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Joe Valeska nous propose un nouvel extrait d’"Ainsi, je devins un vampire"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Les heurts entre père et moi étaient fréquents. Plus il me reprochait mon attitude de je-m’en-foutiste, plus je m’acharnais à le contrer, avec un aplomb détestable. Je le singeais, systématiquement, faisant, ainsi, la joie coupable de mère dont je me voulais, quelque part, le vengeur pour ces années dissoutes dans l’ennui mortel qui la condamnait.

Pareille au phare d’Alexandrie, maman Justine était ma lumière au milieu des ténèbres. J’admirais son courage sans faille, inébranlable. Elle, elle admirait la soif inextinguible de liberté qui m’animait. Plus encore, elle admirait mon effronterie. Non pas qu’elle l’encourageait, loin de là, mais elle ne la réfrénait pas non plus, beaucoup trop heureuse de me voir sortir vainqueur de ces affrontements virils, débordant de testostérones, qui l’arrachaient à ses labeurs répétitifs. Pour pouvoir travailler la laine, il fallait bien sûr tondre les moutons, mais son travail ne s’arrêtait pas là… Il fallait entretenir la maison, le jardin, préparer la soupe, vider le gibier, battre le linge au lavoir et, surtout, supporter son rustre de mari désespérément insensible.

Tout ce qui comptait, pour père, c’était la terre. Il avait toujours le visage grave. Jamais un seul sourire n’éclaira ses traits. C’était un homme de granit, sans aucune éducation. Je ne me souviens pas qu’il ait versé une larme un jour. Pas même pour la naissance de Camille. Comment aurais-je pu éprouver de l’amour, du respect, pour un tel homme ? Il épousa mère par devoir, parce qu’il l’avait mise enceinte, et non parce qu’il en était amoureux. Il était incapable d’aimer. Incapable ! Jamais il n’eut la moindre petite attention à son égard, jamais le moindre geste tendre, jamais une parole gentille, même quand elle revenait du lavoir, épuisée, les mains meurtries par la morsure impitoyable de l’eau glacée de l’hiver, rapportant nos vêtements. Je le lui fis payer, jour après jour, n’espérant point qu’il réalisât qu’il avait une famille. Sa terre ! Sa sacro-sainte terre chérie ! Comme il dut être heureux quand on l’y mit, six pieds sous terre !

« Virgile, est-ce vous qui l’avez… »

« …tué ? terminai-je la question qu’allait me poser Lela. Non. J’étais très loin du Gévaudan quand il mourut. J’ignore même quand et comment il mourut. Certainement pas de rire, ce pisse-froid… »

« Et… votre maman ? »

« Ma mère ? » soupirai-je.

Incontestablement, mère était l’une des plus belles femmes du pays. Nul mot ne saurait rendre hommage à sa beauté naturelle. Plus important, elle possédait la vraie beauté : celle du cœur. Elle avait le sens du sacrifice, comme peu de gens l’ont. Son bonheur passait toujours après celui des autres. Elle souriait, sereine, envers et contre tous, le regard perdu vers l’horizon, guettant la venue d’un monde meilleur, sans jamais se plaindre. Père ne s’en rendit jamais compte. Je le hais, encore aujourd’hui, et je souhaite de tout mon cœur qu’il brûle dans le Phlégéthon !

Maman Justine était de petite taille, mince et très gracieuse dans ses chemises de lin, justaucorps et jupons blancs. Contrairement à la plupart des paysannes, elle ne portait jamais le traditionnel tablier et jamais, au grand jamais, le mouchoir noué autour du cou. Elle se voulait féminine. Assurément, elle était avant-gardiste. Ses cheveux auburn tombaient en cascade sur ses frêles épaules et encadraient un visage ovale et chaleureux. Ses grands yeux noisette l’éclairaient généreusement. Comme la mienne, sa bouche était fine, et son nez, lui, était joliment retroussé. Elle me faisait parfois penser à un petit écureuil. Maman Justine… Ma mère et mon amie. Comme j’envie les anges de l’avoir auprès d’eux. Car, jamais plus, nous ne serons ensemble. Jamais plus nous ne danserons, en chantant à tue-tête, au milieu des papillons multicolores, sur la route du midi. Jamais plus nous ne rirons pour de simples bêtises. A-t-on déjà vu un vampire gagner le paradis ? Pourquoi Dieu accepterait une créature telle que moi au sein de son royaume ? Courageuse maman Justine, bien plus forte que je ne le serai jamais.

 

Assise sur votre nuage, que pouvez-vous bien penser de votre fils, aujourd’hui ? Tu me manques tellement, maman… Ma maman Justine, mon cœur pleurera éternellement cette déchirure. Je me sens si seul, par moments ! Si misérable. Si démuni. Je voudrais parfois être mort pour de bon pour pouvoir être près de toi et de Camille.

Répondez-moi, Seigneur. Pourquoi avoir permis de telles choses ? La mort horrible de mon frère… M’avoir empêché, moi, de mourir… Je savais que je risquais d’infliger à mère la perte de ses deux fils, mais je devais venger Camille. Pourquoi m’avoir puni la seule fois de ma vie où je me conduisis en homme ? Pourquoi l’avoir punie, elle ? Je Vous hais, Seigneur… Je suis tellement en colère…

Je levai la tête et croisai le regard de Lela, troublée. Je ne suis pas un mort-vivant, non. Je suis toujours un homme, avec ses failles, sa mélancolie, sa colère, son amour. Benjamin me l’avait dit, je m’en souviens, mais j’avais obstinément refusé de le croire.

« Tu es toujours un homme, mon frère. Je puis te l’assurer. »

« Non, Benjamin… Je vais te le dire, ce que nous sommes : des démons échappés de l’Enfer ! D’horribles prédateurs ! Voilà ce que nous sommes… Des monstres assoiffés de sang ! Des dévoreurs de vies ! »

« Oh ! Tu as tort, mon pauvre Virgile ! C’est Dieu qui nous a abandonnés ici-bas à notre sort. Des démons ? Des monstres ? Peux-tu me regarder dans les yeux et me dire combien d’innocents le vil démon que je suis a tué ? Les humains, sois franc, ne chassent-ils pas, eux, pour le seul plaisir de donner la mort ? Tu acquiesces, je vois… Alors, ne m’ennuie plus avec ta morale surfaite ! Je n’ai pas demandé à être un vampire. Ni toi. Ne dis jamais plus des choses pareilles, s’il te plaît… »

À l’époque, Benjamin voulait me protéger de la vérité : qu’il y avait bien plus de vampires sans foi ni loi que de vampires gentilshommes. Nous ne nous disputions que très rarement, tous les deux. J’avoue que c’était toujours à cause de moi, car Benjamin n’était pas belliqueux. Toutefois, il savait se montrer brutal, si sa vie ou la mienne étaient menacées. Surtout la mienne. En fait, il était plutôt raffiné. C’était un gentleman fort bien éduqué, et fort drôle.

Nouvelles larmes.

« Vous me trouvez pathétique, n’est-ce pas, Lela ? Reconnaissez-le. »

« Pathétique ? Pas du tout. Je dirais… intéressant. »

« Vraiment ? trouvai-je étrange. Vous me trouvez intéressant ? Intéressant en quoi ? »

« Virgile, j’aimerais beaucoup… »

« Quoi donc ? Parlez… »

« Pénétrer les secrets de votre âme. Vous toucher. Effleurer votre peau, mais surtout toucher votre âme. Oui, je voudrais pouvoir toucher votre âme. Cette belle âme. »

« Ne me faites pas ça, Mademoiselle Jeannette. Je ne suis pas si fort… Je suis un château de cartes ! »

« Voilà pourquoi votre âme est belle, Virgile. »

Publié dans extraits

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Carine-Laure Desguin nous propose un poème : "Ceux du dehors", un texte inspiré du livre "Celui qui chuchotait dans les ténèbres", de H.P. Lovecraft

Publié le par christine brunet /aloys

 

Ceux du dehors

 

si c’est pas ça un poème tu dis

Ceux du dehors

ah mon vieil ami Akeley

dans ta ferme isolée du Vermont

une région sauvage hostile mystérieuse et

de ses collines ruissellent des eaux tumultueuses

tu me parles des légendes et du folklore de la vieille Angleterre

les vieux se racontent ces histoires-là de générations en générations

si c’est pas ça un poème tu dis

Ceux du dehors tu répètes Ceux du dehors

des créatures immenses et rosâtres

grandes de cinq pieds au moins avec des corps de crustacés

sur lesquels sont accrochées des ailes membraneuses

de chauve-souris oui de chauve-souris et

une multitude d’antennes très courtes composent la tête

si c’est pas ça un poème tu dis

Ceux du dehors tu répètes Ceux du dehors

sous les collines secrètes du Vermont

des multitudes de mines hantées desquelles

ces créatures extraient des espèces de pierres inexistantes

sur les autres planètes paraît-il

Ceux du dehors viennent de la Grande Ourse

les Anciens affirment ça tu dis

et dans les bois de Round Hill toi mon ami Akeley

tu as ramassé une grosse pierre noire

taillée avec une précision géométrique

elle porte des hiéroglyphes inconnus

Yuggoth c’est le nom de la planète

De Ceux du dehors

ces créatures enlèvent des scientifiques

surtout leur cerveau tu précises oui leur cerveau

si c’est pas ça un poème tu dis

Ceux du dehors tu répètes Ceux du dehors

tes yeux semblent effrayés tu trembles et ta voix s’éraille

Ceux du dehors tu répètes Ceux du dehors

chez toi une drôle de machine composée de tubes métalliques

se met à parler oui à parler

des propos cohérents réels intelligents

une voix forte et métallique une voix d’outre-tombe cependant

autour de ta ferme les chiens aboient

des gens ont disparu et disparaissent encore

et toi mon ami Akeley toi mon ami

tu étais assis dans ton vieux fauteuil près de la fenêtre

cette forte odeur et puis cette impression étrange

de vibrations oui une impression de vibrations

toi mon ami tu n’es plus là disparu envolé

si c’est pas ça un poème tu disais

Ceux du dehors tu répétais Ceux du dehors

à présent ton fauteuil est vide ou presque

si c’est pas ça un poème tu disais

Ceux du dehors tu répétais Ceux du dehors

il ne reste là dans ton fauteuil

que ton visage et tes mains

mon vieil ami Akeley

oui ton visage et tes mains

si c’est pas ça un poème tu disais

Ceux du dehors tu répétais Ceux du dehors

Ceux du dehors

Ceux du dehors

tu disais

tu disais

tu disais

 

Carine-Laure Desguin

Texte inspiré du livre Celui qui chuchotait dans les ténèbres, de H.P. Lovecraft

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Micheline Boland nous propose un petit conte pour Pâques...

Publié le par christine brunet /aloys

 

LE PETIT ŒUF OUBLIÉ

C'est l'histoire d'un petit œuf, un petit œuf oublié dans un jardin de grand-mère un jour de Pâques.

Le matin même la cloche l'avait laissé choir dans la pelouse, le chien lors de sa sortie matinale s'en était amusé et l'avait fait rouler sous la haie. Quand vint le moment tant attendu de la chasse aux œufs, les enfants ne le remarquèrent pas. Trop petit, trop discret sans doute ! Pourtant, il était bien joli, tout enrobé de papier doré. Il aurait suffi de se baisser et d'être un rien attentif pour le repérer.

Le temps avait passé. Les heures, les jours, les semaines, les mois, les saisons, une année entière. Il avait senti les rayons du soleil et les souffles du vent, l'humidité et la sécheresse. Il avait eu froid et il avait eu chaud. Il était resté sous la haie. Le jardinier n'y avait pas pris garde quand il avait taillé, les enfants ne l'avaient pas plus remarqué lorsqu'ils avaient joué à cache-cache que lors  du fameux dimanche de Pâques.

L'année suivante, petit Sam, qui avait grandi, chercha lui aussi des œufs dans le jardin. Ses frères et ses cousins étaient plus perspicaces et plus rapides que lui, mais c'est lui qui vit au bas de la haie une belle poule recouverte par endroits d'un peu de papier doré. Le petit œuf avait grandi et petit Sam en avait fait la gourmande découverte.

 

Micheline Boland

 

Publié dans Textes

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Ani Sedent a lu "L'été de l'oiseau" de Dominique Dumont

Publié le par christine brunet /aloys

 

Pour toutes sortes de raisons, certains étés sont plus mémorables que d’autres.  L’été de l’oiseau de Dominique Dumont est de ceux là.

 

Du haut de ses dix-sept ans, Diego est à un âge où, loin de se sentir un homme, il ne se voit déjà plus comme un adolescent.  Il faut dire que son parcours familial chaotique lui a laissé en héritage une certaine mélancolie, ainsi qu’une certitude à propos de sa vie : il n’en fera rien !

Pourtant, il aime bien celle qu’il mène dans le quartier Montmartre, du moins, jusqu’à ce rappel brutal de l’existence qui lui prouve que rien n’est immuable et la vie, imprévisible.

 

Le roman de Dominique Dumont est avant tout une galerie de portraits.  Ceux de la famille de Diego, bien sûr, de ses parents et grands parents, sans oublier l’oncle José, mais aussi des gens qu’il rencontre ou côtoie au gré des circonstances, pour le meilleur ou pour le pire.

En quelques phrases, l’auteur les croques, leur donnant vie et caractère pour les faire évoluer dans un monde rempli d’incertitudes. 

De Paris à Bruxelles, du quartier populaire de Montmartre à l’Occitanie, il nous fait partager des tranches de vies aux parcours fort différents, qui se croisent pour se trouver, se retrouver, ou se perdre.

 

Quant à l’oiseau, si son rôle semble prendre des allures magiques c’est peut-être simplement parce que ses plumes agitent un vent d’espoir et de liberté.

 

Ani Sedent

 

Publié dans actutuv

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Christine Brunet a lu "Entre rivière et forêt" de Patrick Beaucamps

Publié le par christine brunet /aloys

 

Je suis toujours impatiente de me plonger dans l’écriture de Patrick Beaucamps. Cette fois, l’auteur nous propose dix nouvelles courtes, punchies, noires voire très noires… « Entre rivière et forêt » est d’ailleurs le titre de la dernière nouvelle, probablement la plus prenante, la plus noire de toutes.  L’ouvrage ne compte que 123 pages qui se lisent très vite.

Patrick Beaucamps nous fait partager de courts instants de vie, des destins brisés, des existences cabossées émaillées de brèves mais rares lueurs d’espoir. Des personnages déchirés qui nous font frissonner. L’ambiance est pesante. Si je devais donner une couleur à ses histoires, ce serait le gris très foncé.

Comme toujours, l’écriture est très agréable, précise, imagée et entraîne sans difficulté le lecteur dans ces petits microcosmes dramatiques.

La mort, très présente, n’est pourtant pas présentée comme terrible ou terrifiante… ce qui m’amène au thème sous-jacent : la résilience… Surmonter, survivre coûte que coûte. J’ai passé un excellent moment de lecture. A découvrir !

 

Christine Brunet

 

Publié dans émission actutv

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Christine Brunet présente un trailer pour son tout premier thriller "Nid de vipères"

Publié le par christine brunet /aloys

Publié dans Trailer

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Christine Brunet a lu pour ActuTV "L'été Gigi" de Céline Estelle

Publié le par christine brunet /aloys

Une couverture qui attire l’œil, sans aucun doute, et qui donne envie de pousser plus loin, de découvrir ce que cache le titre « L’été Gigi ». L’histoire ? Trois adolescents se rencontrent et écrivent, malgré eux, le temps d’un trop bref été, une page indélébile de leur vie.

Gigi, sublime jeune femme de 17 ans quitte la capitale pour une toute petite ville de la Marne, Dormans. Elle rencontre Emma, plus jeune, plus effacée, femme en devenir, puis Tristan, cancre loubard très courtisé par la gent féminine.

On assiste à la naissance d’une amitié si forte qu’on la croit inébranlable, puis à ce qui ne peut qu’en découler considérant la personnalité même des protagonistes… à une histoire d’amour, passionnelle, passionnée… Un triangle amoureux qui va faire des ravages. Tourbillons d’émotions, de sensations, de couleurs… Un récit en crescendo qui s’arrête brutalement avec la fin de l’été. Puis le temps implacable faisant son œuvre, tout s’effrite lentement jusqu’à la destruction des liens qui laisse un goût amer…. Goût amer que laisse la vie, les souvenirs, que laisse l’amour. Céline Estelle nous propose un récit agité de remous, émaillé de réflexions sur l’existence, la jeunesse, la vie et… la mort.

 

Christine Brunet

 

Publié dans émission actutv

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"Fort, fort mystérieux", une nouvelle signée Ani Sedent

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Le soir tombait lorsqu’Arthur passa non loin du menhir.  Le doigt de Gargantua, tombé de la main du géant après un combat épique contre les korrigans, semblait vouloir mettre en garde le jeune étudiant en histoire contre quelque sombre machination.  Depuis plusieurs mois, les splendides côtes d’Armor et ses roches granitiques, auxquelles le vent semblait souffler mille histoires réelles ou imaginaires, était le centre de l’univers de ce jeune homme avide de découvrir les secrets de ce lieu magique.  Ceux du château de la Roche Goyon en particulier, Fort la Latte, une merveille du quatorzième siècle perchée sur un éperon rocheux comme un défit à la mer et ses sortilèges.

  Quelques cailloux roulèrent sous les pas du jeune homme alors qu’il approchait du premier pont-levis et de la barbacane, toujours prompte à défendre sont trésor d’éventuels assaillants même si quelques siècles l’avaient privée de sa herse.  Arthur la traversa, passa au-dessus du gouffre qui la séparait du second pont-levis et de son châtelet gardé par deux tours, puis pénétra enfin dans la cour du château.

  La lune couvrait d’un voile blanc le promontoire et son donjon, sentinelle immuable.  Arthur s’arrêta au milieu de la cour et observa son environnement.  Un esprit hantait les lieux, c’est du moins ce que certains affirmaient.  Il n’y a pas si longtemps, le jeune étudiant se serait moqué de ces assertions, les jugeant puériles ou fantaisistes, mais depuis peu, il se posait des questions.  Les nombreuses nuits passées au château, peuplées de sons étranges et de chuchotements, avaient perturbé sa sérénité coutumière.

  Le jeune homme tourna la tête et posa les yeux sur la citerne d’eau.  Construite sous le règne du roi Soleil, elle dormait sous une arche, face à la mer.  Attiré par l’éclat de la lune se reflétant sur les crêtes écumeuses de la Manche, Arthur se glissa sous l’arche.  Mais alors qu’il s’appuyait sur le rebord de la citerne, les reflets d’argent sur les vagues onduleuses perdirent leur éclat, floutées par une ombre qui absorbait la nuit en chuchotant une supplique.  Soudain, fusant des strates englouties du moyen-âge, une intense lumière embrasa les pierres de la citerne.

  Arthur voulu s’éloigner, mais une force le précipita au cœur de ce flamboiement, lui arrachant un long cri d’angoisse.  Balloté sur d’invisibles vagues, le jeune homme finit par s’échouer au milieu du chaos.  Des gens criaient et couraient en tous sens, houspillés par quelques soldats en cotte de maille et tabard, ainsi que des arbalétriers en jacque de cuir.  Levant la tête, Arthur vit le donjon du château se détacher sur un ciel bleu, que quelques cumulus absolvaient de son intense couleur par leur innocente blancheur.  Quelqu’un lui hurla, dans des termes fleuris et dans un français aux accents médiévaux, de se mettre à l’abri.  Stupéfait, le jeune homme se précipita néanmoins sous l’arche du châtelet, notant au passage que ce dernier présentait un étage supérieur.  De là, il observa la cour du château.  C’était bien la même que celle qu’il connaissait, cependant, certains détails, dont une tour carrée n’était pas le moindre, la rendaient différente.  Un soldat le bouscula et sortit rejoindre ses compagnons.  Inquiet, le jeune homme fit comme tout le monde : il leva les yeux et scruta le ciel.  Si, comme il le soupçonnait, il avait été transporté en plein moyen-âge par quelque maléfice, quel genre de menace venant du ciel ces gens pouvaient-ils bien craindre ?  Tout à coup, un bruissement à l’arrière du donjon se fit entendre.  Un cri terrifiant retentit et des flammes embrasèrent l’atmosphère.  Dans la cour, les carreaux d’arbalète fusèrent.  Sous les yeux ébahis d’Arthur, la cour s’assombrit, engloutie par la soie noire d’une ombre gigantesque.  Un dragon survolait le fort en crachant un geyser de feu.  Les soldats s’égayèrent vers les abris les plus proches, mais celui qui avait bousculé Arthur se précipita vers le donjon.  Dans le ciel le dragon disparut un instant, ne laissant derrière lui que quelques volutes de fumée, pour réapparaître presque aussitôt au-dessus de l’imposante tour.  Il cracha une bouffée rougeoyante en direction du malheureux arbalétrier, qui dérapa et s’étala de tout son long.  Terrifié, l’homme se releva et tenta de rejoindre le châtelet, mais la créature à l’armure écailleuse fondit sur lui en poussant un terrible cri.  Comprenant qu’il n’y arriverait pas, le soldat posa sur Arthur un regard ou la résignation le disputait à la culpabilité.  Puis, alors que le dragon l’agrippait de ses serres puissantes, il disparut, avalé par l’éther.  Au même instant, Arthur était aspiré au cœur d’un océan de lumière et rejeté au pied de la citerne.

  Tout en contemplant la lune qui continuait sa course paresseuse dans le ciel de Bretagne, il écouta les battements désordonnés de son cœur, se demandant s’il n’avait pas tout simplement perdu connaissance et rêvé cette folle histoire.  Mais une ombre s’en vint le frôler de son suaire glacé, avant de se diriger vers le donjon.  Le jeune homme suivit l’apparition, qui s’évapora dans un chuchotement désespéré parmi les pierres du promontoire rocheux.  Prudemment, Arthur s’aventura à sa suite, certain que ces lieux recelaient une chose importante.  Un bruissement inquiétant lui fit lever la tête, mais seuls quelques cirrus perturbaient la quiétude du ciel nocturne des côtes d’Armor.  Tâtonnant parmi les roches, il sentit un gros galet s’en détacher alors que quelques cailloux roulaient vers la basse-cour.  Glissant la main dans le trou, il en sortit un énorme rubis, lisse et brillant, à l’ovale parfait.  N’osant croire à ce qu’il tenait entre les mains, Arthur hésita.  Que devait-il faire ? Inexplicablement, l’image du doigt de Gargantua pointant hardiment vers le ciel, s’imposa à lui et il emporta sa trouvaille tout en haut du donjon.  Là, il la lança le plus haut possible et, tandis que l’œuf disparaissait emporté par une inquiétante silhouette drapée de fumée, le spectre d’un arbalétrier du quatorzième siècle, imprudent voleur de trésor, s’échappa sur les chemins d’une liberté enfin retrouvée.

 

Fort, fort mystérieux – Ani Sedent

Publié dans Textes

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Christine Brunet interviewe Joe Valeska à l'occasion de la parution de son dernier roman "Ainsi, je devins un vampire"

Publié le par christine brunet /aloys

Publié dans interview, vidéo

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Alain Charles présente son nouvel ouvrage "Juste quelques mots"

Publié le par christine brunet /aloys

Bio

Alain CHARLES habite Baudour, il exerce la profession d’ingénieur dans une société de construction en Wallonie picarde. Il a déjà publié plusieurs recueils de nouvelles, contes fantastiques et romans dont «Une si jolie poseuse de bombes » paru en 2022, «Ciel bleu avec nuages » en 2023, « L’Enchère » en 2024. Il a également publié en 2024 « L’attente », une pièce de théâtre. « Juste quelques mots » est son premier recueil de poésies.  

 

Résumé

 

Un mot, quelques syllabes

Un verbe approprié

Une idée qui trotte dans la tête

Un petit bout de papier

Un crayon, un stylo, qu’importe

Et puis l’envie de les écrire

Avec une urgence souveraine

Sans gêne sans pudeur puérile

J’ai osé.

Incisives

Courtes, brèves

Juste quelques mots.

Ils bouleversent, choquent, émeuvent 

Pourquoi ?

Quand le cœur s’emballe

Quand les yeux se mouillent

Quand l’esprit s’interroge

Laissez-les, ils guident nos pas

 

 

Extrait

Une femme à sa fenêtre

Les yeux mouillés

Regardait la pluie

Et le chemin détrempé.

Celui d’où il était venu

Celui par où il était parti.

Soudain, au loin

Une silhouette

Elle portait un chapeau.

Elle s’est mise à espérer.

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