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Texte 11 concours "Disparitions/fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

AVEC SES FANTÔMES…

 

 

Je suis un écrivaillon. Quelques personnes disent apprécier ma plume et mon univers, mais je suis un écrivaillon. Non pas amer, mais désillusionné. (La suite expliquera ces propos…) Je n’ai jamais voyagé et je ne suis pas spécialement instruit – chacun de mes livres a nécessité plusieurs dizaines d’heures de recherches sur Internet et, quand possible, car j’aime toujours cela, au cœur d’une bibliothèque. À l’instar d’un comédien, il faut savoir faire illusion… Ai-je au moins réussi cela ?

Depuis quelque temps, le même rêve fou revient durant mon sommeil : un très gros éditeur me repère sur le blog littéraire Aloys. Il m’offre un contrat incroyable, un agent littéraire merveilleux, et le succès arrive, somme toute, rapidement. C’est une nouvelle vie – qui fait excessivement peur, malgré tout.

Au bout d’une année seulement, je peux réaliser mon rêve secret : racheter l’appartement de mon enfance. Dans ce rêve récurrent, je m’écrie souvent : « Ça y est, j’ai enfin réussi à récupérer notre chez nous ! Je ne suis peut-être pas le raté qu’ils disent, dans mon dos, que je suis, dans cette famille. » Puis je me réveille… Je regarde autour de moi, afin d’être sûr, et il m’arrive de pleurer. Ce ne sont pas les murs de ma maison, témoins de tant de bonheurs simples, et mes chers disparus ne sont évidemment plus là.

Je ne suis ni Marc Lévy, ni Guillaume Musso, ni Danielle Steel. Juste un écrivaillon qui vit, comme d’autres, avec les fantômes de son passé personnel. J’ai tout perdu quand j’ai perdu ma maison. Cet appartement minuscule où j’étais merveilleusement heureux. Comme des esprits frappeurs, les dimanches en famille, sans ces putains de smartphones, reviennent me hanter à l’envi. Je repense continuellement à ma grand-mère en train de cuisiner pour tout le quartier, à mon grand-père qui rentre de ses parties de pétanque ou des courses de chevaux en sifflant, à tous ces moments précieux avec maman, éternellement jeune à mes yeux, à nos voisines, tous les jours chez nous.

Ça fait mal, affreusement, mais on vit avec les fantômes du passé. Je ne m’en délivrerai jamais. J’aurais aimé avoir un camescope pour capturer tous ces « fantômes », à l’époque. On n’avait pas d’argent, et le temps s’en moque. Alors, j’écris. J’écris pour vivre avec mes fantômes. Pour un peu de tendresse.

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Texte 10 concours "Disparitions/Fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

La porte ouverte

 

Suite à dix jours passés chez une amie, me voici de retour chez moi. Il est tard et une fois déchaussée et mon petit bagage défait, je ressens une impression bizarre de vide, comme une espèce de nudité de l’espace que je ne m’explique pas.

Je monte le chauffage et me secoue en pensant à la préparation de mon repas. Malgré mes efforts, l’impression persiste. La baie vitrée n’offre qu’un large écran sombre. Je me précipite pour fermer le store et clore les rideaux ; je déteste voir la nuit s’infiltrer dans la maison ! Devant la fenêtre, je réalise que cette angoisse est due à la nudité de la haie. Les feuilles ont chuté en masse ces derniers jours. Il faut bien que je m’en fasse une raison, même si je déteste le froid, l’hiver et l’obscurité

Tout à coup, je me fige en apercevant par-delà la haie, une forme blanche volumineuse, ramassée, assez haute, de la taille d’un très gros chien, ou d’un veau ? Ai-je rêvé ? La forme a remué, j’en suis certaine, au secours ! Il n’y a jamais eu d’animal chez ce voisin, je suis déjà prête à empoigner mon portable, mais je respire calmement et me force à la réflexion : Que veux-tu donc que ce soit ? Me dis-je.

Calée derrière la tenture, j’écarte le rideau, soulève le store et observe à nouveau les ténèbres. Je perçois alors un mouvement qui heureusement reste sur place. Sans hésitation, je referme le tout et me rend à la raison.

En m’occupant à la cuisine, la tension retombe peu à peu. J’allume la télé, fixe mes idées sur l’écran et oublie la vision de tout à l’heure. La soirée passe, il est temps d’aller me coucher. Heureusement, ma chambre se trouve côté jardin et les stores sont restés fermés sans crainte de  signaler mon absence prolongée. Pas de vue inquiétante donc

Fatiguée de la journée, je m’endors et sombre dans un sommeil profond, si profond que je m’éveille en sursaut après un cauchemar me ramenant à un souvenir d’enfance avec mon frère, malheureusement disparu, depuis lors. Mais à l’époque, il s’était recouvert d’un drap blanc et avait surgi en hurlant, dans le couloir obscur, provoquant chez moi une immense frayeur. Classique me direz-vous de jouer au fantôme ? Néanmoins, il m’avait terrorisée comme jamais et aujourd’hui encore j’en avais la chair de poule. Troublée à la fois par ce souvenir et le fait d’avoir revu mon frère si nettement, un long moment se passe sans que je puisse retrouver le sommeil.

 

Une fois rendormie, c’est maman, décédée depuis dix ans, qui m’apparaît cette fois. Bien qu’en plein rêve mon cerveau a du mal à y croire. Elle est pourtant là, je la vois et la sent qui s’approche doucement, elle sourit et me dépose un baiser sur la joue. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer, mais je m’éveille et porte la main là où, se sont posées ses lèvres douces. Un sentiment de bien-être m’envahit toute entière. Je me glisse à nouveau sous les draps et laisse mes pensées divaguer au gré de mes souvenirs. Et enfin, je replonge dans un sommeil serein, cette fois.

Au réveil, je ressasse avec mélancolie mes souvenirs et impressions de cette nuit. Je flâne, car c’est dimanche, et je n’ai rien de prévu… Je descend à la cuisine, prépare mon petit déjeuner et me dirige vers la baie vitrée avec appréhension. Je repousse les tentures, relève le store et lève prudemment les yeux vers la silhouette inquiétante d’hier qui n’est rien d’autre que l’énorme souche du sapin renversé par la tempête de l’an dernier.

Ce n’était donc que cela, je l’avais oubliée et, à présent, dénuée de son écorce, son bois est devenu lisse et blanc sous les effets de la pluie et du soleil cumulés. Cet été, une graminée a poussé derrière la haie, dont les plumeaux blancs ondulent au gré du vent. Ce sont eux, les coupables qui ont provoqué ma panique d’hier soir !

Cette souche était soustraite à ma vue durant toute l’été, quand le feuillage me cachait sa présence. Mais hier soir, elle a probablement été la porte ouverte à ces visites nocturnes Nous sommes toujours accompagnés par les fantômes de notre passé   

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Texte 9 concours "Disparitions/fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

La perte

 

Rien ne sera plus jamais pareil. La perte est immense, les enquêteurs, malgré l’épuisement, persévèrent. Nulle part un indice, une piste. Depuis plusieurs semaines, depuis le passage à l'heure d'hiver, les enfants ne rient plus. Même pas un petit peu. Même pas un rictus. Rien. Nada. Étrange, mais véridique. Alertés par les parents inquiets, les enseignants acquiescent discrètement, rapidement suspectés d'être la cause du dérèglement infantile. Il faut dire qu'il est dans l'air du temps de les accabler. La faillite publique, c'est eux. Le bateau qui prend l'eau, c'est eux. Dépensiers ! Fainéants ! Payés à ne rien faire ! Incapables !
            Sans plus attendre, l'État s'empare du sujet. Si, si, si, ce ne peut être que cela : les élèves qui ne rient plus, c'est eux ! Aussi ! Si, si, si !

 

Heureusement, un inspecteur rivalisant de perspicacité va s’intéresser à l'affaire, guidé par l'envie de vérité. Une denrée rare, mais précieuse. Enfin, c'est ce qu'il se dit, brièvement. Inspecteur Lagarance. Flanqué à la rue par sa femme, il squatte l'appartement d'un ami, le canapé s'en plaint, grinçant plus que jamais, mais rien n'y fait. Indifférent au rejet affectif du deux-places, Lagarance n'a plus qu'une idée en tête : remettre les enfants sur le chemin du rire. Et éventuellement, épater sa femme.

Dans l’intervalle, l'enquête.

 

Lagarance ne lâche rien, il va et vient, lunettes réglées sur qui-veut-peut. Il grimpe aux arbres, se tapit dans la nuit qui décline, surgit dès l’aube qui s’éveille, interpelle les passants, les chats, les chiens, les rats des villes et ceux des champs. Se creuse les méninges. Et se creuse les méninges. Et se creuse les méninges. Jusqu'à ce qu’un éclair de génie le frappe, par charité. Pile en haut du crâne. Un truc. Y a un truc, qu’il se dit. Ce n’est pas simplement le rire des enfants, il manque un truc, juste avant le rire des enfants, ça ne tient qu’à quelques lettres, il le sent… Un suffixe ? Un préfixe ? En haut ? En bas ? Près de lui, là-bas, et même ici, dans ce texte, il manque un truc.

Un truc, mais lequel ? Que c’est agaçant de se deviner si près du but, sans parvenir à l’atteindre. Nein, nein, nein ! (L’allemand, uniquement quand il enrage). 

De mauvais gré, Lagarance capitule et part rendre visite à un vieil ami. Ancien gagnant des dictées de l’illustre Bernard. Il lui tend le texte. Le verdict est sans appel : une lettre manque. Entre le n et le p. Dans ce texte, mais aussi dans les manuels, les paperasses, les bavardages, les mimiques et les habitudes. Plus de petits cercles. Perdus. Disparus.

Quelques heures plus tard, tel le messie, Lagarance est reçu par le président. Bises, épingle et remerciements. Et dès le lendemain, sur les petits et grands écrans, le chef des armées, avec gravité, en appelle aux experts de la langue française.

A l'aide, amis enseignants, amis sauveurs ! 

Mince, zut, flûte, ils viennent aussi de disparaître.

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Texte 8 concours "Disparitions/fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Une histoire vraie

 

C'est l'histoire d'un mec, ça fait déjà toute sa vie qu'il fait semblant.

Alors, à la fin de sa vie il fait semblant d'être mort.

On fait semblant de l'enterrer et il fait semblant de rien.

On fait semblant de le regretter et il fait semblant de ressusciter.

 

Un jour, il tombe à l'eau et fait semblant de nager.

On fait semblant de le sauver et il fait semblant de se noyer.

On fait mine de chercher son corps. En vain, on l'appelle encore et encore.

On raconte que c'est son sport de faire le mort et on lance une fausse couronne dans le décor.

 

Alors, on fait semblant d'avoir bonne conscience, mais, sous de faux-semblants,

tous ont peur qu'il soit mort vraiment.

 

Par une nuit de claire lune, il réapparaît et on fait comme si de rien était. 

Il dit qu'il a fui le diable et ses grands sabots et feinté cerbère en faisant le beau,

qu'il s'est échappé du royaume des morts en rusant et en faisant semblant d'être encore vivant,

qu'il est revenu sous un autre jour, tel un revenant et que dorénavant, il va croquer la vie à pleines dents, même s'il est devenu un mort-vivant.

 

Il prétend qu'il a changé vraiment et jure de ne plus dire que la vérité.

Mais, depuis, plus un traître mot il n'a prononcé.

Alors, on fait semblant de le croire et de ne pas lui en vouloir.

On sait que personne ne revient de l'au-delà, mais, ça lui ressemble tellement de dire ces choses là. Et, comme il ment depuis qu'il est petit, on raconte qu'on n'a pas voulu de lui au paradis.

 

 

 

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Texte 7 concours "Disparitions/Fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

La passion de l'ange

 

J'avais sept ans. Je me souviens, c'était un jour d'automne.

Je buvais un chocolat chaud avec Papa au Réverbère. C'était notre QG, l'endroit où on aimait déguster la vie. A travers la vitre, je regardais les gens passer, passer et passer... Quand tout à coup, je la vis, la plume blanche.

  • Papa ! criais-je en lui montrant la plume du doigt.
  • C'est une plume d'ange, me répondit-il.
  • Une plume d'ange ?
  • Ils veillent sur nous.
  • Comme Maman ?

 

Je vis la surprise dans les yeux de Papa. Je vis également autre chose...

  • Oui, comme Maman...

 

Papa but une gorgée de chocolat. Je regardais à nouveau les gens qui passaient. Je ne sais pas pourquoi, mais je ressentis soudain l'envie de regarder le ciel, il était tout gris. La pluie tomba.

  • Ta maman adorait la pluie. Ça l'apaisait...

 

Papa rebut une gorgée. Je vis alors qu'il le regardait, le grand verre de bière sur le comptoir. Ça faisait un an que Papa avait arrêté. Je pus y voir l'envie. J'avais peur que Papa rechute.

Je regardais à nouveau la vitre... Maman enlaçait Papa. Comme ses ailes étaient grandes... Et blanches.

  • Garçon, la même chose, s'il vous plaît.

 

Nos deux autres chocolats arrivèrent. Papa me sourit. Je fis de même.

  • Santé, ma puce !
  • Santé, Papa !

 

Je bus une gorgée. Je regardais à nouveau la vitre. Maman avait la main déposée sur le cœur de Papa. Elle me souriait... Tout en déposant l'index sur sa bouche.

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Texte 6 du concours "Disparitions/Fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

LE FADO DES HEURES

 

« Je suis le spectre d’une rose

Que tu portais hier au bal. »

 

Théophile Gautier

 

Elle lui apparut quand vint l’heure bleue. Elle était assise sur le banc des amants dans l’allée des soupirs. Il se souvint de l’inconnue dans le Tunnel de l’Amour. Elle s’appelait Macha.

 

L’arbre de Vénus pleurait. Une de ses larmes rouge comme le sang tomba sur la robe de soie saphirine de la jeune fille. Elle devint, alors, un coquelicot dont chaque pétale étiolé fut emporté par le vent. L’un d’eux s’échoua dans l’amphore de la gardienne de pierre d’un cimetière oublié.

Lorsque des lucioles et des cigales jaillirent du noir azur, la muse reprit forme humaine. Parmi les tombes moussues, elle erra longuement avant de descendre dans une crypte.

Un chat la fixait entre les vitraux fêlés de la nuit. De quel temple égyptien venait ce doux félin que je vis, tout à coup, bondir sur le dais étoilé du ciel ?

Un corbeau vint se poser sur l’épaule d’une statue décapitée.

Une abbesse à demi-voilée flânait dans les allées, puis disparut, comme avalée par l’ombre d’un cyprès.

 

Le lierre nimbait le front des anges déchus qui saillissaient des murs d’une chapelle.

 

Des dames d’outre-tombe diadémées de violettes étaient agenouillées autour d’un immense crucifix et égrenaient leurs rosaires.

 

La porte des songes se ferma. Le poète qui s’était assoupi sur son écritoire, peu à peu, sortit de sa torpeur.

 

Dans le jardin du château, Macha enlaçait le saule de Babylone et murmurait des odes au rouge-gorge mort sous la neige.

 

Au loin, on pouvait voir l’antre de la titanide qui cachait dans son poing l’onyx merveilleux.

 

Macha s’avança jusqu’au bord de l’étang entouré de roseaux qui n’étaient pas encore en fleurs et voulut boire l’éternité aux lèvres du grand cracheur. Dans l’onde, le spectre d’une rose dansait. Ses épines couronnaient la tête de la pauvre Psyché semblable à un astre que des nuées d’orage ensevelissaient. Dans l’onde, le spectre d’une rose dansait…

Macha entendit le brame d’un cerf. L’hallali sonnait tandis qu’elle marchait entre les faux miroirs et contemplait la parade des planètes qui chatoyaient dans le ciel comme des émaux.

Un homme au chapeau melon se hissa, soudain, à la fenêtre du sombre firmament. C’est alors que la clef des songes tomba de la poche de la ténébreuse dont le mouchoir de soie s’envolait vers l’orangeraie où avait été enterrée la jarre de Pandore.

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Texte 5 du concours "Disparitions/Fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Le temps se cache dans le gousset du destin

Chaque matin, je la regarde passer le long de la fenêtre, tête basse, le dos vouté, un vieux cabas au bout du bras.  Je sais qu’elle va marcher jusqu’au coin de la rue, traverser et tourner en direction du Grain Malin.  Elle repassera dans une poignée de minutes, s’il n’y a pas trop de monde à la boulangerie, si personne ne la retient pour lui parler de sa solitude, si elle ne s’égare pas.

Il n’y a pas si longtemps, elle passait encore accrochée à son bras, le sourire aux lèvres, pleine d’entrain et de joie de vivre.  Lui, la couvait du regard, s’amusait de ses commentaires, revenait de la boulangerie faussement mécontent d’avoir encore cédé à ses envies de pâtisseries, s’arrêtait pour deviser avec un voisin, un ami, une simple connaissance.  De temps en temps, il sortait au volant de sa voiture, un vieux modèle bien entretenu qu’il conduisait avec la prudence née d’une longue habitude, pour se rendre au centre sportif du quartier où il avait encore quelque activité.  Leurs têtes blanches étaient un peu comme les aiguilles d’une horloge, se poursuivant pour mieux se rattraper.  Jusqu’à ce que la plus grande des deux fatigue, qu’elle trotte avec plus de difficultés.  Patiemment, la plus petite l’attendait et tant pis si le Grain Malin avait déjà vendu la plupart de ses délices, croissants et petits pains au chocolat, s’il en restait, feraient aussi bien l’affaire.

Puis, un jour, les balades matinales et les conversations impromptues cessèrent.  La voiture resta définitivement au garage, le centre sportif devint un souvenir, avant de disparaître complètement d’une mémoire effilochée, tout comme les croissants et celle qui continuait à aller les chercher.  Bientôt, elle ne passa plus devant la fenêtre que pour aller prendre le bus qui la mènerait à lui, avant de rentrer le soir, inquiète mais heureuse d’avoir pu partager sa journée avec une ombre qui, pour un instant, un trop bref instant, s’était illuminée.

Ma petite aiguille qui, il y a peu, arborait encore un espiègle sourire de gamine, porte désormais son âge comme un fardeau, une sombre fatalité.  Je la regarde et je vois la racine de son désespoir.  Je sais où cette dernière prend sa source, à quel puits de larmes elle s’abreuve et je me dis que l’absence est une bien cruelle forme d’abandon.

Enfin, il capitula, l’abandonnant définitivement dans la maison endormie…  C’est du moins ce qu’elle croit, mais moi, je sais qu’il n’en est rien !

Régulièrement, comme la grande aiguille venant taquiner les heures en les frôlant de son ombre, je le vois passer devant la fenêtre, se demandant ce qu’il fait là, pauvre créature solitaire.  Puis il entre, le regard perdu, en quête de cette partie de lui qu’il ne sait abandonner.  Il rôde comme le fantôme du passé qu’il est devenu, celui d’un passé heureux que pourtant elle ignore, désespérément.  Alors, il tente de lui parler, accaparant le tic tac de l’horloge, se glissant dans un grincement de porte, soupirant dans le sifflement d’une bouilloire.  Mais si elle l’entend, elle ne l’écoute pas.  Je le sais, j’ai fait la même chose longtemps avant lui, en vain.

Aujourd’hui, je l’ai chassé.  Non sans lui expliquer qu’il valait mieux qu’il l’attende là-bas, qu’elle trouverait le chemin, j’y veillerais.

Je le connais ce chemin, même si je ne me suis jamais résignée à l’emprunter.

J’ai tenu ma promesse.  Depuis, l’envie de la suivre me titille.  Mais déjà la maison résonne à nouveau de cris d’enfants.  Dans le salon, un petit chat me regarde en silence, les moustaches frémissantes.  Je tends la main vers lui…  Mon voyage attendra bien encore un peu.

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Texte 4 du concours "Disparitions/Fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Ville assoupie et fantômes du passé

 

La ville semblait commencer à s'assoupir. J'avais trente ans et depuis mes vingt-sept ans ma vie était plongée dans une sorte de léthargie. J'avais choisi de n'accepter que des fonctions intérimaires et d'occuper une chambre en banlieue chez mes parents. Je  mangeais et sortais peu. Je m'étais mis en quelque sorte sur pause. J'attendais un déclic. C'était un jour de début d'automne. Je venais de sortir d'un immeuble après un long entretien d'embauche, prêt à m'engager cette fois dans un travail à durée indéterminée. Je me découvrais pourtant indécis et fragile, car l'entretien avait fait apparaître des coins d'ombre. La nuit venait de descendre sur la ville et la recouvrait d'un voile gris. Ces instants-là montraient la vie de gens pressés. Ces instants-là parlaient de la réalité du métro-boulot-dodo. Peu à peu, une sorte de lenteur commença à prendre le pouvoir et je laissai s'effilocher le temps. J'ouvris grand les yeux sur des beautés que j'aurais eu peine à envisager un peu plus tôt. Les choses se passaient au ralenti, dans le gris nacré d'un univers qui se métamorphosait, qui éveillait à des rêves de renaissance. Je marchais d'un pas plutôt lent et je reconnaissais des silhouettes familières, cette sculpture représentant des mains tendues vers le ciel, ce globe terrestre, cette danseuse en bronze, mais je croisais aussi des personnes disparues, assises ici et là sur un banc, un seuil ou des marches d'escalier. J'avais l'impression qu'elles étaient venues à un rendez-vous fixé, je ne sais trop comment. Je m'assis sur une banquette en pierre, je fermai les yeux. J'entendis des voix et je reconnus celle de Laure, ma fiancée décédée voici trois ans dans un accident de vélo, celle de mon grand-père disparu depuis quelques mois, celle de mon ami Pol mortellement blessé lors d'une chute, celle d'un professeur décédé des suites d'un cancer, celles de voisins qui assuraient parfois ma garde quand j'étais enfant et de parents âgés passés de vie à trépas depuis quelques années déjà. Toutes ces voix étaient douces. Elles prononçaient des mots que j'avais déjà entendus. "Je t'aime…", "Plus tard, nous ferons le tour du Mont Blanc", "On avance pas à pas. Chacun à son rythme. L'essentiel, c'est d'avancer.", "Notre bonheur, c'est à nous de le construire.", "On n'est pas toujours assez fort pour réagir aux imprévus et il faut savoir se le pardonner.", "Chante et danse, mon grand. Fais-toi plaisir." "Comme tu dessines bien !" Les accents, les intonations montaient en moi tels des parfums de bonheurs. Les plaies liées au départ de ces personnes ne s'étaient pas cicatrisées, mais les paroles que j'entendais de nouveau me faisaient du bien. Progressivement, je n'entendis plus grand-chose de ces propos. Alors j'ouvris de nouveau les yeux et je les regardai. C'était une évidence, je ne pouvais les trahir.     

Ensuite, mon regard se porta ailleurs. Assis sur la banquette, je faisais face à un immeuble. Dans le coin salon de l'appartement du rez-de-chaussée, la lumière était diffusée par des lampadaires. L'ensemble était accueillant. Étrangement, les murs de l'immeuble étaient transparents. Je pouvais voir un homme assis dans un fauteuil, suivant du regard une femme vêtue de rouge qui allait et venait en gesticulant. Il me sembla que tous deux riaient, qu'ils étaient heureux, comblés par les musiques, les couleurs et les odeurs de leur vie. Je regardai autre part, là où il y avait aussi des lumières et où les murs étaient aussi transparents. Je vis un enfant caresser un chien, un couple s'embrasser, un homme accrocher un tableau, une dame arroser des plantes. Je vis des intérieurs bien rangés, d'autres au fouillis indicible. C'était cela les délices de la vie. Il me fallait y goûter pleinement. Être celui qui danse sur un air de blues, se balade avec son chien, sort boire un verre avec un copain, s'arrête pour prendre une photo, arrose des plantes.

Un chien aboya et d'un coup les murs perdirent leur transparence. Je pensai: "Ça suffit, Alex ! Tu perds du temps. Engage-toi. Détache-toi de ton passé. Il existe autre chose que le métro-boulot-dodo !" Je me levai. Je pris le chemin de la gare. Je passai devant des hôtels, bars, écoles, boutiques, arrêts de bus,… Je croisais des gens, j'entendais quelques mots. Je prenais de la distance avec moi-même. Parvenu à la gare, je me rendis rapidement sur le quai adéquat. Je rentrai au plus vite chez mes parents, parlai de l'entretien d'embauche et annonçai que je louerais un studio en ville. Mon avenir se profilait avec plus de précision et de joie…

 

 

 

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Texte 3 concours "Disparitions/fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Lily

 

« Devant la mort qui nous menace,
Chats et gens, ton flair, plus subtil
Que notre savoir, te dit-il
Où va la beauté qui s’efface,

Où va la pensée, où s’en vont
Les défuntes splendeurs charnelles ?
Chatte, détourne tes prunelles ;
J’y trouve trop de noir au fond. » *

 

Quand on parle de fantômes, ou de signes de l’au-delà, il s’agit presque toujours de la manifestation post mortem d’un proche décédé. Sachez toutefois que cette petite histoire personnelle, dont - n’en déplaise aux sceptiques -  je garantis l’authenticité, prouve que la perte d’un animal auquel on est très attaché peut également être à l’origine de ce genre de phénomène.

J’avais une chatte, une splendide Main coon avec laquelle j’avais petit à petit tissé des liens quasiment passionnels, chose que ne peuvent comprendre que ceux qui ont déjà partagé une partie de leur vie avec un animal.

Je dois mentionner tout de suite que c’est elle qui nous avait choisis, ma femme et moi,  en débarquant un beau jour chez nous sans tambour ni trompette. Notre surprise passée, il ne nous fut pas difficile de découvrir qu’elle appartenait en fait à de proches voisins dont elle venait de déserter le domicile.  Il nous fut toutefois impossible de la leur restituer, Lily se sauvant dès qu’elle en avait l’opportunité pour se retrouver, nous lorgnant à travers les vitres, sur le rebord de notre fenêtre.  De guerre lasse, les voisins nous l’abandonnèrent…

Lily comprit que c’était gagné et prit tranquillement ses quartiers. Et notre vie commença à s’organiser à trois, nous adaptant très vite à elle et elle à nous. Avec de charmantes attentions de part et d’autre, des friandises variées contre des «cadeaux » que n’appréciait pas franchement mon épouse... Car il arrivait assez souvent que Lily nous gâta avec des souris ou des mulots qu’elle capturait dans le jardin.

Elle connaissait nos habitudes « sur le bout de sa patte », et savait par exemple toujours très exactement où me trouver, quelle que soit l’heure de la journée ou mes activités du moment. Ou quand elle devinait de façon mystérieuse que nous nous apprêtions à nous absenter en la laissant provisoirement aux bons soins d’une voisine de confiance. Je suis persuadé qu’elle lisait dans mon âme, et tout dans son regard me montrait qu’elle me comprenait et savait que je la comprenais, et que les mots auraient été superflus.   

Un bonheur de quelques années seulement, jusqu’à ce qu’une visite chez le vétérinaire nous révèle un grave problème cardiaque. Dès lors, notre objectif fut de la soulager au maximum tout en prolongeant sa vie, me chargeant moi-même de lui administrer ses quatre pilules quotidiennes, ce qu’avec une totale confiance elle acceptait de bon gré.

M’étonnant, au soir d’une journée pluvieuse, de ne pas la voir rentrer de ballade à l’heure habituelle, je la trouvais morte, allongée sur le flanc contre la porte d’entrée, dans une attitude paisible donnant à penser qu’elle dormait.  Une mort douce en apparence qui atténua un tout petit peu mon chagrin. Un vide soudain auquel il ne nous serait pas facile de nous habituer.

Le lendemain, débarrassés du corps et le cœur lourd, nous avons tout rangé et nettoyé dans la maison, puis remisé à regret ce qui lui avait appartenu (litière, vaisselle, couvertures,…).  Et le surlendemain, au matin, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une belle souris, morte mais absolument intacte, posée bien en évidence devant la porte de la pièce où j’avais l’habitude de me retirer pour lire et où elle m’avait si souvent rejoint.

Plutôt étrange, non ? Le genre de chose qui nous amène tout d’un coup à douter de notre compréhension profonde de la réalité, une réalité que l’on croit d’ordinaire maîtriser mais dont on devine parfois confusément qu’elle pourrait bien cacher quelque mystère qui nous échappera toujours. Plus de chat dans la maison, comment diable expliquer la soudaine présence de cette souris, et par quel miracle elle avait bien pu arriver là, et mourir là ! À moins que…

Un « cadeau » post mortem comme ultime adieu ?

Oui, force est bien d’admettre qu’il peut exister des liens inter-espèces, des liens très forts, s’établissant dans la vie et, pourquoi pas, persistant même au-delà…

* « À une chatte », Charles Cros
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Texte 2 du concours "Disparitions/Fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Et si ça ne s’arrêtait pas ? Noah ne répond pas, il est aussi démuni que moi.

Mes cauchemars sont de plus en plus fréquents, de plus en plus violents.  Je suis épuisée et je ne comprends pas.

Je me traîne vers la salle de bain et je cherche dans ma mémoire embrumée depuis quand mes nuits sont devenue aussi pénibles.  Dans le miroir je vois un visage exsangue, un regard terne souligné de poches sombres, deux plis marqués aux coins de la bouche et je serre les dents, les faisant grincer les unes contre les autres dans un mouvement de colère, ou de stress, ou les deux.

En cherchant bien, je me rends compte que cela fait à peine quinze jours que mes insomnies ont commencé.  Il me semble pourtant que cela fait une éternité.  Tout en m’habillant, je continue à triturer cette mémoire que le manque de sommeil rend hermétique.  Avant de sortir, Noah me rappelle que je dois emmener tante Emma chez le médecin.  Je ne l’aime pas la tante Emma, mais j’ai promis à maman de l’accompagner, c’est sa grande sœur, c’est aussi une horrible pimbêche doublée d’une bigote.  Je crois qu’elle ne m’aime pas beaucoup non plus, surtout depuis que vis avec un métis, mais contrairement à maman, elle ne me fait pas peur.

Le médecin est en retard, comme d’habitude.  J’en profite pour aller me chercher un café et une barre chocolatée.  La présence de ma tante met mes nerfs à rude épreuve, comme si j’avais besoin de ça ! Le café n’est pas très bon, mais il est chaud, c’est déjà ça.  L’emballage du chocolat résiste, m’obligeant à poser mon gobelet pour lui régler son compte de mes dix doigts.  Il se révolte, puis se déchire ; tout comme ma mémoire, qui me ramène chez maman le jour ou j’ai accepté de conduire Emma chez le médecin, le jour ayant précédé la première d’une longue suite de nuits de cauchemars et d’insomnie.  J’engloutis café et chocolat sans lâcher ce mince fil mémoriel, espérant qu’il me mène au monstre tapi dans mes rêves.

Lorsque je reviens dans la salle d’attente, Emma n’est pas là.  Je m’assieds, attendant qu’elle sorte du cabinet médical et cherche ce qui, ce jour-là, a pu déclencher mon anxiété.  Je me revois dans la cuisine familiale, puis dans le salon au décor vieillot, avec ses meubles de style ancien.  Je frôle le fauteuil où papa s’asseyait pour lire son journal ou regarder la télé.  Je baisse les yeux sur le panier où dort Lustucru, le cocker de maman.  Je souris devant l’adorable petit éléphant bleu, qui trône sur le bahut à côté des photos de famille et qui, bien qu’il ait été acheté au profit d’une œuvre, subit les foudres de ma chère tante…  Mais est-ce bien de lui dont se plaint la vieille punaise ? Occupée à trier et ranger les factures de maman, je ne fait pas très attention.  Je me concentre, cherche à rassembler les mots, les bribes de phrases entendues ; quelque chose sur le bahut déplaît à Emma.  Je ferme les yeux, imagine la surface de chêne ciré et me souviens qu’une nouvelle photo y est apparue depuis peu.  Une vieille photo un peu jaunie représentant une jeune fille au visage souriant.  C’est la jeune sœur de maman, Eloïse.  Celle dont on ne parle pas.

Je me remémore ses traits, ses cheveux flamboyants, comme les miens et, soudain, une douleur fulgurante me plie en deux sur ma chaise.  Le monstre de mes cauchemars surgit en pleine lumière.  Des petits bouts de conversations surprises lorsque j’étais enfant, puis adolescente, sortent de sa bouche en une longue litanie, racontant une histoire qui me brise avant de me reconstruire, les ombres enfin chassées.  Je vois Eloïse enceinte, puis Eloïse rejetée par Emma devant maman en pleur et papa qui me tient dans ses bras.

Alors, je me lève et quitte la clinique sans un regard en arrière.  Le cimetière n’est pas loin, Eloïse non plus.

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