Texte 5 concours "la passion détruite se transforme en passion à détruire". Votez aujourd'hui sur les commentaires de ce texte. Résultats après-demain !
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RENONCEMENT
Marcher. Gravir seul des chemins de montagne. Parfois s'arrêter pour contempler le paysage. Laisser infuser en lui des impressions qu'il noterait dès son retour à l'hôtel. Peut-être un jour, se disait-il, écrirait-il un recueil de textes mi-poétiques mi-philosophiques pour partager son ressenti. Marcher était l'essentiel. Être focalisé sur l'ici et maintenant. Avancer, trouver le bonheur dans sa progression, dans l'oubli de soi qui y était lié, dans l'observation d'un paysage escarpé, différent au fil de sa promenade. Soleil, vent, pluie, chaleur excessive, fraîcheur n'étaient pas objets de ses préoccupations. Peu lui importait la météo. Peu lui importait la fatigue éprouvée en fin de journée. Les minces sentes sinueuses, la merveilleuse nature, il aimait cela plus que tout. Il s'offrait ainsi chaque année durant les vacances d'été un séjour d'une semaine à Chamonix.
Catherine, son épouse, le mettait en garde. "C'est dangereux de partir seul. Il y a parfois des accidents. Même chez nous, partir seul est déconseillé. Souviens-toi, Marc était tombé dans un bois à cinq kilomètres de chez lui … Il n'avait pas dit à Lise où il allait, il avait oublié son téléphone portable. Heureusement qu'un bon samaritain avait croisé sa route." Elle avait beau dire. Les flancs abrupts, les rochers, les lacets ne lui faisaient pas peur. Prendre de la hauteur il aimait cela. D'autres n'ont-ils pas la passion des forêts, des déserts, des lieux qui peuvent présenter d'autres dangers ?
Il rétorquait, il affirmait qu'il était bien équipé, prévoyant, muni d'une trousse de secours, prudent, en parfaite santé.
Et puis un jour, Vincent, un ancien collègue, et Tom, son jeune fils qu'il portait sur son dos, étaient morts des suites d'un accident en montagne. À partir de là, Catherine n'avait cessé de le harceler. "Si tu retournes à Chamonix, promets-moi de t'inscrire dans un groupe de randonneurs." Catherine le mettait en garde tant et plus. Butter sur une pierre et tomber. Être pris d'un vertige et s'effondrer. Perdre l'équilibre en se penchant pour cueillir une fleur sauvage, pour ramasser un caillou et se casser la figure, mordre la poussière, se blesser gravement. Elle lui ressassait ces éventualités. Elle imaginait des scénarios dignes de films catastrophe. Leurs dialogues se soldaient souvent par un temps de bouderie. Catherine était à l'affût des informations relatives à des accidents notamment liés à des chutes de pierre dues à la sécheresse, elle-même imputable aux changements climatiques.
"Quand j'emprunte un téléférique, moi aussi je vois de superbes paysages, mais sans courir le moindre risque. Fais comme moi !", avait conclu Catherine à l'une ou l'autre occasion.
Il avait finalement capitulé après un fait divers de plus, tout à fait tragique. Deux jeunes femmes expérimentées, passionnées de montagne étaient mortes dans le massif du Mont-Blanc.
Il avait capitulé. Il s'était inscrit dans une association organisant des randonnées de groupe au sud de sa région. Le plaisir et l'ardeur n'étaient plus les mêmes. Il devait faire le deuil d'une partie de sa vie.
Catherine n'avait pas posé de questions, mais devait probablement se douter qu'un fond de tristesse habitait son mari.