On rentre rapidement dans le livre et on n’en sort plus, jusqu’à la fin. On retrouve Gwen Saint-Cyrq, déjà présente dans les précédents romans mais la lecture de ceux-ci n’est pas primordiale pour découvrir l’intrigue, mais permettra par contre de connaître les origines de l’héroïne. On tourne les pages, fébrilement, pour avancer dans l’histoire. Plus on avance dans le récit, plus le mystère s’épaissit. Trahisons, manipulations, le lecteur est balloté dans le doute et ce jusqu’à la conclusion finale, magistrale et qui nous laisse dans le doute le plus complet. Un dernier élément et non des moindres : il y a tant de questions concernant l’héroïne qu’on a qu’une envie : lire les précédents tomes.
Au début, il n’y avait rien que la soupe primitive. Un peu d’oignons rôtis, un peu de céleri, quelques rondelles de carottes… On ne savait rien de sa recette, si ce n’était qu’elle était faite d’eau, bouillante et frémissante, joyeuse et vivante, se mouvant au gré des courants de chaleur qui traversaient la marmite. On ne savait rien d’elle sinon qu’elle avait un petit gout de sel, agrémenté d’oignons comme les chips qu’on découvrirait longtemps, très longtemps après dans les supermarchés. On ne savait rien d’elle si ce n’était qu’elle était gigantesque, qu’elle s’étendait du début de la terre à la fin de la mer, qu’elle cheminait bien au-delà du regard de l’homme qui n’existait pas encore, bien au-delà de celui du faucon crécerelle qui voit tellement bien qu’il peut fondre sur sa proie à des kilomètres. Mais le faucon n’existait pas encore. On ne savait rien d’elle, et même rien du tout, pas même ce petit goût de viande, imperceptible au départ, qui se mit à s’affirmer, au fur et à mesure des années, des décennies, des siècles échappés qu’on ne mesurait pas. Juste ce que l’on sut, bien plus tard, c’est l’histoire de ce goût, et puis aussi l’histoire de celle qui l’avait mise au feu. Une sorte de grande créature aux cheveux couleur de vent, ce vent qui soufflait sur la soupe et qui l’aidait à se courber, à se faire des bigoudis de vagues, à se regarder dans les yeux de ses sœurs, et à s’aimer. Une sorte de personnage intemporel, avec des yeux couleur de braise, avec un souffle long et lent, avec une voix de sorcière, brisée et douce, comme le temps. Cette personne qu’on appela plus tard Zeephora mettait beaucoup de soin à tourner dans la soupe toute primitive qu’elle fut. On ne savait pas si elle pensait à ces milliards de femmes et d’hommes, qui, un jour, renouvelleraient son geste, avec une cuillère de bois de cèdre, de baobab tout enroulée, de sapin clair ou de bouleau si blanc. Zeephora remuait et goûtait, de temps en temps. Et la soupe tournait, comme un manège lent, comme ces carrousels qui existeraient dans si longtemps, tournant avec douceur et parfois fureur, douleur. Dans les remous vivants de la soupe primitive se calaient les légumes, bien au chaud dans le très brûlant, l’oignon par ci, le céleri par-là, les pommes de terre dans les courbes ineffables et sans nom, puisqu’il n’y avait pas de nom, dans ces temps-là.
Il s’avéra qu’un jour, Zeephora en eut marre. Elle s’assit alors sur le petit rocher qui bordait l’étendue d’eau vigoureuse. Et le gout de la soupe était bon, plein de cette saveur de viande, épicé à souhait. Alors Zeephora s’arrêta de tourner. Et regarda ce que donnait la soupe.
Et puis, il ne se passa rien. Rien que l’apaisement de la houle, le soulagement d’un ressac juste rythmé par la brise, le decrescendo, l’eau qui s’endort, il n’arriva rien du tout et Zeephora avait beau écarquiller les yeux qu’elle avait de braise (mais je l’ai déjà dit), elle ne voyait rien. Mais elle entendit. D’abord, ce fut comme un murmure, un bruissement de vie primitive, l’univers de la soupe se mettait à parler. Et dans le gris noir vibrant de l’aube fondamentale, dans le bouillon des origines se formèrent des petites boules minuscules, on aurait dit de petites balles un peu visqueuses, à la manière de ce que seraient les billes de tapioca trouvées dans les potages, plus tard, bien plus tard.
Soudain, les petites sphères se mirent à rayonner : c’est ainsi que naquirent des lucioles, des centaines de lucioles, des milliards de lucioles. Et le ciel, jaloux de la soupe devenue mer scintillante, s’empara de celles-ci. Elles allèrent habiter chaque endroit, chaque centimètre carré de ce ciel : c’est pour cette raison qu’il fait si clair le jour. Le ciel s’empara aussi d’une seconde espèces de billes, plus résistantes, plus lumineuses aussi : c’est pour cette raison que le soir, s’étoile la nuit : d’autres vers luisants, plus résistants continuent de briller comme toutes les planètes que nous connaissons maintenant. Et Zeephora sourit. Parce qu’il y avait de la lumière le jour et des étoiles de nuit. Celles qui restèrent au fond de la soupe primitive maintenant tiédie par l’absence du feu qui ne la chauffait plus, celles qui restèrent furent appelées étoiles de mer…
Et Zeephora attendit encore : elle en avait de la patience. C’était déjà la femme qui avait fait la plus grande soupe du monde pendant autant de temps, si elle avait vécu plus tard, on l’aurait inscrite au livre des records, mais cette femme ne savait pas lire, et jouissait seulement du jour et de la nuit, de l’étendue d’eau à perdre son regard, et de qui, petit à petit, se passa . La mère-soupe s’était retirée du rivage, il y avait maintenant de grandes plages de sable, dues à l’usure des galets que Zeephora, comme toutes les femmes juste après elle, avait utilisé pour maintenir le bouillon chaud. Les pierres s’étaient usées, polies, avaient perdu de leur substance, tour de cuillère après tour de cuillère, remous chaud après tourbillon bouillant et toutes les particules des pierres s’étendaient maintenant sur un terrain un peu pentu, qui allait vers la mer. Et ce fut le sable originaire, coloré, rougeoyant et bleuissant, fait de milliards de poussières de pyrites étincelantes, de calcite blanche, de coralines rouges et de lapiz lazuli bleu. C’était une plage primitive, là où se mirent à sortir des tas de créatures, d’êtres premiers, qui partaient à l’aventure de la vie.
La première chose que Zeephora vit sortir de la mer, c’étaient de petites pâtes minuscules, comme celles que l’on met maintenant le soir, dans les potages des enfants de cinq ans : on les nomme pâtes alphabet, elles contiennent toutes les lettres du monde et tous les sons. Et ces petites pâtes sortirent de l’eau, encore toutes dégoulinantes d’avoir nagé tant de temps, et elles se donnaient la main. Elles faisaient ensemble des ribambelles de mots, d’abord ce fut le mot « verbe » qui sortit, tout trempé, puis, d’autres mots qui nommaient le ciel et la terre, désormais séparés, d’autres encore qui disaient la chaleur, la moiteur, les mouvements des vagues et leurs secrets cachés. Ce fut bien plus tard qu’on écrivit dans des livres sacrés qu’au commencement était le verbe, ça n’était pas si faux que cela. Mais Zeephora ne savait pas lire. Elle avala tout cru le mot » oiseau » et le trouva bon. Aussitôt un être ailé se mit à voler au-dessus des flots. Il était encore bien pataud et un peu zigzaguant, mais très vite, il acquit de l’assurance et se mit à pêcher des poissons, mot dont Zeephora avait dévoré toutes les pâtes, dans le bon sens, du « p » au gout salé au « n » à la saveur plus subtile.
C’est ainsi que naquit le monde, le ciel séparé de la terre, les animaux, les arbres vainqueurs aux canopées comme des lits moelleux, les fleurs et leurs pétales, les saisons. Zeephora dut manger beaucoup et souvent, mais les pâtes avaient un goût chaque fois différent. Elle en mangea tant et tant que ces pâtes disparurent totalement de la surface de l’univers. (Elles furent en fait sauvées par un groupe d’êtres poilus, marchant debout qui se dirigèrent dès leur sortie de l’eau vers un continent qu’on appela plus tard la Chine).
C’est ainsi que naquit le monde, et Zeephora dut aussi manger des mots plus abstraits comme le mot « douleur » comme le mot « souffrance », comme le mot « guerre », c’était affreux. Mais elle absorba aussi les mots qui signifiaient « enfances », « bonheur », « plaisir », « ciel étincelant », « magnifique. » Ils étaient délicieux, elle en avala beaucoup. Il en resta des étincelles, parsemées de-ci delà aux quatre coins du monde.
Et quand Zeephora eut fini de manger, son ventre gargouillait et était lourd. Mais toutes les créatures vivantes bougeaient, se parlaient, voyageaient, inventaient. Alors L’immense créature aux cheveux de vent sut que son travail était fini. Et elle se coucha sur la plage magnifique. Et se fit une pipe aux herbes odorantes. Et contempla, avec plaisir (comme ce mot était agréable et goûteux) tout son travail.
Né dans les années 60 en Belgique, l’auteur, après des études de droit tant en France qu'en Belgique, s’est orienté vers le barreau pendant une dizaine d'années avant d'embrasser d'autres fonctions juridiques, et de s'intéresser à la peinture ainsi qu'à l'écriture, domaines dans lesquels il est essentiellement connu sous pseudonyme.
Résumé
Le livre «L’été de l’oiseau» raconte l'histoire d'un jeune homme ténébreux et désabusé prénommé Diego qui s'accroche à son petit univers de certitudes et qui, au travers de quelques expériences et rencontres aussi impromptues que mystérieuses, apprendra en un été à vivre dans un monde imprévisible, à connaître la victoire dans la défaite, ainsi qu’à trouver sa voie entre une vision réaliste de la vie et une mystique de l'espoir ainsi que de la liberté irréductibles de l'homme. Mais rien n’est jamais définitivement gagné ou acquis….
Extrait
Tout à coup, elle posa sa main sur la sienne :
Tu te rends compte… Je pense que c’est l’oiseau qui vilipendait ce connard… Pas l’inverse… Et encore dans un arabe impeccable !
Diego pensa que ses jambes allaient se dérober. Il se reprit :
Ah bon… Et sans indiscrétion que lui a-t-il dit ?
Elle retira sa main :
Dieu n’appartient à personne et ceux qui parlent en son nom l’insultent !
Bravo à Carine-Laure Desguin avec 4 voix et également bravo et merci à tous les participants de ce premier concours !
Et pour info, Ani Sedent m'a proposé un autre texte mais si étrange, si décalé et... inventif dans sa forme (impossible à reprendre sur le blog...) qu'il sera proposé aux lecteurs de la revue "hors concours" !
Jason, les enfants ont joué à cache-cache-density. Ils sont à présent introuvables. J’ai cherché partout dans notre alvéole, partout. Disparus tous les deux !
Natty avoue ça avec des trémolos dans la voix. La culpabilité lui déchire ses entrailles. Elle craint la réaction de Jason, son compagnon.
C’est toujours la même chose, réplique Jason, l’air excédé. Ils sont pourtant prévenus que ce jeu n’est pas sans risque. Ils croient tout savoir de cette hyper-physique et ils n’en connaissent qu’à peine le quart du dixième, malgré leur supra-intelligence ! Vers quelle heure de notre temps ont-ils disparu ? demande-t-il, l’air soudain inquiet.
Vers quatorze ou quinze heures. Tu sais, ne te fâche pas, mais lorsque tu racontes avec enthousiasme les aventures que tu vis au boulot, ils rêvent eux aussi à tout ça. Ils sont curieux eux aussi des autres mondes et des autres époques. Tu comprends, Jason ?
Ça c’est un autre problème, Natty. Je dois travailler pour le Comité et ce job était adapté à mes capacités extra-sensorielles, voilà. Mes enfants, eux aussi, développent ce don. Et dans l’avenir, crois-moi, ce sera pire. Les prochaines décennies ne seront pas les plus belles de l’Humanité. Nos super-capacités seront exploitées un maximum par les Malsains.
Tais-toi, on nous entend.
Certainement pas, je viens de déployer une bulle macro-quantique. Tu ne vois donc pas que tes mouvements ralentissent ?
Je n’entends presque pas.
Concentre-toi, Natty, concentre-toi. Après tout ce que j’ai encore vécu ce jour, concentre-toi et surtout, accroche-toi.
Jason, les enfants ont disparu. C’est le plus important pour moi …
C’est la troisième livraison d’enfants que nous perdons. Je soupçonne le Comité d’exercer des actions ténébreuses, des espèces d’enlèvement par changement de densité provoquée. Les enfants réapparaitront quelque part. Dans une autre époque. Peut-être même sur une autre planète. Ils se redensifieront, rien ne se perd jamais. La seule chose qui m’effraie, c’est qu’ils atterrissent dans une de ces sectes bouffeuses d’adrénochrome.
Ne dis pas de sottises, Jason.
Des sottises ? Tu veux que je t’explique ce que j’ai vu de mes propres globes oculaires ces dernières heures ? Tu veux savoir où j’étais ce matin encore ?
Oh, Jason, ce travail …
Voyager dans le temps, c’est toute ma vie, Natty. Ce matin j’étais en 4024. Oui, dans deux mille ans. Tous les Hybrido-Terriens de cette époque-là sont dotés de capacités … incroyables. Les mots ont disparu, le langage n’existe plus, et donc l’écriture par symboles est anéantie. Ils communiquent uniquement par leurs pensées. Et puis, oh non, je préfère me taire, dit-il en se cachant le visage entre les mains.
Tu avais combien de chrono-touristes avec toi ?
Comme d’hab, une centaine.
Ça fera une centaine de désaxés de plus. Ils finiront comme les incurables, dans les souterrains de phase terminale. Autoriser ces chrono-voyages, c’est inhumain. Le Comité a connaissance des dégâts post-chrono-voyages sur les interfaces de nos cerveaux. Nous sommes incapables de vivre dans notre présent après la vision de tels chocs. Une façon comme une autre d’éliminer des gens … Je me demande même comment tu supportes tout ça, toi.
À ce moment précis, une énorme boule de lumière apparaît tout au bout de l’alvéole. En sortent deux adultes à l’air hébété et recroquevillés dans une position fœtale. Ils roulent ensemble vers Jason.
Les enfants ! s’écrie Natty à la fois soulagée et stupéfaite.
Natty, ce sont les enfants de la deuxième livraison, ceux qui ont disparu voici une dizaine d’années. Vise la couleur de leurs écailles qui recouvrent leur peau … Et tu les reconnaîtras.
Je me souviens de ce film : dans le futur, les singes étaient devenus tellement intelligents, avaient tellement évolué, jusqu’à apprendre à parler, qu’ils avaient réduit la race humaine tout entière à l’esclavage, l’enfermant dans les cages des zoos destinés à les distraire.
(Oui… mais non, merci !)
Je me souviens également de celui-ci : nous étions les cibles de cyborgs meurtriers, sans pitié et tout en muscles.
Dans les arts, c’est un fait, le futur est rarement dépeint de façon ‘‘idyllique’’. C’est plutôt toujours ‘‘catastrophique’’, pathétique et patatras… Et que penser du brusque développement de l’intelligence artificielle ? Ça en fait sourire certains, aujourd’hui, mais qui peut prétendre que cette chose, un jour, ne sera pas utilisée, par exemple, pour copier les voix des ‘‘puissants’’ de ce monde ? Déclencher des conflits et des guerres ? Et si l’intelligence artificielle, un jour, prenait le contrôle des mallettes nucléaires ? Improbable, vraiment ? Espérons !
Mais l’être humain inventeur est un enfant souvent arrogant et idiot.
Le futur, je voudrais pourtant l’imaginer beau comme les printemps de nos jeunes années, quand nous avions encore de véritables printemps sur terre. Je voudrais l’imaginer gai et coloré, chaleureux et convivial. Je voudrais l’imaginer simple, débarrassé de toutes ces technologies qui ont vampirisé les êtres humains, ainsi que leur QI… Toutes ces technologies invasives qui nous éloignent de plus en plus de l’essentiel : notre humanité. La beauté de regarder et de voir disparaît… Pire : la bonté disparaît. L’honnêteté aussi.
L’être humain n’est peut-être pas ‘‘encore’’ sur l’autoroute de l’Enfer, mais il perd un peu plus chaque jour la notion du respect. Le respect de l’autre et le respect de lui-même. D’ailleurs, c’est quoi toutes ces filles de quelqu’un et fils de quelqu’un qui s’affichent à poil et s’adonnent à de la pornographie monnayée sur Internet depuis quelques années ? C’était ‘‘ça’’, leur rêve du futur, enfants ? J’aurais aimé ne pas savoir cela, mais je suis assailli, comme beaucoup, de demandes ‘‘amicales’’ de p. en chaleur sur mes réseaux sociaux. Sur X, anciennement Twitter, je dois avoir bloqué pas moins de 300 de ces ‘‘suce-miel’’, comme ma grand-mère appelait ces femmes de son vivant.
Les réseaux sociaux n’ont de social que le nom et deviennent de plus en plus pourris. Je crois aussi que les smartphones sont une laisse et que nous sommes devenus des chiens. Oui, des chiens. Encore plus cons qu’un Rantanplan. Des chiens obéissants qui frétillent de la queue et qui bavent devant la plus débile des dernières applications.
Ce que je vois du futur ? Mais ce futur a déjà commencé. Avec la téléréalité. L’être humain sera de plus en plus un esclave, un déviant, parce qu’il a perdu, depuis fort longtemps, le sens du beau, le sens du vrai.
Finalement, le Terminator imaginaire du film de Cameron peut s’incarner et venir tous nous éliminer. Ce ne sera pas une grosse perte. Ou alors, Seigneur, envoyez-nous un nouveau Déluge pour nettoyer toute notre merde. Ce présent ne peut être notre futur.
Mémé me serra dans ses bras, me reprocha mon manque de rondeurs et se félicita de m’avoir concocté un copieux repas ! Comme toujours, sa cuisine m’avait laissé le ventre plein et le cerveau noyé dans la béatitude. Je lui promis de revenir dans quinze jours et m’en allai en lui faisant des signes de la main. Je suivis le chemin habituel et lorsque le sentier forma une fourche, je pris le chemin qui devait m’éloigner du cœur de la forêt. Le sous-bois vibrait de vie et je laissai courir mon imagination en avisant quelques champignons qui pointaient leurs jolis chapeaux parmi l’émeraude des mousses et des fougères. Des akènes aux plumets blancs, comme de petites fées auréolées de lumière, jouaient à cache-cache parmi les troncs écailleux des arbres. Des oiseaux pépiaient dans les frondaisons et je me pris à siffloter. Les rayons du soleil s’infiltrant dans la canopée créaient sous mes pas une mosaïque mouvante, qui s’élargit alors que l’orée approchait. Au-delà, champs et vergers formaient un patchwork coloré que je me plus à contempler un instant avant de continuer mon chemin.
Bientôt, je parvins à la station T-transport, une petite tourelle au joli toit pointu et au charme désuet devant laquelle patientait une vielle dame. Elle me sourit et pointa du doigt une portion du magnifique rosier qui grimpait à l’assaut de la tour de pierre. Parmi les velouteux pétales un verdier faisait son nid. Je rendis son sourire à la vielle dame et lui souhaitai une bonne journée alors qu’elle pénétrait dans la tour. Rapidement, je glissai ma carte de destination sous le lecteur : une coquette boîte aux lettres assortie au décor. Quelques instants plus tard, je pénétrai dans la tourelle et sentis le léger picotement de la translation parcourir ma peau alors qu’elle m’emportait vers la ville.
Sous son dôme à l’architecture ultramoderne, chef d’œuvre de Merlin Primus, le terminal de T-port-Centre accueillit mon arrivée dans un joyeux brouhaha de conversations. Je quittai le plot d’arrivée et me dirigeai vers la sortie. Comme souvent, lorsque je revenais de la charmante campagne où vivait ma mamie, je trouvai remarquable de ne pas me sentir oppressé par la ville. J’observai ses bâtiments, tout en hauteur mais suffisamment espacés pour laisser la lumière envahir ses trottoirs, leurs formes, parfois fort originales, et leurs nombreuses terrasses déversant des flots de verdure, entourer les nombreux parcs qui l’émaillaient, comme autant d’oasis, ou encore les carrés de jardins fleuris entretenu avec amour par quelque main verte. Je continuai mon chemin et m’arrêtai en bordure de trottoir alors que passait le tram à propulsion magnétique. Il ralentit et je pus apercevoir mon amie Lison me faire de grands signes depuis sa place. Je fis de même tandis que le tram reprenait de la vitesse et s’éloignait. Je traversai la rue en même temps qu’un groupe d’étudiants et me dirigeai vers les bureaux de mon journal non pas pour m’y rendre, alors que cette journée n’appartenait qu’à moi, mais poussé par la curiosité qu’avait éveillé l’installation, juste en face, d’un synthétiseur de nourriture. L’idée n’était pas neuve et la ville avait déjà vu ce genre d’initiative être mise en place, mais cette fois, l’appareil profitait des dernières évolutions de l’I.A. ce qui le rendait plus intuitif et efficace que les versions précédentes.
Dès que ma curiosité fut assouvie, je repris ma balade à travers des rues d’une propreté irréprochable, dans une ville où les décibels avaient baissé en même temps que la pollution et je me demandai ce qui serait advenu de l’humanité si les modules à fusion nucléaire n’avaient pas vu le jour. Il avait fallu que l’Homme crapahute dangereusement au bord du gouffre pour prendre enfin conscience de ce qui était important, révise ses priorités et gagne en maturité. Oh, les conflits n'avaient pas cessé du jour au lendemain et, de temps en temps, quelque individu aimant s’écouter parler tentait encore d’imposer sa seule volonté, comme ce petit dictateur qui venait de décéder de mort naturelle dans la résidence où il était assigné depuis plusieurs années… depuis que ceux qui l’avaient élu s’étaient rendu compte de leur erreur.
Je le savais, l’humanité ne serait jamais parfaite, le monde ne serait jamais parfait et bien des problèmes devraient encore être résolus, mais c’est confiant que je rentrai chez moi.
‒ Monsieur Pépin Felix, vous êtes accusé d’avoir ôté votre masque avant d’être sorti d’un lieu public.
‒ C’est faux ! Je… Votre Intelligence, j’étais à l’extérieur quand j’ai enlevé mon masque, je m’en souviens très bien.
‒ Les images des caméras de surveillance prouvent le contraire. Veuillez observer l’écran numéro trois, section 325. On y voit l’arrière du talon de votre pied gauche être nettement placé à l’intérieur du bâtiment et l’élastique de votre masque dégagé de votre oreille gauche.
‒ Mais…
‒ Cette image est la preuve incontestable de votre culpabilité. En conséquence et vu la gravité des faits, vous êtes condamné à prester 87600 heures d’intérêt général dans les mines de cobalt du Consortium Gouvernemental U-Nique. Vous rejoindrez votre aire d’embarquement dès cette séance levée. Gardes, emmenez monsieur Pépin Félix.
‒ Non ! Votre Intelligence, s’il-vous-plaît… ma femme, mes enfants…
‒ Il seront prévenu de votre absence. Cette séance est levée. Accusé suivant.
« Séance ouverte. Madame Grosjean Cassandre, vous êtes accusée d’avoir quitté votre domicile après le couvre-feu.
‒ Votre Intelligence, si vous permettez…
‒ Votre voix est écoutée, Maître.
‒ Madame Grosjean ne nie pas être sortie de sa maison, mais un instant seulement pour récupérer le sac de courses oublié sur le seuil par son mari. C’est pourquoi nous demandons votre indulgence, Votre Intelligence.
‒ Veuillez observer l’écran numéro deux, section 452. Le chronomètre indique que madame Grosjean Cassandre est restée sept secondes, huit dixième à l’extérieur de son domicile, 30 minutes après le début du couvre-feu. Ceci est preuve de culpabilité. Ayant entendu votre remarque, Maître, madame Grosjean Cassandre n’est condamnée à prester que 61320 heures d’intérêt général dans la brigade volante des services d’entretien du Consortium Gouvernemental U-Nique. Le cas de Grosjean Sébastien sera traité ultérieurement. Gardes, escortez madame Grosjean Cassandre. Cette séance est levée. Accusé suivant.
« Séance ouverte. Monsieur Petitpas François, vous êtes accusé d’avoir collé des affiches incitant au désordre et à la désobéissance.
‒ …
‒ Les mots : dictateur de m… lèche botte de l’I.A. et consortium esclavagiste ont été relevés.
‒ Je suis sûr que vous en appréciez la précision.
‒ Veuillez observer l’écran numéro cinq, section 186. On y voit Monsieur Petitpas François, appliquer sur la façade d’une succursale du Consortium Gouvernemental U-Nique un document exposant des propos séditieux. Faits aggravés par l’horaire : le chronomètre indique que l’infraction a été commise deux heures, trente-sept secondes, cinq dixième, après le début du couvre-feu.
‒ Importantes les trente-sept secondes, cinq dixième, n’est-ce pas… Votre Intelligence !?
‒ La preuve de la culpabilité ayant été faite, et compte tenu de l’extrême gravité des faits, Monsieur Petitpas François est condamné, pour la plus grande gloire de son Président Éternel, à servir la médecine au sein de la section transgénèse du Consortium Gouvernemental U-Nique. Cette séance est levée.
« Séance ouverte. Martin Kevin, vous êtes accusé d’avoir tenté d’escroquer vingt Goldens à l’État en ne prestant pas toutes les heures de travail dues…