Elle en avait fait des kilomètres. Si ma mémoire est bonne, je l'avais achetée à Ostende. Drôle d'endroit pour acquérir une valise me direz-vous… Eh oui, ma fidèle valise héritée de ma grand-mère avait rendu l'âme sur le quai de la gare et n'avait dû son salut qu'à une bonne grosse corde trouvée je ne sais où. Entré dans un magasin, j'en étais ressorti avec une superbe valise brune comme c'était la mode en ce temps-là.
L'année suivante je partais pour une croisière en Méditerranée et ma nouvelle compagne avait reçu une superbe étiquette que j'avais artistiquement collée sur le couvercle : la première d'une longue série. Jugez plutôt… Les lacs italiens, le col du Grand Saint Bernard, le canal de Corinthe, les pyramides de Gizeh, Jérusalem, l'expo 58. Ma fidèle amie ressemblait désormais à une mosaïque multicolore.
Puis est venu le temps des voyages en avion : New York, Québec, Mexico, Moscou, Bangkok et Pékin vinrent enrichir la collection.
La valise résistait fièrement à tous les coups, à tous les traitements de choc. Il restait encore quelques centimètres carrés et Tokyo nous attendait elle et moi.
Comme à chaque voyage, nous étions séparés, moi bien installé, choyé, gâté et elle dans une soute glacée mais je savais qu'elle résisterait à ces mauvais moments.
On a raconté que la soute à bagages s'est ouverte et que l'avion qui nous ramenait à la maison est tombé en plein désert. Les secours n'ont pu ramener que quelques objets retrouvés éparpillés et en bien mauvais état. Seule une valise constellée d'étiquettes a été retrouvée intacte.
Il paraît que depuis lors elle trône dans une vitrine chez son fabricant comme preuve de la solidité de son matériel.
Merci à toute l’équipe de Chloé de Lys de m’accueillir pour la deuxième fois ;
je suis vraiment ravie de vous présenter mon nouveau livre.
Photo de l’auteur(e) :
Jeanne R.
QUESTIONNAIRE (2022) :
- Pseudo ou nom réel ?
Jeanne R.est mon pseudo. Pourquoi ? C’est simple : j’adore le romantisme anglais. Et puisque mon nom et prénom s’y prêtaient déjà, j’ai ainsi pu faire un clin d’œil au livre Jane Eyre de Charlotte Brontë.
- Où habites-tu ? Explique… :
J’habite en France, dans un coin calme et charmant et tellement verdoyant : Caluire et Cuire, lequel se trouve aux portes de Lyon, ville des Lumières et ancienne capitale des Gaules. On pourrait même dire que j’ai la vie de château en ce lieu propice à la rêverie et à l’écriture, ce lieu chargé d’histoire...
- Une famille, des enfants… :
Un mari et deux grands enfants : un garçon et une fille.
- Sucré ou salé ? :
J’aime le sucré des aliments mais pas celui des choses, et il en va de même pour le salé.
- Petite, que voulais-tu faire ? :
ECRIVAIN assurément. Je ne dis pas : écrivaine, parce qu’il n’est jamais « vain » d’écrire, d’autant plus qu’écrire est un acte qui ne peut s’improviser.
- A quelle figure historique aimerais-tu ressembler ? :
Plutôt figure historique qui me fascine : Comme je ne sais pas trancher la question, je vais en citer plusieurs… Et compte tenu de mon sexe, les sœurs Brontë : Charlotte/Emilie/Anne.
- Ton truc contre le stress ?
La musique classique en général et en particulier.
- Que fais-tu dans la vie ? Explique… :
À Lyon, après avoir étudié les Lettres je me suis consacrée au Théâtre ; j’ai créé une petite troupe que je dirige et mets en scène. En parallèle j’écris des romans parce que j’adore me raconter des histoires.
- Quand as-tu commencé à écrire et pourquoi ?
En 2009 ! C’est l’histoire d’une rencontre, car cela correspond à la rencontre avec un homme plein de talent (écrivain-médecin) qui m’a précipitée dans le monde des livres...
- As-tu déjà publié quelque part ? Et quoi ? Quel genre ?
- En 2010, j’ai publié un Premier roman, en France, chez "Mon Petit Editeur". Il s’agit d’un roman baroque faisant l’éloge de l’amour et intitulé « Les Noces d’Eternité ».
- En 2013, chez vous, "CDL", un roman titré « A l’ombre des désirs », dont le portrait d’une femme s’articule autour de deux couleurs : le rouge du désir et le noir du mystère.
- Pourquoi Chloe des Lys ?
Une bonne réputation, du dynamisme, une structure de type "familial", une ouverture d’esprit manifeste, de la chaleur de part et d’autre ; enfin tout pour m’attirer chez CDL, et y rester puisque je suis du genre fidèle.
- Quel ouvrage vas-tu publier ? Quel genre ? Résumé ?
« MÉMOIRES D'UNE ÂME » est le titre de mon troisième roman, roman baroque par excellence.
Ce roman, à la fois joyeux et triste, se présente comme une balade dans Venise en compagnie d’un jeune couple, habité par leur art, dont chacun raconte sa propre histoire entrecoupée de réflexions sur tout ce qui fait la vie : les rencontres, l’amour et l’amitié, la mort, la maladie, le deuil, la chance et la malchance, l’humour, les humeurs des uns et des autres, et l’oisiveté pour certains...
Je ne sais si l’écriture fut un prétexte à raconter la maladie ou si la maladie fut le prétexte à l’écriture ? Quoi qu’il en soit, j’ai voulu donner à mon style une épaisseur où l’ironie flirte avec l’autodérision au fur et à mesure des questionnements. Ce texte crée à dessein une mise à distance et une proximité laissant ainsi la place au rêve d’évasion. Au final, celui-ci pourrait poser la question suivante : Peut-on consoler quelqu'un qui souffre ?
Voici quelques extraits de cette histoire où l’oisiveté régnante ne va pas sans rappeler le monde des années 30 :
« Soudain, une porte dérobée s’ouvrit. Un homme aux cheveux gris apparut, l’air avisé. En blouse blanche, avec un sourire apaisant, il s’approcha de la femme et d'une main tendue la pria de le suivre dans la pièce en retrait. Quelques secondes plus tard, la porte se referma sur eux : la femme en question venait d’entrer en silence dans l’antre de la Médecine. »
« Elle reconnaissait que la maladie ne l’avait pas empêchée de se cloîtrer chez elle, alors même qu’elle était présentable, sortable, visitable, enfin baisable. »
« Du temps qu’elle était autre, du temps qu’elle était chauve… Les moins courageux baissèrent les yeux et passèrent leur chemin en faisant mine de ne pas la reconnaitre ; les plus courageux, prétextant un rendez-vous fortuit, partirent promptement sous ses yeux ahuris. Et alors… Alors quoi ? Ô mes semblables, mes frères, regardez tous ces pleutres ! Honte à eux ! S’ils avaient appris qu’elle était morte, morte de maladie, ils seraient venus s’effondrer sur sa tombe, pff. »
« Dans la Cité des Doges, un homme de rencontre, qui se disait poète et fou pareil à l’albatros, serait l’oreille qui l’écouterait, et leur rire joyeux allait souffler sans égard sur les cendres de cette vieille tumeur. »
« Ayant chassé mainte fois en nocturne dans une Venise discrète, ce poète en déroute savait qui convoquer après l’heure de minuit. Il lui était même arrivé d’aller braconner chez les autres mais, les femmes mariées étant plus jalouses que les maris, il se lassa très vite et prit l’option de n’honorer que des filles légères, les filles d’un soir. »
- Projet pour la suite ?
J’ai en chantier un roman plus court, parce que je crois qu’il ne me faut pas être toujours bavarde.
- Pourquoi écris-tu et comment ?
J’écris pour vivre deux fois ma vie. J’écris avec mon cœur et aussi avec une plume au milieu d’un décor indispensable à mon inspiration, lequel se répercute jusque dans mon écriture ; au sortir, on pourrait décrire mon style comme étant baroque. L’esprit et l’amour sont les personnages principaux de mes livres.
Bon j’avoue, hormis l’écriture, la mise en scène, observer et écouter le monde qui m’entoure, je ne sais rien faire d’autre, pas même cuisiner.
- Tes influences, tes maîtres, tes coups de cœur en littérature, cinéma, peinture, musique… :
En matière de littérature : Les Brontë, Châteaubriand, Proust. Les Poètes Maudits.
Musique classique, avec un faible pour les élégies.
Cinéma : Visconti, James Ivory, Jane Campion.
Les séries telles que : « le Jeu de la Dame », « Black Mirror », « Downton Abbey », « The Crown », « Made men ».
Peinture : Le Caravage, Rembrandt, Delacroix. Toutefois, les vanités hollandaises ont ma préférence.
Philosophie : Albert Camus me touche par sa vision de l’existence pour le moins Absurde et Nietzsche fait mon éternel bonheur.
- Un ami ou une amie dont tu aimerais qu’on parle ?
Un ami proche, littéraire à souhait dont la plume est un délice : Michel Wichegrod, à qui je dois la photo de couverture de ce dernier roman représentant le masque d’un Dibbouk, parce que cet homme d’une grande culture se plaît également à photographier et à exposer ses travaux pour le moins artistiques.
- Tes hobbys ? Musique, dessin, peinture… :
Oui, musique classique, peinture. Et pour les pointillés… rajoutons : le Théâtre et sa mise en scène, la Philosophie, la Littérature, la Psychanalyse, le Cinéma (plutôt les vieux films classiques) ; mais un goût prononcé et immuable pour les Belles-lettres.
- Qu’est-ce qui te fout en rogne ?
La bêtise humaine puisqu’elle n’a pas de limite.
- Ta citation favorite ?
Je vais citer Francis Scott Fitzgerald (Carnets) :
« On n’écrit pas parce qu’on veut dire quelque chose ;
On écrit parce qu’on a quelque chose à dire. »
- Une qualité et un défaut ?
Je suis d’une nature empathique. J’ai très peu de patience, et cela ne s’arrange pas avec le temps.
- Un souhait ?
Que mon dernier roman enchante les lecteurs.
- Quelle est la question la plus stupide qu’on pourrait te poser ?
Une question fermée.
Pour conclure, j’aimerais ajouter une question à ce questionnaire que je formule ici, avec ma réponse :
- Quel livre t’a le plus manqué(e) ces dernières années ?
« L’Eloge de l’ombre » de Junichiro Tanizaki (Editions Verdier)
Depuis son enfance, avant son entrée à l'école primaire, était né chez Thibaut un attrait pour le café. Enfoui au fond de lui, cet attrait venait des effluves qu'il dégageait. Il jugeait son odeur chaude et forte, plus entêtante que celle des parfums féminins.
D'un côté, il y avait les grands, les adultes, ceux qui se délectaient régulièrement de café comme les enfants se délectaient de chocolats. D'un autre côté, il y avait les petits, les enfants qui attendaient le moment opportun pour goûter un fond de tasse et s'abandonner en même temps à la double satisfaction de la dégustation et de la transgression. Les parents de Thibaut lui avaient expliqué que le café avait un effet excitant peu recommandé pour les enfants.
Très tôt, Thibaut avait remarqué que le café sonnait l'heure d'une rupture agréable, d'une transition, du moment d'échange et de partage qui suivait le repas ou qu'il marquait une pause entre deux activités.
Thibaut grandit. Que se fasse entendre la sonnerie du téléphone ou celle de la porte d'entrée, qu'il se retrouve ainsi seul face à une tasse entamée par sa mère ou son père, Thibaut commença à y goûter avec un infini plaisir. Un jour, son père le surprit et Thibaut s'en tira avec un simple rappel à l'ordre : "Si tu as soif, bois du jus ou mieux de l'eau. Le café, ce n'est pas bon pour toi. Il énerve, il empêche de dormir."
Chez sa grand-mère, la préparation du café était l'objet d'un cérémonial particulier. Chez elle, il avait le pouvoir de porter Thibaut à croire en la magie des habitudes qui apportent le bonheur. Moudre les grains, ranger le café moulu finement dans une jolie boîte en fer, compter les cuillerées déposées au fond de la cafetière à piston, déposer la cafetière quelques secondes sur une plaque, verser l'eau chaude dans la cafetière, attendre un peu, puis faire descendre le piston, servir enfin et garder le silence en sentant les belles odeurs. Lenteur et rituel presque religieux de cette préparation émaillée parfois de quelques mots. Chez elle, il lui était permis de croquer de temps à autre un grain mais il ne le confessa pas à ses parents. Il n'en était pas conscient à cette étape de sa vie mais quand sa grand-mère partirait à jamais, il lui resterait d'elle le souvenir d'histoires, de câlins, de bisous, de confidences, de petits plats mais également de cette manière de faire.
Thibaut s'était mis à boire du café dans le secret de la cuisine, quand sa mère recevait une ou deux amies au salon et qu'on semblait l'oublier depuis qu'il avait dit s'y être retiré pour jouer avec ses légos ou finir un devoir. Savourer le peu de liquide resté dans le percolateur, c'était un plaisir caché qui lui était devenu indispensable.
Très tôt, Thibaut avait pressenti que le café jouerait un rôle capital dans sa vie. N'y avait-il pas des gens prédisposés à la bijouterie, à la mécanique, à la comptabilité, au jardinage, à la gastronomie ? N'existait-il pas des gens associés à jamais à un objet, outil ou instrument, par exemple Opinel et Poubelle dont son père aimait raconter l'histoire ?
Dans la classe de première primaire fréquentée par Thibaut se trouvait Véronique Villonet, la fille de la Maison Villonet. Les Villonet torréfacteurs réputés étaient propriétaires d'une entreprise dédiée au café, aux accessoires qui y étaient liés ainsi qu'à la dégustation. C'était une institution bien connue au-delà de la province. C'était un endroit qu'il avait déjà fréquenté avec sa grand-mère. Quiconque passait par la ville et appréciait le café se devait de faire un détour pour s'y rendre. Illusion ou pas, il semblait à Thibaut que Véronique sentait bon le café. Elle était ravissante, avait des yeux sombres et de longs cheveux, elle paraissait douce. Assez rapidement Thibaut s'inventa un futur avec elle. Véronique habitait son quartier. Au fil des années, de manière discrète, il aima de plus en plus passer sa main dans ses cheveux, la toucher doucement. Il en vint à porter quelquefois son cartable, à réciter des poésies pour elle sur le chemin du retour de l'école et elle paraissait juger cela agréable.
Après l'école primaire, sans s'être concertés leurs parents les inscrivirent tous deux dans le même collège. Véronique était flattée de l'intérêt que lui portait Thibaut. À cette époque, Thibaut découvrit des vers de Théodore de Banville : "Ce bon élixir, le café. Met dans nos cœurs sa flamme noire." Thibaut s'aperçut que Véronique et lui ne parlaient jamais de café, mais qu'ils partageaient d'autres passions. Ils avaient quantité de points communs : cet amour des framboises, ce penchant pour le jeu de dames, cette pratique du chant choral et du ping-pong. Le temps qui passait ne faisait que les rapprocher l'un de l'autre.
Par la suite, Véronique et Thibaut entrèrent à l'université dans des facultés différentes mais ne se perdirent pas de vue. Sans en faire étalage, Thibaut avait donné son cœur à Véronique et Véronique avait donné son cœur à Thibaut.
On se mariera un jour, pensait depuis longtemps Thibaut et c'est ce qu'il se passa. Aucun des deux époux ne travailla pour la Maison Villonet. C'est le frère aîné de Véronique qui succéda à leur père. Thibaut qui avait envisagé un moment de mettre sa créativité au service de la publicité pour les produits Villonet ne le fit jamais.
Chaque matin, Véronique et Thibaut boivent deux cafés. Un café torréfié chez Villonet qui entretient dans leur cœur une flamme d'amour. Café, remède contre les coups de mou, contre les pensées imprécises. Café, médicament, refuge quand pointe une heure grise.
Au commencement, il n'y avait rien et quand je dis rien, c'est rien.
Puis comme ce rien s'ennuyait, il a cherché et n'a rien trouvé !
Rien ne m'arrêtera, se dit rien et il continua sa quête.
Un jour qu'il s'amusait d'un rien, rien remarqua un grain de poussière. Un rien, un misérable grain.
Ils firent connaissance et décidèrent de collaborer. Ils créèrent une société destinée à trouver quelque chose qui ferait leurs beaux jours. Mais allez faire les beaux jours de rien et d'une poussière. Ce qui les sauva c'est une musique. Or la musique cela n'est rien mais celle-là les appelait à se déplacer et à traverser le temps. Quand ils arrivèrent à l'autre bout du temps, la musique les attendait et se joignit à eux.
Pendant des milliards d'années, il n'y eut rien sauf la musique et pas une poussière de plus. Eh oui, la génération spontanée ce n'est pas pour les poussières.
La musique avait beau augmenter son volume il n'arriva rien sauf que rien devint un peu sourd.
Puis un jour apparut un petit point jaune qui augmentait à vue d'œil. Il était lumineux et le grain de poussière se plaisait à voler dans la lumière.
Musique et lumière se rencontrèrent et miracle, il en sorti quelque chose. Un truc sans forme bien définie qui courrait partout. Rien décida de le rencontrer. Désormais, il n'était plus seul. Alors il prit une décision difficile et rien disparut sans laisser d'adresse. Personne ne sait ce qu'il est devenu mais de temps en temps on entend encore la musique qui susurre :"Non, rien de rien. Non, je ne regrette rien."
À 25 ans, Emilie Casagrande signe avec D’infimes vibrations sa première nouvelle publiée. Originaire de la région liégeoise, elle s’intéresse depuis l’enfance au monde du livre, tant du côté de la lecture que de l’écriture. Ainsi, c’est tout naturellement qu’elle a réalisé des études de Langues et Lettres françaises et romanes à l’Université de Liège, qui ne font que renforcer son attrait pour les mots, sous toutes leurs formes. Mais la littérature n’est pas sa seule passion : la musique occupe également une place importante dans sa vie. L’autrice a en effet suivi un cursus de formation musicale et de guitare à l’Académie de Musique de Saint-Nicolas. Ces deux univers restent pour elle des sources intarissables d’inspiration.
Résumé
Un virus jusque-là inconnu et hautement contagieux met à mal le monde tel qu’on le connaît : sa dangerosité entraîne le recours à des mesures de confinement drastiques pour préserver les plus fragiles. Un jeune musicien à peine diplômé du conservatoire voit son propre monde s’effondrer lorsqu’il apprend que son grand-père, contaminé, a été placé dans le coma et pourrait ne jamais en sortir. Dès lors, le jeune homme n’a plus qu’un seul objectif : braver les interdictions de visite pour voir son grand-père à tout prix. Mais y parviendra-t-il avant que la maladie n’accomplisse son terrible office ? Et quel lien pourrait-il bien y avoir entre ce virus inquiétant et le curieux projet musical pour lequel on l’a contacté ?
Virus. Vous en avez plus qu’assez de ce mot, n’est-ce pas ? Pourtant, l’histoire qui se trouve entre les pages de cette nouvelle n’est pas celle qu’on entend depuis des mois à la télévision, dans la bouche des experts, ou encore dans les articles de journaux. Cette histoire, c’est surtout celle d’un amour familial intergénérationnel et de la transmission, non pas d’un virus, mais bien d’une passion pour la musique.
Extrait choisi
“Je me penchai pour attraper l’étui et l’ouvris, extrayant avec délicatesse l’instrument qui y était logé. Je le tournai dans tous les sens, davantage pour l’inspecter moi-même que pour l’offrir à admirer aux paupières fermées de mon grand-père. Je posai le creux inférieur sur mon genou gauche, le pied tendu pour le surélever, et procédai à l’accordage comme en sourdine. Je devais me faire le plus discret possible, mais la tentation d’exprimer ma tendresse indicible par le biais de cette mélodie composée pour banjo qu’il jouait si souvent surpassait la prudence, alors je me mis à l’interpréter le plus piano que je pouvais, effleurant à peine les cordes du bout de mes ongles parfaitement arrondis.”
Casagrande Emilie, D’infimes vibrations, Barry, Chloé des Lys, 2022, p. 19.
Luc Strenna, professeur de philosophie à la retraite, a écrit sur la pensée écologique et publié en ornithologie. Il se consacre maintenant à la poésie.
RESUME :
Ces poèmes ont choisi l'ordre alphabétique, de manière à ce que le lecteur se fraye son propre chemin. Comme tous les poèmes, il est impossible de les résumer, en voici donc la fin :
"Les trilles cristallines des enfants transpercent l’été mourant
Et le sexe noir des figues femelles de femelles me happe
Tandis que l’été nous câline des fols espoirs de femmes lièges
Sur ses ailes bourdonne l’odeur de l’herbe coupée
Le râle de la terre calcinée battue du vent m’appelle appeau cosmique
Dans la brûlure du chant des cigales dressant ses ciseaux au ciel pur
Et les menstrues des coquelicots tachent le drap du champ débordé
Alors la chaleur rouge de l’été m’enlace exigeante amante"
Benjamin Wiame est un passionné d’écriture, qui aime les beaux mots, les illustrer, les chanter et les faire vivre, le temps d’un roman, d’un album, ou d’une chanson.
Après la publication réussie de ses deux premiers romans, il vous présente ce nouveau roman intime et personnel.
Bibliographie :
Le barricadeur de mots, Benjamin WIAME, Editions de l’Harmattan, avril 2019
Les chroniques ménagères, Benjamin WIAME, Editions de Beauvilliers, juin 2020.
Ce livre est l'histoire d'une rencontre qui n'a pourtant pas eu lieu. Une soirée avec mon grand-père. Des mots échangés avec ce vieil homme qui me comprenait si bien.
Un retour du boulot, dans les bouchons, dans cette routine quotidienne qui nous épuise. Ce soir, j'ai rendez-vous avec mon grand-père. Sur le quai d'une gare. Juste pour parler un peu. Prendre le temps de s'interroger sur le futur, l'amour, le travail, le temps qui passe, la politique ou même les révolutions.
Et puis, peut-être que nous prendrons le train, tous les deux, pour un tendre voyage dans l'imaginaire. Un aller-retour.
Et puis la nuit tombera.
Ce livre est un voyage, une pause dans nos courses folles. Prendre le temps de s'écouter, de refaire le monde et de s'en aller un peu plus loin.
Extrait :
19h22
La gare de Gembloux est en vue. Plus qu’à me garer dans cet immense parking, en entreprendre la traversée, tenir bon et escalader dans une immobilité toute contenue une série d’escalators. J’arrive enfin sur le quai numéro 5. Mon grand-père est là. Bien sûr qu’il est là. Il a une notion de la ponctualité qui me dépasse complètement. Être à l’heure, selon sa définition, c’est être follement en avance, c’est être à peine parti. J’ai toujours un problème avec le temps. Il va trop vite. Vous connaissez sûrement cette métaphore du temps, voulant que si l’on remplit un vase de grosses pierres, il nous reste la possibilité d’y verser encore des gravillons pour le remplir encore. Puis du sable. Puis de l’eau. Eh bien dans mon cas, je pense que le vase déborderait sans arrêt. Je n’y ai jamais trouvé de remède. Ou peut-être que si. Mais c’est impossible. Enlevons les grosses pierres et on pourra mettre bien plus d’eau.
Mon grand-père est là, assis sur le petit banc. Il regarde des hommes en ciré jaune, s’affairant à faire je ne sais quoi. Peut-être que lui sait. Ou peut-être se dit-il : « De mon temps, ce n’était pas comme ça. ». Il sourit en tout cas. Il a l’air bien juste là. Il a l’air d’être chez lui. En réalité, les gens ne changent pas. Et les trains non plus. Les gens vivent et les trains passent. Depuis toujours. Je m’approche de lui. Il m’aperçoit et me sourit. Je me pose sur sa joue et y laisse un baiser. Puis m’assieds à ses côtés.
- Salut grand-père, ça va ?
- Ça va. Et toi fiston ? Toujours amoureux ?
- Toujours.
- Toujours pas eu le temps de faire ta barbe ?
- Toujours pas.
- Et la petite fille ?
- Elle sourit beaucoup. Tout le temps en fait. Elle tient ça de toi, je pense.
- Elle a bien raison. Il faut sourire dans la vie. Sinon elle a l’impression de gagner. Sourire, sourire et encore sourire. Même s’il faut parfois s’y forcer. Mais sourire encore.
Je lui ai souri, comme pour lui donner raison.
- Tu m’as l’air un peu fatigué ?
- C’est le moins qu’on puisse dire. Je suis crevé. Mais c’est l’histoire de ma vie. Le temps passe si vite.
- C’est ton boulot qui te fatigue comme ça ?
- Oui, en grande partie je crois.
- Vous êtes vite fatigués vous, les jeunes…
- Tu vas me dire que de ton temps le travail était bien plus dur et que le confort de vie était loin d’atteindre celui dans lequel on se complait si bien.
- Oui, quelque chose comme ça.
- Une bonne guerre, peut-être aussi ?
Mon grand-père ne répondit pas. Il savait que je connaissais ses arguments, pour les avoir entendus si souvent, le dimanche, lorsqu’il s’énervait sur les affres des journaux télévisés, fenêtre triste d’un monde informé. Et cette vieille rengaine rendant à la guerre ses lettres de noblesse, puisqu’elle nous permet d’entrevoir ce qui compte vraiment, sans nous oublier dans ces futilités de gens gras et si bien assis sur notre paix. Mais il me connaît aussi. Il sait que l’actualité et la connaissance m’insupportent. Parce que ce n’est pas ça que je veux entendre. Parce que les malheurs y sont si condensés qu’ils en deviennent légion, qu’ils s’incrustent comme une norme, un quota minimum. Parce qu’ils replacent dans votre salon les larmes, les peurs et les conneries du bout du monde. C’est comme si, chaque soir, entre 20 et 21h, vous deviez assister à tous les enterrements de la région. Un condensé efficace des moments propres à vous arracher quelques pleurs, sur des musiques si tristes qu’elles restent dans la gorge. C’est peut-être un exemple stupide. Et pourtant la voisine du dessus est peut-être en train de mourir, pendant que vous vous apitoyez sur le sort de ces civils syriens qui prennent les armes.
- Tu sais, je pense qu’on ne peut pas comparer les époques, juste comme ça. Les codes changent. Et les bonheurs aussi. La difficulté de la vie aujourd’hui ne réside plus dans sa dureté, mais bien dans sa vitesse. Je pense même que nos corps sont tout autant mis à l’épreuve qu’à ton époque. Jadis, les gens mouraient d’avoir trop marché, aujourd’hui ils s’éteignent de n’avoir pris le temps de le faire. Prendre le temps. C’est une notion plutôt neuve. Un sprint capitaliste qui essouffle et qui finira par vendre des filets pour l’attraper, ce temps qui virevolte. Et pourquoi ne pas plutôt prendre le temps. Haut et court. Qu’il nous laisse en paix et que ses dernières secondes aillent grossir les titres des journaux. Ou le suspendre, le temps d’une étreinte, d’un baiser ou d’une danse.
- Dis-toi que le temps se compose toujours aussi de demain. Et que demain laisse entrevoir tant de choses.
Nous nous tûmes quelques secondes, pour les laisser filer, emportées par ce train qui redémarre.