Si dans « Le Bic et les pierres », l’humaniste Pascale Gillet-B nous contait une histoire née de son imagination, cette fois, l’auteure prête sa plume à Issa Abdoullah, un jeune garçon, bien réel, devenu migrant par la force des choses.
C’est au Tchad, sous un soleil écrasant, entre savane, désert du Sahara et Sahel, qu’Issa Abdoullah vit la vie simple d’un ado de treize ans. Sa famille, comme les autres villageois, vit de son maigre bétail et ses quelques cultures. Il est pourtant un enfant heureux qui participe de son mieux aux tâches quotidiennes et aux différentes fêtes qui émaillent la vie de sa communauté.
C’est toutefois l’une d’entre elle qui va celer le destin du garçon.
En effet, la fête de l’Aïd se profilant, son père envoie Issa faire quelques courses à une vingtaine de kilomètres de son village, à la ville d’Abéché. Le jeune garçon, tout comme son ami Bachar avec qui il fait route, n’atteindra jamais sa destination.
Esclavagisme, humiliations, brutalité, mort de ses compagnons d’infortune, rien ne sera épargné à cet adolescent ! Même lorsque sa seule échappatoire est de s’embarquer sur un de ces misérables rafiots de fortune prêts à défier la Méditerranée et ses pirates. Du Tchad à la Belgique en passant par la Lybie, l’Italie, la France, l’Allemagne, le Danemark et la Suède, Pascale Gillet-B nous livre le voyage qu’Issa n’a jamais demandé à faire. Comble de l’ironie, un retour au Tchad serait pour lui une nouvelle épreuve, un nouveau danger, celui d’être enrôlé de force dans l’armée !
J’avoue, je suis restée sans voix devant ce long périple d’un jeune adolescent enlevé brutalement à sa famille, qui, de charybde en scylla, se retrouve finalement à Liège. J’ai beau, comme tout le monde, être consciente des risques encourus par les migrants lors de leur translation, les conditions de leur regroupement avant le départ et leur traversée de la Méditerranée, décris ici, dépassent tous ce que j’avais imaginé ! Le traitement inhumain ‒ et c’est un euphémisme ‒ auquel les « passeurs » soumettent ces gens est vraiment terrifiant.
Mille heures de conversation avec le résilient Issa sont condensées dans ce récit de Pascale Gillet-B. Si vous désirez découvrir le périple de deux ans de ce jeune adolescent, mineur non accompagné, je vous engage vraiment à soulever la couverture de cette brève biographie romancée… brève, mais dense !
Voilà un livre qui bouscule, secoue, et puis berce et réconforte en final. C’est le premier de l’auteur que je lis, mais il est certain qu’il y en aura d’autre, tant la découverte m’a intéressée.
Plusieurs chapitres commencent par Je ne veux pas l’hiver de ma vie. Défilent alors toutes les feuilles mortes pourrissantes, les courants d’air, les journées sombres, le ralenti impitoyable de la vie qui arrive dans son hiver. Mais que c’est bien énoncé, pensé, exprimé… L’auteur n’a de pitié pour aucun de ces ennemis hivernaux : les mots ou fins de phrases qu’on ne trouve plus, les rides qu’en revanche on trouve trop bien, l’inquiétude à l’idée qu’on a déjà dit ça et qu’on lasse, le suspens lors des contrôles chez le médecin, la conscience que oui, c’est la dernière ligne droite – et combien sera-t-elle droite, d’ailleurs ?, le refus de l’assistance, la crainte des « on a bien dormi ? On a bien mangé ses petites tartines ? Maintenant on va bien prendre son sirop. On a bien bonne mine aujourd’hui ». En regard de cette longue liste pourtant, les souvenirs tendres déferlent. Des vacances, des personnages, des membres de la famille, des anecdotes, conversations, les expressions désuètes et si charmantes.
Suivent les chapitres commençant par Il approche, l’hiver de ma vie. Il faut mettre de l’ordre, regarder les photos, choisir ce qui pourrait plaire ici ou là, ne pas laisser d’incertitudes si possible. Voir le fruit de ses entrailles faire son chemin. Écouter les musiques aimées, fêter des anniversaires. Comparer les points positifs des photos d’autrefois que l’on mettait dans des albums et regardait assis dans le divan, ou celles d’aujourd’hui, immédiates, retouchables et améliorables sur le champs, partagées d’un clic.
Quelques réflexions aussi suivent la phrase Je n’aime pas davantage l’hiver de l’Autre. L’Autre de toute une vie, qui n’entre pas dans son hiver du même pas, et a vécu ses saisons précédentes à sa manière aussi.
Pour arriver à l’apaisante constatation : J’aime l’hiver de ma vie. L’auteur la remercie, cette vie, avec toute la passion et fraicheur qu’elle mérite, et entre de plain-pied dans cet hiver et ses joies, une à la fois.
Un livre profond et très vivant malgré son propos. Un livre qui se lit en semant des émotions variées : nostalgie, amusement, déjà vu, compassion, partage. Un livre courageux aussi, sans aucun doute.
Au milieu du petit parc se trouvait la statue d’Apollon. Une statue en bronze devant laquelle les femmes, les jeunes filles et quelques hommes, l’air admiratif, se plaisaient à faire de longues pauses.
C’est qu’il était bel homme l’Apollon. Les lèvres charnues, les traits réguliers, le front lisse, les cheveux bouclés, la musculature parfaite, les mains fines. Ceux qui s’arrêtaient face à lui détachaient difficilement leur regard de sa beauté.
Un jour de printemps, une svelte demoiselle grimpa sur le socle et s’approcha tant et si bien qu’elle posa ses lèvres sur les lèvres du dieu. Après un long, tellement long baiser, Appolon quitta son socle et on le vit s’éloigner au bras de la belle. Jamais, on ne les revit. A présent, le socle est devenu le refuge de prédilection des pigeons de la ville.
Nous sommes dimanche. Et comme tous les dimanches, je vais la voir. Cela m’est important. Cela m’est même essentiel. Elle se trouve toujours à la même place. Depuis six ans. Déjà...
Je suis face à elle.
- Salut Mamie. Comment ça va ? Moi ? Oh, ça peut aller. On peut dire que ça va très bien même en ce moment. Il se peut, je dis bien, il se peut que pour une fois dans ma vie, une fille s’intéresse enfin à moi. Son prénom ? Elle s’appelle Mavis. Oui, c’est joli. D’ailleurs, tout comme son prénom, Mavis est jolie. Très jolie. Et en plus de ça, c’est vraiment une chic fille. Oui, elle est vraiment sympa. Oui, je suis sûr qu’elle te plairait. Et elle me fait rire aussi, comme tu le faisais si bien... D’ailleurs, si ça se trouve, c’est toi qui me l’as envoyée sur mon chemin. Et je t’en remercie...
Je me souviens de tes crêpes. Comme elles étaient bonnes ! J’ai beau exactement les préparer comme tu les faisais, j’ai beau utiliser les mêmes ingrédients, j’ai beau suivre ta recette à la lettre, celle que tu m’as écrite de ta main, mais rien n’y fait : je n’y arrive pas. Pas parce que je ne sais pas cuisiner, j’ai eu un excellent professeur… c’était toi. Mais non, impossible de les réaliser comme toi. C’est vraiment plus que ballot, cela a toujours été mon plat préféré.
Je venais souvent te voir, tu étais la seule à m’écouter. Tu étais la seule à me comprendre. Et encore une fois, je t’en remercie...
Bon ben, je vais devoir te laisser. Il y a un vieux couple là-bas qui me regarde bizarrement. Je les soupçonne de penser que je viens des Châtaigniers, tu sais, le centre pour personnes ayant des problèmes psychiques. Allez, salut Mamie. Rendez-vous dimanche prochain...
Nous sommes la nuit du 31 octobre. Halloween est enfin arrivé. Tous les enfants de la ville d’Anvy se promène pour la traditionnelle chasse aux bonbons.
Jennie et Karl marchent dans l’une des rues de la cité.
- Quelque chose me dit qu’on va battre notre record, cette année. J’en suis certain !
- Je pense aussi. La récolte promet d’être très bonne !
- On commence par la maison de madame Skellington ?
- Excellente idée ! Madame Skellington est connue pour etre très généreuse !
- Quel blaireau !
Jennie et Karl se retournent. C’est Stany, la terreur de l’école. Toujours accompagné de Rémy et Kenny, ses deux amis (pour ne pas dire ses deux gorilles).
- Va t-en ! Tu vas nous gacher la soirée ! s’emporte Jennie.
- Nous sommes dans un pays libre. Je fais ce que je veux…
Rémy et Kenny éclatent de rire.
- Franchement, qu’est-ce que tu lui trouves à ce bouffon ? Ce n’est pas un costume de Superman qu’il porte, c’est un vulgaire pyjama. En plus, il n’a même pas de cape. C’est pathétique ! Il me donne juste envie de vomir…
Le menton de Karl tremble.
- Et alors Supermerde ? On va se mettre à chialer ?
Jennie attrape la main de Karl.
- Allez, viens, Karl. Ne restons pas ici…
Jennie et Karl s’enfuient.
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La pleine lune scintille de mille feux ce soir…
Stanny est couché confortablement dans son lit. Il repense à Jennie.
- Quelle conne ! Si c’est pas malheureux, une si jolie fille ! Ce monde est vraiment cinglé…
Stany se met à bailller.
- Putain ! Et demain matin, on doit aller chez Mémé. J’ai trop envie de jouer à la Playstation…
Stany ferme les yeux. Appparemment, le marchand de sable est passé…
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- Stany ! Dépeche-toi ! On va arriver en retard !
Stany descend les escaliers en trainant les pieds. Comme il a l’air de mauvaise humeur…
- Je peux pas rester à la maison ? Je serai sage, c’est promis.
- Ne dis pas de bêtise. Mamie sera contente de te voir.
« Et merde ! Fais chier, bordel ! »
Madame Bittern ouvre la porte… Elle hurle ! Stany, quant à lui, ne peut s’empecher de ressentir une immense peur.
La voiture… complètement écrabouillée. Mais ce qui lui fait surtout fuiter le liquide dans son pantalon… C’est cette cape rouge, posée sur ce qui reste de la voiture...
Le monde virtuel, celui où tout est rapide, immédiat, réactif. Une question/une réponse. Un selfie/des followers. Besoin d’un refuge/bienvenue nous sommes tous là et t’aimons. Soizic le connaît bien, ce monde où elle a sa place, mieux que le monde réel où elle se sent invisible et endosse toujours une carapace que l’on prend pour un sens de supériorité, et où on ne la voit que comme une créature superficielle sans intérêt.
Victor pourtant soupçonne qu’une autre Soizic est en sommeil sous cette image, qu’il suffit de la débarrasser de la soif des « likes », de la garde-robe de vêtements coûteux et de sa méfiance pour l’atteindre. Il a la patience et la foi de l’amour.
Et Soizic naît. La joie de vivre, le bonheur d’aimer, le plaisir des promenades, l’enthousiasme des fêtes et amis font désormais partie de son univers, et ont donné lieu à une jeune fille rieuse, sociable et amoureuse. Qui enfin connaît le goût de la vie…
Et pourtant un jour, au lendemain d’une fête qui l’avait vue heureuse et vive, elle se comporte étrangement avec Victor. Distante, presque froide, solennelle.
On la retrouve morte, et défilent tous ceux qui l’aimaient ou disaient l’aimer, des soupçons, des remords, des coupables potentiels, des accusations, et partout une grande détresse. A-t-elle reçu un message inquiétant ? Où se rendait-elle régulièrement en refusant que Victor vienne l’y attendre ? Sa mort est-elle accidentelle, criminelle ?
L’auteur nous fait découvrir le monde clos dans lequel s’emprisonnent certains adolescents, qui le nomment liberté, amitiés, popularité. Qui les rend inaptes au présent, au réel, aux relations certes non idéales mais réconfortantes dans leur véracité. Et qui les retient si bien qu’il est difficile d’en sortir, à moins de suivre, peut-être, la lumière de l’amour.
Tous les matins, ils se croisaient à hauteur de la poste. Tous les matins, il marchait sur le trottoir de gauche et elle marchait sur le trottoir de droite.
Quand elle l’apercevait, son cœur battait la chamade. Il faut dire qu’il était beau : grand, mince, les cheveux noirs et épais. Il mettait sa silhouette en valeur en portant des vêtements parfaitement taillés et des cravates originales. Chaque jour une différente, jamais une de ces cravates à pois, à lignes, à carreaux ou unies comme on en voit partout. Non, c’étaient des cravates fleuries ou bien décorées d’oiseaux, de montagnes, de chats, de chiens, d’arbres, d’herbes, de poissons, de champignons.
Un jour, elle décida de faire le premier pas vers lui et emprunta le trottoir de gauche. Quand elle le croisa ce jour-là, il portait un petit nœud garni de papillons. En l’apercevant, elle ralentit le pas. Oui, elle voulait prolonger le moment de l’approche pour en garder plus sûrement le souvenir intact. Arrivé à sa hauteur, il dit : « Bon…bon…jour ».
En bégayant de la sorte, il aurait pu la décevoir, mais ce ne fut pas le cas. Désormais, ils marchèrent sur le même trottoir, côte à côte. Jamais plus, il ne porta de petit nœud.
Valentin poussa un long soupir, comme pour exhaler l'énorme tension accumulée depuis ce matin. Quelques jours plus tôt, il avait déclaré sa flamme à Marnie. Tous deux âgés d'une trentaine d'années, ils s'étaient rencontrés lors d'un week-end de bénévolats auprès de personnes sans-abris. Plusieurs points communs les avaient rassemblés, à commencer par leur timidité. Depuis, ils avaient trouvé moult prétextes pour se voir tous les jours. Ce n'est que trois mois plus tard qu'ils avaient échangé leur premier baiser et, peu après, leurs premières promesses d'engagement.
Ce soir, une toute autre scène allait se jouer. Valentin entrait dans la cour des grands : il se préparait à sa demande en mariage. Traditionnelle et romantique, elle serait divine. Afin de ménager son effet, il s'était contenté d'un laconique et mystérieux texto : « Rendez-vous au Trente ».
Dès qu'elle avait reçu le message, Marnie avait compris. Elle avait répondu tout aussi brièvement : un simple cœur en smiley. En Valentin, elle retrouvait conjuguées toutes les qualités qu'elle rêvait chez un homme : tendresse, écoute, bienveillance, douceur, sincérité. Elle ne vivait plus que pour le moment où il s'engagerait pour la vie auprès d'elle. Valentin y avait encore fait récemment allusion. Si le destin pouvait la lier indéfectiblement à cet homme qu'elle aimait sans mesure, elle serait comblée de bonheur. C'est ce que Marnie s'était exclamée en relisant ce texto aussi succinct que les billets amoureux et clandestins du XIXème siècle.
Ce soir était leur soir. Un sourire béat sur le visage, Valentin termina d'ajuster sa cravate et passa sa main sur son costume bleu. Depuis le fameux cœur-smiley qui l'avait ému, il n'avait reçu aucun message de Marnie. Sans doute, avait-elle besoin de se préparer calmement à la nouvelle existence qu'il allait lui offrir. Après deux textos sans réponse, Valentin n'avait pas insisté. Ils auraient tout le loisir d'épancher leur cœur au cours de cette soirée.
Peu avant vingt heures, il franchissait le seuil du restaurant très chic dans lequel il avait réservé. Il se réjouit d'être arrivé le premier et insista auprès du serveur pour obtenir une table à l'écart. Ce serait leur bulle. Le cœur fébrile, Valentin s'installa devant un verre.
Au début, les minutes s'envolèrent rapidement, puis de plus en plus lentement... Toujours seul face à un apéritif qu'il faisait durer, le pauvre homme sentait le vide s'emparer de tout son être. Une heure s'écoula. Bien entendu, comme tout homme moderne qui se respecte, Valentin avait harcelé sa fiancée de mille textos, mais ceux-ci étaient restés sans réponse. Pourtant, il ne se résigna pas. Ce n'est que vers vingt-deux heures que le personnel excédé l'incita fortement à quitter la salle de restauration.
Titubant comme un homme ivre, accablé, les yeux dans le vague, Valentin emprunta au hasard les rues rennaises. Lorsque la fatigue le força à s'arrêter, il se trouvait au pied d'un immeuble qu'il connaissait bien : celui où il avait maintes fois raccompagné Marnie. Telle une âme en quête d'une délivrance, il fit les cent pas sur le trottoir, incapable de détacher le regard du logement de sa bien-aimée.
Soudain, au moment où il allait se laisser choir sur le trottoir, deux femmes sortirent de l'immeuble à vive allure : la plus âgée courant après la plus jeune.
-Ma chérie ! Non, ne fais pas ça ! Tu ne vas pas tout abandonner pour un connard !
-Laisse-moi, maman, répondit la plus jeune en montant dans sa voiture.
La mère, au comble du désespoir, se jeta aux bras du seul témoin : Valentin ! Le malheureux avait perdu toute conscience du présent depuis qu'il avait reconnu la silhouette élancée de Marnie surgissant hors du bâtiment comme une furie. Le visage blafard, il regardait sans la voir la mère de Marnie qui s'accrochait à lui en le suppliant.
-Monsieur, aidez-moi, je vous en prie. Ma fille va très mal depuis quelques jours. Elle prend le volant alors qu'elle vient d'avaler plusieurs antidépresseurs. Aidez-moi à la raisonner !
Valentin reprit ses esprits lorsque le moteur de la Peugeot commença à ronronner. Il se précipita vers le véhicule de sa dulcinée et frappa violemment à la porte de la conductrice. Marnie éteignit le moteur et ouvrit la vitre. Son regard était brouillé de larmes et son visage si défait que Valentin en eut le cœur brisé. En une fraction de seconde, il oublia son épouvantable soirée d'attente.
-Que se passe-t-il ma chérie ? Que t'arrive-t-il ?
-Comment oses-tu demander cela ?, hurla la jeune femme en bondissant hors de la voiture.
Elle paraissait si outrée que Valentin fit prudemment un pas en arrière.
-Je te le demande parce que cela m'intéresse. Tu m'intéresses. Enfin, Marnie, je croyais que mes sentiments à ton égard n'étaient plus secrets...
-Arrête ton baratin, espèce de monstre ! Tu m'as trahie, abandonnée, ridiculisée !
-Je ne comprends pas, Marnie. Pourquoi te mettre cet état ? Et notre rendez-vous ?
-Ah tu veux retourner le couteau dans la plaie ? Très bien ! Parlons-en de ce rendez-vous de malheur qui était pour moi synonyme de mille promesses de bonheurs ! Tu devais me demander en mariage !
-Oui en effet mais...
-Mais tu t'es dégonflé ! Pas la peine de te justifier ! Ah, je t'ai attendue ! Ah, ça oui ! Jusqu'à une heure du matin ! Je connais par cœur chaque millimètre de la décoration de ton foutu bistrot. Le Trente là, ou je sais plus comment !
-Le... Trente ?
Valentin se trouva totalement abasourdi par le flot de paroles déversées par Marnie. Mais celle-ci ne lui laissa pas le temps de réfléchir davantage et le bouscula violemment :
-Allez, dégage d'ici !
En se tenant à bonne distance, Valentin tenta une dernière fois :
-Marnie, c'était ce soir notre rendez-vous ! Ce soir, le Trente novembre ! Et ce n'était pas dans un bistrot mais au Clos Champel, ton restaurant préféré et celui où nous avions convenu de nous retrouver lors de notre prochain rendez-vous. En recevant ton cœur-smiley par message, j'ai pensé que tu avais compris...
Au fur et à mesure qu'il parlait, Marnie se rapprochait de lui. Frémissante, pâle comme la mort, une main sur le ventre, elle paraissait ne pas comprendre.
-Que dis-tu ? Le Trente n'était pas un bistrot, mais une date ? Mais... mais... j'ai cru que... que tu avais changé d'avis et que tu avais trouvé un nouveau resto... J'ai cru que... Oh mon Dieu... J'ai vécu trois jours en enfer... J'ai bloqué ton numéro, j'ai supprimé nos photos... Je... je n'avais plus de raison de vivre... Je... Oh pardon...
A ces mots, Marnie s'évanouit et Valentin la rattrapa de justesse dans sa chute. La mère de la jeune femme, qui avait assisté à la scène avec un effarement croissant, poussa un cri d'horreur et se jeta sur le pauvre fiancé :
-Alors c'est vous le fameux connard ? Vous êtes venu achever ma fille, n'est-ce pas ?
Elle rythmait chacun de ses mots à l'aide de coups de poing. Valentin se protégea tant bien que mal car il soutenait en même temps sa chère et tendre. Enfin, il parvint à repousser son assaillante :
-Vous voyez bien que c'est une erreur, vieille folle ! Appelez les secours au lieu de hurler !
Marnie se mit à gémir doucement. Sa tête tournait, tout était flou autour d'elle et une seule certitude l'ébranlait : Valentin l'aimait ! Lorsqu'elle reconnut les battements du cœur contre lequel sa tête était posée, elle sourit amoureusement. Tout en embrassant la femme qu'il aimait pour la vie, Valentin se jura d'abandonner à tout jamais les textos laconiques et mystérieux !