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Douceur à l'unisson, un poème de Ghislaine Renard

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes/renardghislaine.jpg

 

 

Douceur à l’unisson

 

Quand chante à mes oreilles

La musique des mots doux,

Mon cœur vibre doucement

Se dilate de tendresse

Et s’exprime avec fusion.

Rien ne vaut mieux que l’amour

Pour éprouver l’émotion.
La musique des mots doux

Très souvent vibre entre nous.

 

Le 9 octobre 2009 

Ghislaine Renard

http://www.bandbsa.be/contes/radioscopies.jpg

Publié dans Poésie

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Une nouvelle de Denis Emorine, Ce soir vers 21 heures

Publié le par christine brunet /aloys

Denis EMORINE
Ce soir vers 21 heures

A Ilona W.

 

 

 

Cette année là, j’avais été invité aux « Rencontres poétiques de S *** », petite ville située dans le Nord de la Roumanie, non loin de la Hongrie. Ce détail a son importance. Il y avait des écrivains de plusieurs nationalités, en majorité d’Europe de l’Est, et quelques Occidentaux, dont une poignée de Français d’ailleurs inintéressants au possible. Pour ma part, je fréquentais surtout mes amis  roumains et notamment Vasile, directeur d’une  importante maison d’édition de Bucarest, Oglinda.

         Et puis il y avait Marika…

         C’était d’ailleurs grâce à Vasile que j’avais été invité à ce colloque. Il traduisait mes poèmes et mes nouvelles dans quelques revues et projetait d’éditer une anthologie de mes textes  aux  Editions  Oglinda.

         J’avais rencontré Vasile en 1996 à Iasi. Nous avions immédiatement sympathisé. Comme beaucoup de ses compatriotes, il parlait  remarquablement ma langue maternelle, le Français. Excellent poète  et  prosateur,  il lui arrivait fréquemment d’écrire des poèmes et des nouvelles  en français, de les traduire en roumain et vice-versa. Vasile avait également traduit beaucoup d’écrivains francophones pour  différentes maisons d’édition roumaines.

         J’étais arrivé à l’ aéroport de Bucarest en début de soirée. Vasile et sa femme Ioana étaient venus me chercher. Celle-ci avait conduit toute la nuit pour arriver au petit matin à  S.

 

 

***.

Après avoir posé mes bagages dans ma chambre d’hôtel et fait une toilette rapide, j’avais rejoint le reste des participants dans un état de fatigue et d’exaltation bien compréhensible. Le débat commença : «  Quelle est la place de la poésie dans la société

contemporaine ? » Chacun, moi compris, avait planché sur ce vaste sujet. Les échanges avaient lieu dans la langue des participants avec traduction  simultanée.

         Nous prenions les repas en commun. Les frais du séjour étaient pris en charge par un organisme bancaire international, célèbre pour sa générosité ( !). Certains écrivains s’empiffraient sans retenue. « Ma foi, les Européens de l’Est sont affamés, c’est bien connu, me disais-je, c’est donc tout à fait excusable. » Le premier jour, au déjeuner, un Estonien ivre-mort s’était écroulé dans le restaurant, évacué discrètement vers l’hôpital le plus proche. Vasile se pencha vers moi : « Tu vois où  est la place de la poésie dans la société contemporaine? Par terre ! Quel beau symbole ! »

         Les conférences, débats et autres lectures de poèmes devant reprendre vers 16 heures, chacun vaqua à ses occupations : discussions à bâtons rompus, libations prolongées ou sieste voire les deux. Tandis que Ioana se reposait des fatigues du voyage - conduire sa vieille Renault 14 qui menaçait de rendre l’âme à chaque kilomètre relevait de l’exploit !  Dans les côtes surtout, le moteur, à bout de souffle, ahanait à tous les échos  - , Vasile et moi avions décidé de flâner ça et là, sans but précis. Plutôt cossue, du moins en apparence, S*** ressemblait beaucoup à une ville d’Europe de l’Ouest comme le remarquait fort justement mon ami.

 

 

 

        

Sur la place principale,  les prostituées – non, je ne dirai pas « putains », je déteste ce mot - étaient à la recherche du client potentiel. « Juste pour l’heure du goûter » me fit

remarquer Vasile avec un humour que, pour une fois, je n’appréciai pas. Nous discutions, en français naturellement, puisque ma connaissance du roumain se limite à quelques mots dont

certains ne sont pas des plus recommandables !   Vasile m’expliquait qu’un de ses manuscrits, confisqué sous la dictature, avait été retrouvé par miracle dans les archives de la Securitate. Violente critique d’un  régime totalitaire imaginaire sous la forme d’une parabole dont les censeurs n’avaient pas été dupes, « Razbunarea calicilor » (La revanche des miséreux)  venait d’être édité plus de vingt ans après, salué  par la critique roumaine comme le roman de toute une génération. Vasile avait l’impression de retrouver une jeunesse confisquée par la dictature ; ce qui le rendait quelque peu amer. Son roman allait être édité en Russie, traduit par notre ami, le poète Alexandre Karvovski. Nous projetions tous deux de le traduire en français.

         Soudain une jeune femme, presque une jeune fille, s’approcha de nous en disant : « Voulez-vous passer la nuit avec moi ? »

         Plus que la question adressée en français, c’est  l’extrême retenue de la formulation qui me surprit. Décontenancé, Vasile lui répondit en roumain d’un ton sec et moi en français : « Pardon ? »

         Elle répéta : « Voulez-vous passer la nuit en ma compagnie ? » Je la regardai plus attentivement. Elle semblait avoir  une vingtaine d’années, un peu plus peut-être. Ne sachant trop  que faire ou plutôt que dire, je m’entendis lui répondre : « Non, merci. »

Elle rit : « Politesse typiquement française ? » J’étais un peu embarrassé, je dois dire, tandis que Vasile manifestait de l’humeur : « Viens, on va être en retard ! ». Constatant mon

 

 

peu d’empressement, il ajouta : « Si tu as envie de tirer un coup, libre à toi,  tu la retrouveras ce soir ! Ca peut attendre, non ? »

         Nous nous éloignâmes, moi à regret, tandis que la jeune fille récitait le début d’un poème de Verlaine en me regardant. Je tournai la tête dans sa direction, m’arrêtai alors que

Vasile cherchait toujours à m’entraîner. D’une voix blanche, je balbutiai que je le rejoindrais. Il me jeta un regard sans illusions et dépourvu d’aménité, grommelant quelques mots en

roumain et s’en alla rapidement. J’ai levé les yeux. Elle était toujours là, me regardant attentivement. Je fis quelques pas dans sa direction. Elle me sourit et murmura alors : « Sous le pont Mirabeau coule la Seine/ et nos amours faut-il qu’il m’en souvienne ? » Nous étions seuls ou, du moins, feignais-je d’ignorer les autres femmes très maquillées, trop vulgaires à mon goût. « Je m’appelle Marika… » me dit-elle en souriant. Je ne disais mot. Elle était brune, les cheveux lisses jusqu’aux épaules, plutôt svelte et jolie. Je me sentais mal à l’aise. Marika souriait toujours . « Je n’ai pas trop de temps » articulai-je. Je dois rejoindre les autres… » Je fis quelques pas, me retournai : elle n’avait pas bougé : « Ce soir, peut-être ? lui dis-je rapidement. Vers 9 heures ? »

         Marika s’esclaffa : « On ne dirait pas plutôt 21 heures en français ? » J’acquiesçai et m’enfuis sans me retourner.

 

 

Bien entendu, j’arrivai en retard au congrès. Une place était restée libre près de

Vasile. Je préférai l’ignorer, m’installant au dernier rang à côté d’un Macédonien qui me regarda curieusement. En anglais, je lui demandai si les débats avaient repris depuis longtemps. Il rit et me dit que oui. Maintenant, les invités allaient lire quelques poèmes ajouta-t-il. Je n’arrivais pas à me concentrer pour écouter les interventions. Je pensai à… Je fermai les yeux un instant. Une bourrade de mon voisin macédonien me ramena à la réalité :

 « Hey,  it’s your turn ! » Comment connaissait-il mon nom ? C’est vrai, j’ avais oublié que nous portions tous un badge avec notre identité et notre nationalité. On venait de m’appeler.

         D’un pas mal assuré, je me suis dirigé vers la tribune…Je m’approchai  du micro… J’aurais tellement voulu qu’elle soit là dans la salle…

 

 

 

Vers neuf heures ou plutôt vingt et une heures, j’avais réussi à fausser compagnie à mes hôtes, coupant court à un débat improvisé au cours du dîner  sur « la mauvaise conscience de l’écrivain ». Avais-je mauvaise conscience, d’ailleurs ? En tant qu’écrivain ou en tant qu’homme ? Difficile à dire…  Les deux, peut-être… Vasile me faisait plus ou moins

la tête. A vrai dire, je ne pouvais lui tenir rigueur de son attitude. Durant la semaine précédente, il avait organisé des rendez-vous en mon nom avec des éditeurs, un débat sur la littérature française contemporaine avec des professeurs de français et des étudiants au    centre culturel de S*** et je me dérobais sans cesse.

         Je marchais rapidement en direction de la « fameuse » place. Plusieurs femmes allaient et venaient ça et là…dans la fraîcheur de septembre. Aucune ne chercha à me retenir. Enfin, j’aperçus Marika. Mon cœur battit étrangement. Elle se précipita vers moi, me tendit la main : «  j’étais sûre que vous viendriez ! » dit-elle simplement. Je lui savais gré de ne pas me tutoyer comme si j’avais été n’importe quel client…

         Elle me prit par la main.  Tout simplement. Je la regardai. Marika était toujours vêtue de noir, les yeux couleur d’ambre, gracieuse, fragile et forte à la fois. Je sais, l’expression est banale mais je n’y peux rien puisque c’était la vérité. Nous avons monté un escalier plutôt raide. « C’est là » me dit-elle en ouvrant la porte d’une pièce minuscule. L’odeur de renfermé me suffoqua. Un simple lit-cage emplissait presque toute la pièce. Je me sentais oppressé La fenêtre était grande ouverte. « J’essaie pourtant d’aérer autant que je peux, me dit Marika comme pour s’excuser, mais… »

 

 

         Elle se tenait face à moi. Je me sentais terriblement gêné. Etait-ce la différence d’âge ? Un homme de quarante-sept ans et une jeune fille d’une vingtaine d’années ? Oh, non…mais comment lui faire comprendre…. Marika s’approcha de moi. Nous étions tous deux intimidés. « Est-ce que vous voulez… ? » commença-t-elle… Je fis signe que non. Elle ne sembla pas surprise de l’attitude de ce client plutôt déconcertant.

         « Je suis venu pour parler…murmurai-je, pour parler avec vous. Je ne veux pas…Je ne veux pas… 

- Coucher avec moi ?  prononça-t-elle en souriant.

- Oui… ou plutôt, non… »dis-je en m’asseyant sur le lit. Elle prit place à mes côtés.

 

 

         Nous avons parlé longtemps Elle était hongroise, étudiante en français. Prostituée occasionnelle pour payer ses études puisque ses parents, ayant tout juste de quoi vivre, n’avaient pas d’argent pour « entretenir » leur fille aînée. Marika faisait un mémoire sur les poètes français du début du 20ème siècle. A quelle université ? En Hongrie ? En Roumanie ? Elle ne désirait pas me le révéler. Je n’insistai pas. Ayant appris qu’un colloque sur la poésie

allait se dérouler à S***, elle s’y était rendue, avait emprunté cette misérable chambre à une amie pour mieux « s’adonner à cette activité alimentaire » selon ses propres termes.

         « Lorsque je vous ai entendu parler français avec votre ami roumain, je n’ai pu résister. Je vous ai accosté… »

         Le temps passait. Nous parlions toujours. Une idée folle me traversait la tête : Marika pourrait prendre la parole à ce colloque, je pourrais la présenter… Sottement, je le lui proposai. Elle fit non de la tête. Bien sûr, c’est elle qui avait raison. Une autre idée encore plus  folle s’empara de moi : la ramener en France où elle pourrait finir tranquillement ses études mais je n’osai le lui suggérer.

        

Je me levai pour partir proposant de la retrouver le lendemain, peut-être un peu plus tôt. « Non, pas demain, me dit-elle, parce que… » Je détournai les yeux. Elle était « prise », pensais-je. « Prise » quel horrible mot, vraiment ! Je lui tendis la main. Elle la serra sans mot dire. « Après demain, alors ? 

         - C’est entendu, après demain » me répondit-elle.

         Et je sortis rapidement sans me retourner. Une fois dehors, je frissonnai  mais cette sensation me fit du bien. Je  m’étirai un peu. J’étais engourdi. Je levai les yeux. La nuit était belle, ma  première nuit en compagnie de Marika…Je hâtai le pas. J’avais hâte de rentrer à l’hôtel. Les rues étaient désertes. Quelle heure pouvait-il être ? Je l’ignorais : j’étais ému et heureux à la fois. « Tu es complètement fou, mon pauvre ami, me dis-je. Tu ne changeras jamais ! » Comme pour me donner raison, un chat miaula tristement, tout proche. J’aurais aimé le caresser mais il ne se montra pas.

 

- Alors, ça va comme tu veux avec ta pute ? »me lança Vasile, le lendemain matin. Je ne répondis rien. Je l’aurais volontiers giflé mais comment lui en vouloir ? Les apparences étaient contre moi. Je décidai brusquement de téléphoner à Paris à ma femme. « Comment vas-tu ? me demanda-t-elle. Tu as l’air bizarre. » J’avais beau lui affirmer que le voyage, le trajet en voiture m’avaient fatigué, elle n’était pas dupe. « Ne t’inquiète pas, je vais bien mais je me sens un peu étrange depuis mon arrivée. » et je raccrochai un peu trop rapidement après avoir pris machinalement des nouvelles des enfants.

         La journée s’écoula. Inexorablement. Pourtant, au centre culturel  avec les autres Français, j’avais momentanément oublié Marika. Vasile m’avait chaleureusement présenté à l’auditoire. J’avais lu quelques nouvelles. Les questions des étudiants étaient intéressantes.

« Je ne la verrai pas aujourd’hui » pensais-je… Je décidai de présenter mes excuses à Vasile qui avait tellement fait pour moi mais comment lui expliquer la situation ? Vasile accepta mes excuses de bonne grâce  en m’avertissant néanmoins que les éditeurs roumains n’étaient pas à mes ordres, et que c’était à moi de me présenter le plus vite possible pour prendre à nouveau rendez-vous. J’en convins. Mon ami me regardait curieusement. Nous nous connaissions depuis longtemps mais je voyais mal comment lui révéler la situation :  Marika m’intéressait  comme interlocutrice et non comme…Incrédule, Vasile aurait probablement ri en me disant avec une de ces expressions françaises qu’il affectionnait : « qu’il ne vendrait pas la  mèche et que j’étais un grand garçon… »

         Bien sûr, le lendemain, je revis Marika et le surlendemain encore… Mon séjour touchait à sa fin. J’aurais voulu… Qu’est-ce que j’aurais voulu, au juste ? Prolonger mon séjour ? Ne plus la retrouver le soir « vers 21 heures » ? Rompre, si on peut utiliser un mot aussi ambigu… ou tout simplement annoncer d’un ton léger à ma famille: « Voilà, je vous présente Marika. Elle est étudiante en français, elle se prostitue pour payer ses études. Elle va loger chez nous » ? Mais, c’est bien connu, l’être humain est  généralement veule. Sans doute ne faisais-je  pas exception à la règle.

         La veille de mon départ arriva. Ce soir-là, elle n’était pas « prise » ou, peut-être, s’était-elle libérée pour moi . J’arrivai un peu en avance sur la « fameuse » place où la fraîcheur vespérale avait cessé de m’atteindre. Comme si elles s’étaient donné le mot depuis le début, les prostituées ne firent pas attention à moi. Ni moi à elles. Toutes vêtues de noir…elles allaient et venaient en silence. A quoi était due cette tenue inhabituelle ? Vaguement écoeuré par des parfums bon marché, trop capiteux à mon goût, j’errai au milieu d’un étrange ballet féminin qui m’évoquait celui de la mort en quête de quelques victimes consentantes  . J’avais la gorge sèche. Mon étudiante se précipita vers moi, la main tendue. Elle avait l’air ravie de me voir. Je gardai cette main dans la mienne, un peu

trop longtemps peut être. « Et si nous allions quelque part manger un morceau ? » proposai-je. Marika secoua la tête « Non, j’ai ce qu’il faut dans ma chambrette ». Je n’insistai pas. « Je pars demain »lui dis-je rapidement. Elle ne répondit pas, tourna la tête vers moi en souriant : « Demain, dès l’aube, à l’heure ou blanchit la campagne, / je partirai. / Vois-tu, je sais que tu m’attends . » commença-t-elle. Je l’arrêtai d’un geste : « Avez-vous un poème prêt pour chaque circonstance  de la vie ? » Son sourire désarmant me serrait le cœur.

La chambre était toujours aussi minuscule. Nous trouvâmes un petit coin sur le lit, comme d’habitude. Les mots , de part et d’autre, avaient peine à sortir. Tête baissée, fixant obstinément le sol recouvert d’une moquette qui avait dû être bleue, je réfléchissais. Marika portait un foulard rouge sur son éternelle robe noire. Le  cadeau d’un client ? Un symbole que je ne comprenais pas ? Elle se tourna vers moi, le retira doucement et me le tendit.

« C’est pour vous »  dit-elle enfin. 

Je lui pris la main :

« Je n’oublierai pas.. » commençai-je.

- Il ne faut pas dire ça…il ne faut pas , murmura la jeune fille.  Vous devriez partir à présent. 

- Vous me chassez ?

- Non… mais le moment des adieux est toujours délicat et puis…nous ne nous reverrons pas » .Je restai silencieux. Et soudain : « Marika, je peux vous laisser mon adresse… ou alors si vous me donnez la vôtre, je pourrai vous envoyer des livres pour vos études… »

Son visage était tout proche à présent. Ses yeux dans les miens. Couleur d’ambre.

Elle prononça quelques mots dans une langue inconnue…Du hongrois ? Quelle importance…

La chambre était dans la pénombre. Moi aussi. Les mains de Marika glissées dans les miennes. Elle  appuya sa tête sur mon épaule. Très doucement. Je ne bougeai plus. Le temps s’était arrêté. J’avais envie de rester là à jamais. Qui nous surprendrait ainsi ? La mort ?

 

 

 

Moartea, moartea mereu…

în oglinzi

opaca

cu gratii de sînge…

 

 

Ces quelques vers de Vasile me revenaient  lentement en mémoire…

 

J’avais apporté mon dernier  roman à Marika. Elle battit des mains comme une enfant.

Pour dissiper mon trouble ou plutôt notre trouble, je tentai de lui résumer l’histoire : « Il s’agit d’un homme dont la femme vient de mourir. Elle était russe. Fou de chagrin, il part à Moscou et décide de rechercher les origines de la défunte, des traces de sa famille. Il erre désespérément dans les rues et dans les cimetières, dort n’importe où, interroge les gens pour garder un souvenir d’elle. On le prend pour un fou.. . ». Je m’arrêtai. C’était dérisoire. Je sentais le souffle de Marika sur ma joue, sur mes lèvres…

         « Il faut que vous partiez maintenant. Nous allons peut-être faire une folie… »

Pourquoi avais-je du mal à distinguer son visage à présent ? La fatigue, bien sûr, l’éternelle fatigue ! Pour quelles raisons se cache-t-on toujours la vérité ? Pourquoi ? Il était

trop tard pour s’interroger. Je connaissais trop bien la réponse. L’être humain est veule … Pourquoi aurais-je fait exception à la règle ?

         Je me suis levé avec maladresse. Marika s’est approchée. Je me suis réfugié dans ses bras, le visage enfoui dans ses cheveux. Elle a prononcé quelques mots en hongrois…

 

 

 

 

Aujourd’hui ,j’ai reçu une lettre de Vasile. Je suis invité en Roumanie à S*** tout près de la frontière hongroise.

 « Il y aura beaucoup d’écrivains.  Je compte absolument sur toi, m’écrivait Vasile, tu vas recevoir un  grand prix de poésie ( je ne devrais pas te le dire ) et, à cette occasion, je vais éditer une anthologie de tes textes dans une édition bilingue français/roumain. Ah, j’oubliais…Un éditeur hongrois m’a contacté récemment. Il va t’ écrire : il souhaite beaucoup éditer ton dernier livre… »

 

 Denis Emorine

 

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La mort, toujours la mort…

dans les miroirs

opaque

avec ses barreaux de sang…

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Un poème d'Yves Oliver "Désir de nuits calmes"

Publié le par christine brunet /aloys

 
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Désir de nuits calmes
    - les bases souples -
    Recherche de liberté
    Près des tôles ondulées
    Avec les svastikas levées
    Sur le ciel d'hiver
 
    La honte incroyable
    De nous
    Et l'incorrigible volonté
    Qui nous pousse à vivre
    Encore
    Sur ces amas de peaux brûlées
    Des croix de métal noir
    Cousues sur nos paupières
    Nous mangeons la chair
    Des enfants perdus
    Le désespoir tatoué sur nos coeurs
 
    Cette nuit encore il neige
    Il neige sur la grande forêt
    La grande forêt qui est en feu
    Cette nuit encore
    Les morts parlent aux morts
    Et aucun vivant
    Ne les écoute

Yves Oliver

 Poème tiré de mon recueil "La théorie du plaisir" (Ed Chloé des Lys) 

  www.yvesoliver.com

 

Publié dans Poésie

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Les cathédrales, la dernière chanson d'Hugues Draye

Publié le par christine brunet /aloys

 

H.draye

 

Non, je ne crache pas devant les cathédrales
Surtout quand leur style architectural,
Leurs nefs, leurs voûtes, leurs clochers, leurs portiques,
Leurs statues de Saint-Jacques, leurs reliques
Croisent mon ch'min, s'imposent à moi, me saluent
Et m'en fichent carrément plein la vue
  
Je me contenterai juste d'ajouter :
Quand je pénètre dans ces lieux sacrés,
Les murs, les coupoles dignes des cathédrales
Gothiques, baroques ou tendance médiéval
Me semblent si hauts, si impressionnants,
Si froids, si écrasants, si terrifiants
Et comme par hasard, je n'y croise pas
Le Dieu que je cherche et qui vit en moi
  
Non, je ne crache pas devant les cathédrales
Surtout quand des vitraux siugnés Chagall
Avec leurs dominantes bleu translucide
Eclairent, illuminent ou élucuident
Les mystères supposés des tabernacles
Je m'incline devant un tel spectacle
  
Je me contenterai juste d'ajouter :
Quand je visite, quand j'explore ces lieux sacrés,
Où voguent, où défilent des gens comme moi,
Index porté au bout des livres ... ou Nikon sous l'bras,
Marchant poliment sur la pointe des pieds,
Je ne capte aucun signe d'accueil ou d'amitié,
Et comme par hasard, je n'y croise pas
Le Dieu que je cherche et qui chante en moi
  
Non, je ne crache pas devant les cathédrales
Même quand on y vend des cartes postales
De braves grands-mères toujours en fonction
Y trouvent sans doute un sens à leur mission
Les marchands du temple, jadis éconduits,
S'intègrent dans le monde d'aujourd'hui
 
Je me contenterai juste d'en sourire,
De poursuivre ma route et de me dire :
Quand un lieu sacré devient consacré,
Officialisé, ritualisé,
Il perd, il annule (est-ce une évidence ?)
Son âme, son essence, sa quintescence
Et comme par hasard, je n'y croise pas
Le Dieu que je cherche ... et qui hurle en moi
 

 

 

HUgues Draye

www.myspace.com/huguesdraye

Publié dans Poésie

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L'auteur... Thierry Ries !

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

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Ce goût de terre précis

 

Nath a raison. Son côté mère dominante et possessive me bouscule encore, mais elle a raison. Pour ma paix intérieure, je m’incline, comme toujours ou presque.

Dierick, comme souvent, renchérit :

- Il suffit que vous tombiez sur un bacille ou un parasite, juste dans une seule moindre bouchée, et là, retour au traitement choc.

Nath a balancé une vanne, un sarcasme et dispersé ce chapelet montant de petits rires en accordéon tout à elle.

Bien plus aujourd’hui qu’à l’adolescence, et avec l’arrivée de Dierick, voilà six ans, quant il l’a opérée, Nath se targue de connaître La Vérité pour les autres ; plus incisive que jamais, elle et ses humeurs et états d’âme tonitruants… tonitruant. Ce que j’aime ce mot ! D’abord, sa sonorité, son évocation. Puis, Toni c’est mon prénom. Enfin, avec truand, si on remplace le t par un d, on a mon truand de chef d’épouse tout entier. Publique. Impudique. Sulfurique. Pseudo mystique. Et tous les hics entre nous.

Malgré leur reproche, je me suis penché vers l’avant, et m’agrippant vaille que vaille aux accoudoirs du fauteuil roulant, j’ai mis en bouche un zeste de terre du parc de l’hosto.

Plus que ça, ce goût : plus qu’un rituel, qu’un culte, qu’une dévotion ; retour à la terre, à l’enfance, terre d’enfance, enfance de la terre.

A la mère aussi, quand la mienne organisait des après-midi d’échappatoire, balades, recherche de glaise, ateliers poterie. J’avais léché un doigt par distraction puis encore par curiosité. Une décennie plus tard, j’en prenais dans mes bagages militaires. Nath était là, déjà, toujours, autour de mes quatre décennies, d’inquiétudes grandissant avec chacune d’elles…

Je ne sais si c’est moi ou Dierick et Nath qui sont fous. Pourquoi au juste veulent-ils, selon moi, me garder en vie, ni trop près, ni trop loin de leurs activités sibyllines, nébuleuses ?

Argent ? Maison ? Couverture sociétale ? Terres ?

Mes jambes sont racines mortes. Si elles revivent un jour, il faudra du temps pour qu’elles me tiennent à nouveau sur terre. A présent, je la sens plus fort, cette terre. Par les doigts ; les narines ; la langue.

C’est beaucoup, l’enfance. Sentir la vie autre.

Quelque chose en moi me rend fort, prêt à tout relever, réveiller, révéler. Quelque chose qui tient de ma visite sous terre. D’immenses méandres me distancient de ce monde de réalité relative, de dépendances affectives, d’inachèvement de coursive, bringuebalant et soluble au moindre examen.

Nath veut me faire croire que ce qui est arrivé - je devrais écrire ce qu’elle a causé - n’est en rien le fruit du hasard. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, me prétend-elle. C’est vrai que pour ce coup-là, c’est plus qu’étrange :

Elle est née un 2 juin. Moi, un 6 juin. Nous nous sommes mariés un 26 juillet. Le crash a eu lieu le 26 février 2006, à bord de sa 206…

S’il est vrai que je crois au hasard, tout ça fait beaucoup. Et ça me chavire d’une berge à l’autre.

J’ai pensé et repensé à ce qui a pu se passer : mon audace, d’abord « d’exiger » de l’accompagner chez Dierick, qui a fini par payer. Nath ne me reconnaissait pas, ni moi non plus d’ailleurs, moi qui depuis trop longtemps jouais la politique de l’autruche, les yeux sous terre.

Personne encore ne sait mot de notre dispute dans la 206, avant que Nath ne la verse dans le fossé, alors que j’avais enfin obtenu qu’elle me conduise chez son sacro-saint gourou. Moi, je ne roulais plus, depuis mon sevrage, je tremblais encore trop.

C’est la première fois que je transcris toute cette histoire dans ce carnet, je me demande qui pourra la lire un jour… ?

Selon mon souvenir, c’est Nathalie qui a commencé les reproches ; ça disait à peu près ceci :

- Tu vas me dire ce que tu veux savoir, à la fin ? Tu n’as rien à faire là-bas, tu es trop primaire.

Je tenais tête.

- Après tout, ça fait des années que tu rejoins Dierick et que tu en reviens toute changée. C’est pas que je veuille des explications, je veux voir, c’est tout.

- Si tu y tiens… mais je te répète que tu es loin d’être prêt, à supposer que tu le sois un jour.

- Pas prêt à quoi ? A vos initiations mystiques ? Vos… vos simagrées cosmiques ? Vos… vos croyances narcissiques ?

J’étais allé un peu loin dans la provoc, je crois, en ce drôle de 26 février 2006. Surtout connaissant sa nature impulsive. C’est que, trouvant ces derniers temps que Nath devenait de plus en plus illuminée, et qu’un soir, ayant croisé son ordi allumé pendant qu’elle était au téléphone, j’étais tombé sur un lien envoyé par Dierick, qui l’invitait à des dons pour un gourou indien milliardaire et controversé qui laissait baba. Jouant d’audace, j’étais allé dans la recherche de messages plus anciens. Dans l’un d’eux, Dierick y évoquait des manœuvres pour parvenir à la succession de mes terres. J’avais dû couper rapidement, Nath venait de raccrocher…

J’espérais une conversation franche avec eux, jusqu’à ce jour du crash. A voir l’état de la voiture, je ne comprends toujours pas comment elle s’en est sortie indemne.

Quant à moi, je suis, paraît-il, un miraculé : 16 minutes d’apnée sans oxygénation, et surtout sans la moindre séquelle cérébrale… Un record jamais égalé, me dit-on, de mémoire de médecin. Cela tiendrait au fait que je ne me suis pas noyé dans l’eau, mais dans la boue de ce fossé où Nath, dans un accès de colère, avait versé la Peugeot. L’urgentiste m’a parlé du Guinness Book, pour que j’y entre. Il s’occuperait de tout. Je suis décidément mis à toutes les sauces !

Moi, tout ce que j’ai senti, c’est ce goût de terre précis en bouche qui m’a prolongé les sens, ramené près de trente ans en arrière.

Dierick était là quand ils m’ont sondé. C’est lui-même qui a pris la responsabilité d’un pneumothorax. Entre trépassement et demi conscience, je me souviens vaguement de ma tristesse, quand la boue a quitté mes poumons. Bizarre, me dirait-on ! C’est que tout un soleil buissonnier, tout un atelier de poterie, ces goûts, ces odeurs, ces gestes primesautiers poétiquement infantiles, toutes ces marques de grandes vacances s’en allaient avec la vidange de mes voies respiratoires.

La morphine et les médocs m’ont laissé dans un état second. Voilà trois jours que je feins de les prendre, pour conserver le plus possible de lucidité.

Je ne veux pas que mes terres servent un temple, où mes illuminés pourraient à leur guise manipuler certains cerveaux, aussi résignés qu’influençables, ayant grand besoin de se raccrocher à tout et n’importe quoi.

Je me souviens encore par éclairs de Dierick gueulant sur l’urgentiste :

- Doucement, bon Dieu, le pouls s’affole ! C’est bien trop tôt pour l’adrénaline. N’importe quoi… Vous voulez le voir clamser ? Refaites un électrochoc, je reprends en manuel.

Je me souviens de mon moi intangible, survolant par-dessus terre les quatre bras s’affairant sur mon corps à demi mort. J’étais présent à 1000% d’âme. Ame qui enflait, enflait, jusqu’à dépasser la salle d’op. Dans le couloir, il y avait Nath, accrochée comme souvent quand j’étais là, à son portable. Dierick l’avait rejointe. Peut-être étais-je « sauvé » ? Et mon âme partout dans l’univers, mais surtout là, dans ce couloir où Dierick a embrassé Nath. J’ai ressenti une vraie souffrance, signe effectif que mon corps était en train de se remettre à vivre sa vie terrestre.

Tout est, qui doit être.

La promenade se termine. Nous quittons le parc de l’hôpital, un dernier rayon de fin de journée traverse la pièce vitrée à l’arrière du bâtiment.

Demain, je pourrai sortir, à condition que l’on me soigne à domicile. Dierick veut me prendre chez lui ; ça, jamais ! Sinon, je suis réellement foutu. Mon ami Marc viendra me chercher une heure avant eux. Il se fera passer pour un assistant de Dierick.

C’est dans les instants critiques qu’on se rend compte si on peut faire confiance à ceux qu’on croit être des amis. On verra.

Qui terre a, guerre a.

J’ai gardé un peu de cette boue qui m’a « sauvé », un infirmier, sur ma demande, me l’avait conservée.

Il me reste au moins ça : ce goût de terre précis.

 

     Thierry Ries

 

Cette nouvelle a été écrite pour les besoins du thème de la revue de notre cercle littéraire hainuyer Clair de luth ( www.clairdeluth.be).

 

Publié dans auteur mystère

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C'est le jeu d'Aloys... Mais qui a écrit cette nouvelle ???

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

 point d'interrogation

 

 

 

Ce goût de terre précis

 

Nath a raison. Son côté mère dominante et possessive me bouscule encore, mais elle a raison. Pour ma paix intérieure, je m’incline, comme toujours ou presque.

Dierick, comme souvent, renchérit :

- Il suffit que vous tombiez sur un bacille ou un parasite, juste dans une seule moindre bouchée, et là, retour au traitement choc.

Nath a balancé une vanne, un sarcasme et dispersé ce chapelet montant de petits rires en accordéon tout à elle.

Bien plus aujourd’hui qu’à l’adolescence, et avec l’arrivée de Dierick, voilà six ans, quant il l’a opérée, Nath se targue de connaître La Vérité pour les autres ; plus incisive que jamais, elle et ses humeurs et états d’âme tonitruants… tonitruant. Ce que j’aime ce mot ! D’abord, sa sonorité, son évocation. Puis, Toni c’est mon prénom. Enfin, avec truand, si on remplace le t par un d, on a mon truand de chef d’épouse tout entier. Publique. Impudique. Sulfurique. Pseudo mystique. Et tous les hics entre nous.

Malgré leur reproche, je me suis penché vers l’avant, et m’agrippant vaille que vaille aux accoudoirs du fauteuil roulant, j’ai mis en bouche un zeste de terre du parc de l’hosto.

Plus que ça, ce goût : plus qu’un rituel, qu’un culte, qu’une dévotion ; retour à la terre, à l’enfance, terre d’enfance, enfance de la terre.

A la mère aussi, quand la mienne organisait des après-midi d’échappatoire, balades, recherche de glaise, ateliers poterie. J’avais léché un doigt par distraction puis encore par curiosité. Une décennie plus tard, j’en prenais dans mes bagages militaires. Nath était là, déjà, toujours, autour de mes quatre décennies, d’inquiétudes grandissant avec chacune d’elles…

Je ne sais si c’est moi ou Dierick et Nath qui sont fous. Pourquoi au juste veulent-ils, selon moi, me garder en vie, ni trop près, ni trop loin de leurs activités sibyllines, nébuleuses ?

Argent ? Maison ? Couverture sociétale ? Terres ?

Mes jambes sont racines mortes. Si elles revivent un jour, il faudra du temps pour qu’elles me tiennent à nouveau sur terre. A présent, je la sens plus fort, cette terre. Par les doigts ; les narines ; la langue.

C’est beaucoup, l’enfance. Sentir la vie autre.

Quelque chose en moi me rend fort, prêt à tout relever, réveiller, révéler. Quelque chose qui tient de ma visite sous terre. D’immenses méandres me distancient de ce monde de réalité relative, de dépendances affectives, d’inachèvement de coursive, bringuebalant et soluble au moindre examen.

Nath veut me faire croire que ce qui est arrivé - je devrais écrire ce qu’elle a causé - n’est en rien le fruit du hasard. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, me prétend-elle. C’est vrai que pour ce coup-là, c’est plus qu’étrange :

Elle est née un 2 juin. Moi, un 6 juin. Nous nous sommes mariés un 26 juillet. Le crash a eu lieu le 26 février 2006, à bord de sa 206…

S’il est vrai que je crois au hasard, tout ça fait beaucoup. Et ça me chavire d’une berge à l’autre.

J’ai pensé et repensé à ce qui a pu se passer : mon audace, d’abord « d’exiger » de l’accompagner chez Dierick, qui a fini par payer. Nath ne me reconnaissait pas, ni moi non plus d’ailleurs, moi qui depuis trop longtemps jouais la politique de l’autruche, les yeux sous terre.

Personne encore ne sait mot de notre dispute dans la 206, avant que Nath ne la verse dans le fossé, alors que j’avais enfin obtenu qu’elle me conduise chez son sacro-saint gourou. Moi, je ne roulais plus, depuis mon sevrage, je tremblais encore trop.

C’est la première fois que je transcris toute cette histoire dans ce carnet, je me demande qui pourra la lire un jour… ?

Selon mon souvenir, c’est Nathalie qui a commencé les reproches ; ça disait à peu près ceci :

- Tu vas me dire ce que tu veux savoir, à la fin ? Tu n’as rien à faire là-bas, tu es trop primaire.

Je tenais tête.

- Après tout, ça fait des années que tu rejoins Dierick et que tu en reviens toute changée. C’est pas que je veuille des explications, je veux voir, c’est tout.

- Si tu y tiens… mais je te répète que tu es loin d’être prêt, à supposer que tu le sois un jour.

- Pas prêt à quoi ? A vos initiations mystiques ? Vos… vos simagrées cosmiques ? Vos… vos croyances narcissiques ?

J’étais allé un peu loin dans la provoc, je crois, en ce drôle de 26 février 2006. Surtout connaissant sa nature impulsive. C’est que, trouvant ces derniers temps que Nath devenait de plus en plus illuminée, et qu’un soir, ayant croisé son ordi allumé pendant qu’elle était au téléphone, j’étais tombé sur un lien envoyé par Dierick, qui l’invitait à des dons pour un gourou indien milliardaire et controversé qui laissait baba. Jouant d’audace, j’étais allé dans la recherche de messages plus anciens. Dans l’un d’eux, Dierick y évoquait des manœuvres pour parvenir à la succession de mes terres. J’avais dû couper rapidement, Nath venait de raccrocher…

J’espérais une conversation franche avec eux, jusqu’à ce jour du crash. A voir l’état de la voiture, je ne comprends toujours pas comment elle s’en est sortie indemne.

Quant à moi, je suis, paraît-il, un miraculé : 16 minutes d’apnée sans oxygénation, et surtout sans la moindre séquelle cérébrale… Un record jamais égalé, me dit-on, de mémoire de médecin. Cela tiendrait au fait que je ne me suis pas noyé dans l’eau, mais dans la boue de ce fossé où Nath, dans un accès de colère, avait versé la Peugeot. L’urgentiste m’a parlé du Guinness Book, pour que j’y entre. Il s’occuperait de tout. Je suis décidément mis à toutes les sauces !

Moi, tout ce que j’ai senti, c’est ce goût de terre précis en bouche qui m’a prolongé les sens, ramené près de trente ans en arrière.

Dierick était là quand ils m’ont sondé. C’est lui-même qui a pris la responsabilité d’un pneumothorax. Entre trépassement et demi conscience, je me souviens vaguement de ma tristesse, quand la boue a quitté mes poumons. Bizarre, me dirait-on ! C’est que tout un soleil buissonnier, tout un atelier de poterie, ces goûts, ces odeurs, ces gestes primesautiers poétiquement infantiles, toutes ces marques de grandes vacances s’en allaient avec la vidange de mes voies respiratoires.

La morphine et les médocs m’ont laissé dans un état second. Voilà trois jours que je feins de les prendre, pour conserver le plus possible de lucidité.

Je ne veux pas que mes terres servent un temple, où mes illuminés pourraient à leur guise manipuler certains cerveaux, aussi résignés qu’influençables, ayant grand besoin de se raccrocher à tout et n’importe quoi.

Je me souviens encore par éclairs de Dierick gueulant sur l’urgentiste :

- Doucement, bon Dieu, le pouls s’affole ! C’est bien trop tôt pour l’adrénaline. N’importe quoi… Vous voulez le voir clamser ? Refaites un électrochoc, je reprends en manuel.

Je me souviens de mon moi intangible, survolant par-dessus terre les quatre bras s’affairant sur mon corps à demi mort. J’étais présent à 1000% d’âme. Ame qui enflait, enflait, jusqu’à dépasser la salle d’op. Dans le couloir, il y avait Nath, accrochée comme souvent quand j’étais là, à son portable. Dierick l’avait rejointe. Peut-être étais-je « sauvé » ? Et mon âme partout dans l’univers, mais surtout là, dans ce couloir où Dierick a embrassé Nath. J’ai ressenti une vraie souffrance, signe effectif que mon corps était en train de se remettre à vivre sa vie terrestre.

Tout est, qui doit être.

La promenade se termine. Nous quittons le parc de l’hôpital, un dernier rayon de fin de journée traverse la pièce vitrée à l’arrière du bâtiment.

Demain, je pourrai sortir, à condition que l’on me soigne à domicile. Dierick veut me prendre chez lui ; ça, jamais ! Sinon, je suis réellement foutu. Mon ami Marc viendra me chercher une heure avant eux. Il se fera passer pour un assistant de Dierick.

C’est dans les instants critiques qu’on se rend compte si on peut faire confiance à ceux qu’on croit être des amis. On verra.

Qui terre a, guerre a.

J’ai gardé un peu de cette boue qui m’a « sauvé », un infirmier, sur ma demande, me l’avait conservée.

Il me reste au moins ça : ce goût de terre précis.

 

    

 Alors, selon vous, qui est l'auteur de cette nouvelle ?

Publié dans auteur mystère

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De l'amour (suite)... de Claude Colson, un ajout à son "Tout à trac"

Publié le par christine brunet /aloys

De l'amour -suite

 

 

Depuis l'origine du temps, c'est l'amour qui est le ou l'un des moteur(s) du monde. Voilà quelque chose que peu voudront contester. Et puisque celui-là semble voué à l'éphémère tout comme à l'éternelle renaissance, nous devrions changer - si nécessaire - d'optique à son égard.

 
Nous avons tôt fait d'accuser l'autre d'un échec en la matière, de le mettre à l'origine de la désunion.

 
Notre propre souffrance nous ôte une part de clairvoyance. Au moins dans un premier temps il ne peut en être autrement.

 
Et si c'était l'imperfection humaine face à un Absolu qui était responsable de ce devenir, le plus souvent funeste ?

 
Nous croyons être amoureux de quelqu'un et restons - également - amoureux de l'amour. Un chemin obligé. Le "ver de terre amoureux d'une étoile", "l'impossible rêve".

 
Si c'était notre indignité de toute petite créature contingente qui nous rendait presque toujours incapables d'assumer la transcendance ?
Cela n'enlèvera rien aux souffrances des amants, ne changera rien à leurs comportements dans la crise, mais pourra sans doute, avec le temps, contribuer à les apaiser quelque peu.

 

 

 

Claude Colson

claude-colson.monsite-orange.fr

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Visions apocalyptiques, une nouvelle d'Alain Magerotte

Publié le par christine brunet /aloys

VISIONS  APOCALYPTIQUES

 

Cela fait deux jours que Gabrielle Robert est enterrée. Depuis, la région est recouverte d’un épais brouillard, qui semble prolonger ainsi le deuil d’une enfant du pays. Un orage annonce son arrivée en grondant dans le lointain. Il se prépare à embraser le ciel et à bombarder la contrée d’une pluie diluvienne.

De santé précaire, Gabrielle Robert a mené une existence de trente ans sans guère d’intérêt. Ses maigres ressources disparaissaient promptement dans le gousset du médecin qui tentait, vaille que vaille, de lui maintenir la tête hors de… la fosse, avec un faible succès. Le physique de la pauvre fille se dégradait; aucun signe ne se profilait à l’horizon qui aurait pu rendre un peu d’espoir à Gabrielle. En attendant que sonne le glas, elle vivotait, poursuivant, bon gré mal gré, son chemin de croix avec la dignité conférée à ceux qui souffrent.

Le jour de sa visite, le médecin trouva porte ouverte et silence complet dans la demeure de Gabrielle Robert. L’homme de science se rendit à l’étage pour constater que sa malade, allongée sur son lit, ne donnait plus aucun signe de vie.

Alertées, les Autorités s’occupèrent de faire inhumer la défunte.

 

René Lorge est le gardien du cimetière où repose Gabrielle. Le calvaire de la jeune femme l’a ému au point de le révolter : pourquoi le destin s’est-il acharné sur cette malheureuse ? Qu’avait-elle fait pour mériter cela ? Voilà un mystère que René aimerait élucider. Ce n’est pas le seul, car, du fond de son cabanon, flanqué à l’entrée de la nécropole, notre gardien ne se contente pas de rêvasser devant l’enceinte grise et lépreuse du cimetière… l’homme lit des tas de bouquins, s’interroge à propos d’une foule de choses au sujet desquelles il voudrait obtenir des éclaircissements… tiens, par exemple, parlez-lui des deux grandes questions fondamentales de la vie : le commencement et la fin. Il est intarissable là-dessus. Tout ce qui touche à notre présence et à notre destin ici-bas le passionne et l’intrigue… voilà pourquoi, l’infortune de Gabrielle Robert est digne de requérir toute son attention.

« Pour le commencement, je ne sais pas, mais pour la fin, t’es aux premières loges, René » se plaît à ironiser son pote, Albert, le fossoyeur.

La préoccupation est universelle quant au mode dans lequel le monde et la vie humaine ont commencé et, encore plus important, comment finiront-ils ou quelles catastrophes l’homme devra-t-il annihiler pour survivre ?

Les prophètes, tant religieux que profanes, se sont également intéressés à l’éventualité d’une apocalypse totale. Le voyant français du XVIème siècle, Nostradamus, habituellement sibyllin quand il s’agit de dates précises, choisit d’être exact à la prédiction suivante :

« En l’an 1999, au septième mois, viendra du ciel, un grand roi de terreur… »

La théologie islamiste a prophétisé que la religion musulmane durera jusqu’à peu de temps après que l’homme a marché sur la lune. Selon une tradition bouddhiste, le bouddhisme se terminera avec la déposition du treizième Dalaï Lama, ainsi que c’est arrivé.

Une prophétie de l’Ancien Testament dit que la deuxième venue du Messie viendra dans le cours d’une génération après la réadaptation des juifs dans leur patrie originelle.

Et celle qui est la plus splendide réalisation de la civilisation meso-américaine, le calendrier Maya, indique une interruption catastrophique à la date du 24 décembre 2011 qui devrait correspondre à la fin de l’époque actuelle, la cinquième, de l’histoire de l’humanité.

Le cinquième ciel, appelé Toniatiuh, devrait prendre fin avec d’imminents cataclysmes ou séismes.

L’importance de ces divers mythes et traditions de menaçants désastres ne consiste pas dans le fait qu’ils varient de dates mais, dans leur concordance et impressionnante convergence vers la fin de l’actuel second millénaire, le 2000 A.C. en astrologie, l’ère des poissons. Reste à savoir si les anciens avaient raison…

… Et Albert de mettre son copain René en garde contre ses lectures :

« Qu’est-ce que t’as besoin de te prendre la tête avec ces trucs de dingues… qu’est-ce que ça peut foutre d’où qu’on vient et où qu’on va… regarde la pauvre Gabrielle et tous les autres… toi, moi… on vient tous d’une mère et on finit tous dans le trou, point final. »

Quand le fossoyeur fait son entrée dans la cahute de Lorge, de puissants éclairs déchirent le firmament dans de fracassants roulements du tonnerre comme si, là-haut, on avait décidé de tirer quelques tardives salves en l’honneur de Gabrielle Robert.

« Dis donc, René, il te resterait pas un peu de café, par hasard ?… Avec ce qui va dégringoler, je me réchaufferais bien un peu… 

- T’as de la chance, Albert, je viens juste d’en passer… je te sers une tasse…

- Merci… en venant, vu le temps qui se prépare… je pensais aux prédictions de tes fameux bouquins…

- Tu ne les as jamais lus !

- Oh, mais tu m’as suffisamment raconté… tiens, la dernière fois, je n’osais pas m’endormir par peur de pas profiter de mes derniers instants…

- T’en fais pas, l’apocalypse, ce n’est pas pour demain… tout au plus, pour après-demain…

- Arrête, je vais trouiller à nouveau… tiens, à propos de trouille, en jetant les premières pelletées sur le cercueil de la pauvre Gabrielle… j’en ai ressenti une bonne, de trouille…

- Ah ?… Voilà que le travail te fait peur maintenant.

- Déconne pas, je te jure que c’est la première fois que ça m’arrive… c’était… à cause du bruit…

- Le bruit ?  

-… Des coups sourds… ils venaient de sous-terre… du cercueil de Gabrielle… »

Les feuilles des fiers cyprès s’agitent frénétiquement et se courbent aussitôt sous la violence effrénée du vent qui se déchaîne avec une rare sauvagerie. Un éclair vient zébrer les tombes, immobiles et quiètes; l’ouragan fait rage, inondant le sol d’une pluie drue et battante. De puissantes bourrasques accompagnent l’averse, obscurcissant le ciel lavé, noyé dans la grisaille. Sous la poussée d’une nature dévastatrice, quelques branches cèdent. Elles gisent, tordues, sur le sol détrempé. Par dizaines, les pots de fleurs, sortis des alvéoles, tournoient sur les sentiers, vidés de leur contenu qui s’écrase ou s’accroche aux grilles des tombes dont les portes, rouillées, grincent lugubrement. Une fosse récente, prise sous l’avalanche, se remblaie sans peine. Une croix haute et mal assurée s’abat au sol, brisant sur son passage une autre croix ancienne. Les allées en pente du cimetière sont des rus sur lesquels flottent des fleurs et des vases qui n’ont pas résisté aux assauts de l’averse qui redouble de violence. C’est le spectacle dantesque d’une infinie désolation qui s’offre à René et à Albert, spectateurs silencieux, impuissants, collés à la fenêtre du cabanon. 

« C’est la fin du monde » lâche sentencieusement René.

« Tu m’avais cependant dit que ce serait pas pour tout de suite » s’inquiète Albert. Lorge ne relève pas la remarque du fossoyeur. Il poursuit sur une autre idée :

«  Quand il fera plus calme, nous irons sur la tombe de Gabrielle…

- T’as juré de me faire peur, toi…

- Ce n’est pas moi qui ai parlé de bruits suspects… mon idée est que ça doit être un rongeur, ton bruiteur…

- Oui, c’est ça, un rongeur… un rat assurément… y en a beaucoup dans le coin… »

Mais le déluge se prolonge au-delà des heures de prestations des deux hommes, obligeant René à repousser au lendemain le désir de se rendre sur la tombe de Gabrielle Robert. Ils prennent congé l’un de l’autre et chacun regagne ses pénates en se protégeant du mieux qu’ils peuvent de la nature en folie.

Rentré chez lui, Albert, trempé jusqu’aux os, baisse les volets avant de prendre une douche et de se préparer un lait chaud auquel il ajoute du rhum. Efficace, paraît-il, pour éviter d’attraper la crève. Et puis le rhum, ça peut se boire comme du petit lait, bien que le goût soit meilleur et les effets, différents. Le fossoyeur se ressert alors un verre, un deuxième… le troisième l’envoie au pays des songes.

Je crois que j’ai oublié de fermer la porte de derrière à clé… elle vient de s’ouvrir… sans doute sous la poussée du vent… j’entends des bruits de pas… ça ne peut être le vent. Le vent qui marche… allons donc… ce serait du jamais vu… qui donc se permet de s’introduire chez moi ? Un voleur ? Quelle idée de voler chez un fossoyeur, y a rien à prendre... et puis, y a pas de voleur dans la région… il vient peut-être d’ailleurs…et, s’il vient d’ailleurs, il ne me connaît pas… par conséquent, il ignore que je suis fossoyeur et c’est pour ça qu’il vient dans ma maison dans le but de me voler… il faut que je me lève et que j’aille voir qui est là… pas facile, j’ai l’impression de peser une tonne et puis, ce mal au crâne… faut cependant que j’y arrive… j’ouvre les yeux… aïe, ma pauvre tête… tout est noir, je vois rien… je suis peut-être devenu aveugle… mais non, bêta, il fait nuit… j’entends le tonnerre gronder… ce qui m’empêche en rien de distinguer les pas qui descendent l’escalier menant au grenier… je commence à avoir une sacrée pétoche… faut que je prenne quelque chose pour me défendre, des fois que le voleur m’agresserait… et si je criais ? Le type prendrait peut-être peur et filerait aussitôt… tiens, les pas se sont arrêtés… est-il parti ?… Une impression bien plus inquiétante m’envahit… je sens une présence dans mon dos ainsi qu’une odeur aux relents nauséabonds de la putréfaction… trop tard pour crier… trop tard pour m’armer… je dois prendre mon courage à deux mains… mais le verrais-je ? Il fait si noir… je n’ai pas le choix si je veux me défendre… je fais brusquement volte-face et… là, devant moi, à quelques mètres, c’est l’horreur sans bornes… j’aperçois Gabrielle Robert !… Ses yeux sont vides, exorbités, sans la moindre lueur, effrayants de fixité. Sa bouche, privée de lèvres, laisse apparaître une dentition pourrie, tachée de sang… du sang, il y en a partout sur elle… sur son corps décharné, sur ses bras pantelants aux bouts desquels, les mains ne sont plus que des moignons sanguinolents… je recule, terrorisé, en la voyant s’avancer vers moi d’un pas heurté, recroquevillée dans l’état repoussant de la mort atroce, rabougrie dans sa pestilence… elle s’avance hésitante, du pas des morts, remplissant la pièce d’infection… que me veut-elle ?... M’entraîner au royaume des morts ?… Et pourquoi, moi ? Par vengeance ? Si je l’ai mise en terre, c’est parce que c’est mon boulot, je ne sais rien faire d’autre… faut quand même que je mange… alors, par pitié, va-t’en, Gabrielle !… Va-t-en ! Va-t-en ! Va-t-en !…                 

Tout en hurlant, Albert flanque des coups de pied dans le vide. A force de gesticuler, il bascule du divan où il s’était endormi et se retrouve sur le tapis, le visage en sueur. Il regarde autour de lui. Il n’y a personne… l’odeur a disparu… il n’y a que les «plic ploc» de la pluie qui tombe sur le toit.

«Un cauchemar, c’était qu’un horrible cauchemar… pourtant si réel… j’avais l’impression que je pouvais la toucher… et cette odeur !… Si présente… faut que j’en parle à René… quelle heure est-il ?… Vingt-deux heures, il doit encore être debout…»

A l’autre bout du fil, Lorge prend l’histoire d’Albert très au sérieux même si, en définitive, il ne s’agissait, de toute évidence, que d’un mauvais rêve. Après un court silence, René demande :

« Euh… t’es sûr pour les bruits le jour de la mise en terre de Gabrielle ?

- Absolument, mais comme t’as dit, ça ne pouvait être qu’un rongeur…

- Oui, mais… depuis, y a ton cauchemar… et qui t’as vu dans ton cauchemar ?… Gabrielle ! Ça crée une drôle de coïncidence, tu trouves pas ?…

- Je ne vois pas le rapport…

- Y en a peut-être pas, du moins je l’espère…

- Mais, enfin, René, quels liens y aurait-il entre…

- Tout simplement que les deux fois… Gabrielle… t’a lancé un appel à l’aide.

- Absurde, voyons, puisqu’elle est morte…

- Elle est morte, elle est morte… dans le fond, es-tu certain qu’elle le soit, morte ?… T’as vu le corps ?

- Ben non, puisqu’il était déjà dans le cercueil...

- Et si elle ne l’avait pas été…

- Dans le cercueil ?

- Non, morte…

- Le médecin l’aurait constaté…

- Il a pu se tromper… de son vivant, la pauvre ressemblait déjà à un cadavre...

- De là à enterrer quelqu’un vivant…

- Et pourquoi pas ?… Des erreurs, tout le monde en commet…

- Pas à ce niveau-là…

- Et pourquoi pas, M’sieur Albert ?

- Je me demande si tes bouquins ne te turlupinent pas un peu la tête ?

- Laisse mes bouquins tranquilles, y z’ ont rien à voir avec ça…

- Bon, O.K., te fâche pas… qu’est-ce que tu proposes ?…

- Y a pas trente-six solutions… j’en vois d’ailleurs qu’une…

- Laquelle ?

-… Ouvrir le cercueil de Gabrielle Robert…

- T’es dingue, on ne peut pas faire ça… on va avoir des ennuis…

- Je veux surtout en avoir le cœur net… et puis quels ennuis tu veux qu’on ait ?… Qui c’est le gardien du cimetière ?… Qui c’est le fossoyeur ?…

- Je ne pourrais jamais faire ça…

- Et si… si ça te permettait de sauver une vie ?

- C’est aberrant ce que tu dis…

- On va tout de même tenter le coup, bien qu’à mon avis, il soit trop tard… rejoins-moi au cimetière d’ici une bonne demi-heure… le vent s’est calmé et il pleut presque plus… »

Albert constate en effet qu’il n’entend plus la pluie faire des claquettes sur le toit. 

Quand le fossoyeur arrive au cimetière, le gardien y est déjà, à faire les cent pas.

« Dépêchons-nous, au plus vite ce sera fait… lance, d’emblée, Lorge.

- Imagine que Gabrielle… vive toujours… comment va-t-on expliquer la profanation ?

- Arrête de te poser des questions, on avisera après… bien que je te le répète, on a peu de chance de la trouver en vie…

- Je n’aime pas ça du tout…

- Et moi, tu crois que j’aime ?… On n’a pas le choix… »

Ils se mettent au travail sans tarder. Ce travail éprouvant, tant sur le plan physique que mental, leur envoie des frissons dans la colonne vertébrale. Sans compter que, la nuit, dans un cimetière où, de temps en temps, des feux follets apparaissent fugitivement, n’est pas le meilleur endroit pour une parfaite tranquillité d’esprit.

René se tient accroupi auprès de la lanterne qui diffuse une lumière blafarde, pendant que son compagnon de mystère creuse et creuse encore, faisant un parapet de cette terre boueuse dont il sort les pieds par succions.

Le cercueil apparaît et les deux hommes, conscients de ce que le plus dur reste à faire, s’autorisent une pause. Après quoi, Albert crache dans ses mains, saisit une pioche à bout de bras et enfonce le côté pointu de l’outil sous le couvercle de la bière avant d’exercer une pesée qui fait éclater le bois en deux morceaux.

Le visage crispé, René et Albert sont épouvantés devant le spectacle atroce qui s’offre à eux : les traits ravagés de Gabrielle, tordus dans un ultime appel, sont penchés vers les moignons sanguinolents où se trouvaient ses mains, que la malheureuse a rongées jusqu’à l’os. 

« Comme dans mon cauchemar… je la vois telle que je l’ai aperçue dans mon cauchemar, répète Albert, hébété.

- Elle a été ensevelie… vivante… elle a appelé désespérément… d’où les bruits que t’avais entendus… alors, pour tenir le coup, affolée, elle a mangé ses mains… mon Dieu, quelle horreur…

- Je suis plus sûr, à présent, que c’était un cauchemar…

- Qu’est-ce que tu racontes ?…

- Elle semblait si réelle…

- Allons, tu dérailles… on a jamais vu un mort réussir à…

- Mais puisqu’elle n’était pas morte !… Enfin pas tout de suite…

- Et comment donc aurait-elle pu sortir de la tombe, hein ? Si elle avait su… elle n’aurait pas appelé à l’aide… elle se serait pas mutilée… t’as bien vu le mal que t’as eu pour ouvrir le cercueil… alors, tu penses, affaiblie comme elle l’était…

- Ecoute, je sais plus… tantôt tu me dis qu’elle a appelé parce qu’elle n’était pas morte… tantôt que, même pas morte, elle ne pouvait pas sortir du cercueil… tu ne crois pas qu’on perd tout doucement la boule ? Alors, avant de devenir complètement cinglé… je me barre… je veux plus de ce boulot… plus de cette vie ici…

- Ressaisis-toi, Albert… on va reboucher le trou et on ne dira rien à personne…

- Rebouche-le si tu veux, mais moi, je ne peux pas… j’aurais l’impression de la tuer une seconde fois.

- Y a pas plus de seconde fois que de première qui tienne, enfonce-toi bien dans le crâne que t’as tué personne… elle était morte ou du moins, considérée comme telle.

- Oui, mais elle l’était pas et c’est moi qui l’ai mise en terre…

- Bougre de tête de mule, comment pouvais-tu savoir puisque… Albert ! Albert ! Où cours-tu ? Reviens, bon sang, excuse-moi si je t’ai blessé… reviens, merde… tiens, je vais préparer un café bien chaud, ça nous remettra les idées en place… Albert !…  »

Les appels de René Lorge ne reçoivent aucun écho. Le fossoyeur s’enfonce dans la nuit pour ne plus reparaître, jamais ! Aujourd’hui, nul ne sait ce qu’il est advenu de lui. Est-il toujours en vie ? Dans ce cas, où se terre-t-il ?... Certains esprits malins prétendent qu’il vit de rapines et se cache dans un trou profond, recouvert de branchages, comme pour se punir d’avoir enterré, vivante, Gabrielle Robert. Des battues sont effectuées dans la région, sans résultat...

La catalepsie est la perte momentanée de l’initiative motrice avec conservation des attitudes.

Autrefois, elle était une des phases de la grande attaque d’hystérie. Elle paraît liée à une sorte de réflexe que provoque l’idée fixe. Le plus souvent, la catalepsie est une manifestation de pithiatisme (présence de calculs dans un organisme), et c’est pourquoi on l’observait si souvent dans les salles des hôpitaux. On la rencontre non seulement dans l’attaque d’hystérie mais aussi dans la démence précoce.

Les sens, principalement l’audition et la vision, conservent leur acuité, et l’intelligence ne paraît pas sensiblement affectée.

La catalepsie peut être aussi brusquement déclenchée, surtout quand il s’agit des pithiatiques, par un bruit soudain, un éclat de lumière, etc… alors, le patient demeure dans la position où la crise l’a surpris. Quelques inhalations d’éther réussissent à faire disparaître le malaise, mais son véritable traitement est celui de la maladie dont elle dépend.

René Lorge s’est bien documenté sur le phénomène de catalepsie. Il en est arrivé à la conclusion que, tout comme la fin d’une existence, l’apocalypse peut être postposée… ce qui lui laisse l’espoir de vivre encore un certain temps… sauf, bien sûr, si on l’enterre vivant…     

… Mais que René se rassure, depuis cette triste affaire, les Autorités ont décrété que, désormais, chaque mort, dans la région, sera soumis à un examen sérieux avant d’être enseveli.

 

Alain Magerotte

Une nouvelle tirée de "le démon de la solitude"

 

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Publié dans Nouvelle

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Yaël vent des Hove présente son roman, "Jeu de pieds, jeu de curés"

Publié le par christine brunet /aloys

 

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L’action se déroule dans une Europe occupée par des intégristes catholiques qui au fur et à mesure des années ont pris insidieusement le pouvoir.

En revenant de l’école, Simiane, une fillette de huit ans, assiste à l’assassinat d’un cardinal. Elle est laissée pour morte sur le bord de la route. Après six mois de coma, elle revient à la vie en gardant de son « accident » une alogie et un léger déhanchement.

 Camille et Hugues Varnas, les parents de la petite décident de se laisser disparaître pour sauver Simiane et son frère d’accidents prémédités. Ils se réfugient dans un gigantesque décor de cinéma, où ils se font engager comme figurants-boulangers.

Les trois aînés de la fratrie ignorant le carcan qui était en train de s’abattre sur les plus jeunes, les croient décédés dans un accident de la route. Très vite, ils s’apercevront que la mort annoncée par les gendarmes n’est qu’une façade, et n’auront, dès lors, de cesse de les retrouver.

 

Extrait : 

 

 

Quand Yohann ouvre la porte, elle sait qu’ils ont tué son frère. C’est Basile Nardolé, la mine affligée, et Martine, un mouchoir contre son nez, qui se trouvent devant elle. Une sourde colère gronde en elle.

Monsieur ? demande-t-elle, glaciale.

Puis-je entrer ? dit-il sur un ton grave, en inclinant légèrement la tête. Nous avons une mauvaise nouvelle à vous annoncer.

Non, claque-t-elle, cinglante.

La soutane en est légèrement surprise. Il avait prévu les mots pour le communiquer, assis sur le bord d’un fauteuil, le dos droit, digne. Il s’imaginait consolant la pauvre sœur effondrée, et ne manquerait pas de jouer avec quelques versets judicieusement placés dont il a le secret. Cette femme est plantée dans le sol, son corps est debout, entier, tendu. Elle est comme sa mère, décidée, le regard dur, sans aucune compassion pour Martine qui pleure à ses côtés.

Bien, murmure-t-il. Je comprends.

Vous comprenez quoi ?

L’homme se tait, toussote et commence :

Voilà, votre frère Tanguy s’est tué hier d’une balle dans la tête, chez lui, dans son bureau. C’est un suicide.

Je n’en crois rien, Monsieur.

Je discerne votre difficulté à admettre l’inacceptable, Mademoiselle, reprend la soutane. Le décès d’un proche est toujours difficile à accepter.

Décidément, vous ne captez rien du tout. Je suis sûre qu’il est mort, vous ne seriez pas là ! Je n’avale pas le suicide. Vous êtes tous les deux responsables de sa mort.

Le suicide est indéniable, il faudra vous y faire, Mademoiselle. Cela pose un problème pour l’enterrement, vous n’êtes pas censée ignorer que se donner la mort est gravement puni par l’Église.

Oh ! C’est gravement puni par l’Église ! répète Yohann, sarcastique. Mais quelle va être la sanction si on lui a déjà pris la vie ?

Il ne pourra jamais passer les portes du paradis et sera condamné à errer dans les limbes. Aucun prêtre ne voudra célébrer d’eucharistie.

De toute façon, il n’y a plus de curé en France. Il ne reste que des vautours façonnés d’une mimique hypocrite qui essaient de régir nos vies et maintenant nos morts. Quand bien même vous seriez Dieu sur terre, souvenez-vous qu’au-delà du trépas, la vie des autres vous échappe immanquablement. Je confie à Dieu le soin de juger les actes de Tanguy, Monsieur.

On dit « Mon Père », intervint Martine d’une voix blanche.

Mais Martine, lui réplique Yohann, compatissante. Ce n’est pas mon père, et il n’a rien d’un prêtre. 

La robe noire est posée sur un poteau électrique. Aucun faux pli ne bouge, si ce n’est à la hauteur des poumons où elle se gonfle et se rétrécit à la vitesse d’un taureau prêt à foncer. Les souliers vernis ont de curieuses démangeaisons. Yohann laisse passer un temps. Nardolé la fixe fulminant. Elle reprend :

D’après ce que je comprends, vous vous en lavez les mains ? Ce n’est pas un problème, il sera enterré avec nos amis musulmans.

Quoi ? dit Martine, manquant de s’étouffer.

Tu n’as plus voix au chapitre, Martine. Tu lui as retiré la vie, aie au moins la pudeur de lui laisser la mort.

 

Yaël vent des Hove

http://www.ricochet-jeunes.org/illustrateurs/recherche/4182-yael-vent-des-hove 

Publié dans présentations

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Philippe Desterbecq a lu "Escales en absurdie" de Laurence Amaury

Publié le par christine brunet /aloys

 

Phil D

 

 

 

Laurence Amaury est de ma région; je me devais de lire son recueil de nouvelles. C'est chose faite.

L'absurdie selon le dictionnaire est le royaume de l'absurde. Où Laurence emmène-t-elle donc ses lecteurs?

Si je n'ai pas trouvé bizarres les contes bizarres de Bob Boutique, je n'ai rien trouvé d'absurde dans les nouvelles de Laurence Amaury. Bon, je vous l'accorde, une escale en enfer n'a rien de courant mais c'est le sujet de la première nouvelle. Ensuite, nous voguons dans le monde tout ce qu'il y a d'ordinaire des bibliothécaires et des policiers qui sont les héros de plus de la moitié des histoires de ce recueil qui en compte 15.

Chauffage en panne, infiltrations d'eau (dans une bibliothèque, c'esthttp://www.bandbsa.be/contes2/absurdierecto.jpg grave), commodités ou téléphone à se partager entre bibliothécaires et flics, voilà les thèmes des premières nouvelles. Nous assistons ensuite à un débat entre défenseurs d'animaux et zoophobes et nous faisons un petit tour dans un supermarché où les caissières étalent leurs états d'âme. Nous rencontrons également un sommelier poète qui fait chanter les grands vins.

Laurence nous propose également trois intermèdes pour faire escales, sans doute, entre les différents voyages entrepris.

Ce qui frappe dans l'écriture de l'auteure, c'est la syntaxe parfaite et le vocabulaire recherché. Laurence Amaury écrit très bien, c'est le moins qu'on puisse dire. Elle fait également référence à de nombreux auteurs, ce qui prouve ses connaissances littéraires.

Un extrait qui m'a plu tout particulièrement. Laurence nous donne, par l'intermédiaire du sommelier, une définition du poète ou de la poésie.

La poésie ne se définit pas, pas plus qu'elle ne se laisse enfermer dans de savantes règles de versification. .. Elle a horreur des dictionnaires de rimes! Elle ne se laisse pas approcher de trop près : tout au plus peut-on l'entrevoir, par éclairs intuitifs, la ressentir soudain au plus profond de soi, avoir le privilège de la vivre un fugitif instant. Elle naît d'images imprévues qui se faufilent à travers le charme des sonorités et des associations de sons irrationnelles. Irrationnelles quant à la logique et aux conventions, bien entendu, mais qui font vibrer l'oreille, le cœur et l'imagination.

La poésie est liberté pure, elle se love dans les rêves de nuit et de jour, elle descend du subconscient délivré. Elle est voix venue d'ailleurs, c'est-à-dire du caché, du plus secret de nous-même, du vrai moi qui ne livre jamais, de l'au-delà de soi! Elle est voix impérieuse, voire tyrannique, à laquelle la main se doit d'obéir, qu'elle comprenne ou non! Elle éclate malgré soi, aux moments les plus inopportuns et il s'agit de la fondre en mots sur-le-champ ou elle s'échappe et se volatilise, perdue à jamais! Par contre, il ne sert à rien de la traquer.

 

 

Philippe Desterbecq

philippedester.canalblog.com

Publié dans Fiche de lecture

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