelque chose, c’est sûr !
Est-ce que j’ai des voisins au moins ou suis-je seule sur une banquette ? Je ne peux quand même pas être la seule passagère de l’avion ! On n’aurait pas affrété un de ces engins spatiaux rien que pour moi !
Je tente ? Allez, tout doucement, je tâte à droite et à gauche. Ouf ! Je ne suis pas seule ! Il y a du monde autour de moi. Pourtant, personne ne réagit à mon contact, pas un soupir, pas un mot, pas un frisson, rien, le calme absolu.
Je me demande si tous ces passagers n’avaient pas une telle crainte de l’avion qu’ils se sont tous assommés avec des somnifères…

Eh bien voilà ! Ça me revient maintenant. Je sais pourquoi j’ai dormi autant depuis le départ. J’ai pris des tranquillisants afin d’avoir l’esprit calme et paisible pour le voyage, mais là, l’effet s’estompe car l’angoisse me prend tout à coup. Et si l’avion s’écrasait au sol ? Que resterait-il de moi ? Une purée pas bien ragoûtante ! «Notre-Dame de Guadalupe, veillez sur moi. »
Oui, bon, je sais, la Vierge est la protectrice des navigateurs ! Mais pourquoi je n’ai pas pris le bateau plutôt, moi ? C’est sûr que j’aurais eu moins peur ! 

Allez, tout va bien se passer. J’entends les roues qui sortent du train d’atterrissage. L’avion descend, je m’en rends bien compte. Tout doucement, on approche du plancher des vaches. Plus que quelques minutes et je pourrai respirer à l’air libre et enfin me réchauffer en espérant qu’il ne gèle pas à Bruxelles. Oui, je sais, nous sommes en été, mais sait-on jamais avec ces pays éloignés des tropiques…

« Eh ! Mes voisins ! Réveillez-vous ! On arrive ! La délivrance est proche ! On doit survoler l’Atomium à l’heure qu’il est… ».

Je crois vraiment qu’ils se sont trop shootés, car rien ne bouge et personne ne me répond ! Ah j’y suis, ce doit être des étrangers et personne ne connait mon langage.
« Eh oh ! Personne ne parle créole ici ? »

Toujours pas de réponse et l’avion s’est immobilisé. Une porte s’ouvre. Un rayon de soleil entre et éclaire l’habitacle. Je ne vois pas grand-chose. Il faut le temps que ma vue s’adapte à la luminosité soudaine. 

Tout à coup, me voici dehors. 

« Allez, on débarque ! » crie une voix dans une langue qui m’est inconnue. Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? Et pourquoi me regarde-t-il comme ça ? Ma robe verte est plissée ou quoi ? 

« Mais que fait cette banane, seule,  au milieu d’une caisse d’ananas ? fait la voix. Tu t’es perdue, ma belle ? Allez, viens, dès que tu auras revêtu ta nouvelle robe jaune, je ferai de toi mon quatre heures ! » 

C’est ici que se termine mon voyage. Je ne verrai même pas le Manneken Pis ! 

 

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Résultats concours... On a changé...

Publié le par christine brunet /aloys

 

Texte 1 : Brigitte Hanappe

Texte 2 : Micheline Boland

Texte 3 : Séverine Baaziz

Texte 4 : Edmée de Xhavée

Texte 5 : Carine-Laure Desguin...

 

Et la gagnante est... Séverine BAAZIZ ! avec 2 votes. Bravo à elle et à toutes les participantes !

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Dernier texte ! A vos votes jusqu'à ce soir 18h.

Publié le par christine brunet /aloys

À n’y rien comprendre

 

   Merci Etienne, non, tu n’as rien oublié. Bien sûr que ce geste me fait plaisir. À présent, c’est plus qu’un geste, mon amour, c’est une habitude. Voici deux semaines que chaque jour, tu m’apportes le petit déj’ au lit. Magnifique plateau coloré avec jus d’orange, croissants, petits pains au chocolat, café au lait. Tout quoi. Tu me combles mon amour. Bien sûr que tu peux aller bosser tranquille. Il n’y a pas deux mecs comme toi sur terre, j’ai décroché le gros lot.

   Je n’en peux plus, trop c’est trop. Étienne devient irréprochable et même plus que cela. Il n’y a pas que ce petit déj’ apporté chaque matin, non, il y a bien d’autres choses inattendues. Étienne sort la poubelle deux fois par semaine et ne se trompe pas de jour. Il insiste le soir pour m’aider à faire la vaisselle, ranger le linge, etc. Tout ! Et trop c’est trop ! Marie-Chantal, mon amie d’enfance me l’a murmuré, Méfie-toi ma belle, un homme qui change comme ça du jour au lendemain, c’est suspect. Il aurait pas une maîtresse crois-tu ? Tu sais, la quarantaine, c’est un âge où les mecs  se remettent en question. Depuis qu’il t’aide pour le ménage, tu gagnes du temps. Profite de ce temps-là pour te payer une paire d’heures de soins chez l’esthéticienne, chez la coiffeuse. Fais un tour dans les boutiques, renouvelle tes fringues, fais quelque chose quoi ! 

   L’idée de la maîtresse, ça me trottait dans la tête. Alors, le lendemain matin, après le scénario du petit déj’ au lit, j’ai rapido enfilé un sweat, un jeans et incognito, j’ai espionné mon mari.  À la gare, aucune créature de rêve ne l’attendait. Dans le train, nada, rien à l’horizon. Mon chalenge était de passer inaperçue. Ce fut tout un art, j’ai assuré. À son bahut, rien de rien. J’ai escaladé un mur pour taper un œil dans la salle des profs. En vain. Le soir, j’étais crevée morte, tout ce cirque avait eu raison de mon énergie. 

   Lorsqu’Etienne est rentré, il a filé vers la cuisine et a déposé deux plats dans le micro-ondes. Je n’en pouvais plus. 

   Étienne, penses-tu que je ne sois plus capable de cuisiner ? Tu ne supportes plus ce que je prépare ? Mes gratins te provoquent de l’acidité ? Depuis quelques jours, je t’observe. Tu es de plus en plus gentil. Tu agis avec moi comme si j’étais une grande malade. Nous devons toi et moi avoir une conversation sérieuse. Étienne, pourquoi un tel comportement tout à coup ? Pourquoi as-tu tellement changé ces derniers temps ?

   Ma chérie, tu me surprends là ! Je ne m’attendais pas à de tels propos. Je n’ai pas changé du tout ! C’est toi qui as changé et cela m’inquiète. Tu sembles sans cesse énervée, agacée. Et regarde ton visage ce soir, tu parais ravagée ! Et tes simagrées de la journée, n’en parlons pas ! Tu m’as suivi engoncée dans un jeans qui ne ressemblait à rien. Je parie que tu n’étais même pas lavée ! Eh bien tu vois, c’est toi qui as changé ! Jamais tu n’avais escaladé le mur de la salle des profs ! Tu es amoureuse d’un de mes collègues, c’est ça ? Chérie, ressaisis-toi et redeviens comme avant. Ou dis-moi la vérité. 

 

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Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème "" : "On a changé mon mari/ma femme" Texte 4"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

On a changé ma femme 

 

J’essaie de récapituler, pour comprendre comment ça a pu se passer…

 

Fanchon m’a dit « Et si on allait au marché, Clau-clau ? ». Déjà, ça m’a énervé. Elle était autrefois une fan de Cloclo François, et parce que j’ai le malheur de m’appeler… non pas Claude mais Clodion (mon père était professeur d’histoire et adorait Clodion le chevelu, ce qui n’a rien arrangé car à 20 ans j’étais chauve comme Charles), je disais donc que comme j’ai l’infortune de m’appeler Clodion, pour Fanchon je suis Clau-clau. 

 

À cette requête bien banale j’ai dit oui Fanchon. Avec le temps qu’il fait, on s’est vêtus comme des samouraïs. Sous-vêtements Damart à plastron, col roulé, cardigan, doudounes, écharpes, bonnets et, épidémie oblige, masque. Avec ses lunettes pour elle et mon appareil auditif pour moi, nous ressemblions à une publicité de couple Double-foyers et Sonotone subventionnée par les pneus Michelin.

 

Au marché, eh bien on avait beau être côte à côte, je la perdais ici et là. Elle tâtait les pommes de terre ici, analysait le regard d’un merlan là, revenait sur ses pas et fixait les fromages d’un air méfiant. Je m’ennuyais comme un rat mort, faut-il le dire, mais depuis des années de vie de couple, j’étais le porte-monnaie. À moi l’honneur d’enlever mes gants, de compter les monnaies ou déplier les billets, de sentir que derrière moi ça s’impatientait car je comprenais vingt au lieu de cinq et m’indignais, ou treize au lieu de seize et me faisais rabrouer quand je tendais mes quinze misérables euros qui ne suffisaient pas, étais-je sourd ou quoi ? Fanchon, elle, levait les yeux au ciel et faisait mine de ne pas me connaître, me laissant aussi le privilège d’avoir les paumes sciées par ces maudits sacs de plastique remplis de kilos superflus.

 

Toujours est-il que quand j’en ai eu assez – mes bras avaient la longueur de ceux d’un orang-outang et toucheraient terre si on restait une minute de plus -, j’ai usé de ce qu’elle appelle « mon air autoritaire », lui donnant un coup d’épaule assez vigoureux, et lui indiquant la direction de la maison d’un menton inflexible même si recouvert de l’écharpe et du masque. Elle a murmuré je ne sais quoi, m’a agrippé la manche en protestant, mais rien à faire, in-fle-xible et viril, j’ai mis les deux sacs d’un côté pour lui prendre le bras, et l’ai guidée de force. Elle jappait, plaintivement, et j’étais heureusement surpris : mon attitude décidée l’impressionnait. Hop, en avant, à la maison. Derrière nous un tintamarre se fit sentir, des hurlements féminins, la chute d’un étal, des cris de fureur, on parlait d’une victime, d’une tête écrasée sous les choux fleurs, de sang vraiment dégueulasse, raison de plus pour pincer le bras de Fanchon qui couinait d’effroi et trottinait en protestant.

 

Une fois dans le corridor, j’ai vu qu’elle tremblait. Elle ne voulait pas enlever sa doudoune, ni son bonnet – tiens, je n’avais jamais remarqué le pompon de fourrure… - et pleurait, pleurait. Ce n’étais pas d’elle, ça. Ça m’a attendri, j’étais tout chose. Je l’ai prise dans mes bras. Le bonnet est tombé, et au lieu de cheveux couleur eau de vaisselle, de belles boucles noires ont rebondi. Derrière les lunettes, des yeux noirs et vifs. Une peau lisse, pas comme le pécari habituel. Sous le masque enlevé, une bouche fraiche et arrondie par des questions sans réponse encore. 

 

« Mais… vous n’êtes pas Fanchon ? » « Non monsieur, je suis seulement Zinaïda, et je suis sans papiers. Ne me dénoncez pas... ». Heureusement… elle a une voix stridente, pour ne pas dire un klaxon. Une mélodie pour ce qui me reste de tympans.

 

On trouve de tout, au marché… On peut même y échanger une épouse infernale contre une gracieuse jeune femme sans défense et sans autre avenir sûr que… moi. 

 

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Publié le par christine brunet /aloys

Le petit mari

 

Je vais vous raconter l’histoire du petit mari en bouteille. Comme toute bouteille qui se respecte, elle fut jetée à la mer. Il y a de cela deux mille ans. Depuis, elle vogue dans le remous des flots et le fracas des humeurs du temps. Souvent, le petit mari pense vivre ses derniers instants, secoué, cahoté contre les parois de verre, et puis il survit, miraculeusement, et se remet à craindre la fin sous les brûlures du soleil. Mais le pire reste les abysses. Quand un chalutier ou une baleine bleue passe trop près du petit mari en bouteille, il arrive que l’embarcation de fortune vole violemment dans les airs et replonge à pic, fuse et perce l’immensité des fonds telle une balle perdue finissant par se loger dans la vase. Il y fait alors si froid et si sombre que tout semble sorti d’outre-tombe. De quoi se tétaniser et se laisser envahir par les souvenirs d’un lointain passé.

Avant d’être mis en bouteille, le petit mari était grand et respecté. Il était même marié à la fille unique de la Reine Mère. Le couple avait ses appartements dans l’aile gauche du palais. La jeune épouse passait des heures, oisive, dans les jardins royaux, à contempler les cieux, les charmes verdoyants et les êtres à plumes et à becs pour lesquels elle se passionnait. Le petit mari, lui, avait le goût des affaires et s’était vu attribuer, fier et jubilant, le poste de précepteur de la contrée. A l’aube, il partait ; au crépuscule, il rentrait. Rien de bien indisposant, sauf qu’une nuit, le petit mari passa la porte plus enivré qu’un fût de chêne. Éructant qu’une épouse doit attendre son bien-aimé avant de daigner s’endormir, il arracha sa toilette et disposa de son corps sans le moindre égard. L’incident devint coutumier, et l’ignominie sans limite, empreinte d’ivresse et de violence.

C’est un soir de lune rousse et filandreuse que le drame eut lieu. La jeune épouse portait enfin la vie, ce qui n’empêcha pas l’avalanche d’insultes et de coups. Pieds et poings dans les flancs, le dos, le ventre. Si bien que le corps tomba au sol et laissa filer de l’entrejambe quelques gouttes, puis une mare de sang. La jeune épouse perdit l’enfant. Le courroux de la Reine Mère fut sans pareil. Elle hurla de tristesse et de honte de n’avoir rien vu jusqu’à ce que le goût de la vengeance émerge de l’effroi. Fière descendante d’une lignée divine, la Reine Mère voulut un châtiment mémorable. Attacher le coupable à un rocher pour que chaque jour un aigle lui dévore le foie qui se régénère le lendemain ? Non, déjà fait. Le sangler à une roue enflammée qui tournoierait sans cesse dans les Enfers ? Trop commun. Puis l’idée jaillit. Elle allait mettre cet homme en bouteille. Là serait sa place pour l’éternité.

Deux mille ans plus tard, le petit mari est toujours sous le joug de la malédiction, le corps glacé dans le verre planté dans la vase des abysses. Sauf que cette fois, le destin se veut trublion. Rapidement, la bouteille se glisse hors de son étreinte, balayée par le passage d’un poulpe gigantesque. D’un tentacule alerte, la créature se saisit de l’objet, remonte à la surface, et fait un lancé digne d’un champion de baseball en direction d’un navire de pêcheurs. Et la bouteille roule sur le pont aux pieds de la fille du batelier. Adelaïde. Neuf ans. De retour dans sa chambre, elle regarde la bestiole humaine à travers le verre et décide de retirer le bouchon. Le petit mari, laborieusement, serpente et se hisse hors du goulot, où il est attrapé d’une jolie poigne. Affublé d’une perruque blonde et d’une robe courte, il devient alors prisonnier d’une maison de poupée. A la merci d’une enfant qui joue à punir, comme son père sait si bien le faire.

 

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Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème "" : "On a changé mon mari/ma femme" Texte 2"...

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

UN DOCTEUR A CHANGÉ MA FEMME



 

Ma femme n'était pas vraiment belle, mais je lui trouvais, beaucoup de charme. Selon moi, il y a dans ce que j'appelle le charme une sorte de délicat équilibre entre des imperfections, parfois tellement mineures.  

Ma femme se plaisait à dire que ses  lèvres étaient trop minces, sa poitrine un peu trop volumineuse, ses fesses trop imposantes, ses oreilles légèrement décollées et ses paupières tombantes Ces petits défauts physiques, c'est elle qui les pointait. Pour les amis, que j'avais interrogés sans avoir l'air d'accorder une grande importance à leur réponse, elle semblait aussi jolie que la plupart des femmes de son âge. 

Quoi qu'il en soit, ma femme était douce, intelligente et bienveillante. N'étaient-ce pas là des qualités plus importantes que des attraits physiques ? Entre nous, cela avait été un coup de foudre lors de notre première rencontre à un stage de yoga. Plus de six ans après, je continuais de brûler de la même passion. 

Ma femme occupait un poste de secrétaire dans l'entreprise de son oncle. Quant à moi, ingénieur dans une entreprise d'électronique, j'étais souvent en déplacement à l'autre bout du monde. 

Ma femme jouait régulièrement au loto. Il lui était arrivé de me dire : "Si un jour, je gagne au loto, je me ferai refaire les seins, les lèvres et les oreilles." Je ne prenais pas vraiment ses propos au sérieux, car il me semblait qu'elle n'aurait pu se montrer aussi facile à vivre qu'elle l'était si elle avait été un tant soit peu mal dans sa peau. 

Aussi à mon retour d'un séjour professionnel de plusieurs mois aux États-Unis, le choc que je vécus fut phénoménal. 

Ma femme, accompagnée de sa sœur, était venue m'accueillir à l'aéroport.  Sa sœur était telle que je l'avais toujours connue, vêtue et coiffée de manière extravagante, mais ma femme, oui ma femme,  m'apparut sous un jour tellement neuf ! Elle était ravissante. Pour être franc, je crois bien que si je l'avais croisée en rue, je ne l'aurais pas reconnue.  Habillée d'un élégant tailleur rose, arborant un chignon banane, elle ressemblait à une actrice. Son visage était habilement et discrètement maquillé. Sa posture altière traduisait une évidente confiance en soi. Sa voix me parut plus grave que d'habitude. Elle aurait pu plaire à un homme jeune, à un homme plus distingué que moi, voire envoûter un réalisateur de cinéma. 

Rentré chez nous, j'appris que le docteur Lemoinet, chirurgien esthétique, avait mis toutes ses compétences au service des desiderata de ma femme. Elle était ainsi devenue une très séduisante trentenaire. 

Au fil des jours, je me rendis compte qu'elle avait beaucoup changé. Elle aimait sortir, s'affirmait davantage, me rabrouait quand, fatigué par une journée de travail, je rechignais à l'accompagner au restaurant. Elle reprit une formation, renonça à travailler chez son oncle, fut engagée par une société de marketing, puis en vint à suivre des cours de théâtre et tenta de me persuader de consulter le docteur Lemoinet pour une rhinoplastie esthétique.  

Adieu les bons petits plats qui m'attendaient jadis ! Adieu les réunions de famille sans chichi organisées pour les fêtes ! Adieu les fous rires pour des riens !

Je pris conscience que nous formions dorénavant un couple mal assorti. Je commençai à maudire le docteur Lemoinet bien qu'à la réflexion s'il avait refusé d'intervenir un de ses confrères l'aurait sans doute fait avec le même résultat. Je méditai longuement sur le rapport entre la beauté du corps et la délicatesse du caractère. Je ne tirai toutefois aucune conclusion de mes cogitations.   

J'en viens, à présent, à me demander si ma femme acceptera de faire encore un bout de route avec moi et si notre vie conjugale ne risque pas de se transformer en un chemin de croix.

 

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Concours pour le hors série. Thème "on a changé mon mari/ma femme"... Texte 1

Publié le par christine brunet /aloys

 

Maniac Man.

 

Elise soupire en ramassant les chaussettes de Marcel au pied du lit : un geste qui, même s’il n’est pas quotidien, est répétitif. Cet homme semble incapable d’assimiler l’utilité de la corbeille à linge en attente dans la salle de bain. Elle renifle de dédain en manipulant les deux couvre-pieds boulottés et moites de transpiration. 

La découverte du tube de dentifrice dépourvu de son capuchon et jeté sur le rebord du lavabo attise sa colère. La savonnette encore mousseuse qui trône par terre sur l’émail de la douche ne fait qu’amplifier son ressentiment.

   ─ Mais, c’est qu’il m’emmerde…  Il est pire qu’un gosse ! 

Après 40 ans de mariage, Marcel est toujours aussi désordonné et les objets du quotidien sont éparpillés au fur et à mesure de son passage. Elise, par contre, est une adepte du rangement structuré : chaque chose à sa place. L’indifférence de son mari dans ce domaine l’insupporte de plus en plus et les disputes fusent régulièrement à ce propos. Avant même de pénétrer dans le living, elle imagine déjà le spectacle que son regard va devoir affronter : une tasse de café abandonnée sur des journaux étalés sur la table, un sachet de biscuits entamé ou des emballages de pralines à la liqueur chiffonnés.

   ─ J’en ai plus que marre, Marcel et crois-moi, je serais bien plus tranquille si je vivais seule. Si cela continue, je vais divorcer.

Cette remarque qui jaillit régulièrement attriste son mari quelques instants. Ses yeux voyagent dans la pièce, une moue navrée s’affiche sur ses lèvres et puis, il la rassure. 

   ─ T’as raison Elise ! Demain, je trie la paperasse et je range… C’est promis !

Il se lève pour l’embrasser tout en lançant négligemment son plaid molletonné sur le parquet.

Le teint de son épouse vire au rouge et elle lui tourne le dos en grommelant intérieurement :

   ─ Je vais le tuer, c’est sûr ! Un  jour, il y aura un meurtre dans cette maison.

Un couteau bien aiguisé trône sur des épluchures de pommes. Ne semble-t-il pas proposer son aide à la ménagère désespérée ? Elise, prête à supprimer le démon qui partage sa vie, empoigne l’objet avec rage, la poitrine haletante… le geste tremblant.

   ─ Il va me rendre folle !!

Marcel sursaute en entendant la porte d’entrée claquer. La sonnerie de son smartphone bipe aussitôt pour lui annoncer un message : JE TE QUITTE SINON JE TE TUE. JE NE SUPPORTE PLUS TON DESORDRE.

Elise est bel et bien partie.

Un mois est passé et Elise soupire d’aise. Cela fait 2 jours qu’elle a réintégré sa maison et retrouvé sa vie conjugale. L’éloignement a ranimé la flamme de son couple : ces 40 ans de mariage n’ont finalement pas effacé leur ardeur sexuelle… Seules, quelques courbatures par ci par là rappellent à son corps que certaines étreintes endiablées réclament la souplesse de la jeunesse. 

Elle rêvasse dans le salon tout en sirotant une tisane de verveine. Ses yeux caressent la grande table en chêne dépouillée de tout courrier ou revues. Elle observe ensuite avec satisfaction chaque dessus de meubles : les napperons sont bien plats, les chandeliers et les vases sont alignés. Aucun vêtement oublié n’encombre les chaises, les tapis recouvrent le parquet de façon symétrique. Elle pose son mug vide sur un guéridon en bois de rose.

Marcel replie aussitôt son journal avec soin, il le range dans le tiroir de la commode et s’approche à petits pas saccadés pour enlever la tasse. Pas un mot… Pas une émotion apparente mais tel un robot, il continue sa mission jusqu’au lave-vaisselle.

Elise sourit d’un air contrit : son contentement est nuancé d’un étrange sentiment. 

Quel changement chez Marcel !!

La semaine s’écoule sereinement : l’ambiance est d’un calme plat. Chaque chose est à sa place comme vissée sur un socle invisible. La maison prend même des allures de musée : tout est catalogué et étiqueté. Marcel se déplace comme une ombre silencieuse pour ranger, classifier, structurer… Et Elise s’ennuie.

Elle observe souvent son mari à la dérobée et s’interroge ? Est-ce bien l’homme qu’elle a épousé ?

Elle a l’impression de vivre avec un extra-terrestre qui ressemble à un humain programmé dans la maniaquerie. Et la perfection, c’est tellement morne que cela en devient mortel. Elle aspire même la venue du facteur qui n’apporte aucun soin au courrier quand il le glisse dans la boîte aux lettres.

Tiens ! Justement celle-ci déborde de publicités et d’enveloppes ! L’une d’elle, destinée à Marcel, attire son attention car elle semble provenir d’un centre médicalisé.

Curieuse, Elise ne peut s’empêcher de la décacheter pour s’informer du contenu. La missive provient d’une psychologue comportementaliste : «  Monsieur, suite au succès de votre thérapie intensive en troubles du comportement, nous vous proposons de participer à une formation complémentaire  qui vous permettra d’incruster définitivement  vos nouveaux acquis. L’ordre et le rangement feront alors partie intégrante de votre personnalité… »

Elise marmonne tout haut en chiffonnant la lettre :

   ─ Ah non ! Pas question ! Rendez-moi mon Marcel ! Vous avez changé mon mari en Maniac Man…

 

 

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