Misha, le poisson rouge et l’harmonica, Carine-Laure Desguin, Adopuscule#07, Lamiroy
Une histoire imagée et fantasque. Un récit singulier où la mémoire jaillit des cours d’eau.
Dans ce conte irréel, une petite fille suit les courbes des routes d’argent, des rivières enchantées et torrents bruyants pour retrouver les souvenirs qui y sont emprisonnés. Une petite fille parle aux oiseaux et aux poissons avec une force poétique et une imagination sans limite. Une petite fille qui ne vit qu’ « aujourd’hui » rencontre pourtant le passé, heureux ou douloureux parfois, par la magie et la musicalité des mots de Carine-Laure Desguin.
Véritable poétesse, l’auteur nous emmène sur des chemins inconnus, d’une berge à l’autre d’ondes fabuleuses, dans les trains de la vie, de la mort, à travers une mélodie omniprésente, à la recherche d’une eau pure. Du début à la fin, le lecteur navigue avec bonheur dans la poésie, la fantaisie et la mélancolie.
Un simple mot sur la table de la cuisine disant que je m’en allais faire du vélo, un jus d’orange bu tout rond, un croissant englouti entier, et j’ai filé plus vite que mon ombre à bord de mon vélo à panier. Le plus chouette, je trouve, quand on grandit, c’est que la liberté grandit avec nous.
Maintenant que j’avais onze ans, j’avais l’autorisation d’aller jusqu’à l’extrême limite du village. Pile devant le panneau. Pile au niveau du grand champ de lavande. Et j’adorais la lavande ! On pourrait croire que c’était pour l’odeur, mais non, pas du tout. J’aimais la lavande parce que les papillons en raffolaient. D’où ma robe du jour.
Je me suis allongée dos au sol, j’ai respiré à fond les narines, j’ai raconté tout un tas de trucs à ma mère, des machins hyper intéressants et des bidules sans importance, puis j’ai attendu que les papillons se posent sur moi, déroulent leurs trompes et m’aspirent comme si j’étais une vraie fleur. J’aurais pu passer des heures à les admirer, les papillons, leurs ailes pleines d’écailles invisibles, sauf pour moi. Des fois je plisse très fort les paupières pour m’amuser à les compter, mais ils ne restent jamais assez longtemps pour me laisser finir.
Et là, pour la première fois, j’ai découvert un de leurs secrets. Totalement incroyable ! Les petits butineurs offraient un peu de leurs couleurs. Celles de leurs ailes. Oui, je vous jure ! En fait, à y regarder vraiment bien, j’ai compris un truc complètement fou : les papillons déposaient des gouttes microscopiques et colorées sur les fleurs, un peu comme le soleil nous recharge en vitamine D. Vrai de vrai !
J’en étais là de mes explorations du jour quand une voix m’a fait sursauter.
— Bonjour Fleur !
De peur, tous les papillons sur ma robe se sont envolés.
Moi, sur le coup, j’ai pas vraiment eu peur, surtout que je pensais que c’était la voix d’Hagrid, mais j’ai jamais eu l’oreille très fine.
C’est quand je me suis retournée que mon cœur, franchement, a failli tomber en panne. Non seulement c’était pas Hagrid, mais l’inconnu qui connaissait mon prénom n’était pas seul. Ils étaient trois.
Quelle poésie, écoutez tous cet artiste ! Écoutez-le ! Car vous êtes artiste n’est-ce pas ? Oh, dites oui, dites oui ! Écoutez cet homme mes amis, écoutez-le !
Non, je ne suis pas un artiste, je suis quelqu’un qui a des idées, voilà tout ! Et j’aime la poésie, celle qui bulle dans les cafés refroidis et …
Fred ne continue pas, il se sourit car il vient d’inventer un mot, bulle, bulle utilisé en tant que verbe. Il est content de cette idée.
Vous êtes un artiste alors, il n’y a aucun doute ! Et ces idées, vous les vendez ? Vous avez une galerie d’idées ? Vous avez des albums d’idées ? Des livres d’idées ? Vous les encadrez, dites, ces idées ?
Non, ce sont des idées, voilà tout. Seulement voilà, je ne veux plus voir pleurer les vendeuses et pour ma prochaine idée, j’ai une autre idée.
Les phrases de Fred provoquent un attroupement et tout le monde écoute l’homme qui marche pieds nus sous le dôme.
Je vous photographie, s’exclame un journaliste !
Quelle bonne idée ajoute l’épouse de l’architecte !
Clic clac clic clac. Six ou peut-être sept appareils se mettent à crépiter, car si un journaliste a l’idée de photographier un homme aux pieds nus, c’est que l’idée peut s’avérer géniale.
À présent la nuit s’installe et des lumières de toutes les couleurs jaillissent d’un peu partout, du haut du dôme, des ascenseurs, et des lits médicaux électriques. Une vision de toute beauté.
Quel jeu de lumières, entend-on de droite et de gauche, quel jeu de lumières, ils ont pensé à tout ! Des étincelles de lumières qui s’étoilent en provenance des lits électriques, quel art, quel art !
À propos, les œuvres ne sont pas encore visibles ? questionne le journaliste.
Monsieur Désarbre prend la parole et madame Holter approuve chaque mot que monsieur Désarbre expulse.
La demande est telle que nous avons lancé un tirage au sort, vous voyez l’ampleur de cette idée ! Une seule œuvre est arrivée, les autres seront présentes demain, c’est promis. Ce fut toute une organisation. Chaque établissement a procédé à un tirage au sort. Obligatoire car les postulants étaient si nombreux. On ne peut quand même pas les entasser les uns sur les autres. Nos œuvres d’art doivent respirer !
À ces mots, les regards cherchent l’endroit où l’on a placé la première œuvre.
La première œuvre arrivée est allongée au quatrième étage ! Montez, montez chers amis, je vous en prie ! crie monsieur Désarbre, avec dans la voix des tonnes d’exaltations.
Devant le lit, une plaque de cuivre pareille à celle que l’on trouve sur le bord inférieur des tableaux, dans les musées. Une infirmière astique du mieux qu’elle le peut la plaque de cuivre.
L’épouse de l’architecte s’approche et lit Firmine Lesage. C’est bien ça ? demande-t-elle à l’infirmière.
Oh je ne sais pas, je n’ai pas encore eu le temps de lire le nom de cette œuvre, j’astique ! Attendez. L’infirmière rive ses yeux vers la plaque de cuivre et puis dit oui c’est bien ça, l’œuvre s’appelle en effet Firmine Lesage.
Des exclamations fusent. On s’approche de l’œuvre endormie, on se bouscule, on prend des selfies. Oui, c’est ça, attendez, je recule, essayez de prendre le visage de l’œuvre, j’aimerais nos deux visages sur la photo. L’infirmière sourit et sur le lit de l’œuvre, prend des poses suggestives.
Une odeur nauséabonde est à présent perceptible. Et du lit s’écoule un liquide brunâtre, plic, ploc, plic, ploc. Firmine Lesage s’éveille et s’écrie je viens de pisser, y’a-t-il quelqu’un pour me changer oui ou merde ?
Au rez-de-chaussée, Fred et Phil, bras dessus bras dessous, zigzaguent entre les visiteurs.
Fred, toutes ces lumières, ça me rend folle.
Viens m’man, laissons cette idée sur la place du Manège, j’ai une autre idée qui me carrouselle dans la tête.
Bonjour mademoiselle, vite, vite, je désire cette paire de baskets mauves, celles exposées dans la vitrine centrale, entre les bottillons orange et les bottillons vert pomme. Vite, vite, je vous en supplie.
Oui, monsieur, bien entendu, ce sont des baskets pour femmes, de préférence.
De préférence ? Vous voulez dire que ce n’est pas obligatoire ?
Oui, c’est ça, si vous voulez…
Si je veux ? Oh moi, ce que je veux, c’est que vous vous pressiez et surtout je ne veux pas entendre des sanglots en provenance d’une arrière-boutique.
Monsieur, vous êtes certain que tout va bien pour vous ?
Je ne veux pas vous entendre pleurer et surtout je désire au plus vite cette paire de baskets mauves, celles de la vitrine, ne cherchez pas plus loin.
Bien, voilà.
La vendeuse se dépêche, attrape les baskets et les emballe au plus vite. Ce n’est pas tous les jours qu’elle entend ça, un mec qui désire ne pas la voir pleurer. Les hommes qu’elle connaît aiment les larmes, les sanglots, et les mouchoirs.
Merci mademoiselle. Et j’espère que vous n’avez pas de grand-mère car c’est terrible vous savez, une grand-mère qui n’est pas tirée au sort. Si elle n’est pas tirée au sort, quel sort peut-on encore lui réserver ? Merci et gardez la boîte, je vous en prie, je les consomme au plus vite.
S’il vous plaît monsieur, voici une paire de baskets mauves pointure trente-neuf.
Trente-neuf ?
Oui, vous n’aimez pas ce chiffre, trente-neuf ?
Oh moi, vous savez les chiffres, ils m’importent si peu. Je les aime ces chiffres, uniquement lorsqu’ils sont écrits en lettres. Ce que j’aime plus que tout, ce sont les idées, les projets, et puis les idées qui deviennent des dômes. Je chausse du quarante-deux. Mais deux trente-neuf feront bien l’affaire, ça nous fait septante-huit si je compte bien et dans septante-huit, on place au moins une fois quarante-deux. Au revoir mademoiselle. Et merci de ne pas avoir pleuré.
Fred se demande si deux trente-neuf, ça prend un s, ou pas. Il se dit que l’idée est poétique. Il la retient. Qui sait, cette idée sera-t-elle un jour un projet. Et l’occasion d’inaugurer l’acte. Et puis de s’acheter un costume, un polo. Et une paire de baskets mauves très flashy.
Le soir de l’inauguration, le soleil n’a pas encore capitulé. C’est le printemps, après tout. Et tout le monde est là au rendez-vous. Certains amènent des fleurs et d’autres, des sourires. Des airs satisfaits s’inscrivent sur leur visage, comme si l’idée venait d’eux, comme s’ils s’octroyaient le droit d’une revendication quelconque. Par chance, pas trop de manifestants sur la place du Manège puisqu’à la télé l’audimat explose. Téléréalité : des peoples qu’on enferme dans les cuisines d’un hôtel cinq étoiles à Paris, lequel trouvera la roquette parmi toutes les salades proposées ?
Au milieu de tous ces gens bien sapés, Fred et Phil sont perdus, presqu’hébétés. Phil pense que l’idée de Fred étant devenue un projet et puis une réalité, un dôme donc, Fred recevrait encore une fois les honneurs, de beaux mots, un discours, puisqu’il est l’auteur de cette idée. Non, ça ne se passe pas comme ça. C’est monsieur Désarbre, l’échevin de la culture et madame Holter, la directrice de tous les hôpitaux de la ville, qui croulent sous les félicitations et se tordent les bras à cause des poignées de mains des uns et des autres, des ministres et tout le gratin de la ville et du royaume.
Un verre de champagne à la main, Fred et Phil déambulent parmi tous ces gens. Ils écoutent. Les phrases qu’ils entendent sont surprenantes, vraiment. Et des idées jaillissent aussi. C’est facile à présent de pondre des idées, quand l’idée de départ est là, un dôme haut de quatre étages, tout en verre : une coupole en verre, des murs en verre. Des miroirs grossissants sont même suspendus au-dessus du dôme, pour qu’un maximum de gens profite de ce haut lieu culturel. Sur les toits des immeubles avoisinants, des dizaines de personnes sont là, jumelles entre les mains. Ils regardent. Acharnés. Surtout, ne rien perdre du spectacle. Une répétition. Puisque toutes les œuvres humaines ne sont pas encore installées, ce geste, tenir les jumelles bien serrées entre les mains, ils le répèteront souvent.
C’est facile de se pavaner sous ce dôme quand au départ, l’idée est de quelqu’un d’autre. Un grand type sûr de lui s’approche de monsieur Désarbre et demande : Vous pensez essaimer l’idée ?
Ah, mon cher, ce n’est plus une idée, c’est un dôme !
Phil et Fred écoutent. Une fois qu’ils entendent le mot idée, ils sont attentifs, on ne sait jamais, on pourrait citer le nom de Fred.
Oui, suis-je bête ! Et ce dôme, pourrait-il se trouver dans d’autres villes ?
Celui-ci, non ! Il restera ici ! C’est notre dôme ! Avec notre personnel et surtout nos œuvres d’art, ah ah ah !
Vos œuvres d’art ?
Oui, c’est l’essence même de l’idée. Des vieux hyper-visibles de l’extérieur ! Un musée de chairs humaines ! Les vieux seront à l’honneur, toujours ! On ne pourra plus leur faire aucun mal, ils ne subiront aucun sévices puisque les soins seront donnés sous le regard de tous ! Vous voyez, quelle évolution ! Les vieux seront protégés, ici, sous ce dôme ! Quel Art ! Et les visites, vous avez songé aux visites ? Les vieux se plaignent, dans ces maisons de repos traditionnelles, de ne recevoir aucune visite. Ils tombent dans l’oubli, reçoivent le morceau de tarte le jeudi soir, en prévision du dimanche après-midi. Ici, il n’est plus question d’être oublié ! Le musée d’art de chairs humaines attirera beaucoup de visiteurs chaque jour, même le dimanche !
Et le week-end également ? demande l’épouse de l’architecte.
Bien entendu ! On ne peut abandonner les vieux durant le week-end, sous prétexte que c’est le week-end ! Car le dimanche, chère dame, c’est le week-end !
Oh, fabuleux, s’écrie l’épouse de l’architecte, tout en se tournant vers son mari qui lui, d’un air convaincu dodeline de la tête, pour signifier qu’il approuve.
Phil se sent rassurée, apaisée. Le dôme sera ouvert chaque jour. Chaque jour, Fred pourra donc lui rendre une petite visite et il lui soufflera ses nouvelles idées. Fred a préféré ne pas trop parler de ce tirage au sort. Il n’est pas certain que ce soit une bonne idée. Quoique. On ne peut surcharger le dôme. Les vieux, ça se respecte, faut pas les étouffer.
Le soir s’avance et les rayons du soleil s’orangent de part et d’autre des grandes surfaces de verre. Quelqu’un s’écrie regardez comme c’est beau, c’est d’une beauté, ces faisceaux de lumière orangée et verdâtre et bleutée, un signe du ciel, c’est certain. Des dizaines de regards observent les hauteurs du dôme et les smartphones se déclenchent. C’est d’une poésie… Et puis c’est classique, dans les inaugurations, les artistes s’expriment et un rien, la moindre petite chose, une exclamation, un soupir, le battement d’ailes d’une mouche devient de la poésie. Un rien, ce peut-être aussi un chien qui lève la patte sur un pied de tabouret ou quelque chose comme ça, un verre qui s’éclate contre le carrelage, tout quoi.
Vous n’avez pas froid aux pieds ?
Fred baisse les yeux, regarde ses pieds et lâche : Je n’ai pas froid aux pieds.
Regardez, regardez, quelle poésie, un homme aux pieds nus ! Vous êtes un artiste je suis certaine que vous êtes un artiste, dites-moi oui, dites-moi oui ! La dame au chapeau jaune questionne. De grandes certitudes sont ancrées au fond de ses yeux, elle est certaine de se tenir devant un artiste, un vrai, un vivant, un qui parlerait de ses idées.
Je suis pieds nus car les baskets mauves ont la pointure trente-neuf, que je chausse du quarante-deux, que deux fois trente-neuf n’égaleront jamais quarante-deux et que je ne voulais plus voir pleurer une vendeuse.
Quelle poésie, écoutez tous cet artiste ! Écoutez-le ! Car vous êtes artiste n’est-ce pas ? Oh, dites oui, dites oui ! Écoutez cet homme mes amis, écoutez-le !
Non, je ne suis pas un artiste, je suis quelqu’un qui a des idées, voilà tout ! Et j’aime la poésie, celle qui bulle dans les cafés refroidis et …
Fred ne continue pas, il se sourit car il vient d’inventer un mot, bulle, bulle utilisé en tant que verbe. Il est content de cette idée.
Dans deux jours, c’est l’inauguration, tu sais bien ! On ne parle que de ça !
Ah oui, l’inauguration. Oui, c’est une bonne idée ça, un nouveau costume. Une nouvelle chemise. Et un nœud pap ou une cravate, m’man, tu préfères quoi ?
Fred, j’irais bien débroussailler tout ça avec toi, ton histoire de nœud pap ou de cravate. Je vieillis, mes peaux se fanent. Tu trouveras bien une jeune et jolie vendeuse qui t’assommera de ses conseils. Dis-lui que c’est pour l’inauguration, elle te dénichera quelque chose de bien, quelque chose de flashy.
Depuis tout ça, l’idée, le projet, les travaux, l’inauguration, tu n’arrêtes pas de me dire que tu vieillis, que tu te fanes, que tes rides sont comme des sillons sur des terres agricoles. J’en ai marre, m’man, non, tu ne vieillis pas, c’est pas pour toi, ce dôme, c’est pas pour toi.
Là, Fred, tu mens un peu. Bien sûr que cette idée elle t’a été soufflée parce que tu espérais que ta mère soit protégée, soignée et mise à l’honneur. Et maintenant, tu te débines. Ce dôme ne profiterait qu’aux autres petites vieilles, ce serait mieux ainsi, ouais… Il y en a plein les rues, des vieux et des vieilles, ouais… Ta mère, tu la voudrais pour toi tout seul. Oui ou non, Fred Vilain ? N’en parlons plus mais je sens bien moi que mes forces s’effritent. Je fatigue. Je décline. Essuyer la vaisselle me tue. Couper ma côtelette me tue. Et je mets les phrases dans le désordre. Tu le vois bien que je ne la lave plus chaque jour, cette vaisselle. Parfois même, je lave les assiettes et j’oublie de les essuyer, c’est un signe ça. Je te le dis, quelle belle idée de génie tu as eue, voilà que tu viens d’inventer quelque chose qui servira l’humanité entière, mon Fred. Les vieux se déglinguent seuls chez eux. Alors…
Un costume, oui, c’est ça, un costume. Une veste et un pantalon. Et puis, si vous aviez une chemise, et un nœud pap ou une cravate. Qu’en pensez-vous mademoiselle, une cravate ou un nœud pap ? C’est pour l’inauguration.
La vendeuse, une petite blondasse qui semble évacuée de la planète mars par expulsion atmosphérique comprimée, prend l’air étonné de celle que le choix entre une cravate et un nœud pap désarçonne et bouleverse.
Oui quoi, c’est pour l’inauguration. M’man m’a bien dit de ne pas oublier de le signaler ça, que c’est pour l’inauguration. Vous me conseillez un nœud pap ou une cravate ?
La cravate, c’est un peu démodé et le nœud pap, ce serait plutôt pour une cérémonie.
Une inauguration, ça vaut bien une cérémonie, non ? C’est quand même une inauguration qui aura lieu dans le dôme, vous savez, le dôme, le fameux dôme…
Le dôme ? lâche la pipelette d’un air de plus en plus égaré.
Oui, le dôme, le fameux dôme de la place du Manège, le nouveau musée dont les murs sont de grandes surfaces de verre en quadruple vitrage, pour la chaleur et tout ça. Le dôme quoi, le premier musée qui abritera des œuvres d’art en chairs humaines vivantes, vous voyez ce que je veux dire ?
Fred Vilain s’en veut. Ce mot, musée, il veut l’abolir, le dépoussiérer. Il voudrait le reprendre mais ce serait sans succès. Les mots lancés ne se reprennent pas. Fred a déjà essayé de les rattraper mais jamais il n’y a réussi.
Sur ce, la vendeuse commence à sangloter. Elle cherche dans un tiroir un mouchoir ou quelque chose comme ça qui ferait office et, ne trouvant rien d’autre, elle déballe un slip neuf exposé sur le premier rayon, se mouche, essuie ses larmes avec la partie renforcée (celle qui reçoit les deux bourses pour ceux qui n’auraient pas compris) et s’assoit sur un tabouret bancal, juste derrière le comptoir.
Quoi, vous n’aimez pas la culture ? Alors vous en pensez quoi de ce nœud pap ? Vous préférez une cravate, c’est ça ? Je peux comprendre pourquoi vous pleurez, c’est affligeant, ce dilemme, le choix entre un nœud pap et une cravate.
La fille, pliée en deux, la tête compressée entre les genoux, ne cesse de pleurer. Ses longs cheveux se mélangent entre les poignées des tiroirs et ses sanglots masquent la musique de la radio. Ramdam Music, une radio locale passe non-stop des chansons francophones. La Grande Sophie chante « …les fraises, sucrer les fraises, sucrer les fraises… » Fred hésite, la blondasse pleure-t-elle pour le nœud pap ou pour la cravate ? Ou alors elle s’alarme pour la Grande Sophie qui ne pige pas comment sucrer les fraises. Une jeune dame l’air distingué mais le visage soucieux entre, lâche un vague bonjour à Fred et balaie du regard le magasin. Vous êtes seul ? Où se trouve ma vendeuse ? Vous attendez là depuis longtemps ?
Fred n’a pas le temps d’ouvrir la bouche, la gérante aperçoit derrière le comptoir sa vendeuse, pliée en deux, qui verse toutes les larmes de son corps la tête plongée dans un des tiroirs.
Amélie, tu es malade ? Cours dans l’arrière-boutique, on ne se donne pas ainsi en spectacle !
La fille, le visage recouvert par le slip d’homme, court à petits pas entre les rayons et file vers l’arrière-boutique.
Veuillez l’excuser monsieur, c’est ma vendeuse. Je me suis absentée durant une demi-heure, les paperasseries, vous savez, et tout ça. En ce moment elle a des problèmes familiaux, la pauvre, c’est si difficile à gérer pour elle. Sa grand-mère, voyez-vous, sa grand-mère. Une pauvre petite vieille en perte totale d’autonomie qui pisse sur les carrelages de la cuisine jusqu’au living et qui oublie d’éteindre les plaques de cuisson. Bref, je vous ennuie avec ces détails. Et dans ces résidences aux noms si jolis, résidence du Bon Accueil, résidence du Val Joli, eh bien, les places sont très chères… et rarissimes !
Oui, je sais.
Ah, vous savez ?
Oui, je sais.
Je vous ennuie cher monsieur, vous n’en avez que faire des soucis de ma vendeuse, je me doute.
Justement, ça m’intéresse.
Ça vous intéresse ? Vous êtes bien le seul homme concerné par le sort des personnes âgées !
Oui, enfin non, je ne suis plus le seul, nous sommes plusieurs à présent. Les mouvements de foule, vous savez. Et cette grand-mère, que devient-elle dans l’histoire ?
Ah oui, la grand-mère ! Justement, vous savez, le dôme…
Oui, je sais.
Ah, vous savez ? Je disais, heuuu…
La grand-mère ?
Oui, c’est ça, j’en perds le fil de ma mémoire.
Le vieillissement, sans doute.
Vous croyez ?
Oui, c’est certain. La grand-mère ?
Ah oui, la grand-mère ! Justement, ce nouveau bâtiment, ce dôme, le tirage au sort, eh bien, loupé pour la grand-mère ! Amélie ne peut donc caser sa grand-mère. Seulement une dizaine de personnes peuvent s’installer sous ce dôme. C’est honteux quand même. Tout le monde devrait avoir le droit de regarder mourir sa grand-mère sous une immense cloche de verre. Non ?
Je m’interroge. Je réfléchis. Je pense que je préfère un pantalon et une veste mais pas forcément un costume. Et aussi un polo, vous savez, un polo à manches courtes, avec un crocodile au niveau du cœur. C’est pour l’inauguration.
L’inauguration ?
Oui, l’inauguration du dôme, place du Manège.
Ah oui, c’est vrai, l’inauguration, j’oubliais.
Après une heure de palabres et d’explications et puis ce bruit, ce bruit régulier comme un métronome, les sanglots de la petite blonde qui ne sait plus quoi faire de sa grand-mère, Fred sort de la boutique. Il se dit que c’est vrai ça, tout le monde devrait avoir le droit de regarder mourir à petits feux sa grand-mère sous une cloche de verre. C’est un droit, après tout, et pas un privilège. Dans la rue, il s’arrête devant une vitrine. Les reflets du soleil dans ces grands carreaux l’aveuglent et sous l’ombre de sa main qu’il porte en visière, Fred aperçoit une paire de baskets mauves. Très flashy, ça plaira à Phil.
Un type qui a des idées, j’aime ça. Fred, je le connais depuis, depuis combien de temps déjà ? Il me semble que je l’ai toujours connu ce Fred, voilà, c’est ça, je l’ai toujours connu. Et Fred, il a des idées plein les poches, les poches de son froque, les poches de son blouson, toutes ses poches quoi, et si son aquarium avait des poches, Fred aurait des idées dans les poches de son aquarium. Fred, c’est le magicien des idées et moi, un type qui a des idées, j’aime ça. S’il s’agit de Fred Vilain, celui qui, celui que… ? Oui, il s’agit de ce Fred-là, celui-là, c’est bien ça, oui, celui-là. Bah non, il n’est pas fou, il a des idées, voilà tout.
Fred, il m’a raconté tout de cette idée de génie, celle qui est devenue une réalité. Tu dois rien zapper, m’a-t-il dit, rien du tout. Tu promets ? Comment ? Fred ne peut pas écrire ses idées ? Écrire, oui, bien sûr qu’il peut écrire, mais disons que pour le moment, Fred est occupé. Il pense, il a des idées. Alors voilà, l’histoire de cette idée qui est devenue réalité, c’est moi qui l’écris. Aujourd’hui je me dis que, tout bien réfléchi, j’étais là, j’étais vraiment là. Les pleurs de la vendeuse blondasse, ils me chahutent encore les oreilles et pour le tirage au sort, les petits morceaux de papier avec des noms inscrits dessus, je les ai vus, oui, je les ai vus. Les petits morceaux de papier pour le tirage au sort, oui, c’est bien ça. Les jours suivants, j’étais là au milieu de la foule, devant le dôme, ça, c’est vrai, j’étais là. Et tous ces gens, je les ai entendus, oui, je les ai entendus. Bordel, ça valait le coup d’écouter leurs éclats de voix. Du vrai purin. Je vous le dis, du vrai purin.
Jamais Fred Vilain n’aurait imaginé que son idée provoquerait autant de vagues. Des vagues de contestations, vous comprenez. De nos jours, les gens ne sont contents de rien. Bah oui, de violents mouvements de foule secouent Charleroi depuis l’annonce de, de, de.... Y’a les coups de gueule de l’un ou l’autre politique jaloux de l’idée géniale de Fred, et ceux des opposants aux afficionados de la Ligue des Droits de l’homme. Y’a les responsables religieux (toutes religions confondues) qui élèvent la voix pour lancer des mots comme honte, irrespect, etc. Toutes les bonnes consciences, quoi. Voilà, les pièces sont posées, je commence le récit. Au présent de l’indicatif, vous serez donc aspiré dans l’histoire jusque dans le le le…, j’en dis pas plus.
Non, vraiment, Fred Vilain ne comprend plus rien. Entassé dans son vieux fauteuil recouvert de poils de chats (Fred aime tous les humains mais aussi tous les animaux), il sirote une tasse de café refroidi. Il regarde sans vraiment la voir cette tasse jaune vintage avec inscrites dessus, en lettres bleu marine, le mot Banania. Et le visage de cet Africain lui sourit. Pour un peu Fred lui demanderait bien ce qu’il désire boire ou manger, à cet Africain. Quand même, Fred, n’exagère pas, inutile de pousser ton humanisme jusque-là ! La gentillesse pose ses limites, parfois. Et puis, Fred est conscient que pour l’Humanité entière, il a donné. À cause de son idée, vous avez deviné. Pour lui, cette idée, c’est une idée de génie qui pour une fois colle aussi bien aux amoureux de l’Art qu’au très hermétique monde médical. Et ne nions rien, il y a tous ces petits plus qui ne sont pas négligeables. Les caisses de la ville se renflouent (mais ça, Fred n’y avait vraiment pas songé, mais alors vraiment pas) puisque les touristes commencent à remplir les hôtels, les personnes âgées voire très âgées sont mises à l’honneur et pas reléguées aux calendes grecques, et les infirmières ainsi que tous les autres prestataires de soin ne bossent plus dans l’ombre mais en pleine lumière. Tout devient donc transparent. Alléluia. D’ailleurs, quelques jours avant l’inauguration, Fred fut reçu comme un roi par le bourgmestre et son collège échevinal avec champagne brut de brut et tout le tralala dans la grande salle du premier étage, celle au parquet ciré et aux épaisses tentures de velours rouge lourdes d’évènements grandioses et autres festivités glauquesques (un adjectif qui vient de naître). Une salle réservée aux invités d’honneur, aux VIP qui contribuent au rayonnement de ce putain de Pays Noir aux quatre coins de la planète.
Alors Fred ne comprend pas. Les gens sont donc tellement ingrats. Ils râlent quand la machine remplace l’humain. Et voici un projet qui met l’humain au cœur du système et les manifs succèdent aux manifs. Savent-ils pourquoi au juste ils manifestent ? Déambulent-ils dans la ville pour le plaisir de contester ? Parce que les premiers rayons du soleil sont propices à la balade et qu’il faut sortir la famille et les petits animaux ? Parce que les journalistes sont là, brandissant leurs caméras, alors, on n’sait jamais, on pourrait être filmé et puis alors frimer devant les voisins ?
Sur la place du Manège, les travaux ont commencé depuis plusieurs semaines. C’est juste après le carnaval que les grues et les pelleteuses sont apparues, les confettis s’agglutinaient encore entre les pavés et les plus innocents pensaient que ces monstres étaient là juste pour ça, pour extraire les confettis d’entre les pavés. Vous vous rendez compte clamaient-ils ? Les politiques sont fous ! Ils galvaudent notre pognon ! Vous avez vu ces bulldozers ? Tout ça pour enlever les confettis d’entre les pavés !
Depuis, des émeutes surviennent presque chaque jour et des dizaines de policiers protègent les ouvriers et leurs matériaux. Malgré tout ce brouhaha dans son quartier, quand il rive ses yeux au-delà de sa tasse de café refroidi, Fred est content. Son idée devient une réalité. Enfin des monticules de poésies seront visibles par tous, sans aucune discrimination. Les artistes du monde entier salueront cette œuvre magistrale. L’Art pour le bien de tous ! L’Art au service de tous ! L’humain au cœur même de l’Art ! Bien sûr, il est prévu que pour les visiteurs, ceux qui veulent rentrer au sein même du site afin de pouvoir respirer tout ça à pleins poumons, les vieilles chairs, les humeurs nauséabondes et les évaporations des matières fécales et urinaires, une modeste entrée sera demandée. On ne peut pas respirer gratos cet amas de déjections corporelles. Un euro. Qu’est-ce qu’un euro de nos jours ? Pour tous les autres, ceux qui seront assis en rangs d’oignons sur les gradins installés en hémicycles concentrés tout autour du site, ce sera gratos. Du moins, pendant les premiers mois. Par la suite, les autorités trancheront, payer, pas payer, cela dépendra du succès de la manœuvre.
Pour Fred Vilain, tout cela semble limpide comme de l’eau de roche. Qu’importe les manifs, les grues, les euros. Son idée devient, voilà. Et pour Phil, la mère de Fred, c’est une chance. Phil vieillit, elle le sent bien, elle s’essouffle à chaque fois qu’elle remonte à pied, tirant son caddie à carreaux jaunes rouges et noirs (signe d’une grande belgitude), avec grande peine la rue de la Montagne vers son quartier chéri, celui de la ville haute. Et cette perspective, celle de savoir qu’elle pourrait un jour prochain s’installer sous ce, sous ce… sous ce dôme la remplit d’une joie indescriptible. Alors, Phil ne comprend pas, mais alors vraiment pas, lorsque chez Sandra, la coiffeuse, elle entend des chuchotements, des bribes de mots à peine perceptibles qu’elle devine quand même. C’est la mère de ce Fred Vilain, c’est la mère de ce Fred Vilain, ce Fred Vilain, vous savez, celui qui, celui que…
Les premiers jours, elle se redresse et sourit à toutes ces femmes, elle pense que c’est un honneur. Et puis, elle déchante lorsqu’une apprentie lui rase le crâne et s’exclame : Voilà, vous qui aimez l’exposition des chairs, les rides de votre crâne sont bien plus visibles de cette manière, voyez comme ces sillons sont jolis, et si vous voulez, je vous installe une loupe en guise de parapluie et toutes ces rides seront grossies dix mille fois, ça vous convient comme ça ? Là, Phil ne capte pas du tout le pourquoi de cette contestation. Mais alors là, vraiment pas. Les gens sont donc ingrats. Et incultes avec ça ! Ils clament aimer l’Art et vouloir déposer l’humain à l’épicentre d’un tout, et ils ventilent de l’hostilité aux premiers sursauts d’une poésie mille fois plus humaine que celle reconnue jusqu’à présent. Une poésie qui ondule de mouvements perpétuels ! Une poésie réinventée ! Avec des tentacules vers tous les autres arts, la photographie, la peinture, la littérature ! Un must ! Du jamais vu ! Du multidisciplinaire, pour reprendre une expression très mode. Et en bonus, l’humain au cœur du sujet ! Phil décide alors de narguer l’opinion publique et sur le dos de tous ses manteaux, vestes et gilets, elle coud cette phrase : Je suis la mère de Fred Vilain. Bien fait pour tous ceux qui lisent sur le dos des autres.
Place du Manège, un dôme s’érige, l’idée de Fred Vilain. Phil se réjouit. L’idée de son fils sera réelle, très bientôt. Des guerres de mots sont déclarées, qu’importe. Des vagues de chair humaine s’insurgent et se soulèvent, qu’importe. L’art, c’est l’art. Tout est poésie lorsqu’on regarde les choses de la vie avec les yeux du poète. Et Fred Vilain, c’est un poète, un vrai, un grand. Phil en est intimement persuadée. Et elle ne dit pas ça parce que Fred Vilain est son fils, non. Déjà tout petit, Fred prenait soin des vieilles chairs presque mortes, ou mortes. Phil se souvient très bien de cet oiseau aux ailes bleues retrouvé entre les muscaris et les jonquilles dans le parc Reine Astrid. Fred avait ramassé l’oiseau aux ailes bleues dont les yeux, deux perles vitreuses, viraient à vive allure vers la nécrose. Et, une fois rentré, Fred n’avait fait ni une ni deux : dans le dictionnaire, il avait cherché le mot empaillé.
Fred, tu crois pas qu’un nouveau costume, pour l’occasion ?
Pour l’occasion, m’man, quelle occasion ?
Dans deux jours, c’est l’inauguration, tu sais bien ! On ne parle que de ça !
Ah oui, l’inauguration. Oui, c’est une bonne idée ça, un nouveau costume. Une nouvelle chemise. Et un nœud pap ou une cravate, m’man, tu préfères quoi ?
Erzsébet, redevenue la petite fille qu’elle était l’espace d’une poignée de secondes, se mit à tournoyer au milieu des lapins et des écureuils, des hiboux et des faisans, des cervidés… Comme si, de nouveau, elle était heureuse.
Elle voulut ensuite pénétrer dans la maisonnette, mais la porte était fermée à clé. Alors, elle cogna. Trois petits coups. Des bruits de pas frottant sur le plancher se firent rapidement entendre. Une vieille femme au teint grisâtre, toute courbée, vint ouvrir et lui demanda d’une voix chevrotante si elle pouvait faire quelque chose pour l’aider.
– Je le crois, répondit Erzsébet, recouvrant ses esprits. Vous pouvez m’aider, j’en suis certaine.
D’un geste adroit et prompt – excessivement contrariée, il faut le souligner, par la présence d’une étrangère dans ce qu’elle considérait toujours comme sa maison –, elle brisa la nuque de la pauvre vieille qui s’écroula lourdement à ses pieds, les yeux écarquillés.
Les animaux prirent la fuite.
La meurtrière se concentra alors sur l’image de la grand-mère et prit son apparence. Ensuite, elle la souleva par les chevilles et traîna son cadavre pour le cacher sous le lit, dans la chambrette.
Il ne lui restait plus qu’à attendre le retour de cette perle d’innocence dont lui avait parlé son beau miroir magique. Elle n’attendit pas bien longtemps. Au bout d’une heure, une voix toute guillerette, en provenance de la forêt, vint tintinnabuler jusque dans ses oreilles. Elle sourit.
– C’est moi, grand-mère ! s’écria l’enfant en poussant la porte entrouverte. Je suis rentrée ! Grand-mère ? Où es-tu ?
– Dans la chambre, ma chérie ! Je me repose. Je suis une très vieille dame, tu sais. Les vieilles dames se reposent.
Erzsébet gloussa.
À l’intérieur, tout son organisme et son squelette avaient entamé une fort douloureuse modification. Mais elle devait contenir cette souffrance atroce – l’enfant pourrait fuir ! Et tout serait alors fichu !
La petite fille encapuchonnée de rouge s’inquiéta… Elle fit rapidement irruption dans la pièce.
– Viens… Viens donc à mon chevet, mon rouge-gorge, dit Erzsébet sur ce ton diaboliquement cauteleux qu’elle maîtrisait à la perfection.
L’enfant s’approcha tout doucement, l’air passablement dubitatif.
– Grand-mère… Tes oreilles ! se récria-t-elle tout à coup, ouvrant de très grands yeux.
– Mes oreilles ? ricana l’intrigante. Quelque chose ne va pas avec mes oreilles ? Qu’y a-t-il ?
– Et tes yeux ! Et tes bras ! Et ta bouche !
Erzsébet, achevant sa monstrueuse métamorphose en hyène-garou, se redressa…
– C’est pour te manger, s’exclama-t-elle.
La bête se saisit de l’innocente qui s’époumonait, figée sur place, ne pouvant, à cause de son jeune âge, comprendre cette diablerie. Mais qui aurait pu comprendre cela ?
Un dernier hurlement strident glaça le sang des animaux de la forêt tout entière. Erzsébet se repaissait de l’enfant. Elle ne laissa ni viscères ni os. La seule chose pouvant témoigner du carnage était le sang un peu partout dans la chambrette. Des touffes entières de cheveux étaient également collées dans l’hémoglobine.
Erzsébet quitta la maisonnette sous sa forme animale, la panse bien tendue et ne pouvant s’empêcher de rire de façon machiavélique. Les atrocités commises ne la touchaient plus. C’était si banal ! Elle se hâta de regagner son château et sa tour.
– Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ? demanda-t-elle une fois de plus, à nouveau humaine après une seconde transformation éprouvante, bien plus éprouvante que la première.
– Toi, Majesté ! lui garantit le miroir. Toi. Il n’y a pas le moindre doute.
Erzsébet s’approcha d’un pas mal assuré, assez fébrile. Elle contempla son reflet. La jeunesse et la beauté lui avaient été rendues. Elle semblait n’avoir que trente ans. Trente ans tout au plus. Quelle importance, finalement, si le contrat qui la liait au démon arrivait bientôt à terme ? Aucune. Elle était jeune ! Et elle était belle ! Elle se mit à danser, merveilleusement insouciante. Après quoi elle ramassa le cadavre momifié d’une ancienne servante et dansa la valse avec elle.
Un sourire radieux illuminait la perfection de son visage.
– Je suis jeune ! Je suis belle ! criait-elle. Belle. Si belle !
Elle le clama encore et encore, tourbillonnant sans se lasser. Pourquoi diable réfréner ce bonheur enfin ressuscité ? Pourquoi tempérer cette vive euphorie ? Azazel avait fait des merveilles. Ingérer cette enfant innocente lui avait fait gagner vingt ans. Vingt ans ! Elle alla se mirer. Maintes et maintes fois. La fraîcheur de son visage l’enchantait. Elle se trouvait, même, plus belle que jamais. Elle était heureuse. Tellement, incroyablement heureuse.
– Savoure tes derniers jours… grommela une voix.
C’était elle… La voix du démon qui remontait du vide abyssal, du désert des souffrances éternelles. Cette voix troublante venue de l’autre côté du miroir, là où les images sont en constante métamorphose, pour s’insinuer dans le cerveau comme des asticots dans la chair en putréfaction.
Mais Erzsébet ne l’écouta pas. Elle fit comme si elle ne l’entendait pas. Elle savourait pleinement son bonheur. Elle était au comble de la joie. Il aurait pu pleuvoir de l’acide, tout autour – elle s’en moquait !
Une semaine passa, puis deux. Un lundi, puis un mardi, un mercredi, un jeudi et, enfin, un vendredi. Erzsébet n’avait plus que deux petites journées devant elle, mais sa beauté irradiait toujours, et de plus en plus, alors que l’échéance se rapprochait inéluctablement.
Le samedi, elle pensa passer cette dernière journée dans la forêt, au milieu des arbres et des petits animaux. Peut-être, même, la nuit tout entière. Son créancier intransigeant la retrouverait n’importe où. Autant respirer de l’air pur, alors, avant de respirer des odeurs de fumées éternelles dans l’Enfer qu’il lui composerait sur mesure… Un désert infini avec pour seule compagnie des boucs malodorants, très certainement.
Le Soleil venait de se coucher. Elle était allongée au bord d’un ruisseau et appréciait le clapotis. Quel bruit délicieux ! Tout lui avait semblé délicieux, ces dernières semaines. Elle avait même réussi à oublier qu’elle n’était qu’une méprisable meurtrière obsédée par sa propre image. Un monstre ! Une sorcière !
Se sentant observée, elle se releva prestement et fit volte-face. Un homme quadragénaire se tenait là, tout près d’un arbre. Ses longs cheveux étaient noirs comme le plumage d’un corbeau et ondulés. Il arborait une moustache épaisse, mais soignée. Il n’était pas particulièrement beau, mais quelque chose, émanant de tout son être, exerçait une irrépressible attraction. Il ne s’agissait pas simplement de charisme, non – c’était bien davantage que du charisme. L’aura de cet individu était ensorcelante. Hypnotique.
– Tu es le Dragon, dit Erzsébet à mi-voix. Je t’ai déjà vu, il y a fort longtemps. C’est bien toi.
– Vous devez me confondre avec mon père, gente dame. Il est vrai que nous nous ressemblons énormément.
– Votre père ? Votre père était un assassin !!! lâcha-t-elle. Un assassin et un immonde pleutre !
– Calmez-vous… Punirez-vous le fils pour les péchés du père ? susurra-t-il, charmant et charmeur, un brin conquérant.
Erzsébet fut incapable de répondre. Et l’homme, à son insu, sondait son esprit pernicieux. Il ébaucha un sourire, voyant se profiler une opportunité inespérée de cracher au visage de Dieu.
– Je peux vous délivrer du pacte qui vous lie à Azazel, et vous vivrez éternellement… Belle à tout jamais et, surtout, jeune à tout jamais. Vous n’avez qu’à hocher la tête. Dire oui.
Erzsébet resta sans voix. L’impie la fascinait.
Elle opina. Elle ne pouvait faire que ça, opiner.
À la vitesse de l’éclair, l’homme se dirigea vers Erzsébet et la plaqua contre un arbre. Elle se laissa faire quand il posa ses lèvres sur les siennes.
Puis il y eut cette douleur moyenne, dans son cou, mais considérablement érotique. Erzsébet supplia l’homme de la pénétrer, et quand il fut en elle, elle lui demanda son nom. « Vlad », répondit-il.
Dimanche, afin de réclamer son dû, le démon tout bouffi d’orgueil se matérialisa devant Erzsébet, laquelle l’attendait avec patience, sereine, dans sa pièce autrefois secrète au faîte de la plus haute tour de son château. Ses grands airs allaient vite être balayés, ainsi que les flammes qui accompagnaient ses pas.
– Échec… et mat !!! se moqua la morte-vivante, altière et d’humeur accorte. Notre pacte est nul et non avenu. Fini ! Je ne te dois rien. Ha ha !
– Non, c’est impossible… maugréa le démon, humant Erzsébet. Comment as-tu fait ? Comment ? Ton âme, je ne la sens plus. Cela ne se peut. Personne n’est plus rusé que moi. Personne… Sinon Lucifer ! Le maître ne va pas être très content… Comment as-tu fait ? Où as-tu caché mon âme ? Où ? Elle est à moi ! Je la veux ! Comment as-tu fait, maudite sorcière ? DONNE-MOI… MON ÂME !!!
– Ton âme ? Mais… elle est déjà loin, mon très cher Azazel ! Très, très loin. Le vampire m’a fait boire son sang divin, et j’ai vaincu mon terrible ennemi, enfin ! Ô temps ! Tu l’as finalement suspendu, ton vol ! Merci à toi, Vlad !
Erzsébet éclata de rire, amusée par les joues cramoisies de son visiteur – et le rouge foncé était déjà sa couleur naturelle ! Ses pupilles, complètement dilatées, traduisaient une haine farouche. Comme bien des fois dans l’Histoire, il s’était fait posséder. Lamentablement. Par une meurtrière démente. Pire ! Par une femelle.
– Tu oses te moquer d’Azazel ? Lucifer te fera payer cette traîtrise, Erzsébet ! Tu souffriras plus qu’aucun être…
– J’ose tout ! le coupa-t-elle. Car, avec la jeunesse et la beauté, je possède tout ! Absolument tout, tu m’entends ? Maintenant, mon pauvre petit Azazel, retourne dans ton désert et va baiser tes amis les boucs !
Merci à vous d’avoir pris de votre temps pour découvrir cette version inédite d’Erzsébet. Toutes les histoires incluses dans les rééditions de mes Contes épouvantables sont soit des versions longues, soit des versions non censurées, soit les deux en même temps. Je remercie Christine Brunet de me permettre de vous faire redécouvrir mon petit univers horrifique et vous dis à bientôt.
– Mille fois, j’ai cru le tuer. Mille fois, j’ai pensé l’avoir, lui, l’ennemi implacable.J’ai vendu mon âme à ce démon, dans le désert, et j’ai sacrifié des enfants. Je me suis lavée dans leur sang…Rien n’y fait, je me meurs !Ô temps, pourquoi tant de cruauté ?Une ride, ici. Une autre, là. Mon teint s’affadit, ma fraîcheur s’en va.Je savais mes actes ignobles, mais… comprenez-moi !
Un raclement de gorge lointain se fit entendre.
– Qui se permet ? s’écria Erzsébet, exaspérée d’avoir été interrompue en plein milieu de son monologue quelque peu théâtral. Parlez ! Qui va là ? répéta-t-elle d’une voix impérieuse. Est-ce toi ?
Un froid presque polaire s’installa brusquement dans la pièce, toute ronde et remplie de vieilleries superflues : des étoffes défraîchies jetées au hasard, des fragments de parchemins illisibles, jaunis et abandonnés çà et là, ou encore des dizaines de bocaux contenant des animaux de petite taille, des cœurs, des fœtus, des yeux et Dieu seul sait quoi d’autre…
Cette pièce, autrefois secrète, se trouvait au faîte de la plus haute tour du château d’Erzsébet. Un château sinistre entièrement cerné de bois épineux et de brumes éternelles. Y pénétrer était impossible. Seule la maîtresse des lieux se souvenait de l’unique chemin sûr. Elle seule, car, dans ce château, elle était depuis longtemps la résidante exclusive. Ou presque.
– Quel est l’objet de ton tourment, ma reine ?
Erzsébet esquissa un sourire pour le moins affecté. Elle tourna la tête lentement, puis son corps suivit. D’un pas assuré, elle alla écarter deux rideaux couleur rouge sang qui masquaient un miroir suspendu. C’était de ce remarquable objet ciselé, tout en or, que s’était élevée la voix solennelle.
– Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ? demanda Erzsébet.
– Célèbre est ta beauté, Majesté. Pourtant…
– Pourtant !?! se récria la femme, terriblement offensée.
– Mais je ne puis dire que la vérité, ô reine ! Et tous tes sacrifices n’y changeront rien, je le crains, car le temps ne saurait être repoussé et repoussé encore.
Erzsébet se figea. Pourquoi, après tout, faire mine d’être indignée ? Ce que lui rapportait son miroir, elle le savait pertinemment – se baigner dans le sang des innocents était devenu parfaitement inutile. Les rides du front, les rides du lion, les pattes-d’oie, les plis du cou… Nous avons beau tricher, le temps toujours nous rattrape ! Erzsébet approchait la cinquantaine, et ses rituels barbares ne servaient plus à rien.
C’était une très belle femme, pourtant, mais plus une femme jeune. Cela, elle ne le tolérerait jamais. Non, jamais !
– Que me conseilles-tu, alors !?! Bientôt, il n’y aura plus assez d’enfants dans le village voisin. J’ai dû me résoudre à sacrifier mes propres serviteurs… Les bains de sang ne marchent plus, et ce maudit château est vide. Vide !
– Il y a peut-être quelque chose à faire, Majesté… dit le miroir. Quelque chose d’épouvantable, oui.
– Quelque chose d’épouvantable ? Quoi donc ? Parle !
– Il y a une jeune fille, au fin fond de la forêt. Une jeune fille sage… Toujours de rouge, elle est vêtue.
– Et après ?… Explique-toi !
– Cette enfant est l’archétype même de l’innocence, ô ma reine. Peut-être que son sang te permettrait de rester belle et fraîche jusqu’à l’échéance. Peut-être, oui… Car c’est bien ce que ton cœur désire plus que tout au monde… N’est-il point vrai, Erzsébet ?
– Oui, persifla la femme. Oui… Où trouver cette enfant ? Montre-moi ! Montre-moi, miroir magique ! Vite !!!
La surface du verre poli commença à se brouiller. Une image se dessina, se faisant plus nette, peu à peu.
– Ici… dit la voix dans le miroir. Et tu le connais, cet endroit, Majesté. Tu le connais très bien…
– Plus que bien, en effet… acquiesça Erzsébet. C’est en plein cœur de la forêt, tout près de la maisonnette où vivait mère-grand. Je n’étais encore qu’une toute petite fille quand le Dragon a surgi. (Elle s’arrêta un instant, comme si elle se retrouvait prisonnière du passé.) Le Diable ! explosa-t-elle tout à coup.
– Que comptes-tu faire, ma reine ?
– Je te l’ai dit ! Les bains de sang ne marchent plus, et le contrat arrive à échéance. Il est plus que temps !
– Temps pour faire quoi ? Si je puis me permettre.
– Pour faire quoi ? Mais pour renégocier avec le démon, pauvre fou ! Et maintenant, transporte-moi !
Erzsébet effleura le verre. Aussitôt, elle fut aspirée à l’intérieur de son miroir magique.
Il faisait noir – difficile de distinguer la moindre petite créature dans cette purée de pois –, il faisait froid. Mais pas plus froid que dans la pièce glaciale d’où elle venait, en vérité. Elle se retourna. La fine couche de tain du miroir semblait onduler, comme la surface de la mer quand elle n’est que peu agitée.
Bien des années auparavant, elle l’avait déjà entendue, cette voix. Elle ne s’était nullement altérée. C’était toujours la même, étrange, profonde et séductrice. Elle l’aurait reconnue entre mille, avec l’assurance de ne point se tromper.
En moins d’une minute, l’endroit devint plus clair. Ce n’était pas la pièce derrière le miroir – la pièce inversée –, mais était-ce la pièce d’un quelconque château, d’ailleurs ? Quel était ce décor fantasmagorique ? Elle ne connaissait pas ce lieu. Quand le pacte fut conclu, ce n’était pas ici, mais en plein désert. Ici, Erzsébet se tenait sur un damier gigantesque, lequel était gravé sur la souche d’un arbre gigantesque – un séquoia, probablement. C’était tout ce qu’elle pouvait voir. C’était tout ce qui n’était pas enténébré – les murs, s’il y avait des murs, restaient invisibles à ses yeux. Au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, il n’y avait que du brouillard. Et un amas vaporeux et opaque au zénith.
À l’autre bout de l’échiquier, assis sur un trône en bois sculpté entremêlé d’ossements d’animaux, souriait le roi. Deux boucs l’entouraient, et il caressait leur tête.
– Erzsébet, reprit-il. Que viens-tu faire dans mon antre ? Que viens-tu faire… déjà dans mon antre, devrais-je dire ? (Il se mit à ricaner.)
– Je vous reconnais, dit-elle, ne cillant point. Vous êtes le même que dans mes souvenirs. Exactement le même monstre, sans vouloir être offensante.
Comme par magie, l’être disparut, puis se matérialisa devant l’intruse à l’ironie bien mal placée. Elle n’eut aucun sursaut. Avec tous les crimes odieux qu’elle avait commis, il lui en faudrait beaucoup plus pour être intimidée. Beaucoup, beaucoup plus…
– Monstre !?! Mais, de nous deux, c’est toi, Erzsébet, le véritable monstre… Alors, que se passe-t-il ? Tu n’es pas satisfaite de mon cadeau ? Serait-ce la raison de ta présence en ces lieux ? s’enquit le sinistre personnage aux cheveux noirs, aux pupilles de chat et à la peau cramoisie. (Il était, néanmoins, très étrangement séduisant.)
– Les bains de sang, ils ne m’apportent plus la jeunesse ! clama Erzsébet. Ils ne me servent plus à rien… Aidez-moi, je vous en prie. J’ai besoin de plus !
– De plus ? Mais notre pacte était clair, ma douce… Une dizaine d’années à rester fraîche, grâce au sang. Et l’heure de me céder ton âme immortelle approche à pas de géant. Tic-tac… Tic-tac… Tic-tac !
– Mais je veux rester jeune ! Et je veux rester belle !
– Et à quoi te servira la beauté ? De quelque façon que ce soit, tu rejoindras bientôt ma merveilleuse collection d’âmes humaines !
Erzsébet n’entendait rien. Il lui restait quelques semaines avant de perdre son âme – elle ne faisait que réclamer son dû !
– À moins d’avoir mal compris les termes de notre pacte, ne m’aviez-vous pas promis jeunesse et beauté dix années durant ?
– C’est vrai… marmonna la créature sur un ton empreint d’exaspération. Et ?…
– Et trouvez-vous réellement que j’ai l’air jeune !?! J’ai droit à mes dernières semaines ! J’y ai droit ! Faites quelque chose, je vous en conjure.
– Ah ! La grande, la vaniteuse Erzsébet qui demande à genoux l’aide d’Azazel. Soit ! Qu’attends-tu exactement de moi ? demanda le démon. Mais ne quémande surtout pas une année de plus ou je te transforme en bouc sur-le-champ ! Ainsi, tous tes ridicules petits problèmes seraient résolus.
– Eh bien, il y a, paraît-il, une enfant, dans la forêt. On dit qu’elle serait l’innocence incarnée, répondit-elle. Le sang, sur ma peau, n’aura aucun effet régénérateur, mais si je pouvais me métamorphoser… Si je pouvais la manger !
Le démon, devinant déjà ce qu’il allait accomplir, éclata de rire. Ses yeux de chat se mirent à étinceler. Il se sentait d’humeur à accomplir le plus tordu des miracles. Ce serait son chef-d’œuvre. Son maître serait satisfait.
– Ce que tu me demandes est un brin abscons… mais je pense pouvoir improviser un petit quelque chose.
Après avoir murmuré : « À bientôt, très chère ! » sur un ton goguenard, le démon claqua des doigts, et Erzsébet se retrouva aussitôt dans la forêt, à quelques mètres à peine de l’ancienne maison de feu sa mère-grand.
Curieusement, l’endroit était resté coquet. Comme dans ses souvenirs – enfouis au plus profond, sous une épaisse couche d’amertume et de cruauté –, c’était vert, très fleuri, avec des arbres majestueux qui semblaient caresser le ciel. Sur leurs branches, il y avait des oiseaux multicolores qui gazouillaient. Des animaux mignons gambadaient de-ci de-là, gaiement, comme pour célébrer la splendeur de la vie.
Ses influences littéraires vont d’Edgar Allan Poe à Oscar Wilde, en passant par Graham Masterton, Stephen King et surtout Anne Rice. C’est la découverte du roman Entretien avec un vampire qui le décida à devenir un auteur publié, qui fit naître le besoin d’un partage avec Le Lecteur.
Employé de bureau, puis vendeur, il attend son heure et jamais n’abandonne sa passion de toujours : le fantastique.
Le 16 juin 2006, il présente sa propre pièce de théâtre sur scène, financée par le Conseil général de son département.
Auteur du roman Les Métamorphoses de Julian Kolovos (Éditions Chloé des Lys), de sa suite à paraître, La Chute de Julian Kolovos, il nous propose aujourd’hui une réédition en deux volumes illustrés, avec des histoires inédites, des versions longues et non censurées, de ses déjà terribles Contes épouvantables et Fables fantastiques…
RÉSUMÉ
JOE VALESKA griffonne sa toute première histoire à quatorze ans : La Chaise, une métafiction qui demeurait, depuis, dans un tiroir de l’auteur. Son sujet : le harcèlement au collège. Mais La Chaise dépasse le cadre de l’autoréférentiel en nous plongeant dans l’ambiance jouissive d’un film d’horreur très « eighties ». L’auteur nous propose aussi un conte de fées réinventé, Héroïque Fantaisie, ainsi qu’une version non censurée de sa nouvelle Le Forain. Du freak narcissique à l’enquête policière cauchemardesque, en passant par les créatures classiques de l’épouvante et les terreurs ancestrales, laissez-vous donc griser par ces montagnes russes de suspense et d’ignominie.
EXTRAIT
Anthony, assis dans la salle commune de l’hôpital, avait les yeux bien ouverts, mais il ne regardait rien en particulier. Il ne bougeait pas. Il ne bougeait plus trop. Il n’était point cataleptique, mais prisonnier d’un profond mutisme, et ce, depuis des mois. Presque une année entière. Nous étions en 2012.
Devant lui, sur la table, étaient posés un jeu de Uno et un très beau livre de contes intitulé « Héroïques Fantaisies ».
– Bonjour, Anthony, essaya le Dr. Gray, sans réellement attendre une réponse. Anthony est notre célébrité, infirmière Darville. Avant d’être interné à Carroll, il était écrivain de littérature de jeunesse. Un excellent écrivain, qui plus est. Contrairement à certains de nos résidents, Anthony n’a jamais posé le moindre petit problème. Il ne dit jamais rien, mais je devrais plutôt dire : il ne dit plus rien. C’est une bien triste histoire, en vérité, infirmière… Ses deux parents, disparus lors d’une ascension, ont été retrouvés morts de froid dans le massif du Mont-Blanc, et Monsieur David, Anthony, a complètement craqué. Pauvre homme… Il a tenté de se tuer en voiture, mais il n’a réussi qu’à tuer un cheval égaré, puis il a commencé à se faire du mal. Beaucoup de mal… C’est ainsi qu’il s’est finalement retrouvé à Carroll. Quand on l’a amené ici, il a prétendu se nommer « Andros » et être le prince du royaume de je ne sais quoi, marié à la fée « Ivy ». Ces personnages, ce sont les personnages de son livre de contes que vous voyez là… Depuis, il ne parle plus. Il est prisonnier dans son esprit, dans cet univers fantastique qu’il a lui-même créé. Si jamais vous vouliez le voir sourire, lisez-lui ses histoires. Il ne réagit, façon de parler, qu’à l’évocation de ses personnages. Sinon, c’est comme s’il était déjà mort, le pauvre homme…