Je commence cette fiche de lecture, par cette conviction que je porte et que Philippe de Riemaecker confirme, sans brusquerie, sans imposer, par un défilement de trois vies sur trois sites, marquées par leurs différences, et pourtant si semblables : l'être humain où qu'il soit, où qu'il vive porte les mêmes peurs, les mêmes passions, les mêmes objectifs (vivre ou survivre...).
Ces trois destins se déroulent dans des univers particuliers d'une beauté dépeinte par une plume poétique. Les descriptions deviennent des fresques et on ne peut que s'y attarder, les lire et les relire pour en savourer chaque couleur :
"... L'horizon, imperceptiblement, s'est enduit de teintes différentes. Le blanc et le jaune ont fait place à quelques nuances orangées. C'est le premier signe que la course du soleil s'essouffle et que ce dernier commence sa descente en se drapant de brume, avant de laisser sa place à l'astre de la nuit"...
Derrière ses descriptions, l'auteur suggère une connivence entre l'environnement, l'état d'esprit des protagonistes et leur avenir. Dans ce manuscrit, tout est cohérence, unité. On est bercé par un univers silencieux :
- Une chambre d'hôpital où un homme va au chevet de son père, en fin de vie. Il retrouve également sa mère, atteinte d'une démence qui vit dans une maison spécialisée...
- Le désert, traversé par ce jeune couple musulman qui fuit l'endoctrinement, la tyrannie de ce pouvoir fanatique qui s'est approprié leur religion. Le destin va mettre sur leur chemin, une petite fille, aveugle...
- Un couvent où le pouvoir extraordinaire d'une nonne devient une évidence, et le concierge de ce lieu, un Sage, porteur de la Mémoire...
Le silence est là dans ces mondes si éloignés géographiquement, des mondes de recueillement et d'exclus , renforcé par ce leit -motif de l'auteur :
"...Suspendre son souffle, suspendre le temps, suspendre les questions et les non-réponses, lessilences...."
"...Le silence est assourdissant. Le paysage l'est tout autant..."
"...Nos silences sont éloquents, notre détresse dépasse l'infini..."
En même temps, règne un tumulte créé par des événements forts, le combat contre la maladie, la mort, la tyrannie. Ce silence devient assourdissant d'émotions. Il est la plus grande symphonie de la vie, par des notes d'une sincérité parfois brutale, sans fioriture. Le sens de la vie, la place du libre arbitre deviennent le questionnement essentiel de ces personnages que tout oppose. Ces questions existentielles sont soutenues par l'intervention de l'auteur avec des annotations personnelles, qui n'est en rien intrusive, au contraire ! Un peu comme si l'auteur suivait le cheminement de pensée du lecteur, en lui parlant délicatement à l'oreille. Ce qui est un des éléments rendant ce livre exceptionnel. "Tant de silences" par ses témoignages de vie rend la philosophie vivante, car il en est empreint par l'existence de ces personnages, où chacun de nous se retrouve, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre dans une notion d'universalité. Il est un exemple de ce que peut faire l'homme dans le meilleur et dans le pire (l'empathie ou la tyrannie). " Tant de silences" est une philosophie pleine de bon sens, de vrai sens, du seul sens qui devrait guider nos pensées et nos actes. Et ce sans jugement, sans moralité. Ce titre "tant de silences" est très pertinent, car il rappelle aussi le manque de communication qui conduit tant à la peur, à l'ignorance, qu'à la cruauté.
Philippe de Riemaecker balaie les frontières, toutes les frontières. Il réunit, unit ces trois mondes, démontrant que c'est possible .
Je lis les derniers mots de ce livre qui restera dans ma mémoire, avec l'envie de croire que ce n'est pas qu'un roman....