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L'invité d'Aloys est Eric Allard

Publié le par christine brunet /aloys

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l’orage l’au revoir

 

I

donner de la voix du verbe

au nom des choses tues

 

sans mots aller à la mer

délivrer l’onde des vagues

 

où ce corps dans mes mains

prit la forme d’une plage

 

 

II

l’orage les limites abolies

du temps et de la pluie

 

puisqu’au ciel s’efface l’ondée

toute trace d’éclaircie

 

il faudra revenir à la place

que j’occupais dans les rêves

 

 

III

sans mouvement seule

l’ombre se défait de la lumière

 

l’été continue de brûler

dans l’âtre de l’hiver

 

des mots marchent sur les peaux

ceux que tu as laissés mourir

 

 

IV

bref orage suivi de riens

passé recouvert de bleus

 

cheveux pris à la gorge

cou rare pour les caresses

 

qui l’une l’autre se calment

s’ensuivent sans suite

 

 

V

tous les noms donnés

pour inventer une langue

 

s’éloignent des lèvres en pensée

pendant qu’on pèse une étoile

 

sans un regard se souviennent

de ce qu’étaient des yeux 

 

 

VI

dans l’eau salée à souhait

plonger les moments perdus

 

de l’être ne faire qu’une bouchée

un avalement lent

 

retenir au bout des doigts

quelques pincées de ciel

 

 

VII

sans bruit se frotter au silence

pardonner au tonnerre

 

au poids lourd du temps

qui renverse les espaces

 

tomber en vérité

dans un monde sans dimension

 

 

VIII
d’herbes rouges en feuilles folles

parcourir le spectre des prairies

 

le corps embourbé sale 

dans la bouche de la terre

 

verser des seaux d’orage

de minuscules poignées d’avoir

 

IX

semer jusqu’à obtenir

une terre riche de paroles              

 

puis parler droit

à l’étroit dans les mots

 

pour le reste à dire

attendre un autre langage   

 

 

X

sans nerfs rouler

ses os jusqu’à l’air libre

 

quelques mots plus loin

crier son amour

 

comme si de son corps

on avait perdu les clés

 

 

XI

produire des voix d’enfant

dans des gorges de papillon

 

sous les ailes du cri

poser une bombe

 

dans les fleurs éparses

recomposer un chemin   

 

 

XII

à voix très basse

changer de saison

 

entre les yeux du temps

pousser sa mémoire

 

quitte à revivre

la nuit de sa naissance

 

 

Eric Allard

Publié dans l'invité d'Aloys

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Christian Van Moer a lu Nid de vipères de Christine Brunet

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes/chrismellone.jpg

 

NID DE VIPÈRES

De Christine BRUNET, aux éditions Chloé des Lys

 

J’ai lu Nid de vipères,  le roman de Christine Brunet édité chez Chloé des Lys.

 

 

PRÉSENTATION :

 

Préparez-vous à un tour du globe périlleux : fuite laborieuse d’Honolulu pour rejoindre Paris via Papeete, embarquement pour une mission suicide à Hong-Kong, séjour à haut risque en Birmanie et escapade salutaire au Tibet avant le retour inespéré en France et de nouvelles tribulations en Polynésie française et à Malte…

Quatre-quatre, voiliers, jets, sous-marins, hélicos vous mèneront d’une destination, d’un péril à l’autre.

Ne vous laissez pas rebuter par les macchabées qui joncheront chacune de vos escales ni par les fréquents rencards avec la Mort qui pimenteront votre périple.

Vous ferez connaissance avec les illustres agences de renseignements que sont le MI6 et la DGSE, aux prises avec une puissante organisation mafieuse internationale qui a mis sur pied un réseau sophistiqué de tueurs à gages professionnels et spécialisée dans la recherche et la distribution des stupéfiants les plus hard.

Vous rencontrerez un savant fou qui croit avoir mis au point un sérum révolutionnaire, à la fois panacée de rêve pour les maladies incurables et merveilleux élixir de jouvence.

Une superbe créature superflic et un bel agent secret rompu au baroud vous plongeront dans l’action. Entre deux affrontements sanglants, vous assisterez aux ébats frénétiques de cette faune interlope. Le mystère se dissipera peu à peu, mais le suspense vous tiendra en haleine jusqu’au bout.

Rien de plus banal, en fin de compte, objecterez-vous : ce ne sont là que les ingrédients habituels d’un scénario tiré de l’œuvre archi-exploitée de Ian Fleming.

Détrompez-vous : des éléments originaux personnalisent ce canevas en apparence classique. Ainsi, par exemple, notre 007, c’est l’agent en jupons et notre James Bond girl, le bel espion. Ainsi l’héroïne, qui dirige ses enquêtes policières avec autant de détermination et d’efficacité qu’elle accomplit ses missions pour la DGSE est de santé particulièrement fragile.

 

PROTAGONISTES :

 

Il est temps de faire plus ample connaissance avec les principaux personnages qui se croisent et s’affrontent dans ce « nid de vipères ».

 

-  ALOYS SEIGNER :

« Alie » est la riche héritière d’une puissante famille française. Promue commissaire divisionnaire à Paris, elle s’avère être d’une témérité affolante et d’une efficacité remarquable, au point que son frère, le directeur de la DGSE, n’hésite pas à lui confier les missions les plus dangereuses.

-  NILS SHERIDAN :

Irlandais, agent du MI6. Soupçonné de trahison par ses chefs, torturé et laissé pour mort, il est recueilli, soigné et hébergé par la belle Alie. Il tombe sous le charme de sa protectrice et finit par faire équipe avec elle.

-  JACQUES SEIGNER :

Patron des services de renseignements français, il fait passer l’intérêt de la France au-dessus de tout, même s’il doit y sacrifier la vie de sa jeune sœur.

-  MARIE-CLAIRE SEIGNER :

Mère d’Aloys. Aucune fibre maternelle ne la fait s’inquiéter pour ses enfants. Dissipée, avide de luxe et de plaisirs, sexuellement insatiable, c’est une dévoreuse d’hommes.

- TAK FAI :

Laborantin chinois, créateur du sérum miracle. Dément qui n’hésite pas à utiliser les êtres humains comme cobayes et à les laisser mourir dans d’atroces et insoutenables souffrances.

-  CHAN SINGRI :

Chirurgien sino-indien cruel et sans scrupules. Cible du MI6 et de la DGSE, car c’est le cerveau de l’organisation mafieuse internationale qui menace le monde. Véritable génie du mal, il compte devenir tout puissant grâce à la commercialisation de la « Mort subite », sa nouvelle drogue dure, et à son sérum élaborés dans ses laboratoires clandestins.

 

ATMOSPHÈRE :

 

Tortionnaires, tueurs à gages, psychopathes, trafiquantsCouverture Nid page 1 d’êtres humains, ripoux, pirates, peuplent donc le « nid de vipères » qu’Aloys Seigner a pour mission d’infiltrer et de nettoyer.

Et la belle a fort à faire car, en même temps que ce réseau pervers, il lui faut également combattre un démon intérieur implacable.

Avec ce combat sans merci engagé sur deux fronts, cette odeur de sang persistante, l’atmosphère risquait de n’être qu’oppressante. Mais la tendresse et l’amour, le bleu et le vert n’en étant pas totalement exclus, des bouffées d’oxygène et de chlorophylle m’empêchent de ranger Nid de vipères au rayon des romans noirs.

C’est un roman d’espionnage, riche en rebondissements qui entretiennent le suspense et qui ne lâche pas son lecteur avant la fin.

Ni même après la fin ! Car le dénouement abrupt, brutal et inattendu pose question.

Sans véritable explication, il est bien difficile d’accepter cette fin telle qu’elle est littéralement présentée. Mais le lecteur incrédule, qui veut un dénouement moins choquant et plus vraisemblable, s’il fait travailler un peu son imagination, découvrira aisément au moins deux lectures plausibles et apaisantes.

 

ÉCRITURE :

 

Christine Brunet écrit dans un français correct et limpide. La construction de sa phrase est simple, naturelle. Elle sait éviter les fioritures, les figures pompeuses, les descriptions lassantes et les digressions inutiles qui alourdissent un récit.

Mais son style n’est ni pauvre ni monotone pour autant : on sent qu’il est travaillé et peaufiné pour rendre la lecture aisée et agréable. Et à côté du langage direct propre aux dialogues du genre policier, de nombreux passages séduisent le lecteur.

En voici quelques-uns :

 

« Il sentit qu’on empoignait le sac… Et on le balançait dans le vide… Un choc rude qui le sonna quelques instants puis une descente lente… Il était dans l’eau… Sa prison de plastique lestée. Déjà le liquide suintait dans la poche non hermétique. Son cœur retrouva un rythme normal. Il se força à attendre encore quelques secondes puis chercha l’ouverture… Une fermeture Eclair qu’il parvint à faire coulisser en retenant sa respiration. Il passa à l’extérieur et chercha des réponses sur sa situation exacte. Il était peut-être en pleine mer à plusieurs mètres de profondeur. Au-dessus, aucune trace de bateau ou d’agitation de surface. Souhaitant que ses ravisseurs n’aient pas demandé leur reste, il remonta et creva la surface avec un vrai soulagement, en manque d’air. »

 

« Au bout d’un long moment, elle parvint au bord d’un étang à la surface étincelante sous les reflets de la lune. Elle s’assit au pied d’un grand chêne, entre deux grosses racines et respira à pleins poumons les senteurs nocturnes. L’endroit était particulièrement bruyant, rempli des chants des grillons, des coassements des grenouilles et des crapauds, de légers clapotis, du bruissement des feuilles sous le léger souffle de la brise, de l’appel des hiboux, des glissements des petits rongeurs sous le feuillage sec. »

 

« Peu à peu le décor déjà flou fut remplacé par un monde de couleurs extraordinaires, mouvantes, bienveillantes dans lesquelles elle flottait dans une sorte de volupté indolore. Les fils colorés s’enroulaient et se déroulaient avec douceur et lenteur devant ses yeux clos. Elle voulait rester là, à tout jamais, dans cet espace abstrait. »

 

« Elle pleurait. Les larmes roulaient sans bruit du coin de ses yeux jusque dans ses oreilles. Elle contemplait le plafond de la baraque en bois dans un flou humide. Pourtant, elle en connaissait chaque planche, chaque nœud de bois, chaque irrégularité de la tôle ondulée grise qui servait de toiture. Elle n’avait plus envie de s’évader de ce cauchemar en rêvant aux îles, au ciel bleu profond presque marine certains jours et aux lagons turquoise. Elle tourna les yeux et contempla le goutte-à-goutte sanglant. Combien de poches avait-il extraites de son corps ? »

 

« Soudain comme si elle était prise de panique, Alie saisit son compagnon par le poignet et se jeta avec lui dans l’océan. Poursuivis par les hurlements de surprise et des tirs de fusils mitrailleurs, elle l’entraîna vers le fond, contourna une sorte de crête rocailleuse constellée de gorgones puis l’attira vers une grotte alors qu’il lui faisait signe qu’il était à court d’air. Elle retira de la cache un appareil de plongée et lui tendit l’un des embouts qu’il engagea avec reconnaissance dans la bouche. »

 

« Il se leva, prit le ciré posé à côté de lui, grimpa le court escalier, passa dans le salon et regarda par la baie vitrée fermée, partiellement obturée par un rideau. Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle était là, nue sous la pluie et se lavait lentement avec sensualité. Il frémit de désir, son corps soudain brûlant et tendu. Chaque geste semblait étudié pour le rendre fou. La pluie faiblit. Elle s’essora les cheveux, les peigna longuement puis se sécha vaguement et enfila une longue robe fourreau blanche fendue des deux côtés jusqu’en haut des cuisses. Ses seins à peine gonflés pointaient sous le tissu fin et ses épaules bronzées portaient élégamment les fines bretelles du vêtement. Elle leva les yeux vers le ciel plus clair où quelques rayons de soleil semblaient forcer le passage pour saluer sa beauté. »

 

Bref, j’ai passé un bon moment de lecture, avec ton « Nid de vipères », Christine.

 

 

Christian VAN MOER                                                                       05-10-2011

 

christianvanmoer.skynetblogs.be

Publié dans Fiche de lecture

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Bob Boutique a lu "Orages" de Céline Gierts

Publié le par christine brunet /aloys

 

bobclin

 

Orages

 

Céline Gierts

 

Une lecture de Bob Boutique

 

J’hésite… j’hésite…  je referme le livre dont la couverture ne m’emballe pas (mais bon, des goûts et des couleurs…) le pousse au bout de la table et l’ observe du coin de l’œil. Un petit bloc de 180 pages tellement bourré de sentiments qu’il devrait gonfler et paraître deux fois plus épais !

 

J’hésite.

 

Céline Gierts vient-elle de nous refaire un scénario de « Plus belle la vie » ou est-ce ainsi que les choses se passent quand une femme est amoureuse ?

 

Je réfléchis avec ma mentalité obtuse de mec un peu borné.

 

Quand une gonzesse a quelqu’un dans le cœur ou dans la peau, est-ce qu’elle y pense du matin au soir en soupirant comme une ado ? Est-ce qu’elle regarde dix fois par la fenêtre pour voir si éventuellement il ne passerait pas dans le coin ? Est-ce qu’elle élabore 36 stratagèmes pour se trouver ‘par hasard’ sur son chemin ? Est-ce qu’elle imagine encore et encore ce qu’il pourrait faire à l’ instant même ? Est-ce qu’elle espère en languissant que lui aussi pense à elle de la même façon et se morfond à longueur de journée ?

 

Hé bien OUI.

 

Même si ça ressemble à une grande symphonie de violons vibrants et larmoyants… OUI. Jeorages ( cover ) crois que c’est ainsi que ça se passe et les mecs ne se rendent pas compte une seconde de la chance incroyable, inimaginable, qu’ils ont d’être aimé par une femme dont ils se souviennent d’abord  qu’elle a de jolis seins, des jambes galbées, des yeux de biche, des lèvres comme un bouton de rose et un ventre qui renferme le paradis.

 

Logiquement j’aurais du arrêter après vingt pages. Pas de foot, pas de chapitres qui déménagent, pas de crime… rien que des sentiments, des émotions, de la confiture quoi… pourtant j’ai tout lu d’une seule traite, en cachette, un peu honteux d’être captivé par cette histoire où il ne se passe rien, sinon un orage mélodramatique que… ben oui… que j’aimerais bien revivre également.

 

Elle a trente ans, un peu plus, deux enfants en vacances dans la famille, et vient de perdre un mari qu’elle adorait. Le trou est immense, l’absence insupportable et elle erre dans sa villa en essayant de remplir la journée avec de petites tâches ménagères, parce qu’il faut bien faire semblant de vivre.

 

Puis soudain, elle aperçoit dans la champ qui jouxte le jardin, un jeune  homme qui travaille en silence, sans se presser, avec des gestes précis. Il est grand, sans doute beau, à peine vingt ans et elle observe son manège… en fait, il l’attire. Au point qu’elle ose traverser la pelouse et se frayer un  chemin dans les blés pour lui apporter une tasse de café.

 

Il la remercie poliment, lorsque l’orage d’été éclate, soudain, violent, un déluge qui les ramène en courrant à la maison…

 

La suite ressemble au départ d’un feu de forêt, une étincelle, un peu de fumée, des flammèches qui se répandent sur l’herbe sèche, puis l’embrasement inéluctable d’une passion qui sera peut-être éphémère. Car les enfants reviendront un jour avec la famille et que la vie s’embarrasse fort peu des sentiments.

 

Vous rendez-vous compte que jamais dans le livre, nous ne connaîtrons les noms des deux amants ni même à quoi ils ressemblent. Elle est jolie certes, mais est-elle blonde, brune, avec un point de beauté sur la joue ? On ne sait pas. Quant à lui, c’est le flou complet puisqu’il n’y a pas le moindre dialogue décrit.

 

Ainsi en a décidé Madame l’auteur.

 

Tout se passe dans le cœur, les yeux  et l’imagination de l’héroïne qui parle, parle, parle, parle…. et analyse chaque seconde, chaque geste et chaque regard dans le moindre détail.

 

Le style est fin, élégant et je crois, très élaboré.

 

« Un rayon de soleil traversant les lamelles du volet projetait une échelle de lumière sur son mur blanc et la réveilla. » (p 33)

 

« On entendait le bruit de la pluie fouetter les vitres de la fenêtre en y formant de jolis dessins, trajectoires dont la forme était imprévisible. Comme sa vie à présent. Depuis toute petite, elle avait toujours aimé passer de longues heures à regarder la danse improbable que les gouttes formaient sur le verre. » (p 100)

 

Et puis, il y a une ambiance, un univers où les contrastes entre l’ombre et la lumière prennent toute leur importance, le dessin aussi, l’arôme du café, les épis de blé, les montagnes russes de l’émotion, l’horloge et le temps,  interminable lorsqu’il est absent et trop court quand il est présent, et toujours cette impression d’être un pantin accroché à ses fils.

 

Je ne vous dirai pas comment cela se termine. Ou pas. Personnellement j’ai trouvé ça très classe.

 

Mais j’hésite.

 

C’est un livre étrange, vibrant, un livre de femme pour les femmes. Je l’ai lu d’une seule traite. Ne le dites à personne.

 

 

Bob BOutique

www.bandbsa.be/contes.htm

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Le mangeur de blanc, une nouvelle de Maurice Stencel

Publié le par christine brunet /aloys

 

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Le mangeur de blanc

 

 

 

Mangeur de blanc. Je n’ai jamais su ce que cela signifiait précisément mais à travers la vitrine de « chez Marcel », le samedi soir, nous répétions dès que nous l’apercevions: voilà le cocu. Tout le monde peut être cocu mais lui c’était le cocu content. C’est peut-être la raison pour laquelle, un d’entre nous l’avait qualifié de mangeur de blanc. Et nous éclations de rire.

Marcel nous servait une autre tournée, c’était à mon tour de payer.

C’était un homme sympathique. Grand, maigre, il avait les traits creusés d’un homme atteint d’anémie. Son regard respirait la bonté. Ses yeux, si je peux me permettre cette image, avaient l’air de vous tendre la main.  Je n’osais pas exprimer cette impression à haute voix parce que mes copains se seraient moqués de moi.

Joueurs de hockey, maniant le stick comme si c’était pour nous creuser un chemin parmi des adversaires déterminés à nous arrêter à n’importe quel prix, nous étions des hommes qui n’avions que faire de sensiblerie. Des yeux qui respirent la bonté, c’était une image ‘cucul la praline’, aurait dit Robert, je n’ai pas besoin de traduire.

C’était le genre d’homme dont je me disais aussi, à voir les cernes qui soulignaient ses yeux, que ses nuits devaient être chaudes. Sa femme était séduisante. Raison de plus pour la surveiller.

Son nom était Edouard Belhomme, cela ne s’invente pas. Sa femme et lui tenaient le magasin de lingerie situé rue Royale. A chaque fois que nous passions devant le magasin, nous regardions à travers la vitrine pour voir la belle Cécile. L’un de nous avait dit un soir que nous étions chez Marcel, nous y étions pratiquement tous les soirs, est-ce que les clientes qui essayent des soutiens ou des culottes sortent de la cabine presque toutes nues pour choisir un soutien ou une culotte d’une couleur différente ? Nous éclations de rire à cette idée. Marcel servait une autre tournée, c’était celle de Robert, notre goal, le fils du vitrier de la rue Notre-Dame.

Nous avions tous plus ou moins vingt ans à cette époque. Les Belhomme devaient en avoir entre quarante et cinquante.  Robert prétendait qu’une femme dans la quarantaine avait forcément acquis une maturité tant physique que spirituelle qu’aucune jeune femme ne pouvait égaler. Il avait connu, bibliquement connu, la voisine du magasin de son père, la mère d’un gamin de dix ans, et il en avait conservé un souvenir inoubliable. A seize ans, disait-il, cela marque. Les jeunes filles que nous fréquentions, ajoutait-il, reconnaissaient en lui un expert, il le disait en toute modestie.

Personne parmi nous ne contredisait les propos de Robert, c’était le plus fort d’entre nous, mais chacun de nous savait à quel point il était vantard. Durant les matchs, c’était pareil. Il allait d’un côté du goal à l’autre, le visage recouvert d’un masque protecteur en treillis pour effrayer nos adversaires. Il n’empêche ! Nous perdions à chaque fois mais Robert affirmait que nous manquions de punch.

Cécile Belhomme plaisait beaucoup au jeune homme que j’étais. Je ne comprenais pas son mari. Si elle avait été ma femme, elle n’aurait pas eu à chercher ailleurs. Pauvre cocu !

Ils étaient mariés depuis près de quinze ans. Edouard avait hérité du magasin de ses parents à la suite d’un accident qui leur avait couté la vie. A partir d’un magasin vieillot, Cécile avait su construire une affaire bien achalandée dont ils vivaient largement tous les deux. Leur seule frustration, c’est qu’ils n’avaient pas eu d’enfant.

Edouard était le fils d’un commerçant établi, Cécile, en l’épousant, avait gravi un échelon de l’échelle sociale. En province, cela compte. Elle n’était que la fille d’un contremaître de l’usine métallurgique du bas de la ville. De l’usine dont le fils du propriétaire avait été le condisciple d’Edouard si bien que depuis leur mariage il faisait partie des relations du couple Belhomme. Il appelait Cécile par son prénom, et Cécile lui disait Pierre.

Edouard était très amoureux de sa femme. Qu’elle plaise à d’autres ne le gênait pas. Au contraire. Son amour pour Cécile n’en était que plus grand. Même ses amis, plutôt que d’en être jaloux, il les aimait davantage parce qu’ils la désiraient. N’était-il pas le seul à pouvoir mettre cette jolie femme dans son lit ?

Malheureusement, Edouard était cliniquement impuissant. Durant les premières années de leur mariage, cela ne l’empêchait pas de désirer Cécile et d’en jouir lorsqu’elle était nue. Quant à Cécile, elle avait fini par apaiser elle même les pulsions de son corps tant son mari était maladroit.

Malgré cette morsure qu’ils éprouvaient chaque nuit, tous les deux, elle l’aimait profondément. Mais aucun d’entre eux ne trouvait les mots pour les confier à l’autre.  Qui sait ce qui lie deux êtres dont la relation ne répond pas à une logique qui, seule, paraît naturelle aux yeux de la plupart.

Lorsqu’elle l’avait épousé, elle s’était réjouie d’être enfin chez elle. Combien d’autres jeunes filles s’étaient-elles mariées pour cette seule raison. Il était séduisant à sa manière. Grand et maigre, un peu vouté comme le sont souvent les hommes grands et maigres, il avait les yeux d’un bleu transparent. Il ne cessait jamais de lui sourire.

Il l’avait rencontrée un soir dans une discothèque. Parmi d’autres filles, il n’avait plus regardé qu’elle. Peut-être qu’ils avaient bu un peu trop ? En sortant, il lui avait entouré les épaules. Il avait dit comme dans un roman de gare :

- Epousez-moi.

- Ce soir ?

- Non, demain.

Il l’avait ramenée, et le lendemain il s’était rendu chez elle. Il avait dit au père de Cécile qu’il voulait épouser sa fille, est-ce que son père serait d’accord ?

Il y avait longtemps que les fiançailles commençaient autrement. C’était probablement ce style, elle le trouvait distingué, qui l’avait émue. Jamais il ne s’était permis les gestes osés auxquels elle s’attendait inconsciemment. Il l’aimait pour elle-même, avait-elle pensé. C’était quoi, elle ? Elle était vierge lorsqu’ils s’étaient mariés. Lui aussi.

Un jour qu’il s’était absenté pour se faire couper les cheveux, en rentrant plus tôt que prévu, il avait vu que le représentant d’un fournisseur sortait du magasin après l’heure de fermeture. Et Cécile, les cheveux mal repeignés, le corsage mal refermé, le saluait de la main. Elle avait le visage en paix, pensa Edouard. En paix, c’est le mot qui s’était imposé à lui tandis qu’il la regardait, dissimulé derrière une camionnette rangée le long du trottoir d’en face.

Il rebroussa chemin. Il avait la gorge sèche. Il poussa la porte du café de Marcel où comme tous les soirs, nous bavardions entre nous. Marcel venait de servir une tournée de bière. C’était celle d’Oscar qui faisait des études universitaires. Il voulait devenir médecin ou, à défaut, vétérinaire, c’était un bon métier, disait son père. Oscar se voyait plutôt psychologue, il prétendait qu’il était doué pour juger du comportement des hommes et des femmes.

- Dommage que tu ne le sois pas sur le terrain. En face des joueurs du camp adverse. Nous ne serions pas dans le bas du classement.

La venue d’Edouard Belhomme nous avait surpris. Il s’était assis à une table proche  du comptoir. Il nous avait fait un signe de la tête.

-Ce sont des joueurs de hockey ? Je les ai déjà vus. Ils jouent sur le terrain contigu à celui du Tennis Club.

Il dit à Marcel de nous offrir un verre.

- J’aime les jeunes gens. Ils me rappellent mon jeune temps.

- Hip, hip, hip, hourrah !

Nous avons levé nos verres à sa santé.

Décidément, c’était un brave type.  

Nous le savions que ceux qui étaient cocus étaient toujours les derniers informés. Sa femme, il suffisait de la regarder pour comprendre qu’une aussi jolie femme ne pouvait que susciter le désir. Et souhaiter donner et prendre du plaisir.

Il n’y a pas de justice en amour. Chacun doit veiller sur son bien. Les amis ne sont pas assez courageux pour révéler à un ami que sa femme le trompe. Qu’elle n’est qu’une putain qui trahit son serment. C’est que probablement, leur morale était assez élastique, ou bien c’est qu’ils étaient sur les rangs. 

Il est sorti du café, et il est rentré chez lui. Cécile l’attendait dans la cuisine.

- Il y avait du monde chez le coiffeur. J’ai du attendre.

Ils ont dîné, et ils sont montés se coucher. La télévision, ils ne la regardaient qu’en mangeant, à l’heure des informations. C’était toujours le même spectacle : des morts nombreux à l’étranger. Si le nombre de morts était réduit, un crime par exemple, c’est qu’il s’était produit près de chez nous. Le journal en donnerait davantage de détails. Le lendemain certes, mais on pouvait s’y attarder plus longtemps. Ou attendre le crime suivant.

Depuis plus de dix ans, Edouard ne touchait plus sa femme que très rarement. Il avait consulté un sexologue à l’étranger. L’incapacité d’avoir une érection, comme s’il n’était doté que du sexe d’un bébé, n’était qu’un de ses problèmes. Depuis plus de dix ans, il ne désirait sa femme qu’après un exercice mental laborieux. La caresser ne servait à rien. Au contraire. Certaines caresses le heurtaient. Elles lui paraissaient répugnantes, proches du viol. Même si Cécile se serait prêtée à tout pour le satisfaire.

Ils n’étaient heureux ni l’un ni l’autre, mais ils s’aimaient. C’est quoi l’amour, pensait-il.

Une fin d’après-midi, peu de temps avant l’heure de fermeture du magasin, il vit à travers la vitrine de l’étalage que le représentant d’une firme de soutien-gorge exposait encore sa collection à Cécile. Elle l’écoutait, le regard absent, les joues rouges. Elle avait une main sur la poitrine.

Edouard fit demi-tour. Il ne revint qu’une heure plus tard. Cécile ne lui demanda pas ce qu’il avait fait. Ils bavardèrent assez longtemps après avoir dîné, cela ne leur était plus arrivé depuis longtemps.

 Depuis, il s’efforça d’être absent de chez lui lorsque devait se présenter un représentant. Soit en prolongeant le temps qu’il consacrait à des activités extérieures, soit en allant boire un verre chez Marcel.

Lorsque ceux qu’il nommait les jeunes y  jouaient aux cartes, il regardait par-dessus l’épaule de l’un ou de l’autre.

Si l’un des joueurs levait un regard interrogateur vers lui, il tendait la main dans un geste de refus.

- Les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

Il offrait une tournée.

Nous nous étions habitués à lui. Il nous était de plus en plus sympathique et, de plus en plus, nous le plaignions. Robert était le plus véhément. Un jour, il avait tenté de séduire Cécile. Entré au magasin, il s’était fait montrer de petites culottes qu’il destinait à sa petite amie, avait-il dit.

- Vous ne voulez pas les essayer pour que je puisse juger ?

Il nous avait raconté qu’elle avait fait « sa fière », et qu’il était sorti.

- Pauvre type. Si j’avais voulu. Je trouve que c’est un scandale. Des femmes comme elles…

Oscar partageait son avis.

Le couple Belhomme était devenu l’objet de la plupart de nos conversations. Nous étions en plein drame, et il ne s’agissait pas de télévision. Ni même de quoi faire la une de la page régionale du quotidien. Quoique !, disait Oscar. Il s’agissait de la dignité d’un homme, d’un homme que nous avions adopté.

-Il faudrait le lui dire, ça ferait un déclic.

- Il faudrait le lui montrer, là, ça ferait un déclic.

- Je vois déjà sa tête. Sa tête à elle.

- Avec son amant. En petite tenue, tous les deux.

- En petite tenue ? Pas de tenue du tout, oui.

Nous avons ri, et nous avons fait signe à Marcel.

- Encore une.

Le quatrième d’entre nous, celui qui sur le terrain était censé marquer les buts, c’était Jean Brillet, le fils du commissaire. C’est lui qui apporta le revolver.

- On ôtera les balles, hein ! C’est juste pour faire peur.

- On en laissera une. La roulette russe.

C’est moi qui l’avais dit. Je l’avais déjà répété à Oscar qui était mon ami: la vie, c’est une comédie. Mais, je raconte trop vite.

C’est le vendredi qu’elle recevait son amant. Vers sept heures. Edouard quittait le magasin à six heures vingt, il arrivait chez Marcel à six heures et demie, et ne rentrait chez lui que vers huit heures. Il disait en faisant un signe à Marcel :

- En fin de semaine, il faut bien se défouler du stress de la semaine.

Du stress, si tu veux en avoir, rentre plutôt chez toi; pensions-nous. Nous avions découvert à cinq minutes près le jour et l’heure où la Cécile s’envoyait en l’air. Chaque jour de la semaine, dès l’après-midi, l’un de nous venait chez Marcel et surveillait le magasin. Nous en parlions dès que nous étions réunis avant d’entamer notre partie de cartes. C’est ainsi que, au bout de trois mois, nous connaissions tout des plaisirs de la dame. Et du malheur de notre ami.

Lorsqu’Edouard rentrait chez lui, désormais, il éprouvait un sentiment de grande sérénité. Cécile était belle. Davantage que durant les premières années de leur mariage. Elle n’avait plus les traits tirés qui marquaient son visage auparavant.

La plupart des couples ont des problèmes de sexe. Le cinéma pornographique que certains contemplent en se mettant au lit, les parties carrées avec des amis, ou avec des étrangers dans une ville étrangère, la porte des toilettes ouverte pendant que l’épouse urine, et quoi d’autre encore, tous ces expédients que l’on tait, et on tue parfois sous prétexte qu’on aime, sont-ils les signes de l’amour qu’on porte à son épouse ou à son époux ? On s’était juré de l’aimer plus que soi-même?

La voir heureuse, même si c’était un autre qui la comblait, le rendait heureux. Quant à  Cécile, elle aimait Edouard à la manière dont on aime un frère. Bien plus encore, elle se serait tuée pour lui. Cette partie obscure de leur union, jamais un mot ne l’avait évoquée, était un ciment bien plus fort que les déclarations les plus emphatiques.    

C’était le jour et l’heure où Cécile cédait à son amant. Edouard était parmi nous. Chacun de nous, tour à tour, lui avait offert à boire sous différents prétextes

- Tu ne peux pas nous refuser ça.

Les yeux troublés, il était passablement ivre.

Je pensais comme les autres qu’il fallait frapper un grand coup. Leur foutre aux deux amants qui ridiculisaient notre ami, et le symbole de l’amour, la frousse de leur vie.  

C’est Oscar qui s’écria :

- On te ramène.

- Non, pas encore. Je veux rester.

Oscar et moi, nous lui avons fait traverser la rue en lui tenant les bras. Les deux autres de nos amis nous regardaient à travers la vitrine, un verre de bière à la main. C’est moi qui ai ouvert la porte du magasin. Oscar a poussé Edouard.

Je ne sais plus qui, d’Oscar ou de moi, lui a glissé le revolver dans la main en disant :

- Sois un homme, Edouard.

J’ai refermé la porte derrière lui. Nous sommes restés sur le trottoir. Nous avons entendu le coup de feu. Nous sommes retournés chez Marcel.

Une heure plus tard, nous avons appris qu’Edouard avait glissé le canon du revolver dans sa bouche.

                           

 Maurice Stencel

Le 23/10/09

Publié dans Nouvelle

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Le tilleul du parc, une nouvelle de jean Destree, invité d'Aloys

Publié le par christine brunet /aloys

IMG_1738.JPG    

 

Un soir il l'emmena au cinéma. Elle accepta pour lui faire plaisir. Après tout, une petite sortie nocturne ne pouvait que lui faire du bien. Jean-Michel avait choisi une comédie dont Fernandel était le protagoniste. Fabienne rit franchement aux dialogues et aux situations cocasses et, toute rassérénée, elle lui prit le bras à la sortie.

 

      Ils rentraient tranquillement, serrés l'un contre l'autre. Ils remontaient la rue Blanche, quand un bruit sourd et continu sembla monter du sol. Ils s'arrêtèrent pour écouter. Le bruit s'amplifiait, devenait grondement. Ils pressèrent le pas, inquiets car il leur semblait que la terre se mettait à vibrer. En même temps, une lueur apparut vers les bois, derrière la chaussée.

 

- C'est la mine! s'exclama Jean-Michel.

- Qu'est-ce qu'il y a? demanda Fabienne, le serrant plus fort.

- Je ne sais pas. Allons voir.

 

      Rapidement, ils se dirigèrent vers la rue des Houillères en direction du charbonnage. De loin, ils aperçurent un attroupement. Des gens s'agitaient en tous sens. Ils arrivèrent en même temps que les pompiers. Ils s'approchèrent, demandant ce qu'il se passait.

- C'est le grisou, dit quelqu'un.

- Non, c'est un gros éboulement, dit un autre.

- Il y a le feu dedans, dit un troisième. C'est du sérieux; ça sort par la tour à molettes.

 

      La gendarmerie arrivait en trombe, toute sirènes hurlantes et les gendarmes établirent un barrage devant les grilles fermées où la foule s'agglomérait. Les femmes s'énervaient, questionnaient sans recevoir d'autre réponse que "On ne sait rien". Ils reconnurent les frères Pozzo et Tadek qui discutaient ferme avec des camarades de la mine.

 

      Sur le carreau du charbonnage, des gens allaient et venaient. Les responsables, ingénieurs et chefs porions donnaient des ordres parfois contradictoires. Du haut de la tour, de la fumée s'échappait en volutes tourbillonnantes que le vent rabattait vers la ville, tandis que les nuages bas reflétaient la lueur rouge du feu intérieur.

     

      La grille s'ouvrit soudain pour laisser passer les équipes de secours venues de la ville et de La Rivière. Leur présence présageait rien de bon. La catastrophe parut plus grave. Le grondement n'avait pas cessé. Chacun avait les yeux tournés vers les molettes qui restaient désespérément immobiles, ce qui était un très mauvais signe. Si elles ne tournaient pas, c'est qu'elles ne pouvaient plus fonctionner. Alors... les morts allaient se compter par dizaines.

 

      Fabienne frissonna et serra le bras de Jean-Michel. Elle sentait en elle monter l'effroi  de sentir impuissante devant le drame. A côté d'elle, une femme pleurait, tenant dans ses bras un enfant de quelques mois. Fabienne lui prit la main et lui sourit. L'autre la regarda, l'air absent.

 

- Venez, madame, mettez-vous à l'abri sous l'auvent, votre bébé va prendre froid.

 

      Elle entraîna la femme qui se laissa faire. Elle prit le bébé et se mit à le bercer. L'enfant se mit à pleurer doucement et, se tournant vers Jean-Michel, lui dit:

 

- Chéri, va chercher quelque chose pour le petit.

 

      Jean-Michel quitta le groupe et entra dans un café pour demander du lait chaud. Il revint très vite et moment où la molette se mettait à tourner. Elle tournait si lentement, si lentement. La sirène hurla dans la nuit et les roues tournèrent de plus en plus vite. Silencieuse, la foule se pressa contre les grilles et les gendarmes avaient beaucoup de peine à la contenir. Quelques hommes sortirent du bâtiment des cages et parlèrent avec les ingénieurs qui s'étaient précipités. Les projecteurs illuminèrent le carreau et l'on pu voir des hommes s'affairer. Quelques instants plus tard, le sous-directeur du charbonnage s'avança vers la grille.

 

- Il y a le feu à l'étage 540, dit-il, la voix mal assurée. Une explosion de gaz. Les hommes se sont réfugiés par les galeries montantes vers les étages supérieurs. On va tout faire pour les sortir par le puits d'aération, mais ça prendra du temps.

- Il y a des morts,  s'enquit quelqu'un.

- On n'en sait encore rien. Ceux qui sont remontés venaient du 450.

- Combien étaient-ils?

- 47. Des bouveurs.

- Et aux étages inférieurs?

- La pause de nuit, soit 286 avec les porions.

- Combien sont remontés?

- Il y en a douze. Ils sont sains et saufs.

- Qu'est-ce qui a provoqué l'explosion?

- On n'en sait encore rien.

- Et comment va-t-on remonter ceux des étages en-dessous du feu?

- Par le puits d'aération aussi. Il faudra du temps parce qu'il y a un éboulement dans les galeries du 720. Il n'y a personne d'autre en-dessous.

 

      Le sous-directeur se voulait rassurant mais ses réticences à répondre à certaines questions laissaient planer un doute sur le sens de ses paroles. Les vieux mineurs présents se taisaient; l'expérience leur avait appris à deviner à travers les silences. Ils se regardaient, méfiants, évitant de commenter les événements, comme s'ils voulaient conjurer le sort.

 

      Jean-Michel regarda sa montre. Il était près de minuit.

 

- Viens, dit-il à Fabienne. Nous ne sommes plus utiles ici.

- Et la dame avec son bébé? lui répondit-elle avec un air de reproche,  on ne va pas l'abandonner comme ça.

- De toutes façons, elle ne voudra pas venir avec nous. Elle attend des nouvelles. Elle restera jusqu'à la fin. Elles sont toutes comme ça, les femmes de mineurs. Elles ne sentent ni le froid, ni la chaleur, ni la faim, ni la soif. Elles attendent.

- C'est cruel, ce que tu dis. On ne peut donc rien faire?

- Non. Elles n'attendent rien de nous, surtout pas des plaintes et de la compassion.Viens, nous en saurons plus demain.


Jean Destree

 

Qui est jean Destree ?



Né à Chimay(Hainaut) en 1932. J'habite en Thudinie et vis en couple.
Humanités gréco-latines  puis école supérieure de l'enseignement (régence pour 
les Belges).
Prof pendant 30 ans à Erquelinnes, Binche, Houdeng puis Jumet. (Français, 
histoire, sciences humaines, psycho).
2 enfants Yves comédien et prof d'académie et Lucie, musicienne (violon) et 
prof à la Haute École normale à Uccle (Bruxelles).
J'écris pour passer le temps (romans, théâtre, essais).
Peux en dire plus si nécessaire.

 

Publié dans l'invité d'Aloys

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"Paris-banlieue", un poème de Claude Colson

Publié le par christine brunet /aloys

 

claude colson-copie-2

 

 

 

PARIS-BANLIEUE

Le train : mon île.
Les tags défilent ;
Ils sont partout,
Dessus les ponts
Ou aux frontons,
Sur les wagons tantôt croisés,
Aux murs aussi à l'abandon.

Ils interpellent, géométriques,
Partout gravés, font leur effet ;
Parfois certains nous font la nique.

Les tags, des jeunes l'Expression,
Besoin perdu-reconnaissance,
Cri âpre d'un monde sans abondance,
Quelquefois haussés jusqu'à l'art pur,
Ils sautent alors à la figure.

Voudrait-on même les ignorer,
Qu'ils envahiraient toutes pensées,
Les tags.

 

 

Claude Colson

claude-colson.monsite-orange.fr

 

Saisins d'une passion. Claude Colson

Publié dans Poésie

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Un texte de Bob Boutique : écrire pour ne rien dire

Publié le par christine brunet /aloys

 

 bobclin

Ecrire pour ne rien dire…

 

Faut pas croire ! Ecrire pour ne rien dire, mais alors là… rien du tout, n’est pas à la portée du premier venu. Bon, c’est vrai qu’écrire des lettres comme ça au hasard, a, e, p,  x… ce n’est pas « dire » puisqu’on ne les prononce pas !

 

A voir. Quand on tapote sur son clavier, on parle en même temps dans sa tête, donc on ‘dit’, même si c’est à voix basse. J’ai fait l’essai. Impossible d’écrire n’importe quoi sans le prononcer en même temps.

 

Ou alors, on ferme les yeux et on tape au hasard… fgkejgogjsof… là je n’ai rien dit. Exact. J’ai vu en pensée mes doigts sautiller sur le clavier mais sans songer à quoi que ce soit.

 

Mais !

 

Peut-on appeler ça écrire ?

 

Surement pas. Ecrire c’est aligner des lettres qui créent des mots, qui eux-mêmes forment des phrases et même si cela ne veut rien dire pour le lecteur néophyte, cela aura toujours une signification cachée. Car ces mots viennent du subconscient et traduisent une émotion, un état de fait, une impression…

 

Prenons un exemple : j’écris au hasard… « bite », « couille », « vagin », « nichon », « téton » , « cul »… je suis certain qu’ un psy y trouvera sans problème de quoi épiloguer et décrètera avec raison que  j’ai dit quelque chose sans m’en rendre compte.

 

Ne me demandez pas quoi. J’ai bien une petite idée ( et vous aussi sans doute ) mais seul un psy le saura, médicalement parlant , et comme il n’est pas là…  D’autant moins que je n’ai pas de psy, ce que certains trouveront peut-être inquiétant ?

 

J’ai bien eu un confesseur ( il  y a très très longtemps ) mais c’était sans intérêt car je pouvais lui avouer n’importe quoi, que je m’étais masturbé, que j’avais volé un chocolat dans le tiroir de mon copain  de pension ou que j’avais eu des relations sexuelles avec ma mère, il me condamnait invariablement à deux ave et trois pater !

 

Hé là, est-ce que je viens de dire quelque chose ?

 

A mon avis oui. J’ai donc raté mon expérience : écrire une page complète sans rien dire.

 

Je suis nul.

 

Je m’en veux, pouvez pas savoir.

 

Comme je suis un écrivain raté, incapable dire des choses intéressantes, je m’étais dit comme ça… que je pourrais peut-être au moins réussir à écrire une page complète pour ne rien dire et là… me démarquer de la piétaille des bons auteurs, grands ou petits (en général les femmes sont un peu plus petites).

 

Même là…

 

Bon, je vais me lancer dans la poésie. Ca me fera les pieds !

 

 

Bob Boutique

www.bandbsa.be/conte.htm

 

http://www.bandbsa.be/contes2/projetrectopetit.jpg

 

 

 

Publié dans Textes

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Céline Gierts a lu "Contes bizarres2" de Bob Boutique

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes2/giertstete.jpg

 

Il était une fois un nouveau monde bizarre où la fin justifie toujours les moyens, les petites chéries sont rarement des âmes saintes et la sangria n'excuse pas les faux pas; l'humain bête prise à son propre piège court lui-même à sa perte sauf s'il trouve plus idiot que son propre chef.

 

Les idiotes n'existent pas diront les vériteurs c'est pour cela qu'on pardonnera peut-être Bob des fins parfoishttp://www.bandbsa.be/contes2/projetrectopetit.jpg cruelles. Un livre dans la lignée du premier où l'on peut à nouveau admirer les talents de dessinateur et l'imagination extravagante de l'auteur. On attend le tome 3, un peu comme une bobine de laine entre les doigts qu'on ne peut s'empêcher de dérouler piqué par la curiosité!


Céline Gierts

Publié dans Fiche de lecture

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Premier chapitre "les rendez-vous de Marissa" de Claude Danze, partie 2

Publié le par christine brunet /aloys

http://www.bandbsa.be/contes2/danze3.jpg

 

Louxor : le complot II

 

 

 

Vint la nuit.

 

Au dîner maussade, Marissa ne parut pas, malgré l’insistance de Saadia, qui d’autorité avait par ailleurs renvoyé Nic à son assiette dès sa première tentative d’intervention. Il regarda Belaid d’un air interrogateur, les sourcils et les mains en points d’interrogation, comme les Arabes. Après le repas silencieux, le couple d’intendants regagna son appartement du rez-de-chaussée et Nick le salon. Il écarta le rideau. Les calèches surchargées ramenaient les derniers touristes, les amateurs de foot rentraient leurs chaises et leur TV, les joueurs de dominos pliaient bagage, les commerçants fermaient les uns après les autres.

 

Vint le calme de la nuit.

 

Un dernier bateau de croisière, moteur et sirène, troubla le silence, loin au milieu du fleuve. Nick tournait en rond. Il ne s’était plus préoccupé de quiconque depuis sa sortie du coma, après son accident d’avion, bien des années auparavant.

 

Il convoyait de Shannon à Ostende un Cessna Skyhawk privé, dont le pilote était tombé gravement malade en Irlande. Il était en finale quand un vieux cargo africain était passé au-dessus de lui malgré les injonctions de la tour et lui avait coupé la route pour se poser devant son nez. Au touch down, le Cessna, pris dans les turbulences du DC-8, s’écrasa sur le dos, dans un fracas d’étincelles et de métal déchiré. L’appareil n’avait pas pris feu. L’habitacle avait résisté au choc.

 

Nick fut extrait des débris avec un bel hématome sous-dural qui le laissa dans le coma pendant près de deux ans. A son réveil, il était paralysé des jambes et sa femme était rentrée en France depuis des mois sans donner d’adresse ni de nouvelles. Atterrissage en catastrophe sur la piste 26 de la vie, pensait-il quelquefois.

 

Quand il eut récupéré, la Flying, pour laquelle il travaillait déjà, ne l’avait pas licencié. On lui avait fabriqué sur mesure ce poste à Louxor, parce qu’il adorait l’Egypte et qu’il ne voulait pas rester à ne rien faire. Il avait la responsabilité de la Pilot’s Villa de Louxor.

 

En traversant le palier, il faillit frapper à la porte de Marissa mais se ravisa, alla se coucher. Il l’aimait bien, cette gamine, d’habitude si complice avec lui. Qu’est-ce qu’ils avaient déjà pu rigoler, avec les autres membres d’équipage, avec Saadia et Belaid… Mais aussi à eux deux, quand les autres préféraient le Sheraton et sa piscine à l’ambiance familiale de la Villa.

 

Il dormit un peu mais l’image de Marissa pleurant s’imposait à lui. Il se leva, passa un short et une chemise et gratta à la porte de la jeune femme, suffisamment fort pour qu’elle l’entende, suffisamment doucement pour la laisser dormir au cas où…

 

Il n’y tint plus, ouvrit la porte. Elle n’était pas dans son lit. Il la devina en contre-jour, assise par terre, contre le mur, le menton sur les genoux entourés de ses bras.

 

Il s’accroupit près d’elle, lui toucha le bras.

 

« Marissa ?

Mmm…

Tu as froid, ma belle. Mets-toi au lit. Enfile au moins quelque chose de chaud … » 

 

Il lui prit les deux mains, glacées, l’aida à se relever. Il prit un sweater au passage, le lui jeta sur les épaules, lui passa un bras derrière le dos. Elle acheva le mouvement, vint se blottir contre lui, comme un chaton. Ils restèrent un moment silencieux. Il l’emmena vers le divan du salon. Elle ne résista pas, ne dit rien, se serra contre lui de plus belle… Elle vivait peut-être là les cinq plus belles minutes de sa vie.

 

« Vas-y, je t’écoute, ma grande…

Voilà… D’abord, t’arrête de m’appeler « ma grande ». Je suis pas ta fille, et de toute façon, je suis plus petite que toi. »

 

Il craquait une fois de plus pour son français aux négations incomplètes et son accent, à peine plus marqué que celui de Jodie Foster.

 

« Puis, y’a un truc que tu dois savoir… Je voulais pas venir à la Villa ce week-end.

Pourquoi ? T’es pas bien ici avec nous ?

Non ! C’est les autres qui m’ont fait venir quand même, j’avais plus la force de discuter. En fait, quand j’ai commencé à venir, il y a deux ans, je t’ai aimé presque tout de suite...

Non mais, tu m’as vu ? J’ai tantôt vingt-cinq ans de plus que toi… Je suis plutôt déglingué et je pourrais être ton père.

T’arrête avec ça ! T’es pas mon père, t’es pas mon frère. Je t’aime, imbécile…

C’est pour ça que je voulais pas venir, plus jamais, en fait. J’en peux plus que tu sois gentil. Tu es l’homme que j’aime et tu me vois pas. En fait, tu me vois pour la première fois ce soir. Enfin, c’est pas parce qu’il fait noir. Je me comprends…

Heureusement…

Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Allumer la lumière et te regarder…

Non ! je suis sûrement moche. J’ai les yeux tout gonflés et une tête pas possible.

Faut savoir ce que tu veux. »

 

Il alluma la lampe sur la table basse.

 

« Allons, écarte les mains et laisse-moi te regarder.

Et qu’est-ce que tu vois ?

Une fille sympa… Bon, elle a peut-être un peu forcé sur les larmes, mais ça va.

Salopard, dit-elle, en le bourrant du coude dans les côtes. Oh, excuse-moi, je t’ai pas fait mal ?

Mais non. Je peux encore supporter ça… Je vois une des filles les plus adorables que je connaisse.

Ah… Et t’en connais beaucoup ?

… Hem, je corrige : je vois la femme la plus adorable que j’ai jamais rencontrée !

Et c’est déjà tout ? »

 

Il l’attira à lui et elle se laissa embrasser sur le coin de la bouche. Elle lui rendit son baiser sur la joue, se ravisa, l’embrassa longuement. Elle vint plus près de lui, il la serra un peu plus fort. Ils savourèrent le silence…

 

On peut ne pas le croire : ils s’endormirent…

 

 

Saadia, toujours vigilante, monta vers minuit, les trouva endormis, enlacés. Le patron, il allait avoir mal au dos au matin. Elle prit une couverture : à Louxor, les nuits sont froides, parfois, l’hiver. Elle alla se recoucher en souriant déjà de la tournure des événements.

 

« Ça marche, » fit-elle à Belaid…

 

 

Les rendez-vous de Marissa

Chapitre 1/2

 

claude-danze.over-blog.fr

 

http://www.bandbsa.be/contes2/rvmarissa.jpg

 

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Le feu couve, un poème de Micheline Parmentier

Publié le par christine brunet /aloys

parmentiertete

 

Le feu couve

 

 

 

 

 

 

 

Le feu couve sous la glaise

La terre enchante le potier

Ses mains touchent pour créer

La forme habitée de braises

 

 

Du vase sacré monte une prière

Le feu premier demeure mystère

Le second couve sous mes doigts

Laisse des traces de mon émoi

 

 

Le murmure ne s’arrête pas

Il s’embrase et résonne en moi

Quand mon coeur brûle pour Toi

L’amour incendie tout tout bas.

 

Micheline Parmentier

 

parolesnues

Publié dans Poésie

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