Je termine à l’instant le dernier roman de Rolande Michel, qui nous décrit la vie quotidienne d’un couple, description qui, au fil des pages, se transforme en une véritable descente aux enfers. Quoi de plus banal et de plus normal, quand on est une jeune fille un peu naïve, de rêver au prince charmant ? Quand en plus on est issue d’un milieu pauvre, ce fameux prince prend souvent les traits d’un garçon appartenant à un autre milieu, plus aisé, plus cultivé, plus civilisé, moins rustre.
D’un autre côté, quand on est un jeune ingénieur à l’avenir prometteur, rien de plus normal non plus que de trouver séduisante la jolie jeune fille qui travaille dans la librairie où il vient commander une revue littéraire. C’est une petite librairie et la revue ne s’y trouve pas. La vendeuse, visiblement, n’en connaissait même pas l’existence. Mais elle est si jolie ! Alors, il revient, une fois, deux fois. Et puis l’histoire commence, comme un conte de fées.
Il y a d’abord un premier rendez-vous, intimidant pour tous les deux (il faut plaire, ne pas décevoir). Puis une relation commence, un « nous » magique surgit chez ces deux solitaires. Pour elle, perdue dans un quartier populaire et qui aurait bien voulu en sortir car elle se sentait différente, c’est une occasion inespérée. Quant à lui, surchargé de travail à l’usine où il travaille comme chef de projets, il n’avait pas encore remarqué jusque-là que passer du temps auprès d’une jeune fille donnait à la vie un tout autre sens. Les voilà donc heureux tous les deux et très contents d’être ensemble.
Mais il y a les autres, la famille, les voisins. Sarah a peur de présenter à ses parents un peu frustres ce jeune homme si bien sous tous rapports. Que va-t-il penser d’eux (et donc d’elle) ? Heureusement tout se passe bien et amoureux comme il est, il ne trouve rien à redire. Il faut alors aller rencontrer sa famille à lui. C’est un autre milieu, cultivé. Assez mal à l’aise quand on lui pose des questions sur la littérature ou le cinéma, Sarah parvient à s’en sortir en donnant des réponses fort vagues. Ouf ! elle a réussi son examen d’entrée.
Voilà le décor planté. La suite est bien différente et on ne va pas la raconter ici. Le bel ingénieur, qui voyage beaucoup pour son travail, rencontre une autre femme, autrement plus intéressante et cultivée que Sarah. Il se rend compte alors qu’il n’a rien à dire à cette dernière. Certes elle est très belle, mais cela s’arrête là. Il décide de rompre quand elle lui annonce qu’elle est enceinte. Il n’a plus le choix. Dans son milieu à lui, on assume ses responsabilités. Les voilà donc mariés pour le meilleur et pour le pire. Surtout pour le pire car ils n’ont rien à se dire. L’enfant est mort à la naissance, laissant le couple face à lui-même. Lui se noie dans le travail, tandis qu’elle, désœuvrée à la maison, sombre petit à petit dans l’alcoolisme. Les années passent, toutes identiques et désespérantes. C’est à peine si Sarah croise encore son mari à la maison. Ou bien il est en mission à l’étranger, ou bien il rentre très tard.
Cette descente vertigineuse dans l’enfer d’un quotidien morbide et désespérant, l’auteur nous la dépeint admirablement. D’une plume allègre, qui ne s’arrête jamais, elle nous entraîne dans les différents cercles de cet univers dantesque. Quand il referme livre, le lecteur se dit qu’il a bien de la chance de ne pas mener la même vie que Sarah. Mais il se dit aussi que sa vie quotidienne à lui est tout de même parfois un peu morne et qu’elle ne correspond pas toujours à ce qu’il aurait pu imaginer autrefois. Alors ? Ne serait-il pas temps pour lui de se ressaisir ? Oui bien sûr. Mais qu’il fasse attention aux princes charmants ou aux femmes trop belles.
À peine croyable, malgré l’évidence. Là, on n’était plus au cinéma. Non, non… Ils arrivaient vraiment ! Un truc bizarre en orbite, d’étranges avions furtifs survolant à toute vitesse les principales agglomérations de la planète, ça n’avait rien d’une galéjade et ça foutait salement les jetons…
L’incrédulité avait pourtant été de mise au tout début, avec ces drôles de messages transmis en boucle par leur vaisseau et relayés par toutes les chaînes de télé et de radio. Des messages rassurants, amicaux, diffusés dans des versions vieillies de toutes les langues du monde.
Passé l’effet de surprise, le président Matron avait pris fermement les choses en mains. Il s’était adressé aux Français dans un discours solennel d’où il ressortait qu’en tant que futur dirigeant du futur gouvernement mondial - rien de moins - il avait déjà pris contact avec les étrangers, au nom des peuples de la Terre.
Bien qu’un peu sceptiques car habitués aux déclarations jupitériennes du personnage, ses auditeurs, admirateurs et détracteurs confondus, durent bien se rendre à l’évidence lorsqu’il apparut qu’une délégation des ces nouveaux arrivants était bel et bien attendue à l’Élysée.
Ce jour-là, Matron et Lastex, son Premier ministre, se tenaient debout derrière une des hautes fenêtres du premier étage de l’ancien hôtel particulier de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, surveillant discrètement la pelouse du palais de l’Élysée où devait avoir lieu l’atterrissage de l’engin amenant les plénipotentiaires.
Lastex ôta ses lunettes et, histoire de dissimuler sa nervosité, entreprit de les nettoyer consciencieusement tout en se tournant vers Matron.
« Heu… ne devrions-nous pas descendre afin d’être prêts à les accueillir ? » suggéra-t-il prudemment.
« Tu plaisantes ? » s’étonna sincèrement le président en pointant un menton autoritaire. « Attendons plutôt qu’ils arrivent et laissons-les mijoter un peu pendant que quelques sous-fifres leur annonceront que je m’apprête à les recevoir !
- Ah… Oui, oui, bien sûr ! Mais peut-être qu’alors, un ou deux sénateurs, même si le Sénat n’a pas été consulté…
- Ah là, c’est carrément de l’humour ! s’esclaffa Matron. Je n’allais quand même pas leur demander leur avis ? Pourquoi pas l’Assemblée nationale, tant que tu y es ? »
Puis ils s’interrompirent en entendant un sifflement allant crescendo. Lastex replaça ses lunettes sur son nez et pointa du doigt une espèce de gros ballon qui, décélérant rapidement, se posa ensuite lentement au milieu des jardins.
Les membres du comité d’accueil réduit s’approchèrent prudemment de la grosse boule opaque posée sur ses quatre pieds articulés. Le président et son Premier ministre, quant à eux, retinrent leur souffle pendant qu’une porte s’ouvrait toute grande sur un côté du bizarre engin.
Ils n’en crurent d’abord pas leurs yeux en voyant débarquer des personnages empanachés et portant perruque, à la démarche lente et majestueuse, et dont l’accoutrement les désignait comme arrivant tout droit de l’époque de Louis XIV !
Lastex, estomaqué, bouche bée, demeurait subjugué par la toilette des femmes, leurs coiffures d’une incroyable excentricité, leurs longues jupes de brocarts d’or surchargées de dentelles et de passementeries.
Matron, de son côté, au comble de l’incrédulité, n’arrêtait pas de secouer la tête en observant les chapeaux à plumes des hommes, leurs jabots de dentelles, pourpoints, baudriers, hauts-de-chausses et bas de soie. Des gens de cour avançant cérémonieusement, un pas après l’autre, dans leurs souliers à talons garnis de rubans.
Reprenant peu à peu ses esprits, il se tourna vers son Premier ministre.
« Tu crois que ces cons pourraient être venus de si loin pour se foutre de nos gueules ? » demanda-t-il d’une voix où perçaient la frustration et la colère.
« Vous m’en demandez trop, monsieur le président… » répondit Lastex, ennuyé. « Qui oserait ? Oui, qui oserait faire preuve d’une telle inconvenance à votre égard ? Même originaire d’une autre planète ? Non, inimaginable, ce serait aller trop loin…
- Descendons tout de suite voir de près ces rigolos ! » décida Matron en bombant le torse.
En les apercevant au bas du perron, un de ces loufoques personnages, sans doute le chef de la délégation, s’avança en martelant le sol de sa canne à pommeau d’argent et, arrivé devant les deux hommes, s’inclina respectueusement en ôtant et agitant largement son chapeau.
« Je me fais une grande joy de connoistre enfin Vostre Majesté que je salue très humblement ! » déclara-t-il avec emphase. « Et je vous dirai, s’il Luy plaist de m’entendre, mon admiration pour Sa très grande Gloire et la forte implication qu’Elle donne aux affaires de son Estat… »
Matron, ébahi quoique flatté, se pencha à l’oreille de Lastex.
« Qu’est-ce que c’est que ce galimatias ? Et ce putain d’accent du terroir ? » chuchota-t-il. Puis, d’une voix autoritaire : « Qu’on aille me chercher la ministre de la Culture !
- Je suis là, je suis là, Sire, heu… monsieur le président ! » répondit Rosine Batelot qui se trouvait justement derrière eux. « Permettez-moi de vous aider… »
Un dialogue s’établit alors rapidement en vieux français entre la ministre de la Culture et ces extravagants visiteurs, dialogue d’où il ressortit très vite que ces derniers étaient tout aussi surpris et gênés que l’était le locataire potentiellement à vie de l’Élysée.
Et l’on commença à subodorer l’alpha et l’oméga de toute cette histoire lorsque Rosine Batelot expliqua que ces humanoïdes incroyablement évolués avaient capté par hasard, depuis leur propre planète, des images de la vie sur Terre au dix-septième siècle...
« Comment ça ? Comment ont-ils pu recevoir ces images alors que la télé n’était pas encore inventée ? » fit judicieusement observer Matron à qui on ne racontait pas de faribole.
« Ils n’utilisent pas les ondes radio. Les ondes lumineuses leur suffisent, et elles se diffusent partout à la vitesse que l’on sait. Ce qui fait que, plus on regarde loin dans l’espace, plus on regarde loin dans le temps, Votre Excellence, heu… monsieur le président ! » précisa la ministre qui avait de la culture.
« Mais les éléments sonores, hein ? Le son, quoi !
- Des techniques incroyablement élaborées leur auraient permis de le reconstituer et d’apprendre ainsi, entre autres langues, le français de l’époque ! »
Elle fit signe à Varan, le ministre de la Santé qui se pointait avec un masque sur le nez, de ne pas l’interrompre, comme il en manifestait visiblement l’intention.
« Puis, décidant alors d’une petite visite pour achever de satisfaire leur curiosité, poursuivit-elle, ils se sont tout naturellement vêtus à la mode de nos ancêtres avant d’embarquer pour un voyage assez rapide via ce qu’ils ont appelé une torsion de l’espace, ou un truc comme ça. Bon, là, je n’ai pas tout compris… Mais les choses avaient évidemment un peu changé chez nous entre-temps !
- Un trou de ver… » intervint Lastex sur un ton pontifiant. « Votre torsion de l’espace, on appelle ça un trou de ver !
- Si vous voulez… » répondit Rosine, un peu vexée.
« En tout cas, trou de ver ou chas d’une aiguille, ils sont là et bien là, avec leurs plumes et leurs fanfreluches ! s’énerva un peu Matron. On en fait quoi, maintenant ? »
Varan, tirant sur son masque, s’approcha.
« Attention, monsieur le président… Sont-ils au moins vaccinés ?
- Ah, vous, foutez-moi la paix avec vos conneries, hein ! Il y a gros à parier qu’ils n’ont pas besoin de vos conseils…
« Alors, si j’osais vous suggérer, monsieur le président…
- Ouais, enfin, vos suggestions, jusqu’à maintenant… » répondit Matron avec un haussement d’épaules. « Mais allez-y quand même…
- Vous avez compris que ces gens voyagent incroyablement vite… Alors, pour assurer définitivement votre réélection, imaginez une seconde que vous, entre tous les chefs d’État, soyez officiellement invité sur cette planète éloignée ! Tenez, si ça se trouve, vous pourriez peut-être faire l’aller-retour dans la journée !
- Je crois discerner où vous voulez en venir, mon petit Varan… » répondit Matron en se caressant le menton, soudain intéressé.
Les négociations ne durèrent pas longtemps et Matron, le port royal, accompagné de sa petite troupe de courtisans extra-terrestres, monta à bord de l’engin qui décolla et… ne revint pas.
Ce qui explique aujourd’hui la soudaine disponibilité, pour un nouveau candidat, du trône de l’Élysée.
Fendant les sombres flots de mers enténébrées Vos arches franchissaient des gouffres insondables Et vos regards hautains embrassaient des nuées De mondes décadents et de peuples minables, Quand, jaillissant d’un pli de l’espace et du temps Dans notre ciel piqué de fleurs d’éternité, Soudain resplendissants, vos vaisseaux arrogants Battirent le rappel des nations apeurées.
Échoués sur nos grèves, naufragés comme Ulysse Dont la nef éprouvée par des remous furieux Avait été jetée dans de vastes abysses, Démiurges ombrageux, géants talentueux, Vous veniez nous conter le spectacle dantesque D’astres étincelants dans leurs limbes fumeuses, Lançant leurs langues d’or, en folles arabesques, Pour noyer de lumière d’opaques nébuleuses…
Vous aviez contemplé du haut de votre ennui, Par delà Capella, au large d’Orion, Ce rougeoyant creuset, dans un coin de nos nuits, Concoctant la folie des civilisations, Les stellaires beautés qui cachent la laideur Des foyers moribonds, des soleils rabougris Qui s’enfoncent sans fin dans des fosses d’horreur Où errent à jamais les mondes engloutis.
Puis, vos voiles gonflées d’un vent mystérieux, La proue de vos croiseurs tournée vers d’autres ports, Repoussant, méprisants, nos prêtres obséquieux, Vos cyniques adieux scellèrent notre sort Quand, sourds à nos soupirs, votre dédain profond Imprima dans nos âmes un amour frelaté, Et l’atroce amertume du mortel abandon D’un cosmos déserté par nos divinités.
Dominant les vallées, tutoyant les nuages, Depuis, toujours plus haut, nos vaniteuses tours Grimpèrent à l’assaut du récurrent mirage De ces fanaux lointains qui nous fuyaient toujours. Juchés sur le sommet d’immenses pyramides Nous durcîmes nos cœurs en de vains sacrifices, Crucifiant à jamais, sous les cieux impavides, Les fils de nos filles, les filles de nos fils.
C'était un lundi d'été, de la fenêtre de sa chambre, Véronique observait la piscine de la maison voisine lorsqu'elle remarqua sur une grande partie de sa surface des sortes de longs rubans verts et des formes ovales d'un vert un peu plus soutenu. "Ils ont encore fait la fête, pensa-t-elle. Et voilà que l'on retrouve ici et là des serpentins et des gros confettis verts. Jusqu'où iront-ils dans leur négligence ? Pourquoi n'avaient-ils pas recouvert leur piscine comme ils le font quand ils reçoivent des gens accompagnés de bambins ?"
"C'est quand même bizarre que je n'aie rien entendu", constata-t-elle après un bon moment de réflexion. "Après tout ce n'est sans doute pas aussi grave que je l'estime. Je n'évalue sans doute pas correctement le problème. Ils ont encore voulu faire dans l'originalité. Il suffira peut-être qu'ils tirent sur des fils que ma vue trop imprécise ne me permet pas de distinguer pour enlever tout ça. Mon début de cataracte me joue probablement encore un vilain tour", finit-elle par conclure, choisissant de ne pas s'enliser dans des réflexions stériles et de passer à autre chose.
Véronique avait près de quatre-vingts ans et elle était veuve. Elle n'appréciait guère ses voisins. Ils n'avaient pas du tout le même mode de vie que le sien. Ils étaient jeunes, désinvoltes, bruyants. Ils garaient leur voiture devant sa propriété, même devant son garage. Ils déposaient leurs poubelles sur le trottoir d'en face. Ils laissaient leur chat s'installer où bon lui semblait dans son jardin ou sur sa terrasse sans jamais tenter de le rappeler. Leur chat avait ainsi déjà cassé des verres restés sur la table de la terrasse.
Véronique ferma la fenêtre et partit se balader le long de la rivière située à quelques kilomètres de chez elle avec l'intention de prendre des photos. Arrivée sur le chemin de halage, elle s'étonna de voir les mêmes rubans verts que ceux qu'elle avait observés chez ses voisins. Certains se trouvaient sur l'eau, d'autres sur les berges. À cet endroit, il ne pouvait être question de serpentins et de confettis lancés par les voisins et encore moins de motifs décoratifs. Quant à son problème de vue, comment aurait-il pu occasionner une déformation de sa perception de cet environnement sans avoir eu d'incidence sur celle des jardins et des péniches ?
Les hypothèses affluèrent des plus loufoques aux plus probables ! Avait-on affaire aux retombées d'incivilités en rapport avec le cortège folklorique du week-end, à une pollution liée à l'utilisation d'engrais, à un sabotage orchestré par un groupuscule quelconque ou à une façon d'interpeller d'écologistes originaux ?
Malgré la chaleur, Véronique se mit à frissonner lorsqu'elle constata qu'il y avait des traces vertes sur le cuir blanc de ses baskets… Ces baskets, il était certain qu'elle ne les enlèverait qu'avoir avoir passé des gants, qu'elle les emballerait ensuite dans du papier journal avant de les placer dans un sac poubelle ou mieux qu'elle les brûlerait…
Véronique prit peur et resta perplexe. Elle ferma les yeux. Elle imagina qu'une pellicule verte recouvrait les trottoirs, les pièces d'eau, les fontaines, les boulevards de la ville toute proche. Elle se représenta les toits parés d'un tapis végétal vert. C'était une catastrophe !
Quand elle rouvrit les yeux, il lui sembla que les rubans verts avançaient tels des serpents et que les formes ovales gonflaient. Elle voulut prendre des photos, mais elle n'y parvint pas tant elle tremblait.
Elle aurait souhaité crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Surtout ne pas rester là, exposée à ces choses qu'elle n'arrivait pas à nommer. Surtout s'abstenir de toucher une seule de ces choses !
Prenant le risque de tomber, Véronique pressa le pas pour rentrer au plus vite chez elle.
Sitôt franchi le seuil de sa villa, elle se brancha sur la radio régionale. On y alertait les auditeurs à propos de la prolifération d'algues vertes. Ce phénomène était supposé consécutif au retour dans la région d'une troupe de scouts partie en vacances dans une cité balnéaire d'un pays limitrophe. Selon le journaliste, la cité balnéaire dont il était question avait été aux prises avec le phénomène dès la fin du printemps. Les autorités communales y avaient adopté des mesures strictes pour évacuer des tonnes d'algues et obligeaient le personnel à revêtir une combinaison et un masque protecteurs pour s'en approcher. On évoquait la conséquence d'imprudences répétées d'adolescents ayant franchi une zone pourtant devenue interdite d'accès au public. Par ailleurs, on pouvait aisément localiser les territoires où habitaient les scouts incriminés, car ceux-ci étaient à première analyse tous plus ou moins contaminés.
En s'informant un peu, Véronique apprit que ses jeunes voisins avaient des parents parmi ces scouts.
Le jour même, tous les journaux télévisés, tous les bulletins d'information des radios nationales, toutes les gazettes en ligne évoquaient le phénomène. Les réseaux sociaux s'emballaient. Les suppositions étaient aussi nombreuses que variées.
Le lendemain, toute une équipe d'hommes harnachés comme des cosmonautes nettoya la piscine des voisins.
Bientôt, on évoqua la présence de ces algues à d'autres endroits dans le pays et dans d'autres pays voisins. Cette apparition n'avait plus guère de limites.
Pour Véronique, il s’agissait bel et bien d’une invasion. Entendre ou lire sur la toile les propos de journalistes et de scientifiques à ce sujet la rendait comme folle. Elle aurait voulu échapper à tout cela en s'abandonnant à un long, très long au sommeil même si ses sommeils n'étaient désormais plus peuplés que de cauchemars. Dans ses rêves, elle se voyait habillée d'algues, se nourrissant d'algues, vomissant des algues, marchant sur des algues, tombant sur des algues. Un jour, d'un geste, en absorbant juste une pilule, Véronique mit fin non pas à l'invasion d'espaces par les algues, mais à l'invasion de sa tête et de son cœur.
Jirons, l’élu, intégra l’impulsion du vaisseau. Il s’accroupit et d’un geste vif (parce que le temps basculait), il souleva la grille phosphorescente, celle du laborultima. Il descendit alors à toute vitesse (parce que le temps basculait), les cent quarante-quatre marches. En hyperconscience, il décrocha et enfila sa combinyloxygénérante en ayant soin de ne pas la déchirer (parce que le temps basculait) car c’était un modèle unique tissé pour ce jour J. Derrière lui, des forêts alanguinaires, des champs de blémarites, des étangs visqueux sur lesquelles surnagent des blobs et de vastes terres grippavores asséchées depuis la dernière nuclitorffe. Ensuite il plongea dans le liquide tiède et bleuté qui tourbillonnait vivement à cette heure tardilunaire. Jirons, l’élu, était de plus en plus excité car depuis le temps qu'il attendait ce jour J et cet instant XYA, il n'y croyait plus (et aussi parce que le temps basculait). C'était gravé pourtant dans chaque écran et à chaque quadrilunaire, ça clignotait au dimillième, aveuglant même les derniers unisextérilisables. Donc l'instant XYA, pour Jirons, l’élu, c'était une ascendation qui devait surgir absolument (parce que le temps basculait) d’un moment quadrilunaire à l’autre.
Après une dizanane de suositez et toujours en état d’hyperconscience, il était debout devant la Grotalib. Il appuya la paume de sa main droite contre un amaglandé de codes hyéroglyphés et un anneau de la Grotalib lui souffla son nom, Jirons donc, l’élu, et lui instilla « in sangui veritas » une autorisation pour pénétrer dans l’allée centrale (parce que le temps basculait) d’où s’innervaient les labyrinthes bunkèrisés qui alimentaient le dodécagynécée.
Une fois propulsé dans l’épicentre de l’allée centrale, il souleva son bras droit et renversa sa main droite de façon à ce que sa paume reçoive les rayons omégastrom et que la séquence alpha du processus démarre (parce que le temps basculait). Une terrible détonation se fit alors entendre et des fumées s’échappèrent des labyrinthes bunkérisés. Des bruits sourds ne cessaient d’atteindre les tympans de Jirons, l’élu. Celui-ci s’écroula et son corps entier se fondit dans les mailles serrées de sa combinyloxygénérante.
Douze créatures apparurent, se libérant entre elles des algues et des champignons polypores qui les maintenaient en survie. La plus grande d’entre elles ramassa la combinyloxygénérante et l’accrocha à une exostose d’une des parois qui entourait la tribu terrienne (parce que le temps basculait).
La Grotalib s’ouvrit par le dessus et on vit dans le ciel rougeâtre une sphère phosphorescente qui s’approchait, c’était le vaisseau dans lequel treize créatures extraterrestres attendaient depuis des lames-lumières cet instant XYA.
L’histoire d’un nouveau monde pouvait commencer. Parce que le temps basculerait bientôt.
Aurélien regarde ses champs. Le froment a bien poussé cette année : il y a eu de la pluie ou du soleil, juste quand il fallait. Il a rarement connu une si bonne alternance climatique. De quoi se réjouir, d’autant que le prix des semences a bien augmenté cette année, vu la conjoncture.
Il a le cœur voilé, pourtant. Pas parce que Marion sa femme est à nouveau malade, cela il s’y est habitué, depuis les années, elle ne supporte pas les variations de températures, qui n’ont cessé de s’accentuer. Au début, ce fut difficile de tenir la ferme sans elle, mais les enfants ont grandi et ils lui sont d’une aide appréciable ; ils ont hérité de sa vigueur, Dieu merci.
Il passe la main sur les grains, dans quelques jours il pourra moissonner, ils seront à maturité. Il doit encore un peu attendre, avec le blé il ne faut pas anticiper.
En écoutant la radio, il a eu un gros coup de blues. D’ordinaire, les secousses du monde et de son pays l’indiffèrent, il a bien trop à faire avec les bêtes et les cultures. Mais là, c’est autre chose.
On annonce qu’en Sibérie, les criquets ont proliféré, fin de saison. Ce sont des mutants, des criquets géants, qui se reproduisent à répétition. Avec la chaleur qu’il fait là-bas (42 degrés de moyenne ce mois) et l’humidité provenant de l’évaporation de surface du Lac Baïkal, ces insectes se sont multipliés. Une estimation prudente des autorités russes chiffre à plus de sept cents milliards le nombre de ces insectes. Ils ont tout ravagé en Sibérie et poussés par un désastreux vent d’est, ils ont déjà traversé le Kazakhstan et sont entrés en Ukraine. Ils auront de quoi s’occuper dans le grenier de l’Europe, mais leur voracité est insatiable : plus ils mangent, plus ils grossissent, plus ils grossissent, plus ils mangent.
On redoute qu’ils viennent par ici et si ça arrive, ce sera fichu pour ses récoltes, les criquets vont tout bouffer. Ses voisins partagent ses appréhensions. S’il pouvait, il mettrait bien du pesticide, mais depuis quelques années, c’est interdit, le bio est devenu obligatoire. Les amendes en cas d’infraction sont trop salées pour s’y risquer. Il en a marre de tous ces écolos !
Il va se coucher, il n’y a rien à faire, de toute manière. On verra ça demain. Marion est déjà au lit, endormie, elle ronfle doucement. Aujourd’hui, il a vu dans ses yeux qu’elle sait sa fin proche. Il entend les enfants qui jouent aux cartes et envie leur insouciance.
Mâchant son pain au lever du soleil, il allume le poste. Les criquets sont arrivés dans le centre de l’Allemagne. Il a ouvert une carte et tracé une ligne, ils sont pile en direction de chez lui. Difficile de prévoir précisément quand ils viendront : cela dépend de la nourriture qu’ils trouveront sur leur chemin.
Il allume la télévision. On ne parle que de ça. On voit des images du ciel dégagé puis, lorsque les criquets entrent dans la zone de la caméra, c’est off, le soleil est coupé et il fait tout noir. On entend un paysan allemand expliquer qu’alors la température chute brutalement, tant l’ombre est dense.
Il allait éteindre, dégoûté, lorsqu’un journaliste évoque que le vent pourrait tourner, il tend légèrement au Nord-Est. On verra.
La journée passe, sans grand changement : les criquets se posent, mangent et repartent. Ils sont encore loin, mais ils approchent, à peine déviés par le vent.
Aurélien va se coucher. Il regarde Marion endormie ; des images d’elle lui traversent l’esprit, quand elle était jeune et vigoureuse. Comment fera-t-il pour tout payer, s’il perd ses plantations de l’année ?
Un voisin a suggéré d’allumer des feux, mais il n’y croit pas, ils sont trop nombreux et il y a le risque de tout faire cramer.
Après quelques heures de mauvais sommeil, il se lève. On n’entend rien dans la ferme, hormis les vaches dans l’étable, qui secouent leurs chaînes.
Il cherche des informations. Son cœur bondit : le vent a tourné au sud-ouest, très soutenu, c’est presque un vent de tempête. Quelqu’un explique sérieusement que cette inversion du vent provient des criquets qui, refroidissant l’atmosphère, ont provoqué un fort changement de pression atmosphérique. Un fake, sans doute. Par contre, un ouragan semble bien se préparer à la frontière. Une autre source d’inquiétude …
Quelques heures ont passé, quand il apprend que les criquets ont été violemment éparpillés dans l’atmosphère par le typhon, le danger s’est éloigné. Le cataclysme est resté localisé à la frontière et le temps est revenu au calme, un calme insolite. Tout s’est neutralisé.
Il pense à sa chance : il pourra vendre son grain à prix d’or, c’est la loi du marché et il s’en frotte les mains. Il ne voit rien de mesquin à cette pensée, il sait trop bien que c’est chacun pour soi.
C’est passé tout près … la prochaine fois, il va déguster. En attendant …
Dans la nuit noire, sous le regard silencieux de la lune, des étoiles de colère volèrent en éclats. Gigantesques et difformes, pareils à des feux d'artifices aveuglants et dégoulinants dans l’obscurité. Le ciel tonna si fort et si longuement que toutes les pierres du village d’Alghadiba se mirent à trembler. Du plus bel édifice à la plus petite chaumière. Les anciens implorèrent la clémence des cieux. Les plus jeunes se précipitèrent, apeurés, dans les couches parentales. C’est ce que fit le petit Aziz, élevé seul par son père, dans un appartement perdu au septième étage d’un immeuble sans ascenseur.
-Papa, papa, c’est quoi tout ce bruit, j’ai peur !
-Mais non, ne t’inquiète pas, je suis là.
Le cœur de l’enfant battait si vite qu’il en perdait le souffle.
-Tu sais, mon chéri, on pourrait croire que le vacarme se joue au-dessus de nos têtes, mais non. C’est bien plus loin.
-Loin comment ?
-Très loin. Au moins à trois villages d’ici.
-Ah bon ? Comment tu le sais, papa ?
-Ah, ah… Pour tout te dire, je sais même ce qui se passe précisément, mais c’est un secret.
-Dis-moi, papa ! S’il te plaît, dis-moi !
-Bon d’accord, mais tu dois me promettre de ne rien dire à personne. Même pas à tes camarades de classe.
-Promis !
-Alors, voilà : un film est en train d’être tourné dans notre beau pays. Te rends-tu compte, mon chéri ? Un film de science-fiction, à grand spectacle, et je peux même te dévoiler le titre, si tu veux.
-Oh oui, dis-moi, papa !
Le père tourna la tête à gauche, tourna la tête à droite, follement suspicieux, puis s’approcha de l’oreille de son fils, et chuchota :
-La Colère des Etoiles.
-Pour de vrai ?
-Bien sûr, pour de vrai.
-Est-ce que ça ressemblera à la Guerre des Etoiles ?
-Un peu, mais en bien plus incroyable. Mais souviens-toi, tu m’as promis...
Un tonnerre assourdissant interrompit la conversation, fit trembler la fenêtre de la chambre et, en ricochet, le corps du petit garçon.
-N’aie pas peur, mon chéri. Tu sais, quand le tournage sera terminé, nous serons tous invités à l’avant-première. Je le sais de sources sûres, et ce sera formidable, tu verras.
Dans la douceur du mensonge et les bras de son père, le petit Aziz finit par s’endormir.
Aux premières lueurs du jour, plus rien. Comme si tout n’avait été que le songe d’une mauvaise nuit d’été. Comme un coude-à-coude entre guerre et paix.
A la faveur du cessez-le-feu, chacun continuait à travailler et étudier. Vivre. Presque normalement. Mais une fois le soleil au crépuscule, les bombes ressurgissaient, plus proches et menaçantes au fil des nuits.
Une semaine après les premières détonations, un homme toqua à la porte du père de famille attendant que son fils rentre de l’école. Il avait le visage blême et la voix chevrotante.
-Mon ami, à partir de ce soir, nous n’avons plus le choix, il faut que nous passions nos nuits au sous-sol.
Un défilé de matelas et de couvertures emprunta l’escalier étriqué jusqu’à l’abri supposément protecteur. Une ampoule solitaire éclairait la pièce. Les regards se perdaient dans la peur et le silence.
Au bout d’une heure, à pas de souris, le petit Aziz s’approcha de son père et, les deux mains en accolade, pour que personne ne l’entende, il l’interrogea :
-Papa, tu crois pas qu’on peut le dire maintenant, le secret ? Regarde, ils s’inquiètent tous pour rien.
Et sur un ton plus feutré encore, le père répondit :
-Surtout pas, mon chéri. S’ils apprennent pour le tournage, tous se rueront sur le plateau, des centaines puis des milliers de personnes, et dans la foule, inévitablement, certains seront bousculés, piétinés, voire pire. Tu comprends, mon chéri, qu’il ne faut surtout rien dire ?
-Bon, d’accord.
Aziz tint parole le premier soir, mais le deuxième, il se confia à Youssef qui la nuit suivante se confia à Louna qui la nuit suivante se confia à Mehdi. Et ainsi de suite, jusqu’à constituer une unité bien soudée. L’ensemble des enfants. Tous chuchotaient, imaginaient des scènes homériques, maniaient des sabres laser et commandaient des robots déjantés. Dans leurs yeux, l’innocence de l’enfance brillait à nouveau.
Mais la réalité approchait.
Une nuit d’orage parmi tant d’autres, la porte de l’abri fut forcée.
Quatre hommes en tenue militaire, cagoulés et armés de fusils d’assaut.
Le plus grand s’avança d’un pas et ordonna :
-Si Mamoud Maloudi est l’un de vous qu’il se dénonce, sinon vous serez tous exécutés.
-C’est moi.
Le père du petit Aziz ne s’appelait pas Mamoud Maloudi, mais il se leva.
Avant de quitter la pièce, il s’agenouilla devant son fils et lui offrit un dernier secret :
- C’est juste un rôle pour le film, mon chéri, et je suis heureux de pouvoir l’avoir.
C’est ce que mon père a dit à ma mère en raccrochant le téléphone.
- Quoi ? Mais c’est pas possible ! a répondu ma mère en levant les bras en l’air, ce qui n’était pas pour me rassurer.
Catastrophe ! Moi, j’ai peur de tout depuis tout petit : des araignées qui tissent leurs toiles pour engluer leurs proies, des souris qui grignotent tout ce qu’elles peuvent se mettre sous la dent dans le grenier, des avions qui traversent le mur du son en faisant un boucan d’enfer, de l’orage qui éclate parfois sans prévenir et même de mon institutrice, madame Lenfer. Mon frère m’appelle le couillon ; il me traite de peureux, de couard, de poltron, c’est vous dire si tout le monde sait que tout me fait peur. Je n’en peux pas, je suis né comme ça. Il parait que je pleurais à chaque fois que ma grand-mère voulait me prendre dans ses bras quand j’étais bébé. C’est surtout sa barbe qui me faisait peur, en fait !
Que voulez-vous ? Je suis comme ça ! On ne change pas ! Je manque de courage, c’est comme ça ! Un simple regard peut me foutre la frousse comme celui que me lance parfois Lenfer. A l’école, je fais bien attention de ne pas faire de bêtises pour ne pas attirer ses foudres sur moi.
Mon copain, Mohammed, se paye souvent ma tête. Il me raconte des histoires inimaginables de monstres, de sorcières, de vampires ou d’extraterrestres. Ça, c’est ma pire crainte : que des êtres venus d’ailleurs nous envahissent ! Je les imagine avec six yeux globuleux, deux antennes, une trompe, une couleur hideuse, quatre mains aux doigts crochus, avec leurs armes intergalactiques telles que me les décrit Momo, fan du jeu vidéo Fortnite. Rien que d’y penser, j’en tremble !
Aux jeux vidéo violents j’ai toujours préféré les livres. Oh ! Pas n’importe lesquels ! Pas les mangas avec leurs affreuses images ! Pas les livres de contes avec leurs sorcières, leurs fées parfois maléfiques, leurs loups qui dévorent les grand-mères ou leurs pommes qui empoisonnent les jeunes filles. Moi, ce que j’adore, ce sont les histoires d’amour. Oui, je sais, je n’ai que huit ans, mais je pique à ma mère des romans qui racontent l’amour. Elle en est folle. Des histoires d’amour à l’eau de rose, comme dit mon père en se moquant d’elle. J’ai lu une bonne partie de la collection Harlequin, mais ça, maman ne le sait pas !
Comme j’adore lire, papa m’achète souvent des livres. J’ai presque toute la collection des « Chair de poule ». Je n’en ai lu aucun ! Je chiffonne un peu les pages pour que papa s’imagine que je les lis, ses livres d’horreur. Lui, il adore Stephen King et Maxime Chattam ! Jamais un de ces auteurs ne fera irruption dans ma chambre ! Je le jure !
Mon frère, lui, il dévore toutes les histoires d’extraterrestres. Il n’attend que ça, lui, que les aliens débarquent chez nous. Moi, à la rigueur, j’accepterais de cacher ET dans ma chambre, c’est un extraterrestre gentil, lui, même si son aspect physique me fait peur, mais c’est tout. Mon frère m’a emmené voir les Gremlins au cinéma, soi-disant que personne ne peut manquer ce chef-d’œuvre du cinéma ! Quelle horreur quand ces gentils nounours se transforment en monstres sous l’effet de l’eau ! J’en ai fait des cauchemars pendant des mois !
Yvan, mon frère, lui, vous pouvez être sûr que le débarquement des aliens dimanche, ça va le réjouir ! Il est prêt à les affronter depuis tant d’années !
Moi, je vous le dis, dimanche, je ne serai pas là. Je vais me cacher là où personne ne pourra me trouver ! Il faut que je me trouve une cachette sûre, un endroit que les aliens ne visiteront pas. Pas le grenier à cause des souris, pas la cave à cause des araignées. Pas dans le chêne centenaire du jardin. Il y a sûrement des hiboux qui hantent ces lieux la nuit.
A bien y réfléchir, je ne peux pas me cacher dans un endroit sombre. J’aurais trop peur du noir qui me tomberait dessus (je dors avec une veilleuse, autre sujet de moquerie de mon cher frère).
Où vais-je donc pouvoir me réfugier lorsque ces monstres attaqueront ? Je n’ai, en tête, aucun endroit où je me sentirais en sécurité !
J’entends maman qui téléphone. A qui parle-t-elle ? Au ton qu’elle emploie, elle parle à sa mère, vous savez celle qui me fait peur avec ses poils au menton.
« Tu te rends compte ? Les Aliens ! Ici ! Mais que vais-je bien pouvoir leur préparer comme repas ? »
Elle est devenue folle, ma mère ou quoi ? Elle compte les nourrir, ces monstres ? Pourquoi ne pas en faire l’élevage tant qu’elle y est ! Je voudrais bien la voir en train de préparer du couscous (le seul plat qu’elle réussisse plus ou moins) sous les six yeux d’insectes de ces envahisseurs ! Elle pense peut-être les amadouer avec sa semoule de blé dur arrosée d’un bouillon aux légumes terrestres !
Une chose est sûre, elle a l’air paniquée. Elle griffonne sans cesse sur un carnet posé là, exprès, près du téléphone, pour les conversations stressantes.
Papa, lui, comme à son habitude, est cool de chez cool. Il lit « Un bébé pour Rosemary ». Je m’approche pour lire le nom de l’auteur : Ira Levin, je ne connais pas. Un feel good ? Ça m’étonnerait que mon père lise ça ! A moins qu’il ait piqué un roman à ma mère…
Est-ce que j’oserais lui parler des aliens et de ce qui va se passer dimanche soir ? Sûr qu’il va encore se moquer de moi et me traiter de ballot, de crétin ou de nouille. Je vais plutôt lire les infos sur Internet. Si des extraterrestres ont décidé d’envahir la planète ce week-end, toutes les chaînes doivent en parler. Eh bien ! Figurez-vous que je ne trouve aucune trace de cette info ! C’est donc un canular ? Pourtant, maman a l’air d’y croire dur comme fer et n’a pas l’air rassurée. Elle gesticule comme un pantin en parlant à sa mère au téléphone.
Tiens, voilà Yvan qui rentre. Depuis quelque temps, il sort souvent et rentre de plus en plus tard. Les week-ends, c’est à peine si on le voit. Je le soupçonne d’avoir une nouvelle petite amie bien qu’il s’en défende.
Mon père lâche son livre et s’adresse à mon frère : « Mon gars, je te préviens, dimanche soir, pas question que tu sortes ! Et tu enlèveras tes piercings, tu cacheras les tatouages de tes bras avec des longues manches et tu mettras le costume qu’on t’a acheté pour le mariage de ton cousin, pas ce jeans troué que tu as dû trouver dans une poubelle ! »
- Pourquoi ? l’interrompt mon frère. Il y a un événement particulier dimanche ? Vous fêtez vos noces d’or ?
- Pire que ça ! répond mon père en regardant Yvan droit dans les yeux. Les Aliens débarquent !
- Mais papa ! s’écrie mon frangin. Tu sais bien que je déteste tes patrons ! Monsieur et Madame Aliens sont les pires monstres qui existent !
Très difficile de mettre l’eau à la bouche sans en dire trop, puisque sur ce livre de 266 pages, c’est à la page 70 qu’on sait dans quoi on a mis les pieds. Donc très vite…
On a Elisa, qui se retrouve au bout d’une liaison. Une fille moderne, libre, avec les copines, un boulot qui lui plaît, une famille peu présente, un collègue qui soupire avec patience et un zeste d’agacement parfois. Et puis les choses deviennent soudain très compliquées et mouvantes dans sa vie, après la rencontre du beau Joachim.
Pas banal, Joachim. Pas banal du tout. Du mystère, de la beauté, du savoir-faire entre les draps, et une aisance dans la vie qui rassure et épate. Il voyage beaucoup, et ma foi… le voir revenir est un tel bonheur que notre Elisa s’abandonne à la frénésie de cette relation. Jusqu’à l’arrivée, en tant que nouvelle collègue, de la belle et sulfureuse Amarante. Une femme grande qui n’hésite pas à porter des talons. Sûre d’elle comme ce n’est pas permis.
Et belle, et séduisante, et envahissante aussi. Et terrifiante, au final. Mais là… attention, arrive un autre séducteur, Theron. Blond, musclé et riche, très riche. Un connaisseur de la grande vie. Très fort et … à la poursuite de Joachim depuis longtemps, le lecteur découvrira enfin pourquoi l’un traque l’autre.
Ca rend les choses très intenses mais aussi impose la fuite, la vie au secret…
Et l’amour, il faudra bien le choisir, entre le chasseur, le collègue qui a enfin droit à sa récompense, et le chassé. Et Amarante ne se laisse pas jeter hors de l’histoire sans combattre, car la frémissante créature ne veut qu’un seul homme : Joachim.
Un livre plein de rebondissements, de voyages dans le temps et l’espace, dans l’incroyable aussi. Un livre qui a du mordant…