Faux éloge de ?
(Jean Destrée)
I
- Jean-Robert! Jean-Robert!
Une voix légèrement criarde s'élève du bas de l'escalier. Pas de réponse.
Jean-Robert! Allons! Il est l'heure!
Toujours pas de réponse. La voix s'élève d'un ton, grimpe les marches, entre en coup de vent dans la chambre encore plongée dans la pénombre du jour naissant.
- Et alors! Fainéant! Il est l'heure! Tu vas être en retard à l'école!
Un grognement sort timidement de la couette.
- Hein! Déjà! Je viens seulement de m'endormir!
Une main ferme tire sur la couette, découvre le dormeur qui ouvre péniblement un œil, maugrée, s'étire avec un soupir.
- Maman! Quelle heure est-il?
- Six heures et demie.
- Je t'ai déjà dit de m'éveiller à sept heures.
- Et tu seras en retard comme d'habitude. Allez! Ouste! Sors de là!
La mère ouvre brutalement la tenture et sort en claquant la porte. La lumière entre dans la chambre. Jean-Robert, ébloui, ferme les yeux, se retourne et rabat la couette sur son visage. Puis il s'assied sur le lit, regarde autour de lui, sort un pied, puis le second, les pose lentement sur le sol et décide enfin de se mettre debout. Il bâille bruyamment.
- Tu n'es guère poli. Tu pourrais au moins mettre la main devant la bouche et faire moins de bruit.
On est pourtant bien, là-dedans, murmure-t-il en jetant un regard de regret vers ce lit encore chaud de son sommeil. Enfin, il faut bien accepter de quitter ce bien-être. Ah! On y est si bien. Pourquoi n'a-t-on jamais pensé à ériger une statue à l'inventeur du lit. Quel bienfaiteur de l'humanité, que cet inconnu, perdu sans doute dans l'évolution de l'homme. Il faudra que je demande à mon prof d'histoire. On devrait étudier avec soin l'évolution de ce merveilleux mode de vie qu'est le lit.
Perdu dans ses réflexions, Jean-Robert fait sa toilette, s'habille et descend.
- Il n'est que sept heures moins dix. Qu'est-ce que je vais ficher ici jusqu'à sept heures et demie.
- Tu n'as qu'à revoir tes leçons et vérifier si tu as bien toutes tes affaires pour tes cours.
- Ouais, mais avant, je vais manger.
- Ne va pas encore t'empiffrer de tartines. La digestion provoque l'endormissement.
- Oui mais on dit aussi "qui dort dîne". Donc pour faire des économies, il vaut mieux resté couché. Pas vrai?
- Tais-toi! Tu ne dis que des sottises. Tu es exaspérant avec tes réflexions. Je finirai par croire que tu es paresseux.
- Je ne sais pas. En tout cas, c'est toi qui m'a fait. Avec papa, bien sûr, car jusqu'à preuve du contraire les enfants ne se font pas tout seuls.
Voilà, chaque matin, c'est le même scénario. Jean-Robert se prélasse dans son lit tandis que sa mère, qui est une brave femme et une bonne ménagère, s'échine depuis des années à faire comprendre à son gamin que la fortune sourit à ceux qui se lèvent tôt.
- Ah oui! Si c'était vrai, ma mère serait milliardaire, rétorque-t-il avec un petit sourire ironique. Et papa aussi.
« Quel bonheur si vous aviez raison. Milliardaire! A ce compte-là, j'accepterais volontiers de me lever de temps en temps à minuit. Peut-être que cela vaudrait un milliard de plus. Non? De toutes manières, je ne crois pas aux proverbes. Pas plus que je ne crois en un être supérieur qui aurait, dit-on créé l'homme à son image et l'aurait - horreur!! - forcé à travailler pour gagner son pain. Les légendes ont toujours bonne presse. Les mauvais conseils aussi. Les gens qui les donnent sont-ils plus courageux que moi? Du moins, ils veulent me le faire accroire »., pense-t-il.
- Tu es vraiment un mauvais sujet. Paresseux, mécréant. On dirait que tu le fais exprès.
Jean-Robert ne répond pas. Les discussions oiseuses l'épuisent. Cela ne sert à rien d'étirer le débat avec une mère qui, malgré sa gentillesse et son amour, ne comprendra jamais rien à l'idéal de son fils. Il se lève, prend son cartable et part pour le lycée. Encore une journée de perdue. A moins que...
Jean Destrée