Je ne sais pas quels hommes vous avez eu le malheur – ou qui ont eu le malheur, en fin de compte… - de côtoyer, mais je n’aime pas du tout, mais alors là… pas du tout, la part que vous m’avez donnée dans votre roman ridicule. Appelons-le roman, d’ailleurs… Pfuit !
Vous avez le toupet de me faire qualifier par un des personnages de « c… molle ». Parce que je ne quitte pas ma femme pour ma maîtresse, par exemple. Ma femme est certes moche, mais fait une soupe aux orties sans pareil, dont ma maîtresse déteste le goût pour commencer. Et puis bon… elle a du bien, que ma maîtresse n’a pas. Elle n’a même plus l’attrait de la nouveauté ma maîtresse, puisque ça fait, relisez votre « roman » si vous en avez la force, ça fait 10 ans que la pauvre cruche – qu’en dire d’autre ? – attend que ce soit le bon moment pour annoncer à ma femme que je la quitte. Notre petit Albert était trop jeune, puis devait faire sa communion, puis bien débuter à l’université. Pendant ce temps-là, eh bien ma belle-mère est enfin passée de vie – si on peut dire – à trépas comme vous l’avez raconté en détail au chapitre 12, et ma femme était inconsolable. Sans compter que ça a représenté un bel avantage économique. Ma maîtresse a déprimé, puisque pour réconforter mon épouse de cette perte atroce, je lui ai offert avec son argent une croisière aux Bahamas.
Vous jubilez stupidement quand Cruchette, lassée de 10 ans d’attente, se lance dans un dialogue honteux que vous avez eu grand plaisir à composer. Cruchette se rend au rendez-vous que je lui ai accordé et auquel je suis arrivé en retard : on était, souvenez-vous, au printemps et la soupe aux orties bien fraiches m’avait retenu à table… Elle avait quelque chose d’important à me dire. Je ne craignais rien, les ultimatum étaient épuisés, le dernier ayant eu comme réponse que le mariage d’Albert ne pouvait briller de tout son faste dans une ambiance de divorce. Elle voulait sans doute savoir si je passerai un ou deux week-end avec elle pendant l’été, pour s’organiser. Cruchette avait toujours besoin d’organiser, vous la décrivez d’ailleurs très charitablement comme une belle jeune femme soignée, à l’appartement lumineux et un tout petit peu en désordre pour témoigner de la vie. Oui, les poils de son foutu chat Mironton – vous aimez les animaux sans doute ? – donnaient de la vie, on peut le dire. Bref… Cruchette m’annonce qu’elle prend juste une coupe de champagne puisque je peux certainement me la permettre, et vous me prêtez une expression stupéfaite et un regard fixe. Je ne suis pas comme ça au naturel. J’étais suffoqué devant son impolitesse, l’argent de ma belle-mère n’était pas là pour lui offrir le champagne, pour commencer !
Ensuite elle m’annonce qu’elle me laisse à mes orties, ma femme riche et moche, mon Albert qui marche au pas vers un mariage aussi débile que celui de ses parents, et a décidé qu’à 35 ans, elle avait enfin fini son purgatoire sur terre. Et vous me laissez sans parole ! Vous lui prêtez un air moderne, heureux, sûr de soi, et moi je suis une c… molle aux yeux de merlan frit. Elle va plus fort encore, je suis terrorisé par la vie, par les décisions, et serai un tyran de l’indécision toute ma vie. Non, elle n’a rencontré personne, elle veut juste enlever de sa vie la tumeur que je suis ! Une tumeur !!!
Et puis vous lui faites rencontrer monsieur Idéal deux chapitres plus loin… Si vous croyez qu’avec de telles niaiseries vous serez lue encore longtemps ailleurs que dans votre comité de quartier, préparez-vous à la déprime vous aussi !
Je secouai la lettre dans un inutile réflexe, pour en faire tomber les relents de mécontentement que je sentais poindre dans ces deux mots. Étonnée, j’avais trouvé ce pli orné de mon seul nom, un peu plus tôt, égaré sur un coin de table, alors que je déjeunais, un livre à la main, d’une miche bien croustillante et d’un bout de fromage. Je l’avais ignoré, le temps de terminer ma miche, mon café et mon chapitre.
…Moi qui ai pris tous les risques pour vous complaire. Moi qui, pour vous, ai affronté tous les dangers, comment avez-vous pu me faire ça ?
J’avais évidemment fini par laisser libre cours à ma curiosité. Pourtant, j’aurais dû me méfier en faisant sauter le sceau qui donnait à la maudite missive des airs de cyclope malfaisant.
Comment avez-vous pu m’oublier, me laisser végéter dans ce premier tome, …
Qu’est-ce que c’était que cette lettre de cinglé ? Je tournai le papier dans l’espoir, sans doute, de découvrir au verso une réponse à ma question. N’y trouvant rien, je repris ma lecture inquiète à l’idée qu’un fan dérangé se soit introduit chez moi.
…alors que tant d’autres, dont certains beaucoup moins courageux que moi, ont eu droit à quelques lignes dans chacune de vos productions ? Moi, je n’ai eu droit à rien ! Pas un seul mot ! Pas même une vague évocation de mon existence ! Quedal ! Nada !
Mais enfin ! qui pouvait bien m’écrire de telles absurdités ? Je cherchai à me rappeler mon premier roman, tentant frénétiquement de découvrir à quel personnage mon zozo faisait allusion. Songeant, enfin, à baisser les yeux sur la signature, je découvris un nom vaguement familier. Un nom qui n’était, effectivement, apparu qu’une seule fois dans mon premier roman ; un nom cité au détour d’une conversation entre mes personnages principaux.
Sachez, Madame, que vos actes m’ont profondément blessé ! C’est pourquoi, je vous adresse ce pli ; prenez-le comme l’expression de mon mécontentement…
Je n’avais pas remarqué !
…et de mon refus d’être traité comme une vieille chaussette !
N’importe quoi ! Une vieille chaussette n’aurait pas la langue aussi bien pendue !
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, à ce moment, je fus plus étonnée d’avoir pu mettre autant de personnalité dans ce spectre de PNJ* que par la situation dans laquelle je me trouvais.
Ceci est donc un pli de protestation qu’il est dans votre intérêt de prendre au sérieux ! Vu la manière dont vous maltraitez vos personnages dans chaque histoire que vous pondez, il ne devrait pas être trop difficile de les convaincre de se tourner les pouces.
Bien que certaine de n’avoir jamais créé de syndicaliste atrabilaire, je commençai à m’inquiéter. Était-ce possible ? Ce pli avait-il réellement été écrit par un de mes personnages ?
Ceci est également un pli de revendication, car ne croyez pas que je vais continuer à vous laissez m’ignorer !
Oublier aurait mieux convenu, mais s’il cherchait mon attention, il l’avait trouvée.
Primo, j’exige que vous me donniez enfin un rôle intéressant dans votre prochain livre.
Exige…
Deuzio, je veux occuper, au moins, trois cinq pages recto/verso ! À vous de répartir mes apparitions IMPORTANTES où vous le souhaiterez.
Ah ! J’aurai quand même le droit de faire mon job !
Et enfin, tertio, je veux que ma présence soit au cœur de votre histoire ! Si vous ne sacrifiez pas à ces exigences, je mettrai la menace susmentionnée en action !
Alors, c’était comme ça !? Môssieur voulait un grand rôle. Bien ! il allait l’avoir. Mon nouveau livre était presqu’achevé, il ne me restait plus qu’à en taper le titre. Tous mes personnages seraient heureux d’enfin mettre un nom sur celui qui leur avait causé tant de chagrin !
Je m’installai derrière mon ordinateur, entrai dans mon fichier, fit d’infimes modifications et tapai sur la première page, restée blanche jusque-là, :MORT D’UN TERRORISTE
Sur ce, je retournai boire un bon café !
*PNJ : personnage non joueur, dans les jeux vidéo.
Ou peut-être devrais-je dire « Hello papa », car c’est vous (toi ? on se tutoie ?) qui m’avez fait naitre. Je sais que sans vous, je n’existerais pas, mais avouez que faire mourir son héros dès le début de son histoire n’est pas courant ! Avez-vous pensé à la peine de mes parents et à celle de ma petite sœur ?
Je sais que je n’ai pas été prudent et que si j’avais écouté ma mère, je serais encore de ce monde, mais j’étais un ado plein de vie et j’ai oublié toute prudence en roulant sur un skate-board en pleine circulation. Mais est-ce que je méritais de mourir comme ça ?
Et puis, m’envoyer par-dessus les nuages, seul, c’était une punition ? Qu’est-ce que je me suis ennuyé là-bas ! Je regardais la terre de là-haut et j’avais envie de réagir à tout ce que je voyais. Ma famille, mes amis, tous en larmes autour de mon cercueil ! Vous avez brisé leur cœur et c’est ce que je vous reproche le plus. En avez-vous un seulement ?
Vous avez ensuite eu la bonne idée de me renvoyer sur la terre, non, ce n’était pas une résurrection corps et âme (vous n’auriez pas osé), mais vous m’avez confié une mission : aider les gens proches de la mort à passer de l’autre côté. J’étais invisible pour le commun des mortels, mais les gens prêts à passer l’arme à gauche me voyaient, me croyaient vivant et je leur ai été d’une grande aide (ça, je vous l’accorde, j’ai adouci leurs derniers moments), mais…
Mais vous m’avez fait rencontrer Ornella, l’amour de ma vie, atteinte de la mucoviscidose et donc incurable. Jamais je n’avais été amoureux avant et nous n’avions aucun avenir. Si seulement vous aviez permis qu’on se retrouve un jour au milieu des nuages, mais non, votre empathie ne va pas jusque-là !
Et puis, pour me briser le cœur encore plus si c’était possible, vous avez mis un petit garçon extraordinaire sur ma route. Jamais je ne pourrai l’oublier. Amir était tellement mûr pour son âge, toujours souriant, courageux et…malade. On ne peut pas dire que vous faites dans la dentelle ! Vous aimez bien appuyer là où ça fait mal !
Grâce à vous - il faut bien que je dise toute la vérité - j’ai rencontré des gens extraordinaires, des gens merveilleux, des gens qui souffraient et j’ai pris beaucoup de plaisir à les accompagner jusqu’à leur mort en essayant de la rendre la plus paisible possible. Mais, à côté de ça, je vous en veux, sans doute plus de m’avoir envoyé ad patres, mais de m’avoir appris à aimer des gens pour les perdre aussi vite ! Tout ça pour quoi ? Pour que je grimpe sur l’échelle de la spiritualité ou…pour arracher des larmes aux lecteurs ?
Ensuite, comme si ça ne suffisait pas, vous avez écrit un deuxième tome et rebelote, me voilà en train de rencontrer des gens (je n’oublierai jamais André, le SDF au cœur tendre) que je devais aider à rester sur terre le plus longtemps possible. Ma mission avait quelque peu changé.
Et pour poser la cerise sur le gâteau, vous m’avez affublé d’un stagiaire : Gaëtan Duporc (vous n’avez pas trouvé mieux comme patronyme ?), un type qui avait vécu une « vie de merde » selon lui (ou selon vous) et qui devait maintenant aider les autres à vivre mieux ! Ce n’était pas gagné… !
Finalement, là où je suis maintenant, je suis bien et c’est quand même à toi que je le dois (ben oui, tu es mon père, on peut se tutoyer).
Je me décide enfin à vous adresser ce courrier, car trop, c’est trop ! En effet, j’en ai plus qu’assez que vous me fassiez passer pour la dernière des connes dans tous vos romans ! Enfin, ‘‘romans’’ ! Tout au plus, une succession de mots mis bout à bout… Et je suis bien généreuse, je trouve.
Mon frère vous a peut-être donné son accord pour que vous racontiez ses histoires, mais ça ne vous donne pas non plus tous les droits ! Non, mais !!! Chaque fois que vous écrivez sur moi, je suis une capricieuse, une débile mentale ou une hystérique ! Je ne suis ni débile mentale ni hystérique, SALETÉ DE PETIT ÉCRIVAIN DE MERDE… QUE VOUS ÊTES !!!!!!
En vérité, vous êtes jaloux… Comme vous n’avez aucun talent – je serais curieuse de connaître le montant de vos droits d’auteur, tiens ! –, vous puisez votre maigre inspiration dans celui des autres… Mais je suis une star, MOI, monsieur Valeska ! Ce n’est pas vous qui avez illuminé les écrans du monde entier en jouant Cléopâtre ! C’est MOI ! Ah… Ça vous a bien inspiré, hein, mes très rares échecs, comme Mary Poppins ! Vous servir de ma souffrance ! Pour faire rire deux ou trois lecteurs ! Deux ou trois lecteurs, ha ha ! Ha ! Ha ! Ha ! À mon tour de rire ! HA ! HA ! HA ! Ça fait plaisir, hein !?!
Je vais venir vous trouver, moi, dans votre trou ! Je vais vous crucifier ! Vous m’avez bien lu : VOUS CRU-CI-FIER !!! Entourée de loups-garous et de vampires, et ne pouvoir compter sur personne… Car ils vous adorent ! EUX, on en a fait des héros ! Alors, ils vous adorent, bien sûr !
Mais vous savez ce que je vais faire pour vous emmerder ? Je vais racheter votre éditeur, Chloé des Lys, et je vais vous virer ! Vous, mais aussi tous vos copains et copines qui un jour ont fait votre pub ! Les Christine, Ani, Edmée, Carine-Laure, Micheline ou Laurent… CRU-CI-FIÉS ! TOUS ! Rira bien qui rira le dernier, petit écrivaillon de merde… que vous êtes, ‘‘monsieur Valeska’’ !
C’est pas pour râler, tu te rends compte dans quel bourbier tu me fous parfois ? Et parfois, ça signifie trèèès souvent. Cette enquête, la dernière que tu as osé publier, quel imbroglio à la con ! Oui, la dernière, ne me regarde pas comme ça (je vois ton air innocent se pointer). Faut être à la masse pour pondre un tel truc ! Tu te shootes ou quoi ? Tu snifes ? Tu la coupes avec de la merde ramassée dans un bistrot de la gare (de Charlewè) ? Un meurtre dans un immeuble à la côte belge ! La côte belge, déjà ça ! J’ai claqué des billes hein moi ! Si encore tu m'envoyais à la Costa Brava, à Ténériffe, à Majorque ou à Bahia, sous le soleil quoi. Mais non ! À la merde du Nord. En plein vent. Sous la pluie. Comme par hasard je crèche dans un immeuble loufdingue, une espèce d’asile peuplé d’artistes demeurés et snobinards. Et une écervelée se défenestre. Rien que ça, oui m’dame. Écervelée, c’est le mot. Sa cervelle gélatineuse s'éparpille sur le trottoir entre les éclaboussures d’hémoglobine et de la bave gluante, un chat n’y retrouverait pas ses jeunes tellement c’est dégueu. Bon appétit hein ! Dis m’man, pour changer, tu pourrais pas m'envoyer enquêter chez des financiers, des ministres par exemple, qui auraient détourné une paire de milliards ou caché des lingots d'or dans les caves de leur castel ? Hein ? Juste pour constater le degré de mon flair dans pareilles circonstances. Alors je continue sur ma lancée … Tu m'affubles d'un costard à la six-quatre-deux. Non mais ! Une jupette cramoisie et débile à carreaux noirs jaunes et rouges ! Ah oui, ça c'est du belge authentique hein ! Et pas contente de toi, une casquette à la con et tout le toin toin, des accessoires aux couleurs nationales ! Quel patriotisme ! Cerise sur le gâteau, je suis l'enquêtrice privée de chez privée de Philippeke de Belchique. Tu rigoles ou quoi ? Obligée de me coltiner ce royal manneke au début et à la fin de l'enquête. Et dans l’entre-deux idem. Ah ben oui tu penses, j'ai refusé sa médaille, il est tellement gauche qu'il m'aurait décroché un nichon ! Ben si ! Et en s'excusant il m'aurait transpercé le deuxième nichon. Plutôt le second car de troisième il n’y en a pas, même dans tes histoires à la décape. Mais on sait jamais. Quand tu t’aventures dans tes transes science-fictionnelles avec des démons bicéphales à mille-pattes alors pourquoi pas leur planter trois mamelles, hein ? Non, je ne suis pas cynique. Je continue. Je disais donc que tu m’attifes de loques tricolores et venons-en au surnom. Kitch’kasket ! Kitch’kasket ! Mais de quelle fosse à purin t’a remonté ce truc-là ? Ton éditeur devrait t’enfermer dans sa cave et te lancer une cacahuète de temps en temps. Kitch’Kasket ! Je me présente chez un suspect et je lance ça, Bonjour, kitch’kasket, envoyée spéciale du Palais Royal, enquêtrice privée de Philippeke de Belchique. Ah, ça en jette, ça oui. Sauf que le mec en face de ma tronche il se plie en deux, il pense à une blague, même s’il a deux cadavres découpés en lamelles cylindriques dans son congel ! Là, dans Ceci n’est pas un meurtre (comme un autre), tu creuses encore ! Tu ressuscites Magritte ! Ressusciter Magritte ! Mais comment veux-tu ressusciter un type qui n’est pas encore mort ? C’est un surréaliste, mais quand même !
Alors, je te le dis en face, je n’en peux plus de tes magouilles, de tes fringues patriotiques et j’en passe. J’exige des couleurs banales, du bleu, du blanc et du rouge par exemple. Et inutile de me coltiner une enquête à l’Élysée. Envoie-moi plutôt au zoo d’Antwerpen ou dans une caravane, chez Bouglione. Tiens oui, chez Bouglione.
Sans rancune et bises,
X (je tiens à mon anonymat)
PS : Au cas où, suis pas une fille hein m’man, suis un mec, enfile-moi un vrai costard.
Avec Les Maisons Vagabondes de Colette Cambier, je me suis plongée encore une fois et sans regrets dans un genre que j’avais découvert avec le très beau « Lovely Brunette » d’Edmée de Xhavée ; un genre qui nous emporte de manière aussi franche que pudique dans les souvenirs familiaux de l’auteure.
Nous ne parlons ici ni de biographie, ni d’autobiographie, mais d’un retour sur soi-même rapporteur de souvenirs ravivant une époque révolue, mais néanmoins importante parce que fondatrice.
Les Maisons Vagabondes sont tout cela et Colette Cambier nous y emmène, en utilisant la seconde personne du singulier. Un tu qui invoque l’enfant qu’elle a été, pour nous conter l’importance de ces maisons qui, par leurs existences propres, l’ont elle-même habitée. Un tu qui nous ramène à l’époque d’après guerre, entre Flandre et Wallonie, pour découvrir les singularités de ces maisons et de ses habitants, entendre les réflexions qu’elles lui inspirent face aux attentes, aux codes et certitudes des adultes, sur un chemin sinueux où la place d’aînée n’est pas toujours la plus simple.
Et si, parfois, l’encre se teinte d’une légère amertume, la jolie plume fluide et rapide de l’auteure exprime avant tout les nombreuses interrogations et inquiétudes d’une enfant en construction. Et parce que l’enfance c’est aussi cela, elle nous raconte ces maisons comme autant de souvenirs de jeux, de couleurs, de lumière, de saisons, de soleil, de neige, de joie, de peine et, surtout, de vie !
Une jeune auteure pas comme les autres : Mila, 16 ans, révèle par son écriture une maturité exceptionnelle, et rencontre le succès. Hélas un jour Marie-Jeanne, sa mère, la découvre au bas des escaliers, victime d’une étrange chute.
Perdre sa fille unique après avoir perdu son mari trois ans plus tôt, ça suffit pour abattre cette maman qui pourtant ne pourra se soustraire à l’inévitable enquête, menée par un inspecteur dont c’est la dernière aventure. Il se réjouit à l’idée d’enfin prendre sa retraite sur les bords de l’Authion, avec Le chien, son compagnon discret.
Hélène, marraine de Mila et amie de Marie-Jeanne, n’échappe pas à la souffrance et aux questions. Qui donc était vraiment Mila ? D’où lui venait cette écriture presque adulte ? Sa personnalité, au fil des pages, apporte doutes et surprises au fur et à mesure qu’on la découvre. Pourquoi semble-t-il à l’inspecteur qu’elle est tombée à la renverse et non pas en avant, ce qui introduit, dans ce cas, l’hypothèse d’une personne qui l’aurait poussée ? Mais qui donc pouvait lui en vouloir ?
Tandis que la célébrité de la jeune fille a ses exigences même après la mort, que l’on découvre encore un manuscrit prêt à l’envoi, que l’on interroge ses amies, ses rivales et le jeune garçon qui l’aimait, que l’on cherche dans le passé et le voisinage, les suspects émergent…
Notre détective et son chien pourront-ils prendre leur retraite après mission accomplie ?
Wes a tenu à faire le salut militaire devant le monument des Martyrs, et ce comme chaque fois qu’il passe à proximité. Puis, homme de peu de paroles mais de rituels, il se dirige vers la brasserie Le Luxembourg où, à peine voit-on sa silhouette se détacher sur le ciel parfois bleu et souvent boudeur, on lui verse sa Moinette et la dépose sur la table près de la fenêtre. Il en renifle longuement l’odeur, après un sourire et une esquisse d’autre salut militaire en levant sa longue main baguée vers le rebord de sa casquette de toile rouge ornée d’un INJUN blanc, et puis il semble se perdre dans de muettes confidences qu’il recevrait du breuvage blond dont il est tombé amoureux dès le lendemain de son arrivée.
Wynona le voit partir avec aux lèvres et paupières un zeste de cruauté qui laisse imaginer qu’elle a des projets de scalp au minimum, et lorsqu’il revient de sa cérémonie de communion avec les bienfaits du houblon, elle lui refuse son attention pendant deux bonnes heures.
Car on a voulu, à elle, lui faire goûter du fromage en lui proposant plusieurs formes et textures mais non… elle le sait, elle, que les Sioux ne sont pas faits pour lait et fromage…
Bénédicte part travailler tous les jours et leur laisse les lieux dont les murs sont décorés de multiples objets indiens. Il y a même un chasseur de rêves dans le cabinet de toilette et un jeté de sofa Pendleton à motifs navajo. Elle ne quitte pas le bracelet d’argent massif décoré de turquoises que Wes lui a offert, et joue – faux – de la flûte indienne avant le repas du soir, gentiment fière de son résultat.
Elle s’étonne qu’ils ne fassent « rien », ne désirent aller nulle part. Mais, a dit Wynona,… nous voyons Tcharleroy ! C’est pour ça que nous sommes venus ! ». La promenade sur le terril St Charles les a ravis, d’autant que la journée avait ce jour-là des teintes de pluie, crachin et averse, et ils l’avaient considérée particulièrement bénie. Mais c’était assez, il était bon aussi de se poser pour sentir ce que racontait l’endroit. Wes aime beaucoup écouter ce que dit la brasserie Le Luxembourg, et Wynona le déplore un peu mais on ne peut avoir toutes les chances : avoir épousé deux mètres d’homme et le tenir en laisse…
Wynona donc s’active comme une diablesse le matin entre maison et jardin, malgré les protestations de Bénédicte qui d’une part aimerait manger un bon spaghetti bolognaise ou un plat de boulets à la liégeoise et s’est lassée de la succession de « stews » qu’elle trouve le soir, mais il est évident que Wynona veut la soulager de son travail et la faire manger sainement. Elle a bien précisé qu’en effet, maigre comme elle est, pas étonnant qu’elle ne trouve pas de mari. La carte du menu et les fumets de la maison sont donc quotidiens : Beef stew, avec tant de piment qu’il semble à Bénédicte avoir un feu ouvert dans le ventre depuis le début de la semaine. Elle fait aussi un délicieux Fry Bread, le pain frit et huileux que Bénédicte mange avec une avidité coupable et des doigts qui laissent leur empreinte sur son portable. Le potager est ratissé et désherbé avec plus de soins que s’il était passé chez l’esthéticienne, et pas une limace ou un escargot n’échappent à la vigilance meurtrière de la jardinière attentive.
Pendant l’heure de midi, Wynona a découvert sur quelle chaîne elle pouvait revoir – dans un langage incompréhensible mais Loretta et Tim lui en ont offert le coffret de DVD et elle connaît les rebondissements par cœur - les vieux épisodes des Feux de l’amour, et pleure d’abondance devant les coups du mauvais sort qui ne cessent de rendre cruelle la vie de ce groupe humain se déchirant d’épisode en épisode. Ensuite, après une sieste involontaire sur le sofa où elle pique rituellement du nez dès le générique final, Wes et elle sortent – sans échanger un mot – pourfaire leur promenade. Peu importe le temps, mais dans le quartier on aime les voir par temps sec, car la vue de mocassins perlés dans les rues enchante tout le monde, au point que Wynona s’est fait rapporter par une voisine des perles et des peaux de chamois et brode l’après-midi au jardin ou dans le living-room tandis que Wes écoute les messages de la Moinette à la brasserie. Elle a pris les mesures des petits pieds de sa rue, et bientôt c’est une ribambelle chaussée de mocassins qui joue dans les jardins après l’école, sous les cris des mères qui leur interdisent de les user sur la pierre et de rester dans l’herbe.
Wes, quant à lui, montre les pas de la Fancy Dance aux garçons, et s’indigne lorsque la mère du petit Bastien veut l’en empêcher car il rêve la nuit qu’il est un brin herbe et qu’on veut tondre la pelouse. Les filles apprennent de Wynona le pas cadencé des femmes et comment tenir châle et éventail avec noblesse, éventails qui ont causé la perte de la queue de toutes les poules au cou plumé de Madame Leblanc. Wynona ne se lasse pas de contempler ces cous nus et soutient, une pointe d’effroi dans le regard, que ce sont des poules-vautours.
On a bien cherché à les faire bouger, le fils du vieux Marcel voulait les prendre à Bruxelles dans sa camionnette, et Bénédicte leur a vanté les beautés de Tournai qu’elle leur aurait volontiers fait découvrir un samedi ou dimanche, mais non. Tcharleroy is beautiful, insiste Wynona. Tcharleroy is lovely !
La veille de leur départ, ces autres 25 heures et plus de voyage à venir auxquelles ils se refusent à penser, ils se décident à acheter des cadeaux qui parleront à tous les leurs de la beauté de ce coin qu’ils ont découvert dans le vaste, vaste monde. Une vingtaine de T-shirts de plusieurs tailles vantant la Moinette et plusieurs décapsuleurs. Des plateaux Moinette pour les amies de Wynona, et le sac réutilisable qui prouvera à tout Buffalo, North Dakota que oui, elle a été aussi loin que Charleroi en Belgique. Plusieurs sachets de bouquet garni. Madame Leblanc leur offre leur photo de groupe avec eux – l’occasion pour Wynona de mettre sa belle robe - et les enfants du village, encadrée par les soins des petits : une succession de capsules de Moinette collées sur du carton, et leurs signatures au dos.
Et lorsqu’à 5 heures du matin, silencieux comme des Apaches en guerre, Bénédicte et ses deux invités s’engouffrent dans la voiture ils voient s’avancer devant eux les enfants de la rue, chaussés de leurs mocassins, c’est le visage de Wes qui se chiffonne comme celui d’un carlin et produit deux grosses larmes quand, souriants, ils font de leur mieux pour prononcer Kola, Mitakuye Oyazin… en tendant vers lui une bouteille de Moinette décapsulée pour la route, qui n’arrive pas pleine au premier carrefour. Elle a, déjà, le goût un peu amer du passé.
Assis dans l’avion – où une fois de plus Wes ne s’en sort qu’en position fœtale – leurs visages sont refermés sur leurs souvenirs, ces souvenirs que personne jamais ne pourra mesurer. Wynona se tourne vers lui et le surprend en appuyant la tête sur son épaule et murmurant « Tcharleroy is so lovely… »