Il a près de soixante ans. Il était enseignant, mais à présent il ne travaille plus. Après de graves problèmes de santé qui l'ont fragilisé, il a choisi de demander sa prépension. Chaque jour, il fait à pied le tour de la ville. C'est un homme de haute taille, plutôt maigre, au visage pâle, habillé
de manière classique d'un pantalon de flanelle grise, d'une chemise blanche, d'un foulard et d'une veste bleus. Il porte un masque. C'est une habitude qu'il a gardée suite à la pandémie de Covid-19. Il dit "Bonjour" à tous ceux qu'il croise, jeunes ou vieux, beaux ou laids, connus ou inconnus. Il est en colère contre ceux qui l'ignorent, qui ne lui répondent pas, qui ne le regardent pas, qui ne lui adressent même pas un petit signe de tête.
Il est en colère contre son histoire de vie. Il est de ceux qui ont perdu leurs deux parents avant d'atteindre la trentaine. Il est de ceux qui ont subi plusieurs interventions chirurgicales et ont dû bénéficier de séances de chimiothérapie. L'avenir, lui semble-t-il, ne peut guère continuer qu'à lui réserver des perspectives peu encourageantes. "On n'échappe pas à sa destinée", se plaisait à répéter sa mère bien avant son décès des suites d'un cancer. Pourtant, il lui semble adopter des comportements adéquats. Il est ordonné, ponctuel, méticuleux, économe. Il range, il nettoie, il contrôle ses écrits, il règle ses factures, il mange sainement, il fait quotidiennement des exercices de gymnastique, il prie. Il vit dans le grand appartement hérité de ses parents, il dispose chaque mois d'une pension satisfaisante et possède un pécule suffisant pour faire face à d'éventuels imprévus.
Il est en colère contre ceux qui sèment le désordre, qui salissent, qui ne respectent pas les règles, qui se livrent à des incivilités.
Ce jour-là, il a salué une petite vieille qui ne l'a pas salué en retour. Ce jour-là, il a proposé, à cette petite vieille, qu'il voyait embarrassée et hésitante face à l'escalier qui menait à l'entrée de la poste, de l'aider à gravir les trois marches. La petite vieille a refusé, l'a fixé d'un regard froid, lui a lancé : "C'est peut-être gentil, mais mêlez-vous de vos affaires. Laissez-moi en paix, bon sang !". La colère a affleuré en lui comme aurait soufflé une bourrasque de vent sur de fragiles fleurs sauvages. La colère a affleuré, mais il l'a contenue en se forçant à rebrousser chemin.
En marchant, il s'est souvenu d'incidents datant de deux ans. En une seule semaine, il avait décoché un coup de poing à un homme qui refusait de présenter des excuses à une femme qu'il venait de bousculer en rue pour tenter vraisemblablement de lui prendre son portefeuille et giflé un jeune homme qui, dans la librairie tenue par sa filleule, avait laissé des traces de chocolat sur la couverture en carton d'un livre qu'il avait parcouru tout en refusant de reconnaître les faits et d'en assumer les conséquences. Ces incidents auraient pu l'amener à passer en justice avait affirmé un copain greffier à qui il s'était confié. "C'est de la brutalité. Cela aurait pu te coûter cher. Je crois que consulter un psy te ferait sans doute du bien…", avait conclu d'ailleurs son copain.
Ce jour-là, en rentrant chez lui, il a bu un thé et a prié le Ciel d'empêcher que cette colère ne se concrétise jamais en une sorte d'éclair de folie meurtrière.
"L’enchère" est le troisième roman d’Alain Charles qui titille ma curiosité ( sans doute à cause de la première de couverture ou du synopsis... je ne saurais dire) et je dois vous avouer que j’avais hâte de découvrir ce titre.
Comme toujours, l’auteur nous propulse dans un monde différent, un futur guère enviable au cœur d’une planète surpeuplée aux inégalités marquées.
Une fois de plus, Alain Charles met en scène une "héroïne", Annabelle, une jeune femme qui a tout pour elle, la jeunesse, la richesse, la position sociale. Ce qu’elle veut, elle l’a… Et cette fois, elle a très envie de s’amuser à… chasser… Un animal ? Non, un homme, aux abois, qui a perdu son travail, sa compagne, toute raison de vivre. Lui est intelligent mais désespéré. La suite ?
Je n’ai aucune envie de vous en dire plus sur l’histoire en elle-même. Si elle est bien menée, elle est servie par une véritable ambiance, pesante, stressante à certains moments. L’auteur crée un monde cauchemardesque, qui pourrait, pourquoi pas, devenir réalité si rien ne change.
« L’enchère » est un roman « à vivre », je dirais. Les personnages sont forts et complexes comme toujours dans les romans de cet auteur. On lit vite, impatients de découvrir ce qu’il va advenir de lui… et d’elle.
Il est poète, chroniqueur littéraire, artiste performeur et directeur d’un bureau d’accompagnement d’artistes chorégraphiques basé à Tours.
Après Centuries en 2019 et Genèses en 2021, où il déploie le mouvement perpétuel du Temps, Le Chant des Passiflores est son troisième recueil de poésie publié aux Éditions Chloé des Lys.
Résumé
Grâce au conte et au voyage à travers temps, Le Chant des Passiflores continue d’explorer l’inéluctable marche en avant des siècles.
L’auteur y confronte les contingences de l’attente à celles de la solitude et à l’ambivalence des sentiments amoureux. Nourrie d’un vocabulaire riche, sa poésie nous transporte jusqu’au lointain insoupçonné de périples imaginaires, sans pour autant délaisser la magie ordinaire du quotidien. Pulsation douce ou clameur exaltée, chaque poème compose ainsi la partition d’une ode au féminin sensible et vibrante.
Extrait :
ESSUF
La femme boit le vent. Elle chuchote pierres.
Tendue vers le soleil couchant, elle bruisse l’air
De terres oubliées striées d’absconses runes.
Elle enfouit ses deux mains, rongées par l’infortune,
Tout d’abord, je voudrais remercier Edmée de Xhavée sans qui je n’aurais probablement pas lu ce livre et cela aurait été bien dommage !
Dans « Les statues » Jean Louis Minot nous emmène dans un voyage intérieur. Celui d’un homme dont l’adolescence s’est brisée sur une tragédie, un homme que la souffrance et la colère ont mené en prison au terme d’un nouveau drame.
Mais le voyage intérieur de cet homme est aussi celui d’un retour à la vie, difficile, rempli de culpabilité, que deux femmes vont l’aider à surmonter. À sa sortie de prison, pour l’une, puis lors du difficile retour vers les siens, pour l’autre.
Malgré le thème dramatique ce livre, loin d’être dépourvu de lumière, se laisse lire facilement. Il nous happe dans son univers, celui d’un jeune homme tourmenté, et nous donne envie d’en découvrir l’aboutissement.
La plume fluide de l’auteur, tout en atmosphères et couleurs, fait souffler le vent, crépiter la pluie, nous fait toucher la pierre, la terre ou l’écorce des arbres, donne vie aux fantômes et un soupçon de magie à l’amour avec une simplicité maîtrisée.
C’est un beau livre qui mérite d’être découvert… alors, bonne lecture !
Le fort de Spadias étant tombé, la forêt de Feyle est désormais le dernier rempart face à Garamon. Mais pour combien de temps ? Trouver l'Empereur du Nord, celui qui avait jadis vaincu le père de Garamon, semble être la seule solution. Mais pour cela, ils devront se rendre à Equaam, la cité des âmes...
Mon avis : ***
Meredin, Baltus, Myocène doivent traverser la forêt pour rejoindre la cité de Zahora où vivent les Acanthes.
Des guerrières Acanthes vont les interceptéer et les conduire à leur reine.
Le guerrier Amosis et dix guerrières Acanthes vont les accompagner jusqu’à Equaam pour rencontrer l’Empereur du Royaume du Nord…
Ce deuxième volet est riche en rencontre et aventures périlleuses pour nos compagnons. Sur leur parcourt ils feront la rencontre de créatures malfaisantes mais aussi de magie bienveillante et bien plus…
Les fans de la première heure ont attendu cette suite avec impatience et vont enfin pouvoir la découvrir.
Quelque chose se trame autour de moi, un truc moche de chez moche. J’ignore quoi, mais avec mes petits moyens, j’enquête. Je guette et j’observe. En peu de temps, tout s’est modifié et s’est habillé de plus beau, de plus pailleté, de plus riche. Noël avant l’heure, quoi. Tout, pas vraiment. Il manque toujours des tuiles sur le toit de la maison et des bassines recouvrent encore le plancher usé du grenier. Tout, c’est m’man. Tout en elle, son comportement, ses gestes, son attitude envers moi, et ses paroles aussi. Je la regarde désormais comme une inconnue, je ne la reconnais pas. À la télé on parle de l’intelligence artificielle, de la robotique et tout ça. Alors je reste attentif. M’man est encore m’man, enfin je crois. Elle n’est pas devenue un mannequin articulé par des entrelacs de fils électriques recouvert de chairs humaines, non. Ses grains de beauté n’ont pas changé de membres, ceux des bras sont bien à leur place et ceux de ses jambes aussi. Je ne me trompe pas car sur son mollet gauche, ses grains de beauté forment de jolis dessins, des ensembles d’étoiles, des constellations quoi. Ses cheveux à présent sont bleu-vert, ça oui, et depuis le temps qu’elle en avait envie, c’est très bien. Ce que je veux dire c’est que les changements de m’man ne se situent pas seulement dans son aspect physique, bien qu’elle parle de rendez-vous chez l’esthéticienne pour une pose de faux ongles qui coûteront la peau des fesses. C’est plutôt niveau comportement que quelque chose a viré à cent pour cent. Cela fait au moins trois mois que m’man ne m’a plus cogné. Bien étrange ça ! Je ne suis plus son pushing bowl ! Oh, je dis trois mois comme ça, à vol d’oiseau. Cela fait peut-être quatre ou cinq mois. Je m’en suis aperçu par hasard. Un soir en me débarbouillant j’ai remarqué que les hématomes qui coloraient mes bras jaunissaient d’allure. Et qu’aucun autre hématome n’avait ce bleu bien bleu, ce bleu qui apparaît de suite après un coup. Je dis « hématome » et pas « bleu » depuis que mon instit a, l’an dernier, montré mon avant-bras à l’éduc et a dit, regarde ça, c’est quand même bien un hématome, qu’en penses-tu ? Pour en revenir à mes interrogations actuelles, de quand dataient les dernières rames ?
Oui, c’est ça, tout bien réfléchi, au moins cinq mois. Cela doit correspondre avec le jour où m’man est rentrée avec un bien drôle de sourire sur les lèvres et un carton entier de canettes de bière. J’ai craint quand elle a déposé tout ça par terre, à côté du frigo. Ce bruit sourd des canettes qui tombent sur le carrelage, clac. Et puis ses gestes rapides pour taper dans le frigo le plus de canettes possibles, tac, tac, tac, tac. Et tac. M’man semblait contente, fière d’elle. Il y a longtemps qu’elle n’avait plus acheté autant de canettes en une seule fois. D’habitude, c’est deux ou trois, pas plus. M’man, c’était un panier percé, voilà tout. Son discours lorsqu’elle faisait ses courses au Lidl et pas encore chez Carrefour ou les magasins bio, c’était ceci :
Me priver de mes canettes à cause de mes deux nigauds
de gosses, disait-elle en nous jetant un regard de sorcière à mon frère Samy et moi. Voilà à quoi j’en suis réduite ! continuait-elle sur le même ton de reproche.
Samy ne répondait plus. Il se contentait de ricaner et puis il claquait la porte de la cuisine et montait dans sa chambre pour écouter une plage de Heavy Metal. Je me souviens de ce soir mémorable où Samy, poussé à bout par m’man qui était bourrée et avait des propos délirants avait lâché :
T’avais qu’à bouffer une plaquette entière de pilules ou nous transpercer avec une aiguille ! Ça t’aurait fait deux bouches en moins à nourrir ! Parce qu’après m’avoir mis au monde, tu as recommencé ta connerie. Et celui-là est arrivé, avait-il gueulé en me montrant du doigt, du mépris débordant de ses yeux révolver.
Ce soir-là, Samy a pris la raclée de sa vie. Je pensais que m’man l’avait tué. Elle l’a tapé contre le mur, juste entre l’étagère sur laquelle plus rien n’était exposé depuis longtemps et la bibliothèque qui n’était utile que pour ranger notre linge à moitié lavé. Un clou était resté là, isolé, planté dans le mur (la photo d’un mec aurait pendouillé là). Et du coup, vu le choc, le clou s’est retrouvé dans la nuque de mon frangin. Qui s’est écroulé raide. Le sang n’arrêtait plus de couler. Samy ne bougeait plus. Des hurlements, ça oui, j’en ai poussés. M’man restait prostrée, bras ballants, les yeux exorbités, la chevelure en bataille et de grosses gouttes de sueur qui perlaient sur son front. Le sang chaud, ça pue, je n’oublierai jamais cette odeur-là. J’avais six ans et Samy, neuf ans et demi. Ensuite tout s’est passé très vite. La voisine, alertée par mes cris, a déboulé et a appelé les secours. M’man a repris ses esprits et a hurlé que c’était un accident, que Samy avait trébuché tout seul. Ben voyons. Samy n’a jamais révélé la vérité et moi non plus.
Et les rames ont continué de plus belle donc jusqu’à maintenant, instant T où je constate que mes bleus ont cette belle couleur jaune-vert. C’est plus que chelou. Samy s’est lui aussi aperçu que quelque chose ne tourne plus rond dans cette maison. Quand m’man revient des courses, elle lui lance au visage des tas de loques toutes neuves. Les étiquettes ne mentent pas, elles. Et puis, sur tous les vêtements, des noms prestigieux comme Tommy Hilfiger ou Jacadi, ou un autre nom aussi prestigieux qui pue le fric.
Désormais m’man prépare mon sac (un sac à dos tout neuf et je précise, un Kipling s'il vous plaît) chaque matin. J'ai droit à un fruit, deux boissons non sucrées, deux biscuits au cas où le repas complet ne serait pas assez complet. Elle paie donc le ticket de la cantine, ce qui me donne l’accès chaque jour à un bol d’une soupe aux légumes frais, le plat et bien sûr, le dessert. Les instits et les éducateurs me sourient sans cesse. C'est tout juste si je ne suis pas applaudi lorsque je me pointe dans la cour de récré. Il ne me manque plus jamais un seul outil, j'ai tout mon matériel, même un ordinateur, celui avec la marque de la pomme. Plus besoin de piquer la gomme ou le crayon du voisin. Ça, ça m'emmerde un peu alors je maintiens le geste de temps en temps. Juste pour ne pas perdre la main, un petit larcin chaque matin, je me dis. Et puis l'hygiène. Ah ça l'hygiène, m'man m'en badine les oreilles. La propreté avant tout ! Se brosser les dents, très important ! Désormais une brosse à dents électrique et une pour mon grand frère. M'man, il ne lui reste plus que des chicots mais ça changera bientôt, nous annonce-t-elle, il faut faire des choix dans la vie, c’est important, les choix ! Donc oui, il se trame un bien drôle de truc. Mais quoi ? Des enveloppes pleines de tunes envoyées par le daron de Samy ? Ou bien le mien ? le mec de la photo disparue qui reviendrait ? D'après m'man nos géniteurs grignotent tous les deux les pissenlits par les racines depuis belle lurette. Mensonge ou vérité ? Alertés par nos cris intempestifs, les voisins auraient-ils porté plainte chez les keufs? Vrai que parfois une gonzesse pas mal foutue vient nous visiter et posent un tas de questions. Une fameuse indiscrète celle-là, nous assène m'man, répondez-lui des mensonges et surtout enfilez des pulls à longues manches !
La vérité est ailleurs, je le sens. Il s’agit de moi. Samy ne cesse de me le répéter, C’est toi qui es visé, frérot. Le soir, il me serre très fort dans ses bras, comme s’il m’étreignait pour la dernière fois. J’échappe à la cigarette et à la confession, Inch’Allah. Samy en sait beaucoup plus que moi. Il a espionné les allées et venues de m’man, ses rendez-vous en ville avec un grand type en costume et des lunettes de soleil sur le nez. Bizarre car ce matin-là, il pleuvait. Mon frérot a même ouvert la boîte Messanger de m’man mais elle avait justement tout effacé. Samy me raconte tout ça d’un air super inquiet. Il parle de me raser la tête et de me faire porter des lentilles brunes. Les boucles blondes et les yeux bleus, c’est pas top pour un gamin, m’a-t-il dit avec des trémolos dans la voix. Samy passe des heures à surfer sur le darkweb et il connaît des tonnes d’histoires plus que mystérieuses.
Vers cinq heures ce matin, m’man s’est levée. Tout de suite j’ai senti une odeur de fumée, elle s’enfile déjà une clope, j’ai pensé. D’habitude, elle sirote une canette avant d’entamer sa clope. Peu de temps après, j’ai entendu des pas décidés, m’man montait les marches de l’escalier. Ensuite elle a ouvert la porte de la chambre et a prononcé mon prénom sur un ton hésitant, presqu’à mi-voix, Grégo. Ensuite, tout s’est passé très vite. Samy s’est levé d’un bond et a dévalé quatre à quatre les escaliers. La porte d’entrée a claqué. Au dehors, des voix d’hommes ont brisé le calme de cette fin de nuit. L’un d’eux a aboyé, C’est pas celui-là, c’est l’autre, un petit blondinet. Et son complice a rétorqué, Tant pis, il fera l’affaire dans l’un ou l’autre des réseaux qui nous paie, tous des pourris qui bouffent tout et n’importe quoi, de toute façon.