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"Secteur DBE 205", un texte signé Carine-Laure Desguin paru dans la revue AURA 121

Publié le par christine brunet /aloys

"Secteur DBE 205

 

   Le soleil brûlant ma peau, les étoiles scintillant dans le ciel, la pluie, la neige, je ne connais rien de tout cela. Jamais je n’éprouverai la joie de plonger dans la mer et de sautiller par-dessus les vagues. Jamais je ne vivrai ces instants de farniente allongé sur le sable chaud d’une plage hawaïenne. Je connais si peu de choses. Presque rien, en fait. Mon âge lui-même est incertain. Sur mon matricule se superposent des chiffres, l’histoire de ma naissance, et puis d’autres chiffres encore, des chiffres romains paraît-il. Du blabla qui m’importe peu. L'adolescence pointe son nez, mon corps se transforme. Je parierais pour douze ou treize ans. Deux seins poussent sur mon torse, je deviens une fille. Avant ça, j’ignorais si j’étais une fille ou un garçon. J’étais peut-être les deux à la fois. Dans mon secteur, le secteur DBE 205, nous avons tous plus ou moins le même âge, nous grandissons ensemble depuis toujours. Et ce n’est qu’aux premiers signes de l’adolescence que nous prenons connaissance de notre sexe. C’est le Programme qui décide de tout cela. Autant de filles, autant de garçons et autant de transgenres car « tout le monde doit avoir sa place ». Une société idéale. Ce n’est que mensonge, tout cela est programmé. Notre sexe lui-même est déterminé par ce Programme. Je pressens ces balivernes. Je joue le jeu.

   Chaque « matin », nous suivons des cours. Une espèce de pantin robotisé psalmodie des leçons. Le cours le plus important est celui de l’Histoire de l’Humanité, et principalement la période de l’an 2000 jusqu’à ce jour car c’est dans ces années-là, surnommées les « années de l’Éveil », que tout a commencé à foirer. Les Terriens se tapaient dessus pour une question de tunes, de territoires, ou d’un quelconque autre prétexte. Certains revendiquaient des territoires qui leurs auraient appartenu deux mille ans auparavant. Il y a eu des génocides gratuits partout sur la planète. Déjà, c’était le Programme. Des malins, des « spirituels » ont décrété que tout cela était écrit dans un grand livre poussiéreux qui avait traversé les deux mille ans précédant et que cette période noirissime s’appelait l’Apocalypse. Une fois cette période passée, tout rentrerait dans l’ordre. Le bonheur et la paix reviendraient sur la Terre. Programme, encore lui. Si j’en crois ce cours d’Humanité, nous en sommes là, nous vivons mes camarades et moi ce bonheur et cette paix sur cette « Terre ». Pour préserver cette sérénité, nous vivons ici dans le secteur DBE 285. Des autres secteurs et de leurs habitants, nous ne connaissons rien du tout. Nous ne les avons jamais croisés, ces gens-là. Existent-ils vraiment ? Il faut attendre que nous soyons «prêts », dixit le Programme.

   Dans ces années dites de « l’Éveil », tout s’est donc déglingué. La Terre s’est réchauffée de plus en plus. Les catastrophes climatiques étaient tellement « tsunamiques » que les pôles se sont inversés. L’Antarctique a fondu et sont apparues des centaines de pyramides, preuves que déjà, les Terriens de l’époque ignoraient tout de leur passé. Les scientifiques et les archéologues furent dépassés et ont tenté de berner les Terriens en racontant du grand n’importe quoi. Programme. Au final, l-la véritable Histoire de l’Humanité d’avant l’an 2000, nous ne la connaîtront jamais. On nous raconte des bobards pour nous endormir. Ou plutôt pour nous empêcher de nous réveiller.

   Pour en revenir à cette période de « l’Éveil », le réchauffement climatique s’est intensifié à une cadence folle. Les Terriens pouvaient pourtant provoquer des pluies torrentielles en ensemençant les nuages de produits spécifiques. Cela n’a pas suffi à vaincre la sécheresse. Des famines ont décimé des populations entières de l’hémisphère sud. Les scientifiques se réunissaient pour trouver des solutions. Mais nous le savons, c’est eux-mêmes qui avaient créés les problèmes. Programme. À qui a profité le crime ? voilà la question. Mes camarades et moi n’avons pas de réponse. Pas encore.

   Tous les jours, nous avons des séances dites « d’immersion ». Des hologrammes sont projetés autour de nous. Nous admirons les paysages de la Terre d’avant l’an 2000. Les océans, les montagnes, les lacs, et tout ça. Nous sommes émerveillés en regardant des humains qui se baignent dans des piscines, nous les entendons rire avec des petits humains, leurs enfants, nous explique la voix métallique de notre prof robotisé. Ces séances sont éphémères. Car certains de mes camarades pleurent parfois quand ils voient ces petits humains. Ce seraient des réminiscences transgéniques. Néfastes pour notre santé. Trop d’émotions en trop peu de temps.

   Des réminiscences, j’en ressens. La vérité martèle mes cellules avec un peu plus d’intensité chaque jour. Dans ce vaisseau inter-spatial premier du nom qui nous transporte et traverse l’univers depuis des centaines d’années, depuis en fait que le Programme a décidé de sauver l’Humanité, la vérité au sujet de nos origines est occultée par le Programme lui-même. Il n’y a aucun doute à ce sujet, j’en suis certain.

   La Vie pourtant se ravive en moi. L’autre jour, par inadvertance, j’ai cogné mon genou contre l’ordinateur de base, celui qui conçoit les hologrammes. Un hématome est apparu. Alors je me suis entaillé le bras gauche. Du sang a giclé. L’an dernier encore, c’était des filaments de fils électriques qui sortaient de mon corps par une espèce de petite fenêtre qui se situait au milieu de mon thorax. Lorsque l’hologramme du soleil est projeté dans une salle de cours, je ressens la chaleur de ses rayons sur ma peau. Et les étoiles, je les devine. Les gazouillis des oiseaux dans les arbres, je les entends. Toutes ces troublantes découvertes, je les tais. Et pourtant, lorsque j’observe certains de mes camarades, il me semble lire sur leur visage les prémices d’un sourire car au plus profond d’eux-mêmes, une joie survit.  

   Je stoppe là. Ces mots doivent restés secrets. Le Programme ne peut avoir connaissance de tout ce principe de Vie qui renaît en moi. Et, de toute façon, j’atteins les mille mots. Programme.

 

Carine-Laure Desguin

 

Publié dans l'invité d'Aloys

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Madeleine de Boysson nous présente son recueil "Phénix"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Madeleine de Boysson est poète et musicienne. Après ses études musicales, elle se lance dans l’enseignement du violon, de l’alto et des pratiques d’ensemble en conservatoire. En parallèle, elle se produit en musique de chambre, en France et à l’étranger, avec sa sœur Anne de Boysson. Elle joue également dans divers orchestres symphoniques en Nouvelle-Aquitaine, dans les pays de la Loire et en région parisienne.

Elle a participé à de nombreux concerts en orchestre ou en musique de chambre, notamment avec sa sœur Anne de Boysson, compositrice et pianiste, avec laquelle elle organise aussi des concerts-lectures. 

 

La poésie occupe depuis qu’elle est toute petite une place essentielle dans sa vie. Après Turbulence et Le chemin de l’Azur, Madeleine de Boysson commence l’écriture de son troisième recueil de poésie, Phénix.

Celui-ci s’envole davantage vers l’espérance et la joie intérieure. Le livre se poursuit ainsi, comme une ode à la vie et l’expression de la gratitude d’exister.

 

Résumé du livre :

 

Après Turbulence et Le chemin de l’Azur, Phénix se déploie dans l’espérance. Ce troisième recueil de poésie chante la vie, la résilience.

 

La lune lumineuse éclaire notre chemin la nuit et la contemplation de la joie qui jaillit de nous, par elle, explose avec douceur.  Le livre se poursuit ainsi, comme une ode à la vie et l’expression de la gratitude d’exister.

 

Comme une respiration, des dessins minimalistes accompagnés par une phrase, un mot, viennent se poser entre les pages des poèmes.

Ces dessins ont été réalisés par ma mère Elsa Mrugalski, qui fidèlement, a également créé la couverture de Phénix, comme c’était le cas pour mes précédents recueils.

 

Extrait

 

Accord parfait

 

 

Prends-moi ta main :

C’est la même.

Et ne me rends rien :

Je veux tout donner.

 

La chaleur de la lune

N’est plus gelée

Car nos mains sur la dune,

Enlacées

 

S’aiment.

Publié dans Poésie

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In recueil Le vieux de la zéro/vingt-trois, poème 18 - Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

18

 

 

les masques dits chirurgicaux

FFP2 des chinoiseries

à deux balles

sourires plus jaunâtres

que ceux des pangolins

des yeux vides des orbites

rien de plus

les mains dénaturées

par ces gels désinfectants

les ectoplasmes se traînent

ils sont au bout du rouleau

ils tombent

comme des mouches

les nouvelles sont pires ce matin

plus qu’hier soir

lâche le vieux de la zéro/vingt-trois

histoire d’en remettre

une couche (saturée ou pas d’une ou deux

mictions)

et n’oubliez

pas que je dois mourir

dans pas longtemps

 

 

In recueil Le vieux de la zéro/vingt-trois

Carine-Laure Desguin

Publié dans Poésie

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"Le fantastique été de mes quinze ans", une nouvelle signée Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

 

Le fantastique été de mes quinze ans

 

« Alors Philibert, tu viens au château en juillet oui ou merdum ? Si oui confirme-moi ça afin que le congèlo déborde de pizzas et autres saloperies émoticône clin d’œil. On fera comme chaque année de la physique, de la chimie, et des maths puisque tu seras pété émoticône langue pendante. Si tu es réglo, tu verras des extra-terrestres, des ovnis, et toutes ces petites choses-là, émoticône extraterrestre, émoticône frayeur. »

   Texto de mon oncle Axel, l’été de mes quinze ans. Super j’ai pensé lors de la relecture des mots ovnis et extraterrestres. L'oncle Axel était donc de retour dans son château. Ce serait cool pour moi tout le mois de juillet. Je dirais aux parents que réviser math, physique et chimie en famille, ce serait top. Pour « toutes ces petites choses-là », j’attendrais la surprise.

   Je vous dois la vérité. Je m'appelle Félix. L'oncle Axel m’a surnommé Philibert depuis ma naissance. Sans doute pour agacer Marie-Agathe, sa sœur, ma mère, plus conventionnelle que son scientifique-journaliste-explorateur-baroudeur de frère, mon oncle Axel. Qui n'habitait pas non plus dans un château. Plusieurs fois par an, quand il revenait de ses étonnantes expéditions, l’oncle Axel déposait ses bagages dans une vaste demeure intrigante, ça oui, très intrigante, située au milieu de nulle part en pleine campagne thudinienne. Ce serait les vestiges d’une très ancienne abbaye, ça c’était moins sûr car l’oncle Axel racontait souvent des bobards. Derrière les murs délabrés de la supposée abbaye, des dépendances pourrissantes encore inexplorées. Tout autour de la bâtisse, un parc ou plutôt une forêt vierge, avec des plantes qui surgissaient de Dieu sait où, et des arbres plusieurs fois centenaires qui détenaient sous leurs écorces ancestrales toute l’histoire de l’humanité. Lorsqu’on débarquait là dans la pénombre, je vous raconte pas les frayeurs au moindre bruit, un vol de chauve-souris au ras de votre casquette ou le sifflement du vent entre les branches fatiguées d’un saule pleureur très chagrin. C’est là, dans cette glaçante propriété, que j’avais toujours espéré épier l’atterrissage d’un ovni, croiser un extraterrestre ou un hybride échappé du laboratoire d’un docteur Frankeinstein.

   Fin juin les résultats sont tombés, la vraie chute. Échec en math, en chimie, et en physique. Les parents étaient furax. Ils ont accepté un séjour au château de l’oncle Axel, à condition que je travaille avec lui les trois cours pour lesquels j’étais pété.

   « Salut Axel. Bonne nouvelle, tu peux venir me chercher. Je suis pété dans les trois matières habituelles. On sera ensemble tout juillet. On se goinfrera de pizzas et d’autres saloperies, ah ah ah ! Yes ! Philibert. »

  Deux minutes plus tard, je recevais ce texto d’Axel :

« Dommage que t’es pas pété en histoire aussi. »

   En histoire aussi, il avait écrit. Bizarre comme texto. Le lendemain, je serais fixé.

   Je vous passe les promesses d’Axel à sa sœur, Oui t’inquiète il étudiera. Bien sûr que c’est important qu’il réussisse. Il réussira, c’est pas compliqué le théorème de Pythagore quand même. Et puis tout le reste, bah, ça ira. Dors tranquillos, soeurette, tu sais que ton fiston est entre de bonnes mains. Ma mère tirait la tronche, elle était pas trop convaincue. On a détalés vite fait bien fait avant qu’elle ne change d’avis.

 

   Au château, j’ai déposé mes bagages dans la chambre dite « de la tourelle », celle dont la fenêtre avait vue plongeante sur les dépendances pourrissantes. Axel m’a demandé de me grouiller, il devait m’expliquer des trucs flippants. On ferait tout en même temps, de l’histoire, des maths, de la physique, et de la chimie. Je lui ai dit qu’en histoire, j’étais top. Il avait déjà oublié. C’était pas son genre, les oublis. Axel était perturbé et bientôt je connaîtrais la raison de son énervement. Parce que oui, il était pas comme d’hab, Axel, il semblait pressé, tout excité par quelque chose. 

   En soirée, devant nos pizzas quatre fromages cramées, Axel a commencé à me raconter, avec un paquet d’émotion dans la voix, son dernier voyage : six semaines à New-York. Du banal, j’ai pensé. D’habitude, Axel revenait de l’Antarctique où il avait découvert un nouveau portail énergétique en rapport direct avec la pyramide de Gizeh ou encore il avait visité un mystérieux ranch en Utah duquel s’envolaient des oiseaux préhistoriques : des oiseaux-éléphants, des astériornis et tout ça. Et là, il revient de New-York. Bof bof. J’étais déçu et j’ai demandé :

« T’as rencontré une meuf, c’est ça ? 

  • Mais non, p’tit sot, je t’ai ramené dans mes bagages des siècles d’histoire et toutes les réponses à tes questions, il a rétorqué sur le ton de quelqu’un qui voulait maintenir le mystère le plus longtemps possible.
  • Un robot ? j’ai demandé.
  • C’est bien plus qu’un robot muni d’une intelligence artificielle, crois-moi. Grignote ces merdes, sirote ta cannette de bière, toi et moi on a du boulot, Philibert.
  • Génial ! j’ai répondu en engloutissant le reste de la pizza et de la cannette. »

   Une fois le cadenas ouvert, Axel a poussé les portes gangrénées de la dépendance. Devant nous, une vingtaine de caisses, et une multitude de rats qui grignotaient les cartons. Sur chaque caisse, un numéro usé par le temps. Axel tenait entre les mains des photocopies avec inscrits dessus des dessins qui ressemblaient à des hiéroglyphes, du charabia pour savant déjanté. « Accroche-toi, Philibert, révision histoire, géo, chimie, physique et math, il a lâché avec des étoiles plein les yeux.

  • Oh non, j’ai rétorqué, déçu.
  • Je blague. Tu as déjà entendu parler de Nikola Tesla?
  • Oui plus ou moins c’est un inventeur un peu bizarre, il aimait le chiffre trois, j’ai dit tout en bifurquant le regard vers mon ami Wikipédia … » 

   Et puis, tout en recomptant les cartons, les triant, et relisant les documents, un véritable polyvalent cet Axel, il m’a expliqué un truc abracadabrantesque. Axel se penchait gravos sur la vie de ce Nikola Tesla, il avait l’intention d’écrire sa biographie et mettre en évidence les géniales inventions de ce mec si mystérieux. Pour s'imprégner de la vie de ce génie, il avait loué la chambre 3327 de l’hôtel New Yorker à New-York, Tesla serait mort dans cette chambre en janvier 1943. Axel était donc assis devant son pc depuis trois ou quatre jours, attendant que les murs de la chambre lui parlent … Et c’est la femme d'ouvrage qui a commencé la conversation. C’est sa grand-mère, femme d’ouvrage à l’hôtel New Yorker également qui avait découvert le corps de l’inventeur. Elle a continué en affirmant que Tesla et sa grand-mère avait vécu une réelle amitié car celui-ci était abandonné de tous. Elle a ajouté que quelques mois avant sa mort, Tesla se sentant menacé avait donné à la grand-mère une vingtaine de cartons et un porte-documents. Celle-ci devait donner ces pièces à quelqu’un qui lui semblerait de « confiance ». Surtout elle devait laisser les cartons ensemble, et ils devaient être accompagnés du porte-documents. Véhiculé de mère en fille, elle possédait donc ce curieux héritage. Elle avait l’intuition que lui, mon oncle Axel, pourrait être cette personne « de confiance ». Une histoire de fou quoi. Le lendemain, dans la cave de la meuf, il a découvert tout le bazar. Deux centimètres de poussière sur chaque carton et dans le porte-documents, eurêka, les papelards étaient encore lisibles. D’après lui, il s’agissait d’un plan pour assembler une machine. La meuf ignorait de quelle machine il s’agissait. J’étais abasourdi de tout ça. Axel, lui, était remonté à fond la caisse : « Alors Philibert, retrousse tes manches, on ouvre tous les cartons, on en sort le contenu et on étale tout le long de ce mur, il a lâché sur un ton presque autoritaire.

  • Espérons que si ce sont des statuettes, elles ne possèdent pas un corps recouvert d’écailles, un visage bouffi, des yeux luminescents, j’ai dit, pas trop rassuré.
  • Et qui pousseraient des ululements en chœur ou des sons pré-polyphoniques, a continué Axel sur un ton moqueur tout en tournicotant les documents dans tous les sens.
  • Incroyable ce qu’on déballe, incroyable. »

   Tous les deux, on a plongé rapido dans le turbin. De la poussière, on en a bouffé, ça oui. Axel n’en revenait pas, ces trouvailles s’emboitaient les unes dans les autres sans trop de mal. Moi, je comprenais pas trop. Des cartons, on a sorti des générateurs, des câbles de toutes les longueurs, un clavier, des piles, un écran, des métaux, et j’en passe. Tout en s’extasiant devant tout ce matos et, pour se donner bonne conscience, Axel me donnait des leçons de physique quantique : « Tout est énergie, tu savais ?

  • Bof, j’ai répondu.
  • Fastoche. Tout est vibrations, informations et énergie. Le temps, ce sont des vibrations. L’espace, c’est de l’information. Et la matière, c’est de l’énergie. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! Voilà !
  • Ouais, ça c’est de Lavoisier, j’ai assuré, tout fier. »

  Une fois la machine reconstituée, ce qui nous a pris deux jours complets quand même, de la sueur, des jurons, des pizzas cramées et des cannettes surchauffées, Axel était en transe : « Alors Philibert, on recherche qui et quand ? Jules César pendant la guerre des Gaules ? Pythagore exposant son théorème ? Fermi exposant son paradoxe et se demandant pourquoi nous ne voyons aucun extraterrestre sur notre planète ?

  • N’importe qui, n’importe quand ? je demande tout étonné.
  • Exact, cette machine nous montrera tout du passé !
  • Une machine à remonter le temps ! Alors … Lucille Leveau lorsqu’elle a vu trois extraterrestres devant chez elle dans la Drôme, à Chabeuil, le 23 juin 1957. C’était dans un champ de maïs, j’ai répondu sans hésitation, j’y songeais depuis deux jours à cette question, Axel. »

   Axel a tapoté sur le clavier, réglé des boutons, manipulé l’écran et réajusté des bandes magnétiques. Il a recommencé les manœuvres plusieurs fois, il ne se passait jamais rien. Mis à part des jurons dans toutes les langues, rien, nada. Axel s’excitait. Il a failli tout bousillé et juste au moment où il allait démolir la machine, on a entendu des grésillements et sur l’écran, des lignes ondulantes sont apparues. Petite précision, tout est en noir et blanc. « Voilà, un champ de maïs, on y est, lance-t-il en s’agitant comme un pantin.

  • Waouw, un engin se pose dans le champ de maïs, ça clignote de partout et là, là, regarde Axel, une femme en robe de nuit s’approche de l’ovni, c’est elle, c’est Lucille Leveau ! Trois humanoïdes sortent de la capsule et ils ont chacun un appareil qui pendouille à leur main … on dirait un GSM, mais c’est impossible en 1957 ! Comment est-ce possible que l’image soit si précise et que nous entendions les sifflements de l’engin, les gazouillis des extraterrestres et le chien de Lucille Leveau qui aboie ?
  • C’est une question de fréquences et les vibrations ne meurent jamais, retiens ça. Disons que nous avons récupéré tout ce bordel, les vibrations et les autres informations. On peut aussi dilater le temps, tu sais. Si Lucille Leveau s’approche et pénètre le tunnel temporel dilaté elle entrera dans le même temps que celui des extraterrestres, ce qui ne correspond pas à son propre temps à elle. Ça c’est de la physique, Philibert !
  • Regarde, Lucille est comme happée, son corps plane vers l’ouverture de l’engin. Les trois humanoïdes la suivent ! C’est extraordinaire ! »

   Ensuite, l’image s’est de nouveau brouillée. Axel a permuté des câbles, déplacé la machine et eurêka, l’image est réapparue. Axel et moi, on étaient cloués. On a vu Lucille inconsciente, étendue sur une table d’opération. Dans l’engin donc. Autour d’elle une dizaine d’humanoïdes qui la fixaient de leur regard lumineux. L’un d’eux a introduit une puce sous son omoplate gauche. Aucune goutte de sang n’a coulé. Les humanoïdes s’exprimaient d’après Axel en Araméen. Incroyable ! On entendait des grésillements et parfois l’image se brouillait, ça oui. Tout à coup, une porte coulissante s’est ouverte et là, au milieu d’un vaste espace, une dizaine de tables d’opération. Sur chacune d’elle, un humain adulte. Tout autour des tables, des humanoïdes qui semblaient étudier les corps inertes. Les thorax se soulevaient, ces humains vivaient, ils respiraient. Axel et moi restions silencieux. On n’a même pas pensé à filmer tout ça. Le mot incroyable, on l’a bien lâché cent fois. Nous avions reconstitué une machine qui remontait le temps et qui permettait de visionner des séquences du passé. Axel avait l’air embêté. « Un problème, Axel ?

  • Je n’aurais jamais dû t’entrainer dans cette aventure, Philibert.
  • Je me tairai, t’inquiète. Et toi, qui veux-tu voir ou entendre ?
  • Oh, ce Nikola Tesla, justement ! m’a répondu Axel, avec une idée derrière la tête. »

   Axel a de nouveau bidouillé la machine. Il l’a réglée sur la recherche de Nikola Tesla, Exposition Universelle de Bruxelles, 1910. C’est là et à cette époque que Tesla aurait présenté sa machine à communiquer dans le temps. Ces infos-là, Axel les avait lues sur le site du Surnateum, un étrange cabinet de curiosités bruxellois. Et ça a fonctionné ! Nous avons assisté à une réunion entre savants dans le bureau du commissaire de l’exposition. Nous avons tout vu et tout entendu. J’ai promis à mon oncle de ne rien dévoiler. Peu après l’écran est devenu tout noir et de la fumée asphyxiante nous a obligés à nous éloigner de l’extravagante machine. Nous titubions, nous étions au bord de l’évanouissement, et même les rats détalaient vers l’extérieur.

   Une fois remis de nos émotions, Axel et moi nous nous sommes regardés. On ne savait pas quoi se dire. Alors j’ai rompu le silence et j’ai demandé, juste pour détendre l’atmosphère : « Avant de partir en croisade pour dénicher d’autres extraterrestres, on pourrait pas rechercher mes questions d’examen ?

  • Remettons-nous au turbin, Félix ! On les trouvera, tes questions !
  • Merci, tonton ! j’ai lâché, en me dirigeant vers cette extraordinaire machine. »

Publié dans Textes

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Ani Sedent nous propose une courte nouvelle "Les cuisines du monde"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Les cuisines du Monde

 

Mais que se concocte-t-il donc dans les cuisines du monde ?

Des effluves étranges s’en dégagent, pas toujours réconfortants, souvent suspects et, alors que la serre surchauffe, y faire suer devient la norme tandis que tourne la rôtissoire et que les cuissons à l’étuvée se succèdent, même entrecoupées d’abondants rinçages.

Si le passage au chinois se généralise, l’américain semble avoir fait fi de la date de péremption et la salade russe, sous sa mayonnaise rance, prend des airs de déjà vu.  Accommoder les suprêmes aux petits oignons devient fastidieux.  Les diplomates défilent, pourtant, la panade est omniprésente, les gâte-sauces légion et de nombreuses brisures jonchent les plans de travail.

Dans la souillarde la mortification va bon train alors que la trancheuse débite des tripes, que les cervelles marines dans une demi-tasse d’eau tiède, que les vieux croûtons font trempette dans la sauce aigre-douce et que la poularde, sévèrement bridée, passe du demi-deuil au deuil complet.

Quant à la surprise du chef… ce n’est pas elle qui fera boire le bouillon à la crItique gAstronomique.

 

Et la note ? vous demandez-vous.  Elle sera salée !

 

Ani Sedent

Publié dans Nouvelle

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"Sens dessus dessous", un mini poème signé Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

 

CARTE BLANCHE 3

Un collectif aux Éditions Jacques Flament : https://www.jacquesflamenteditions.com/583-carte-blanche-3/

 

sens dessus dessous

 

sens dessus dessous

ils se croisent au-dessus

se décroisent au-dessous

leurs secrets sont tabous

et les oiseaux dans les arbres

et les fleurs au printemps

sous un ciel de poèmes

 

Carine-Laure Desguin

 

Publié dans l'invité d'Aloys

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Prologue du prochain thriller SF de Christine Brunet "Tempus Fugit"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Tout début du 21e siècle, en Camargue, entre Arles et le Grau-du-Roi… Une masure perdue au milieu des rizières, à cent lieues de toute habitation…

 

 

Les coups pleuvent comme autant de coups de battoir. Elle ne sent plus son corps. Sa tête semble sur le point d’exploser. Sa gorge est partiellement obstruée par le sang qui a envahi sa bouche. Elle va y rester, cette fois. Axelle de Montfermy joue avec le feu depuis des années, infiltrant et démantelant des groupuscules terroristes violents : sa spécialité.

Mais cette fois, la mission est pourrie : les données transmises par ses supérieurs étaient erronées. Elle s’est préparée pour affronter un groupe de terroristes salafistes, a peaufiné son identité pour coller au profil mais est tombée sur des suprématistes blancs dirigés par une pourriture de première, une sorte d’albinos à la mâchoire et aux oreilles démesurées, une caricature d’inhumanité qui prend son pied, depuis des heures, à la torturer.

Elle n’a même plus peur : elle encaisse sans réagir, détruite aussi bien physiquement que psychiquement. Ses yeux ne voient plus. Les voix ne sont plus qu’un brouhaha indistinct. Seuls les hurlements de son corps sont encore audibles.

Une odeur de fumée. La morsure ultime des flammes…

 

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

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Ani Sedent nous propose en avant-première le prologue de son dernier ouvrage à paraître "Les oiseaux de pierre"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Quand tout serait fini, que les historiens consigneraient les méfaits de cette poignée de mages qui, aveuglés par le mirage des séquences athaumiques, déclenchèrent les guerres magiques, qu’ils décriraient chaque embrasement et leurs lots de malheurs, qu’ils égraineraient les trêves, toujours trop courtes, et feraient le décompte des victimes, toujours trop nombreuses, rapporteraient-ils ce moment charnière ? cette nuit où l’équilibre fut rétabli, quelque part dans les Lithiks, parmi ses pics d’obsidienne et ses vents hurlants ? cette nuit où le mal cela son destin ?

 

z

  

  Cette nuit-là, loin de songer à ce que les historiens rapporteraient dans leurs manuels, le petit mage pensait que, décidément, simuler son trépas n’était pas chose aisée, surtout si son public incluait un revenant.  Quand on improvisait le rôle de cadavre, on ne pouvait espérer pire critique.  Sa prestation devait pourtant être convaincante puisque son état mortifère semblait faire l’unanimité chez ses agresseurs. Gésir au sol, les yeux fermés par d’affreux cocards, le front et le menton barbouillés de sang, aidait bien sûr au réalisme de la prestation.  Il faut dire que ces monstres ne l’avaient guère épargné avant de le laisser pour mort.

  Tout en réfléchissant, il écoutait leurs pas râcler la pierre autour de lui alors qu’ils fouillaient son atelier et emportaient notes et artefacts avec toute la finesse attendue de créatures nées de la magie noire.

  Oh ! il savait qui était derrière cette infâmie.

  Bien qu’il soit considéré comme un original, parfois méprisé, souvent ignoré, qu’il fréquentât peu ses confrères et certainement pas les idiots qui mettaient les domaines à feu et à sang pour satisfaire leur vanité, il avait compris, dès le premier acte, qui était l’auteur de cette mauvaise pièce.  Il l’avait un jour considéré comme un ami, et quand s’était enfin dissipé le brouillard d’illusion qui floutait la vraie nature de leur relation il était trop tard, il avait déjà commencé à lui parler de ses travaux.

  Ce ne pouvait être que lui, le mal personnifié aux mensonges travestis en paroles onctueuses, celui qui avait prôné l’usage des séquences athaumiques, les présentant comme l’avenir de la magie.  Le seul qui n’avait jamais été celui qu’il semblait être : Arcadius !

 

 

Prologue de : Chroniques de l’Invisible – Les oiseaux de pierre

Publié dans Présentation

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Alain Charles présente son nouvel ouvrage "L'enchère"

Publié le par christine brunet /aloys

Bio

Alain CHARLES habite Baudour, il exerce la profession d’ingénieur dans une société de construction en Wallonie picarde. Il a déjà publié plusieurs recueils de nouvelles, contes fantastiques et romans dont «Une si jolie poseuse de bombes » paru en 2022, «Ciel bleu avec nuages » en 2023 et « La solitaire de la ligne 14 » en 2024. Il a également publié en 2024, « L’attente », une pièce de théâtre. « L’enchère » est septième roman.

 

 

Résumé

Le dérèglement climatique a entraîné une extrême pauvreté et le désespoir au sein de la population. Ferdinand, dit Led, géophysicien et climatologue, perdant son travail et sa compagne, décide de mettre sa tête à prix, le ministère de la fin de vie promulgue cette méthode pour faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État et considère que pour sauver la terre, il suffit de la dépeupler.

Annabelle, son exécutrice, est une splendide jeune femme, son père, un riche entrepreneur-financier, lui a payé l’enchère, elle a bien le droit de s’amuser. La convention est signée et le délai fixé, il lui reste à choisir la méthode, mais un évènement impromptu va changer la donne.    

 

 

Extraits

 Si tu retires une plaque d’égout et que tu descends dans les sous-sols de la ville, tu trouveras des artères animées, des lignes de métro désaffectées, des catacombes. Dans ce dédale infini de couloirs, de tunnels et de pertuis à peine éclairés vit une véritable termitière. Ce royaume des ombres est hanté par des fantômes semi-humains, des troglodytes farouches et sanguinaires, des contrebandiers, des solitaires indomptés, j’y suis descendu plusieurs fois et après avoir pataugé dans la gadoue fétide des égouts, je me suis fait arrêter par un groupe d’hommes presque nus qui avançaient toujours penchés, le nez vers l’eau purulente. En me bousculant, ils m’ont demandé, hilares, mon passeport et un droit d’entrée vers les enfers. Je t’avoue que j’ai eu les chocottes et que je suis parti en courant jusqu’à la première chambre de visite et ses échelons salvateurs.

*

La vie, Annabelle, est une suite improbable d’évènements, certains sont voulus, d’autres pas, et c’est parfois à n’y rien comprendre. Les croyants, quel que soit leur religion, appellent cela le destin, mais je ne crois pas en une puissance supérieure qui réglerait d’une manière prévisionnelle et fatale la vie humaine, je ne crois qu’en l’homme et au hasard, à la fortuité et à l’inexplicable. Vous fréquentez les casinos, Annabelle, certains jours la chance vous sourit, il n’y a aucun doigt de Dieu sur le tapis vert. Pour la vie, c’est du pareil au même, tout se joue sur un coup de dés. Regardez-vous, Annabelle, hier vous étiez une fille à papa, insouciante, riche et belle, belle vous l’êtes toujours, votre coupe de cheveux vous va à ravir, Zoé a du talent, mais les autres qualificatifs ne sont plus de rigueur.  À qui la faute, s’il y en a une? À Dieu? Au hasard? Si vous aviez rencontré Led avant la convention, peut-être dans le même restaurant, auriez-vous été éprise par ses beaux yeux? Rien n’est moins sûr, le contexte du contrat vous a poussée à le regarder autrement qu’un homme de passage.

Publié dans Présentation

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In recueil Le vieux de la zéro/vingt-trois, poème 17 - Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

17

 

 

les autres

quels autres

tous confinés

entre leurs murs

déguisés en zombies camés

au risperdal débarquent

perdus là au milieu

de la chambre zéro/vingt-trois

(celle du vieux)

ils se déculottent (ou pas)

ils pissent ou il chient

ça dépend

entre la télé et le fauteuil

 

le vieux est consterné

il sonne appelle

(sa voix est numérique parfois)

un ectoplasme ou l’autre

vite mon euthanasie

il quémande il supplie

sa dernière  respiration

perfusion

injection léthale

 

In recueil Le vieux de la zéro/vingt-trois

Carine-Laure Desguin

Publié dans Poésie

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