Concours : Catastrophe ! "Mes désirs deviennent/sont devenus réalité" Texte 3
J’ai eu une mère très superstitieuse : jamais elle n’aurait croisé deux couteaux sur la table (je m’amusais d’ailleurs souvent, juste pour l’ennuyer, à croiser les lames qu’elle repoussait sans rien dire) ; elle ne manquait jamais de tracer une croix sous le pain qu’elle s’apprêtait à trancher ; elle cherchait parfois des trèfles à quatre feuilles qui étaient censés porter bonheur à toute la famille ; elle évitait de passer sous les échelles dressées le long des trottoirs de la ville et évitait de rencontrer les chats noirs. J’en passe et des meilleurs.
Petit, j’avais lu l’histoire d’une vache prénommée Dondon qui, comme moi, ne croyait pas à ces histoires de bonnes femmes. Un jour, elle était passée sous une échelle et avait reçu un pot de peinture sur la tête. A partir de ce jour, elle ne voulait plus manger que des trèfles à quatre feuilles, et, évidemment, à cause de la rareté de ces petites plantes, elle a commencé à dépérir.
Vous voulez connaitre la fin de l’histoire ? Non, elle n’est pas triste. Les enfants du fermier ont peint des trèfles à quatre feuilles sur des lunettes qu’ils ont placées sur le nez de la vache. Le restant de sa vie, elle crut donc manger ces feuilles censées porter bonheur.
Notre vache, très terre à terre auparavant, était devenue superstitieuse, tout comme moi, je le devins un jour.
Voilà comment :
J’étais devenu un adolescent banal, quelconque, très proche des préoccupations de la vie courante. J’étais parti en classe de ville avec les élèves de ma classe et notre professeur qu’on surnommait « monsieur Ronchon » avait décidé de visiter une église ou une cathédrale, je ne sais pas trop. Nous n’avions aucune envie de découvrir les œuvres religieuses d’un passé révolu, mais comme il tombait des cordes, nous sommes tous rentrés, d’un même élan, dans le bâtiment séculaire.
J’avais entendu dire, par ma mère, que lorsqu’on rentre dans une église pour la première fois, on peut faire un vœu qui se réalisera sans aucun doute. Sornettes évidemment, mais je me suis pris au jeu. J’ai pensé très fort à un vœu… Quoi ? Vous voulez que je vous le livre ? Bon, ben, de toute façon, y a prescription, alors… J’ai tout bonnement fait le vœu de me faire embrasser par Cindy, la jolie rousse qui attirait le regard de tous les boutonneux que nous étions alors. Le soir, dans le parc du couvent où nous logions, la belle m’a coincé dans un coin et m’a roulé un de ces patins dont je rougis encore aujourd’hui. Coïncidence, me direz-vous. Evidemment ! J’ai appris que la sage et timide Cindy était ce que ma mère appelait une « Marie, couche-toi là » !
Deux années ont passé avant qu’un événement me remette sur le chemin des croyances et superstitions.
Ce jour-là, mon meilleur ami mangeait à la maison. Ma mère, comme à son habitude, avait mis les petits plats dans les grands pour que tout soit parfait. Tout à coup, j’ai renversé la salière, geste anodin dont j’ai à peine eu conscience. Ma mère s’est levée précipitamment pour réparer les dégâts et m’a dit : « Vite, Augustin, prends quelques grains et jette-les par-dessus ton épaule gauche. » Je l’ai regardée bêtement et elle m’a dit : « Renverser une salière amène à se disputer avec son meilleur ami ».
J’ai regardé Yves, mon copain de toujours. Nous avons souri en levant les yeux au ciel. Jamais nous n’avions eu le moindre mot. Notre entente était parfaite…jusqu’au jour où j’ai appris, quelques semaines plus tard, qu’il sortait avec ma petite amie ! Je préfère ne pas vous raconter ce qui lui est arrivé. Et tout ça à cause d’une foutue salière !
Un an ou deux plus tard, nous étions, ma nouvelle copine et moi en visite dans la merveilleuse ville de Rome. Observant la magnifique fontaine de Trévi, Sophie me dit : « Jette une pièce dans l’eau ». Un geste complètement idiot, une croyance qui nous vient de la mythologie gréco-romaine, mais j’obtempérai pour plaire à la jolie fille qui était entrée dans ma vie. « N’oublie pas de faire un vœu », ajouta-t-elle, dans un grand sourire.
Je pensai à mon père, couché dans un lit d’hôpital depuis plusieurs mois, prêt à faire le grand voyage, celui dont on ne revient jamais. Je vous laisse deviner le vœu qui m’est passé par la tête à ce moment-là et, vous me croirez ou non, quelques instants plus tard, mon téléphone a sonné. C’était ma mère qui m’annonçait que mon père avait ouvert les yeux quelques secondes plus tôt, qu’il venait de sortir de son coma.
J’ai alors commencé à me poser des questions. Serait-ce possible que les vœux puissent se réaliser ? J’avais vraiment du mal à y croire. Le hasard avait dû jouer dans les différentes situations que j’avais vécues.
Et finalement, j’ai dû accepter que des choses nous dépassent, ne s’expliquent pas, mais existent. Tout comme l’air que nous respirons sans en avoir conscience, des phénomènes étranges peuvent avoir lieu sans qu’on puisse leur donner une quelconque explication.
C’était la nuit de la Saint-Jean. Nous étions, mes collègues et moi, réunis, avec notre chef de service que j’exécrais, réunis autour d’un feu qui crépitait dans la nuit, pour ce qu’on appelle aujourd’hui un « team building », cette méthode qui nous est arrivée des Etats-Unis et qui a pour but de renforcer les liens entre les membres d’une même équipe.
Mon chef n’avait jamais pu me saquer et ce n’est pas quelques heures passées autour d’un feu de joie qui allait changer quelque chose à notre problème. D’un ton narquois, le connard en question me dit : « Allez, Gus (je détestais ce diminutif), saute au-dessus du feu et si tu réussis tu pourras faire un vœu. Je n’ai fait ni une ni deux, je me suis élancé et, tel en kangourou en furie, j’ai fait un saut magistral, j’ai plané au-dessus des flammes et je me suis retrouvé, sur les deux pieds, de l’autre côté des braises.
Je ne vous dirai pas quel vœu j’ai osé faire – j’en ai encore honte aujourd’hui – mais, le lendemain, mon chef passait l’arme à gauche. Catastrophe ! Mon vœu s’était réalisé laissant une femme seule pour élever trois marmots en bas âge !
Depuis, je fais bien attention, à la pleine lune, lorsque des étoiles filantes se dirigent vers notre planète, lorsque je souffle les bougies de mon anniversaire, lorsque je pénètre dans une église pour la première fois, de ne penser à rien et de ne surtout pas exprimer de souhaits.
Des gens assez pragmatiques m’ont aujourd’hui parlé de la loi de l’attraction, mais « dans le doute, abstiens-toi », me disait ma mère et je ne touche plus à ces choses-là. Je pourrais m’y brûler ! Je croise maintenant les doigts pour que mon texte vous plaise et qu’il se retrouve un jour dans « Les petits papiers de Chloé »…