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Le tilleul du parc, un extrait proposé par Jean Destree

Publié le par christine brunet /aloys

           

IMG 1738

 

 

Cahotant et grinçant des roues, le 78 remontait péniblement la rue de la Place. Il s'arrêta

au coin du théâtre et laissa échapper quelques voyageurs qui s'empressèrent de fermer

frileusement le col de leur manteau. Deux d'entre eux entrèrent au Café des Œuvres pour

y jouer leur quotidienne partie de manille.

 

       Six heures moins cinq. Il était inutile de regarder l'horloge de l'hôtel de ville. Le tram 78 était toujours à l'heure. Le grincement reprit, traversa la place et disparut derrière la banque, tandis que le grelot tintait dans le tournant de la Maison du Peuple. Jean-Michel frissonna dans son parka trempé par la fine pluie qui virevoltait. Les feuilles du grand tilleul du parc pleuraient lentement sur le banc de pierre.

 

        Le crachin s'épaississait, masquant par instants le fond de la place. Jean-Michel se leva, resserra son vêtement et sortit lentement du parc. Il se mêla aux employés qui sortaient de la banque, répondant d'un signe de tête à leur bonsoir discret. Il traversa la place en biais, s'attardant un court instant à la vitrine de l'encadreur qui lui fit un long coup de menton. C'était sa façon de saluer le passant.

 

        Jean-Michel descendit la Grand-Rue et passa devant l'église d'En-bas. Une femme, engoncée dans un manteau qui semblait trop grand pour elle, s'appuyait contre la grille qui entourait le parvis de cet édifice du XVème siècle. Jean-Michel tourna la tête, le temps d'apercevoir un visage pâle où brillaient des yeux qui devaient avoir pleuré. Il s'engagea dans la rue Blanche lorsqu'il sursauta. Avait-il rêvé? Quelqu'un appelait.

 

- Monsieur! Monsieur!

 

      Il se retourna et vit la femme lui faire un geste du bras.

 

- Monsieur! S'il vous plaît, Monsieur!

 

      Il fit demi-tour vers elle, mais elle se détourna et s'enfuit d'un pas rapide dans la rue des Remparts. Pendant un court moment, il songea à la suivre. "A quoi bon", pensa-t-il et il reprit son chemin dans la rue Blanche. Bizarre. La gendarmerie était encore ouverte, ce qui lui parut anormal puisque les services se terminaient à dix-huit heures et il était au moins dix-huit heures vingt. La camionnette bleue de la maréchaussée stationnait devant le porche. Jean-Michel s'approcha machinalement et risqua un œil à travers la lunette arrière. Il aperçut une tête blonde. Un gamin de quatre ou cinq ans  était assis, la tête enfoncée dans ses bras croisés posés sur la tablette.

 

     Le brigadier Gaudier sortit précipitamment, s'engouffra dans le véhicule et démarra en trombe. Sous le porche, le Premier chef Masson,  le visage rubicond d'énervement, gesticulait en invectivant un de ses gendarmes. Jean-Michel ne s'en inquiéta pas. Le chef avait l'habitude de passer sa mauvaise humeur sur ses subordonnés, surtout en fin de journée quand la "Trappiste de Chimay" lui chauffait la tête. Les gens du quartier en savaient long sur les crises du Premier chef. "Bah! se dit Jean-Michel, il a encore un peu trop forcé sur la bouteille. Au fait, j'en boirais bien une, moi aussi".

 

     Il était d'ailleurs trop tôt pour le souper. Il remonta la rue Blanche et entra au café des Clouteries, qui servait de cantine aux mineurs polonais du puits Saint-Alfred. Tadek, le patron, jouait aux dés avec Louis, le concierge du Théâtre et les frères Pozzo, déjà pensionnés, victimes de la silicose.

 

     Tadek quitta sa table et s'approcha de Jean-Michel, accoudé au comptoir, l'air absent.

 

- Salut, Jean-Michel.

- 'jour! répondit celui-ci.

- Fichu temps.

- C'est la saison.

- Hé! Tadek, cria Aldo, l'aîné des frères Pozzo, avec son solide accent des Abruzzes, c'est ton tour.

- Oui, minute! Je te sers, ajouta-t-il à Jean-Michel.

- Une "Saison". Chambrée.

- Tu reviens de la ville?

- Oui.

- Rien de spécial?

- Sais pas. Pourquoi? Il s'est passé quelque chose?

- Allez! cria de nouveau Aldo, si tu traînes, tu passeras ton tour.

- Fiche-moi la paix! T'as le temps. Avec tout ce que tu as à faire, tu peux bien patienter.

 

     Le gros Tadek, comme on l'appelait, était un vieux du quartier. Il était arrivé en 1945, après la guerre. Il s'était échappé de Pologne et avait atterri là, par hasard. Il avait fait vingt ans de mine et, sorti du charbonnage, il avait épousé la fille des cafetiers qui lui avaient laissé le commerce. Il parlait un français bizarre, bâtardé d'allemand, de polonais et de wallon local.

     Il servit la "Saison", lentement, en professionnel, puis se versa une petite goutte de sa fabrication,  sorte de vodka tord-boyaux dont il faisait grand usage et s'installa près de Jean-Michel, abandonnant ses partenaires de jeu. Les deux hommes s'étaient liés d'amitié depuis que Jean-Michel s'était installé en ville, appelé par ce qu'il appelait son travail de "professeur de langues étrangères". Il enseignait le français à l'École Moyenne de l'État à des élèves dont plus de la moitié étaient des enfants d'immigrés, dont une majorité d'Italiens.

 

- Tadek, tou né zoué plou? cria Aldo.

- Non, continuez sans moi.

- Si, ma tou dois la tournée.

- Ouais, ouais! Ça va! Dis, Jean-Michel, tu n'as pas vu un petit gamin qui avait l'air perdu?

- Si.

- Ah! Où ça?

- Chez les gendarmes, en remontant chez moi. Pourquoi?

- Ils sont venus vers les cinq heures. Aldo leur a dit qu'il avait vu le gamin près de l'entrée de la fosse. Hé! Aldo! Où il allait, le gamin?

- Zé né sais pas. Il avait oune pétit sac à sa main et il avait l'air dé vénir dé la Saussée dé Mons. Zé l'ai raconté à l'adzoudant qu'il é réparti tout dé souit' avé lé grand Lambert. Y sonté partis dou costè dou çarbonnazé et pouis y sonté répassés presqué tout dé souit' à tout' vitesse. Zé né sais rien dé plouss.

- Alors, ils l'ont retrouvé? demanda Tadek.

- Cela m'en a tout l'air, fit Jean-Michel.

- En tout cas, c'est bizarre, cette histoire de gamin.

- Oh! fit Carlo, l'autre frère Pozzo, à Napoli, on en perd des dizaines tous lé zours ma on finit touzours par lé rétrouver. Ne vous en fézé sourtout pas pour ça.

 

      Jean-Michel écoutait sans rien dire. Le récit du frère Pozzo dans un français mâtiné d'italien et de wallon lui aurait paru comique en d'autres circonstances. Il ne souffla mot de sa rencontre avec la femme aux yeux rouges et au grand manteau noir. Songeur, il vida son verre d'un trait, laissa la monnaie sur le comptoir et sortit après un clin d'œil à Tadek, abandonnant les autres à leur discussion.

 

      Sur le seuil du café, il réfléchit. Au lieu de rentrer directement chez lui, il remonta la rue du Charbonnage jusqu'à l'entrée de la mine. Le soir était tombé depuis un moment et le crachin s'était fait plus épais. Les lampes de la rue s'entouraient d'un halo qui les faisait ressembler à des lunes pâles.

 

      Jean-Michel frissonna. Il fit demi-tour. Il pensait. Mais à quoi? A tout. Au gamin, à la femme, aux quatre joueurs de dés, à leurs réflexions, aux gendarmes. Tout se mélangeait dans sa tête. Il ressentait une sorte de malaise, quelquechose d'indéfinissable, comme s'il pressentait un drame. "Je suis trop sensible" se dit-il.

 

    Il tourna dans la rue des Écoles puis remonta la ruelle qui débouchait dans la rue Blanche, au coin de la gendarmerie. Il eut soudain la sensation d'être suivi. Il se retourna. La ruelle était déserte. Il s'arrêta. Aucun bruit, sinon celui des gouttes qui tombaient des marronniers du jardin de la gendarmerie. Il se retourna encore et reprit sa route. Arrivé dans la rue Blanche, il décida de rentrer. Il tourna la clé dans la serrure, s'arrêta. Toujours la même impression d'être suivi. Sa main tremblait.

 

      "Merde! Je ne vais tout de même pas..."

 

      Jean-Michel avait mal dormi. Cela lui arrivait chaque fois qu'il était tracassé. Longtemps il avait ressassé les événements de la soirée. Il sa leva de fort méchante humeur. La journée serait certainement très pénible.

       Dehors, il pleuvait. Une pluie grise, enfumée. Il faisait froid. Le vent s'engouffrait dans la rue, chassant devant lui des rideaux de pluie sale. Jean-Michel se sentait emporté dans cette grisaille humide qui pourtant faisait briller les pavés. Il franchit un peu à regret la grille de l'école, traversa la longue cour bordée de marronniers et se calfeutra dans sa classe.

 

 

Jean destrée

Le tilleul du parc, extrait


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Christine Brunet a lu "Le coup du Clerc François" de Georges Roland

Publié le par christine brunet /aloys

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Le coup du Clerc François, de Georges Roland

Editions Chloé des lys

 

Il y a des livres qui attirent l’œil: la couverture, le titre, que sais-je ? Moi, c'est une photo qui a joué le rôle de déclencheur, celle de Georges Roland, un perroquet sur la tête : pas commun, le genre de cliché dont on se souvient bien malgré soi.

 
Bon, d'accord, il y a également le titre... et la couverture... Un vitrail ? Un dessin moyenâgeux. Alors un roman médiéval ? Je feuillette : des termes de la langue de Rabelais ou de Marot. J'adore ! Et si j'ouvrais le livre, à présent ?

 
Pas plutôt plongé dans le texte (au demeurant magnifiquement écrit) que tout s'arrête: le passé, le présent, le futur. Une vue de l'esprit du Clerc François ? peut-être l'auteur est-il tombé sur la tête ? la bombe atomique en plein Moyen-Âge ! l'amour courtois en plein XXIe siècle ? Le KGB (s'entend "képis, guêtres, bottes) côtoie la CIA (euh, non, pas la "Central Intelligence Agency"...)... Tout s'embrouille, tout se mêle et se superpose.

Mais les premières minutes de désorientation passées, on s'accroche ! C'est fou, on VEUThttp://www.bandbsa.be/contes2/clercrecto.jpg savoir ! On est pris par l'atmosphère totalement décalée, peut-être, sans doute, à cause de ce décalage, justement, ou du style d'une richesse impressionnante, fluide, qui se joue des anachronismes et nous donne en pâture un drôle de monde, médiéval sans l'être vraiment, en tout cas, très proche de notre vécu ! On sourit, on s'esclaffe, on jubile en découvrant de nouvelles tournures, de nouveaux mots.

Bon, d'accord, je ne parle pas de l'histoire...
Alors, c'est l'histoire...

Eh bien non ! Pas question de vous dévoiler les turpitudes et les calculs des uns et des autres !

Allez, je fais un effort: nous découvrons des royaumes qui se regardent en chiens de faïence, des rois très calculateurs, une reine très... spéciale, des "éminences grises" très grises...

 
Tout est prétexte à discussion comme si, là-haut, un oeil acéré disséquait les actes et les commentait pour mettre en lumière l'autre côté du miroir... Critique sociale, critique politique, critique aiguisée de l'âme humaine. Ne vous y trompez pas ! Ce roman, très ancré dans le présent, est capable de vous livrer aussi bien de la fantaisie que de la critique sociale... J'ai enfin découvert mon Rabelais contemporain !

Bravo pour ce livre passionnant qui nous livre un regard original mais sans concession de notre société...

 

 

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

www.aloys.me

www.passion-creatrice.com

Publié dans Fiche de lecture

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L'auteur de cette nouvelle ? Edmée de Xhavée !

Publié le par christine brunet /aloys

 

Edmee-chapeau

 

 

De bons poireaux, ça demande du travail (Edmée – auteur mystère)

 

Il se demandait comment il en était arrivé là… Josiane pelletait furieusement, repoussant cheveux et terre hors de sa bouche avec des pffffft réguliers et humides. Sous le vieux t-shirt taché de café, sa poitrine gesticulait comme si deux bébés chimpanzé y étaient accrochés. Un peu vers le haut, un moulinet vers la gauche, un soubresaut en piqué….

Lui, il tenait le sac poubelle, hébété. Il lui semblait que le contenu commençait déjà  à sentir, et deux mouches tentaient d’y pénétrer afin de pondre une bordée d’œufs qui ne connaîtraient pas la faim. La dernière chose qu’il avait vue était l’avant-bras droit, presque arraché à l’épaule par le travail de sauvage de Josiane, sur lequel la fameuse petite tache en forme de cœur lui avait ramené le souvenir de rires et de lendemains imaginés, couchés sur le lit. Laurette et lui.

Bien sûr, il avait toujours su qu’il ne quitterait pas Josiane. Il ne pouvait pas se le permettre. Laurette savait qu’il était marié. Quand ils évoquaient ces lendemains de bonheur hypothétique ensemble, il jouait à « et si seulement…. ». Sincère, oui. L’amour courait dans ses veines, sa moelle, emplissait son cerveau et les pores de sa peau. Mais il jouait à et si seulement. Et au bout de 5 ans, Laurette avait cessé de réagir à la magie de ces jours futurs encore plus irréels que la licorne. Son voisin de palier, disait-elle,  lui avait réparé le chauffe-eau. Puis lui avait fait avoir, par son boulot, un nouveau téléviseur énorme pour presque rien. Ca avait été suivi d’une caisse de champagne qu’il avait gagnée et qu’il avait partagée avec elle parce que pour lui tout seul…

Il revenait de chez elle de plus en plus abattu. Laurette allait lui fermer sa porte et devenir sourde à ses coups de fil, tout comme l’avaient fait Agathe et Pierina des années plus tôt. Il retrouvait Josiane, ronflant la bouche ouverte, les chimpanzés affalés sous le vieux pyjama déformé, et gardait les yeux ouverts toute la nuit, le cœur battant avec désespoir jusqu’au bout de ses doigts. Au matin, il était gris. Et Josiane se lamentait de ce qu’il ne fichait plus rien.

Elle savait, bien sûr. Ses sentiments et désirs, elle n’en avait cure. Elle trouvait des avantages certains à la situation : il avait cessé de lui pincer les fesses ou de se « réjouir » d’aller au lit ; il ne lui demandait plus d’écouter un poème qu’il lui lisait avec une voix d’acteur ; elle avait bien des soirées de paix pour regarder ses feuilletons favoris. Mariée sans les inconvénients de la compagnie, si on excluait la lessive et le repassage – qu’elle faisait rarement. Mais là… voilà qu’il devenait un problème sérieux.

Elle l’avait affronté. Avait feint la stupeur, la douleur, la rancœur – quoi ! de nouveau ! -  l’envie de suicide, les évanouissements, la crise de nerf, l’apathie, la perte d’appétit. Pour enfin le mettre au pied du mur. Elle ou moi. Et elle savait qu’il entendait clairement « elle et tes frusques et rien d’autre, ou moi et l’affaire familiale de papa ». Tout à fait perdu, la vie au bord d’un précipice, il avait consenti à « essayer de faire comprendre à Laurette petit à petit ». Comment aurait-il pu dire que c’était lui qui avait peur de la perdre depuis quelques mois, sans avoir l’air d’un imbécile en plus ?

Et il n’avait rien osé dire… Tétanisé, il attendait que quelque chose se passe, qui le libèrerait de devoir prendre une décision.

Ses vœux furent exaucés. Josiane avait abordé Laurette au marché, lui avait demandé une explication en tête à tête. « Tes ennuis sont finis ! » avait-elle dit sans ironie au retour. Sur le siège passager, Laurette avait l’air endormie si ce n’était un peu de bave rose qui se mouvait encore lentement sur son menton et un tournevis enfoncé dans la tempe. « Encore un mauvais moment à passer et puis on n’y pensera plus » avait-elle ajouté pendant qu’ils découpaient ce corps qu’il avait tant aimé dans la baignoire, nus pour ne pas salir leurs vêtements. Et il coupait. Sciait, cassait, forçait, tordait… Il ne savait plus penser.

Et puis il avait regardé Josiane qui pelletait avec l’énergie d’une pompe à pétrole dans la plate-bande où on allait bientôt piquer les poireaux comme chaque année, se couvrant de sueur et de terre. Et quand la bêche avait crissé contre ce qu’il pensait être une grosse pierre, il avait vu le sommet d’un crâne qui s’échappait d’un vieux tapis méconnaissable. Son cœur et sa respiration s’étaient unis dans une immobilité affreuse alors que le crâne se tournait lentement vers lui, les dents exhibées dans une joie obscène. Pierina ou Agathe ? Josiane avait levé les yeux vers lui et marmonné entre ses lèvres « Oui… au moins elles nous ont fait les meilleurs poireaux du quartier… autant qu’elles servent à quelque chose ».

Une fois la terre remise en place, il avait fini de penser à jamais. Josiane se cambrait en arrière, lasse et en sueur, les mains terreuses appuyées contre ses reins, et elle lui souriait.

« Allez ! Je te fais un bon café bien fort et demain, tu n’y penseras plus ».

 

 

Edmée de Xhavée

edmee.de.xhavee.over-blog.com

 

http://www.bandbsa.be/contes3/rivieresybilla.jpg


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Qui est l'auteur de cette nouvelle ? A vous de me le dire...

Publié le par christine brunet /aloys

point d'interrogation

 

 

De bons poireaux, ça demande du travail 

 

Il se demandait comment il en était arrivé là… Josiane pelletait furieusement, repoussant cheveux et terre hors de sa bouche avec des pffffft réguliers et humides. Sous le vieux t-shirt taché de café, sa poitrine gesticulait comme si deux bébés chimpanzé y étaient accrochés. Un peu vers le haut, un moulinet vers la gauche, un soubresaut en piqué….

Lui, il tenait le sac poubelle, hébété. Il lui semblait que le contenu commençait déjà  à sentir, et deux mouches tentaient d’y pénétrer afin de pondre une bordée d’œufs qui ne connaîtraient pas la faim. La dernière chose qu’il avait vue était l’avant-bras droit, presque arraché à l’épaule par le travail de sauvage de Josiane, sur lequel la fameuse petite tache en forme de cœur lui avait ramené le souvenir de rires et de lendemains imaginés, couchés sur le lit. Laurette et lui.

Bien sûr, il avait toujours su qu’il ne quitterait pas Josiane. Il ne pouvait pas se le permettre. Laurette savait qu’il était marié. Quand ils évoquaient ces lendemains de bonheur hypothétique ensemble, il jouait à « et si seulement…. ». Sincère, oui. L’amour courait dans ses veines, sa moelle, emplissait son cerveau et les pores de sa peau. Mais il jouait à et si seulement. Et au bout de 5 ans, Laurette avait cessé de réagir à la magie de ces jours futurs encore plus irréels que la licorne. Son voisin de palier, disait-elle,  lui avait réparé le chauffe-eau. Puis lui avait fait avoir, par son boulot, un nouveau téléviseur énorme pour presque rien. Ca avait été suivi d’une caisse de champagne qu’il avait gagnée et qu’il avait partagée avec elle parce que pour lui tout seul…

Il revenait de chez elle de plus en plus abattu. Laurette allait lui fermer sa porte et devenir sourde à ses coups de fil, tout comme l’avaient fait Agathe et Pierina des années plus tôt. Il retrouvait Josiane, ronflant la bouche ouverte, les chimpanzés affalés sous le vieux pyjama déformé, et gardait les yeux ouverts toute la nuit, le cœur battant avec désespoir jusqu’au bout de ses doigts. Au matin, il était gris. Et Josiane se lamentait de ce qu’il ne fichait plus rien.

Elle savait, bien sûr. Ses sentiments et désirs, elle n’en avait cure. Elle trouvait des avantages certains à la situation : il avait cessé de lui pincer les fesses ou de se « réjouir » d’aller au lit ; il ne lui demandait plus d’écouter un poème qu’il lui lisait avec une voix d’acteur ; elle avait bien des soirées de paix pour regarder ses feuilletons favoris. Mariée sans les inconvénients de la compagnie, si on excluait la lessive et le repassage – qu’elle faisait rarement. Mais là… voilà qu’il devenait un problème sérieux.

Elle l’avait affronté. Avait feint la stupeur, la douleur, la rancœur – quoi ! de nouveau ! -  l’envie de suicide, les évanouissements, la crise de nerf, l’apathie, la perte d’appétit. Pour enfin le mettre au pied du mur. Elle ou moi. Et elle savait qu’il entendait clairement « elle et tes frusques et rien d’autre, ou moi et l’affaire familiale de papa ». Tout à fait perdu, la vie au bord d’un précipice, il avait consenti à « essayer de faire comprendre à Laurette petit à petit ». Comment aurait-il pu dire que c’était lui qui avait peur de la perdre depuis quelques mois, sans avoir l’air d’un imbécile en plus ?

Et il n’avait rien osé dire… Tétanisé, il attendait que quelque chose se passe, qui le libèrerait de devoir prendre une décision.

Ses vœux furent exaucés. Josiane avait abordé Laurette au marché, lui avait demandé une explication en tête à tête. « Tes ennuis sont finis ! » avait-elle dit sans ironie au retour. Sur le siège passager, Laurette avait l’air endormie si ce n’était un peu de bave rose qui se mouvait encore lentement sur son menton et un tournevis enfoncé dans la tempe. « Encore un mauvais moment à passer et puis on n’y pensera plus » avait-elle ajouté pendant qu’ils découpaient ce corps qu’il avait tant aimé dans la baignoire, nus pour ne pas salir leurs vêtements. Et il coupait. Sciait, cassait, forçait, tordait… Il ne savait plus penser.

Et puis il avait regardé Josiane qui pelletait avec l’énergie d’une pompe à pétrole dans la plate-bande où on allait bientôt piquer les poireaux comme chaque année, se couvrant de sueur et de terre. Et quand la bêche avait crissé contre ce qu’il pensait être une grosse pierre, il avait vu le sommet d’un crâne qui s’échappait d’un vieux tapis méconnaissable. Son cœur et sa respiration s’étaient unis dans une immobilité affreuse alors que le crâne se tournait lentement vers lui, les dents exhibées dans une joie obscène. Pierina ou Agathe ? Josiane avait levé les yeux vers lui et marmonné entre ses lèvres « Oui… au moins elles nous ont fait les meilleurs poireaux du quartier… autant qu’elles servent à quelque chose ».

Une fois la terre remise en place, il avait fini de penser à jamais. Josiane se cambrait en arrière, lasse et en sueur, les mains terreuses appuyées contre ses reins, et elle lui souriait.

« Allez ! Je te fais un bon café bien fort et demain, tu n’y penseras plus ».

 

 

Alors ??????? Selon vous ?

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Christine Brunet a lu "La seconde chance de Corentin' de Christian Van Moer

Publié le par christine brunet /aloys

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ISBN : 978-2-459364-2

Editions Chloé des lys

 

 

 

Une couverture qui interpelle et qui prend tout son sens dès les premiers chapitres : parfum de passion, parfum de suicide, odeur de souffre...

Croyez-vous qu'on puisse berner Hadès, revenir du royaume des morts en emportant sous le bras l'être aimé?

Corentin y croit, lui, dur comme fer... et d'ailleurs, la réalité tend à lui prouver que tout est possible.

Le piège d'Hadès se referme-t-il alors ? Je dois dire que j'ai tremblé pour Corentin tantLa seconde chance de Corentin C. van de Moer et si bien que j' ai terminé le roman debout dans ma cuisine en tentant de surveiller en même temps mes quiches qui, d'ailleurs, ont pris un sérieux coup de chaud ! Mais je devais savoir, sans tarder... Impossible de différer la lecture des quelques pages clé de la fin.

Un livre passionnant, magnifiquement écrit, rempli d'émotions et de suspens... A lire ABSOLUMENT !

Encore un grand merci, Christian, pour les quelques heures passées aux côtés de tes héros !

 

Le site de Christian Van Moer ?   christianvanmoer.skynetblogs.be

 

 

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

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ET SI LES VÊTEMENTS N'EN FAISAIENT QU'À LEUR TÊTE ? un texte de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

boland photo

 

ET SI LES VÊTEMENTS N'EN FAISAIENT QU'À LEUR TÊTE ?

 

Jessica ouvre la porte de son placard. Elle regarde ses robes alignées de la plus claire à la plus foncée, ses jupes, ses pantalons et ses hauts rangés de la même manière sur deux tringles parallèles. Ce soir, elle est invitée à un dîner d'anniversaire chez son amie Lucie.

 

Jessica est attirée par sa robe blanche en mousseline, elle la sort et l'enfile par-dessus ses sous-vêtements. Ses jambes la démangent. Aussitôt, elle se trémousse et esquisse quelques pas. Le téléphone sonne. Elle décroche. Au bout du fil, son amie Lucie l'avertit que le chauffage central est en panne. Cette robe blanche légère ne convient plus ! Tandis qu'elle la dépose sur son lit, elle se souvient de tangos dansés avec cette robe-là à l'occasion d'un mariage. Elle se sentait belle, si belle dans cette toilette un peu moulante. Elle avait l'impression que le monde lui appartenait.

 

Nouveau coup d'œil dans sa penderie. Elle passe sa robe rouge à manches trois quarts sur laquelle elle peut passer sa veste de velours noire. Elle a le vague à l'âme. C'est la robe de sa rupture avec Patrice… C'est la robe qui a attisé leur violente dispute. Ah cette jalousie de Patrice ! Elle se demande parfois si ce ne sont pas sa blondeur et sa silhouette idéale qui ont contribué à alimenter la jalousie de son fiancé. Elle ôte la robe rouge et la dépose sur le lit à côté de la blanche.

 

Elle enfile sa robe en lainage turquoise. Elle formera, elle aussi, un beau duo avec sa veste de velours. Elle va dans le living écrire la carte d'anniversaire et la placer dans l'enveloppe qui contient déjà les chèques livres qu'elle offrira à Lucie.

 

En regagnant sa chambre, elle entend des éclats de voix.

 

"Tu n'es qu'une allumeuse."

 

"Mais non, j'aime m'amuser. La vie est belle. Il faut en profiter."

 

"Pourquoi ce comportement de bourreau des cœurs ? Pourquoi ?"

 

Elle recule de quelques pas. Elle se met à douter. Et si le trou sur le gilet noir acheté pour l'enterrement de sa grand-mère était dû à la mauvaise humeur du chemisier brodé de perles qu'elle portait lors d'une première dispute avec Patrice ? Et si dans le placard fermé les vêtements témoignaient de leur vécu ?

 

Alors, elle ferme la porte de sa chambre et se promet qu'un de ces jours, elle se débarrassera des fringues susceptibles d'avoir un comportement indésirable…

 

Micheline Boland



Et vous avez dit haïku ! Micheline vous en propose deux !!!!!!!

 

 

Veston étriqué,

Pantalon beaucoup trop grand

Le clown vient à nous !

 

Pour ton amoureux

Même ton cache-poussière

Est robe de bal.

 

(À la manière des haïkus japonais)

 

Micheline Boland

Site : http://homeusers.brutele.be/bolandecrits

Blog : http://micheline-ecrit.blogspot.com

 

M Boland Nouvelles à fleur de peau


 

 

 

 

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Bestiaire, une nouvelle d'Alain Magerotte

Publié le par christine brunet /aloys

BESTIAIRE

 

Commissaire Lalouette,

Il y a anguille sous roche entre Marina et Martin. Cette mante religieuse est insatiable.                                         

                                                                       Le Corbeau.

 

Le commissaire Lalouette est de mauvais poil. Cracher ainsi son venin sur Marina, la boulangère de la place des bouvreuils ! Et puis comment ce corbeau peut-il espérer faire avaler pareille couleuvre ? Navrant. Allons, il ne se passe jamais rien à Triton-Les-Têtards. De quoi refiler le bourdon au plus optimiste des poulets qui passent leur temps à peigner la girafe. Oh, bien sûr, il y a longtemps… Ricardo, l’étalon de ces dames, avait amorcé une idylle avec Marina. Une idylle étouffée dans l’œuf. Pas de quoi en faire un plat. Que ce misérable corvidé prenne garde, si Lalouette parvient à l’identifier, il se fera un plaisir de lui clouer le bec. Ce type doit avoir une araignée dans le plafond pour pondre une telle insanité.

Le commissaire connaît Marina; elle ne ferait pas de mal à cette tête de mule de Raymond, son époux. Le bougre a un côté «ours mal léché», mais ce n’est pas un mauvais bougre. Pour sûr qu’ils ne vont pas ensemble… la jeune femme est plutôt chouette avec sa taille de guêpe et ses yeux de biche. Alors que lui… un regard de merlan frit et une panse de vache. Sans compter que ce n’est pas un aigle… mais, il fait le meilleur pain du pays ! C’est l’essentiel, non ?

Petit à petit, Marina et Raymond ont fait leur nid. Un nid d’amour qu’il serait dommage de défaire. Le policier relit la lettre.

«Martin… Martin… dans le pays, il y a plus d’un âne qui s’appelle Martin…»

Serge Martin ?... Ce roi de la braconne, rusé comme un renard, agile comme un écureuil, ne se risquerait jamais de laisser des plumes dans une histoire d’adultère.

Julien Martin ?... Le boucher. Ce serait étonnant. Il a marié la Roberte, un chameau, qu’il craint comme la peste. Pour cette raison, il n’oserait aller voir ailleurs même s’il sait que changement de prairie réjouit le veau.

Lucien Martin ?... Il est myope comme une taupe. A deux mètres, il dit «Bonjour Madame» à son meilleur ami. Des langues de vipère affirment que sa vue n’est qu’un prétexte… qu’en réalité, il est pédé comme un phoque ! Et son meilleur ami, qu’en dit-il ?... Impossible de lui tirer les vers du nez; sur ce sujet, il est muet comme une carpe.   

 

Commissaire Lalouette,

J’ai fait le pied de grue très tard. Je le confirme… Marina a des fourmis dans les jambes dès qu’il s’agit de batifoler.

                                                                        Le Corbeau.

 

Malgré tout, Marina se sentirait-elle pousser des ailes pour aller voir ailleurs ?... Hé ! Ce n’est pas une bécasse non plus; elle sait combien Raymond est jaloux comme un tigre. En outre, le travail ne manque pas dans la boulangerie. Une vraie ruche ardente qui laisse peu de temps à la jeune femme pour papillonner.

«Que ce mauvais plaisantin de corbeau prenne garde; je pique, je griffe, je cogne» menace Lalouette. 

 

 

 

 

 

Commissaire Lalouette,

Alors, commissaire, on se mord la queue ? N’oubliez jamais ceci : N’élève pas des corbeaux, ils te crèveront les yeux…

                                                                        Le Corbeau. 

 

«Comment débusquer ce blaireau ? Le faire sortir de sa tanière ? Faudra faire preuve de beaucoup… beaucoup d’imagination. L’enquête n’avance même pas à une allure d’escargot, elle est au point mort…»

Le commissaire Lalouette est interrompu dans ses pensées par l’arrivée impromptue de l’inspecteur Moineau.

« Bonjour, commissaire, vous avez l’air… préoccupé… j’espère que je ne m’immisce pas comme un chien dans un jeu de quilles…

- Non… comme un éléphant dans un magasin de porcelaines, mais bon… qu’est-ce qui vous amène ?...

- Vous ne me sentez pas venir avec mes gros sabots ?

- Pas la tête aux devinettes, Moineau…

- Si je vous dis que… j’ai une faim de loup…

- Encore ? Quelle santé ! On parlera bientôt d’un appétit de Moineau quand on désignera un glouton de votre espèce !

- C’est juste une proposition, commissaire, on s’ennuie comme un rat mort dans ce bled. Alors, autant casser la graine…

- Ouais, mais à force de se goinfrer comme des porcs tous les jours…

- Que voulez-vous faire d’autre ?... Dîtes-moi, commissaire, à quand remonte la dernière enquête, ici ? Franchement, je suis loin d’être aux oiseaux. Si c’était à refaire…

- Cessez de râler, Moineau. Revenons à nos moutons, je réponds à votre question… il y a eu, rappelez-vous, cette amorce d’adultère entre Ricardo et Marina…   

- Comme vous dîtes, une amorce, sans plus, entre ce paon, fier du succès qu’il produit sur les filles et cette gazelle… qui vous plaît bien, pas vrai ?... Tiens, au fait, je pense à un client plus «sérieux»… ce Serge Martin, le braconnier. Qu’est-ce que j’aimerais pouvoir enfin lui mettre la main au collet… même s’il est copain comme cochon avec le maire. A cause de cela, on a toujours été le dindon de la farce. Il nous nargue; rira bien qui rira le dernier...

- Moi aussi, inspecteur, j’aimerais lui tomber sur le râble, mais je prends mon mal en patience. O.K., il est malin comme un singe, cependant, tôt ou tard, il finira par se faire épingler, maire ou pas, et nous nous ne manquerons pas, ce jour-là, d’entonner son chant du cygne.

- Puissiez-vous voir juste, commissaire…

- Quel pessimisme ! L’inspecteur Lepinson est plus gai que vous. Allons, Moineau, je vous garantis, moi, que ce Serge Martin finira sa vie en cage... bon, où me proposez-vous d’aller becqueter ? 

- Au bœuf sur le toit, ça vous dit ?

- Ouais… c’est à un saut de puce d’ici.

- Prenez votre parapluie, commissaire, dehors il pleut.

- Il est fichu. J’ai cassé deux baleines à cause du vent violent qui soufflait la semaine dernière.

- Tant pis, on s’abritera sous le mien… »

Dehors, la pluie a cessé mais il fait un froid polaire. Les deux hommes ont la chair de poule. Au moment de pénétrer dans l’établissement, Moineau invite le commissaire à passer devant, sachant celui-ci plutôt à cheval sur les principes.

Le restaurant est plein comme une huître. «On sera serré comme des sardines», se disent les policiers qui battent en retraite.   

« Le snack du coin, ça vous dit ? questionne Moineau.

- Pourquoi pas ? Faute de grives, on mange des merles…

- Hé, commissaire, vous ne trouvez pas cette gargote sympa ?

- Le patron a une carrure de gorille. La seule fois où j’y suis allé, il me regardait de travers... il n’avait peut-être pas la conscience tranquille…

- Un seul élément ne suffit pas pour…

- Pardon ?…

- Je veux dire qu’une hirondelle ne fait pas le printemps…

- Ah, d’accord; mais par les temps qui courent… on fait ce qu’on peut… on…

- On ?

- Rien, je pensais à autre chose… »

Devant l’air désabusé de Lalouette, Moineau, compatissant, y va d’une tape amicale dans le dos du commissaire qui s’écrie aussitôt :

« Minute papillon ! Pas de familiarité entre nous ! »

Devenu rouge comme une écrevisse, l’inspecteur se confond en excuses. De son côté, le commissaire est gêné d’avoir crié comme un putois. 

Un type laid comme un pou sort du snack du coin. Il titube et vient bousculer Lalouette en soufflant comme un boeuf. Il a une haleine de chacal. Navré, il marmonne de vagues excuses et s’éloigne en zigzaguant.

« A n’en pas douter, voilà un beau cas d’état d’ébriété sur la voie publique » relève Moineau, heureux comme un poisson dans l’eau à l’idée d’une première «affaire». 

- Appelez donc un chat un chat, inspecteur…

- Je voulais dire que le type était complètement bourré, commissaire…

- Bien vu, Moineau, ironise le commissaire, mais laissez tomber, on ne va pas en faire le bouc émissaire de notre ennui…

- A ce tarif-là… on n’a déjà rien à se mettre sous la dent, autant rentrer dans un trou de souris et pratiquer la politique de l’autruche…

- Si l’envie vous titille de lui filer le train, inspecteur, c’est votre droit. En ce qui me concerne, je retourne au paddock, je n’ai plus les crocs. Ah ! J’y pense, avant de rentrer, faudra que j’achète le canard… »

A son arrivée au commissariat, Lalouette surprend le planton occupé à dormir comme une marmotte, le visage plaqué contre son buvard. Le commissaire pénètre dans son bureau sans faire de bruit pour ne pas le réveiller. Il prend soin de fermer la porte à clé, craignant que Moineau ne vienne à nouveau lui faire un petit coucou.

Lalouette est plus déterminé que jamais. Pour lui, pas question d’avoir le cafard ou de bayer aux corneilles même si le contexte s’y prête.

Aussi, afin de combattre cette débilitante occupation consistant à regarder voler les mouches, le commissaire Lalouette a pris le taureau par les cornes en se créant… une affaire ! Une affaire dans laquelle il se taille la part du lion. Il s’empare d’une paire de ciseaux, d’un pot de colle et du journal qu’il vient d’acheter.

Il s’applique ensuite à confectionner une quatrième lettre au contenu calomnieux qu’il signera du nom du corbeau

 

… Un commentaire s’impose. Vous l’aurez compris, il s’agit, ici, d’un exercice de style consistant à placer, à bon escient, un maximum d’expressions animalières. Afin d’éviter une surcharge qui risquait de noyer le récit, j’en ai laissé quelques-unes sur la touche bien que le contexte s’y prêtât. Noé n’a-t-il pas dû opérer un choix pour éviter que son arche coule à pic ?

Cela me permettait aussi de ne pas reléguer l’histoire elle-même au second plan car, par le biais de cette trame, je tente de répondre à une question cruciale maintes fois posée : mais que fait la police… lorsqu’elle n’a rien à faire ?

Sans compter cette autre question, existentielle celle fois, à laquelle j’essaye d’apporter une réponse : pourquoi l’homme s’ingénie-t-il à créer des problèmes lorsqu’il n’y en n’a pas ? 

Voilà donc comment à partir d’une prose anodine, on arrive à soulever plus d’un lièvre…

 

Alain Magerotte

 

A. Magerotte Tous les crimes sont dans la nature

Publié dans Nouvelle

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Un poème de Claude Colson : Amours clandestines

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

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AMOURS CLANDESTINES


Je l'aimais.
Elle était ma maîtresse, la première.
La passion m'exaltait.
Je ne voyais plus qu'elle, en cette ère.

Quelquefois après l'étreinte,
Souffrant déjà des heures limitées,
Meurtri du temps-contrainte,
Avec elle j'allais - ô encore un peu la garder - au bidet.

Et là, fasciné, discourant,
Je regardais, sous le jet savamment dirigé,
Semblables aux algues dansant dans le courant,
Ses poils noirs doucement ondoyer.

La main, experte, menait sa tâche,
Inconsciente, habile, mécanique,
Et moi je me sentais un peu lâche
De la renier, de ne rester, d'être inique.


http://claude-colson.monsite-orange.fr

 

 

Claude Colson Lena, une rencontre

Publié dans Poésie

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Photo de famille, un texte de Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

delvilletete

 

PHOTO DE FAMILLE

Ils ou elles font partie de votre famille.

Qui sont-ils/elles ? Quel est votre lien de parenté avec eux ? Les souvenirs en commun ?

Écrivez une courte biographie de ces personnes.

La photo tirée au hasard représente un couple et une petite fille dans les années 1980.

 

George, Samantha et leur fille Marylou. Ah, je les connais ces trois-là !

 

Notre rencontre date de 1980. La photo aussi. J'étais parti pour affaire aux États-Unis et lors d'une soirée organisée par l'usine où je travaillais, je suis tombé sur George. Tombé est bien le mot puisqu'un méchant tapis m'a fait trébuché. George m'a rattrapé in extremis et nous avons sympathisé.

 

George est né en 1942 et son père, ancien GI, avait combattu à Bastogne durant l'hiver 1944. Plus George me parlait de son père, plus je pensais à ce beau soldat américain tombé éperdument amoureux de ma tante Marie-Louise : Bob. Que de fois avais-je entendu ce prénom prononcé par ma tante qui semblait en garder un excellent souvenir. Elle tenait précieusement une photo jaunie de ce bel homme dans une petite boîte qui ne quittait jamais sa sacoche et toute la famille murmurait que mon cousin Thomas ressemblait à Bob comme deux gouttes d'eau…

 

Il n'en fallait pas plus pour imaginer des choses : Que Tante Marie avait eu Thomas juste neuf mois après le passage de Bob, libérateur du pays ! Que Thomas ne ressemblait guère à l'oncle Bernard, le mari de Tante Marie-Louise. Que…

 

George avait le même sourire que mon cousin et nous sommes devenus inséparables.

 

Quelques jours avant mon retour en Belgique, George m'a invité à passer une soirée chez lui. C'est là que j'ai fait la connaissance de Samantha, son épouse et de Marylou, leur fille de huit ans.

 

Samantha rêve de visiter l'Europe et nous avons beaucoup parlé d'un prochain voyage qu'ils comptent faire sur le vieux continent.

 

Quant à Marylou, elle ressemble étrangement à Géraldine, la fille de mon cousin Thomas !

 

Mais peut-être n'est-ce qu'une coïncidence…

 

 

Louis Delville

louis-quenpensez-vous.blogspot.com

 

Couverture Louis dernière version copie

Publié dans Textes

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L'invité d'Aloys, Bernard Lyonnet, nous propose un extrait de "Venise au coeur"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Bernard-Lyonnet.jpg

 

 

Dès que je le pouvais, je quittais les réalités du Bella Riva. Je me précipitais avec la ferveur du jeune amoureux épris d’une belle mystérieuse. Je ne vivais pas dans Venise, mais juste à côté. Cette petite distance rendait plus fort encore mon désir de voir la ville. Ma soif de Venise ne faiblissait pas. Je partais chaque fois sur ce navire de rêve, via Punta Sabbioni et le Lido, dans une fièvre anxieuse de découverte. Ce départ dans la lumière du matin avait des allures d’embarquement pour Cythère. Le trajet sur le motonave était un passage délicieux d’attente et d’espoir, comme une épreuve imposée par une belle souhaitant vérifier l’ardeur de son amant.

Le voyage n’était jamais le même mais je commençais peu à peu à prendre quelques habitudes. Dès le départ du motonave, je choisissais le bon côté de l’embarcation qui me permettrait de guetter dans les meilleures conditions l’apparition de la cité, toujours différente selon les jeux de la lumière et de l’eau.

Brumes de hammam. Caresse bleutée. Métal gris. Clarté délavée. Lumière grisâtre. Grisaille grisante. Eclats orangés. Dorure verdie. Bleu tendu et clair. Clarté voilée. Eclats retenus. Fusion d’ors. Lueurs volcaniques. Déchirures jaunies. Silences embrumés. Ailleurs. Clapotis. Nulle part. Rêve qui flotte. Palais en partance. Défi des constructions. Palais flottant sur l’eau. Vaguelettes taquinant les bordures des quais. Reflets de soleil léchant les façades.

J’avais ma place, parfois difficile à conquérir, à l’avant du vaporetto de la linea una, là où l’on reçoit en plein visage, avec l’air frais et poisseux, les images mouvantes des façades de palais basculant dans le large S du Grand Canal.

J’avais aussi mes stations de vaporetto et mes circuits préférés. J’avais mes calli, mes églises, mes mercerie, mes campi, mes bacari, qui étaient autant d’îlots stables où je reprenais mon souffle parmi les nœuds étourdissants du dédale. Je m’y posais avec la sérénité amicale d’un habitué.

Venise restait pour moi, une coulée sauvage de beauté explosée dans un chaos grandiose, un entassement complexe propre à défier un esprit cartésien. La ligne droite était bannie dans cette ville-escargot, recroquevillée sur ses calli et ses rii. Sa grande avenue d’eau elle même se tortillait comme un serpent.

Enchevêtrement de murs, de ponts, de calli et de rii. Encastrement de toits. Profusion des églises. Variété des portes, des fenêtres. Mélange des époques et des styles : Roman, gothique, Renaissance, classique, baroque, byzantin, vénéto-byzantin, palladien, néo-gothique. Amoncellement d’œuvres d’art dans les rues, dans les églises, dans les musées. Ruissellement de beauté. De ce désordre naissait une harmonie.

Comme si cette accumulation ne suffisait pas, les Vénitiens avaient hissé sur le sommet des toits, de petites cabanes en bois où prendre le frais. Cette abondance donnait le vertige. Je retrouvais le calme dans des oasis discrètes cachées au cœur de la ville : Le premier étage du Fondago dei Tedeschi, la Cour des Comptes duCampo San Angelo.

Venise n’avait rien d’un musée. Elle bougeait, elle vivait. C’était une ville de mouvement, née elle-même du mouvement des hommes, des migrations osées cherchant refuge sur les eaux, puis des aventures lointaines vers l’Orient. Elle continuait à vivre son passé et entretenait sa grandeur.

Elle était profusion de mobilité. La foule glissait comme une rivière dans les mercerie, comme une marée sur la Piazza. Elle vivait, reproduisant au cœur du rêve les activités habituelles d’une ville normale. Des péniches charriaient du sable, du ciment et des poutres, d’autres ramassaient des poubelles. Des pinasses apportaient des fruits, des légumes. Des embarcations livraient des poissons. Des ambulances, des vedettes de la police ou des pompiers, parcouraient les canaux. On voyait glisser sur les eaux des piles de caisses, des cartons de bouteilles, des matelas, des fleurs ou des pianos à queue.

Venise avait été le carrefour des grands flux commerciaux de la planète. Où affluaient aujourd’hui les touristes, avaient afflué autrefois porcelaines, textiles, soie, thé, épices et or. Elle avait été le grand bazar entre l’Occident et l’Orient, édifiant ses palais sur sa richesse. L’Orient avait apporté son or et laissé son préfixe.

Venise avait gardé ce parfum d’Orient et ces accents de bazar. Ils étaient là, dans la courbure des fenêtres byzantines, le rythme des arcatures, la polychromie des marbres enrichis de dorures, l’agitation des marchés et des mercerie animés comme des souks, la douceur indolente des campi dominés par les campaniles tels des minarets, l’embrasement doré des coupoles de San Marco.

J’évitais quelque temps encore l’approche de la Basilique, du Palais des doges et autres lieux, où tout le monde allait et où je devrais bien me rendre un jour.

Pour le moment je poursuivais mon errance parmi les ombres et les lumières des calli et des campi, avançant avec la conviction de me rendre en un lieu précis qui allait certainement m’être révélé sous peu. J’avançais avant de me perdre de nouveau.

Je ne pressais rien, profitant des petits trésors dévoilés par mon vagabondage : madones recueillies, enchâssées dans des tabernacles grillagés animés de veilleuses vacillantes, patères vénéto-byzantines, médaillons et blasons nobiliaires figés dans la pierre, margelles de puits ou de citernes comme autant de bouches mystérieuses.

Je respirais des relents de lessive, des odeurs de cuisine, des bouffées d’encens et de pipis de chats. Je surprenais la sarabande des reflets de soleil s’agitant comme des lucioles pour taquiner l’ombre d’un vieux pont voûté. Je tentais de créer des liens avec les chats errants, à défaut de communiquer avec les lions de pierre. Je cueillais des éclats de conversation échappés d’une fenêtre ouverte, une chansonnette italienne lancée par une radio dans un quartier désert, le sifflotement joyeux d’un artisan heureux dans son ouvrage. Parfois même, un air d’opéra, redondant, trop italien pour être vrai, véritable musique d’accompagnement du rêve que je me sentais vivre.

Venise, elle aussi, était trop belle pour être vraie. Elle était un rêve naviguant sur les eaux, une fusion de la terre et de l’eau, un mirage dans les nuages. Elle mélangeait images et reflets, se dérobant sans cesse dans les contorsions de ses canaux et de ses ruelles, dans ses changements de lumière, dans ses touffes de brume ensoleillée.

Je m’accrochais à des réalités banales pour mieux approcher ses secrets. Incapable de la saisir dans sa globalité confuse, j’étais attentif à chaque détail, persuadé qu’il pouvait contenir un message.

J’avançais au hasard dans ce dédale. Ce long cheminement solitaire devenait un parcours initiatique dont je devais guetter les signes. Ce désordre devait avoir un sens. Parfois des emblèmes ou des armoiries apparaissaient comme des balises. Un chat m’invitait à le suivre. Un porche s’ouvrait sur un jardin fleuri. Parfois perdu sans espoir dans l’imbroglio des calli et des rii, s’ouvrait au bout d’un canal noir, une vision d’infini bleuté.

Cette beauté complexe cachait un royaume qu’il me fallait découvrir. Ses éclats de splendeur évoquaient le temps figé dans l’éternité.

La cité qui flottait sur les eaux semblait venir du ciel. La grâce infinie de la ville était d’une essence divine.

 

Bernard Lyonnet

Extrait de "Venise au coeur"


Publié dans l'invité d'Aloys

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