« Place au hasard »… Une couverture qui dit tout et… pas grand-chose. J’étais curieuse de plonger une fois encore dans l’univers de Chloé Derasse, dans sa façon de penser l’écriture. Curieuse et un peu effrayée par les 322 pages, faut bien l’avouer. Alors, déçue ? Jugez plutôt…
L’auteur nous propose une courte tranche de vie que beaucoup d’entre vous (nous) vivons chaque jour…
Allez, fermez les yeux… Imaginez… Il est tôt… C’est l’heure de partir bosser… Vous savez, le rituel « métro/boulot/dodo »… Mais là, focus sur le premier terme qui est, pour le coup, le train du banlieusard.
5h34… Tout commence… Enfin pas tout à fait parce que, cette fois, jeu du hasard, quelque chose va dérailler ; l’ordinaire va devenir, l’espace de quelques heures, « l’extra-ordinaire », le surprenant, un moment d’aventure dans un quotidien bien huilé.
Un homme saute les grilles de la gare ; Il est blessé. Qui est-il ? Un clochard ? Peut-être ou peut-être pas… Que lui est-il arrivé ?
Premier train, première vague des anonymes besogneux… J’ai dit « anonymes » ? Non… Le lecteur les connaît par leur nom, les découvre avec leurs petits travers, leurs ambitions, leurs courages, leurs timidités, leurs égoïsmes, leurs préoccupations journalières…
Chloé Derasse nous jette dans le siège du spectateur curieux que vous avez sans doute été un jour, celui qui, dans ce train du quotidien, pour tuer le temps, passe en revue les visages en se demandant qui sont ses inconnus silencieux et apathiques, quelle est leur histoire, quel pourrait être leur destin ? Non ? Vous n’avez jamais cédé à la tentation ?
Je sais bien que oui… et cette fois, plus de conjectures : les protagonistes de ce trajet sont bien plus que des affabulations…
Où en étais-je ? Ah oui, le blessé… qui monte dans ce premier train. On comprend qu’il n’est pas tout blanc… Peut-être un loufiat ? Il se cache, s’évanouit mais une fille le trouve… par hasard et… Bon, je n’en dirai pas plus…
Je vous invite à voyager aux côtés de Juliette, Kevin, Yvonne et Fifi (et d’autres), à partager une courte tranche de leur vie commencée dans le train-train quotidien et gris, dans la douleur pour Kevin (le blessé) et qui, au fil des pages, trouvera un élan inespéré ou étonnant.
Ouvrage très dialogué, très vivant, le lecteur écoute les protagonistes et lit à toute allure tandis que le temps s’écoule trop lentement pour les personnages. Jeu surprenant de rythme…
Alors, ai-je aimé « Place au hasard » ? Sans aucun doute ! Ce roman n’a rien d’un énième récit de train, de vie… Il est d’une originalité qui a su me séduire autant par son écriture simple et nerveuse que par son ambiance. Bravo !!
Mon livre raconte l'histoire des opposants principaux au régime de M. Poutine. Il retrace le parcours mouvementé de la journaliste Anna Politkovskaïa, de « l'espion » Alexandre Litvinenko (Sacha), de Natalia Estemirova, militante des droits de l'homme, de l'ex-patron de la société pétrolière Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, des avocats Sergueï Magnitski et Vassili Aleksanian... C'est un récit vivant ; il adopte le rythme du roman.
Il parle de stratégie et de haute politique. Il montre comment l'on s'y prend lorsque l'on veut s'installer au pouvoir pour longtemps.
Il ne se réduit pas à un réquisitoire argumenté contre le régime de MM. Poutine et Medvedev. Il ne conteste pas l'opportunité et la nécessité des échanges commerciaux avec la Russie. Les sanctions et les blocusont rarement atteint leur but. Au contraire : ils rigidifient les situations, font le malheur des peuples concernés et renforcent les régimes autoritaires. Autre chose est cependant de faire du commerce et de mettre la politique entre parenthèses.
Le peuple est au centre du livre. Et ce peuple est fier de son Chef, parce qu'il a restauré ce qui lui est cher : la puissance militaire et le rôle prépondérant de la diplomatie russe. Parce que son niveau de vie s'est amélioré.
Par contre, le peuple russe a perdu peu à peu ses libertés, à commencer par la plus précieuse d'entre elles : la liberté de s'exprimer (pas de presse libre, pas de syndicats indépendants...). Il est gavé d'une propagande nationaliste et hostile à l'Europe et aux États-Unis. Il n'a pas confiance en une justice et une administration asservies au pouvoir.
Mon livre est à la fois un formidable message d'espoir et un signal d'alarme. De l'espoir pour les Russes d'abord. Le jour où le peuple se saisira de son destin et où il recouvrera ses libertés et sa souveraineté, il se référera peut-être à ceux qu'on lui présentait comme des parias, voire des traîtres à la patrie : d'Anna Politkovskaïa à Sergueï Magnitski, de Mikhaïl Khodorkovski à Boris Nemtsov. Une mise en garde pour nous. Les libertés ne sont jamais acquises une fois pour toutes. Ne les galvaudons pas.
- Vous n’allez quand même pas me dire que vous avez assassiné votre mari à cause d’un camembert ?
- Si fait ! Comme je vous l’dis, monsieur l’inspecteur. Cuic ! Et bon débarras !
- Mais madame Simon, vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? Il s’agit d’un meurtre quand même et un meurtre commis de sang froid qui plus est !
- Ben…faut dire que j’ai toujours eu le sang chaud, moi ! Et ne m’appelez plus madame Simon, s’il vous plait, monsieur l’inspecteur. Le Simon, cuic, on n’en parle plus ! Il n’existe plus ! Et on devrait me décerner une médaille pour cet acte de bravoure : un goret en moins sur la terre !
- Et comment qu’on va en parler, madame Simon, euh madame…
- Berger. C’est le nom que m’a donné mon paternel avant de se tirer vite fait. A part la petite graine et son nom, il n’a rien légué à ma mère. Vous voyez que ma p’tite vie, elle commençait bien mal…
- Votre enfance, on en parlera plus tard, si vous voulez bien. Pour l’instant, je voudrais bien savoir ce qui vous a poussée à assassiner votre mari et, en plus, avec un camembert, comme déclencheur…
- Oh n’en faites pas un fromage, monsieur l’inspecteur ! Quand on tue un rat, y a personne pour se r’tourner !
- Allez, commençons par le commencement. Expliquez-vous.
- Ben, c’est bien simple, le Simon, y rentre saoul comme une bourrique, comme à son habitude. Il ouvre le frigo, il bouscule les bocaux et les Tupperware à la recherche de son fromage puant. Ne le trouvant pas, il se retourne vers moi et m’dit : « Eh la Corinne, t’as pas vu mon camembert, par hasard ? ». Moi, j’sais très bien que j’l’ai jeté, son puant. Il empestait toute la cuisine à chaque fois que j’ouvrais le frigo. Tant et tant que c’est à peine si j’osais encore l’ouvrir, le frigo ! J’savais bien qu’il allait encore me cogner, mais bon, ça, j’en avais l’habitude, alors, un coup de plus ou de moins, c’est pas ça qu’allait m’arrêter. Les premiers gnons, je les ai reçus lors de notre nuit de noces, alors, vous voyez, m’sieur l’inspecteur… Vous voulez que je vous la raconte, not’nuit de noces, monsieur l’inspecteur ?
- Pas maintenant, madame Si…, madame Berger. Plus tard, si vous voulez bien. Tenez-vous-en aux faits, je vous en prie.
- Bien, où j’en étais déjà ? Ah oui ! Le camembert ! Il a bien vu à mon visage que j’étais pas bien droite dans mes bottes. Même quand il était plein comme une bourrique, il pouvait voir quand j’essayais de l’entuber. J’ai d’abord fait l’innocente, j’lui ai dit que j’y étais pour rien, qu’il avait sûrement bouffé son fromage la veille et qu’il s’en souvenait plus, mais il m’a pas crue. Et là, sur le coup, j’peux vous dire que j’ai vraiment été conne ! L’emballage ! L’emballage du camembert que l’chat avait bouffé sur mon invitation, au lieu de m’en débarrasser, j’l’avais tout bonnement jeté dans la poubelle. Le Simon, il était pas si con qu’il en avait l’air. Il l’a trouvé dans la poubelle, l’emballage du puant ! Et là, j’ai reçu la raclée de ma vie ! J’vous l’ai dit : j’étais habituée aux gnons de toutes sortes, mais là, j’sais pas trop c’qui m’a pris, d’un coup, j’ai éclaté. J’ai hurlé comme une possédée : « J’en peux plus, j’en peux plus de toi, de tes coups, de tes colères, de tes beuveries ! C’est fini, plus jamais tu me frapperas ! J’ai empoigné le couteau de boucher avec lequel j’avais attaqué la dinde que j’avais achetée pour le réveillon et hop ! Au lieu de le planter dans la pauvre bête, j’l’ai planté en plein dans sa carotide ! Faut voir tout le sang qui s’est écoulé sur le tapis que je venais de récurer ! Du gâchis ! Un si beau tapis !
- Madame Berger, vous n’avez donc aucun remords ?
- Ben si, m’sieur l’inspecteur. Tout ce sang, s’il n’avait pas imprégné mon tapis, j’aurais pu le récupérer et en faire du boudin. J’adore le boudin noir. Pas vous, inspecteur ?
Emilie Casagrande nous en dit plus à propos de sa nouvelle longue intitulée D’infimes vibrations, parue aux Éditions Chloé des Lys en janvier.
Commençons par le début : pourquoi avoir choisi ce titre ?
Avant tout, je cherchais un titre qui ne soit pas « bateau », et surtout qui ne soit pas lié directement au virus qui occupe déjà une partie importante de l’histoire. Je ne voulais pas que cette nouvelle soit cataloguée comme « une énième histoire de virus » en ces temps propices à ce genre de récit, car selon moi ce n’est pas le cas. Il me fallait donc un titre plus subtil, qui évoque aussi les autres thèmes centraux. En cela, le mot « vibrations » faisait sens à mes yeux, puisqu’il pouvait évoquer celle des cordes de guitare lorsqu’on les pince (et celle du son, de manière générale), celle, plus métaphorique, des cœurs qui s’émeuvent et qui ressentent de fortes émotions, et enfin une vibration plus scientifique qui trouve son explication au sein de l’histoire, mais que je ne dévoilerai pas…
Tu dis que ton récit n’est pas « une énième histoire de virus », peux-tu développer ?
Selon moi, s’il est vrai que le virus est central dans cette histoire, c’est surtout pour développer un contexte, mais aussi parce que l’article qui a inspiré cette nouvelle évoquait une étude à propos du virus que nous connaissons désormais un peu trop bien : le Covid-19. C’était donc le point de départ de l’histoire, je ne pouvais pas l’éviter. Pour autant, je ne cite jamais le Covid-19 spécifiquement, car il pourrait s’agir d’une autre épidémie. Ce qui importe, selon moi, ce sont les relations entre les différents personnages et la relation du personnage principal à la musique et à la science. Je pense aussi que l’histoire en elle-même ne correspond pas aux attentes qu’on pourrait avoir vis-à-vis d’un livre à propos d’un virus : il ne s’agit pas d’un thriller ou d’une dystopie… C’est finalement davantage une histoire de vie, dont le message se cristallise en une note d’espoir qui parcourt tout le livre.
Le personnage principal n’a pas de prénom, ou en tout cas celui-ci n’est jamais cité dans le livre. Pourquoi ? Est-ce un choix conscient ?
À vrai dire, c’est venu de manière naturelle lors de l’écriture. Je pense que l’absence de prénom, en plus du fait que la narration soit à la première personne, permet une plus grande identification avec le personnage principal.
Peux-tu en dire plus sur l’article qui a inspiré l’histoire ?
Pas vraiment sans trop en dévoiler… Tout ce que je peux dire c’est qu’il s’agissait d’un article qui rendait compte d’une étude scientifique un peu particulière menée autour du Covid-19. J’en dis plus dans une note au lecteur à la fin du livre, où j’explique en quoi certains aspects de l’histoire sont inspirés de faits réels.
D’après tes précédentes réponses et au fil de la lecture du livre, on a l’impression que c’est une volonté de ta part d’éviter les lieux communs et les clichés : on trouve dans le livre des phrases comme « Je pourrais dire qu’il semblait juste endormi mais, bien au courant de son état véritable, j’empêchais mes pensées d’accueillir cette comparaison. » Que peux-tu en dire ?
Oui, c’est vrai, j’ai vraiment tenté de me détacher des clichés. Dans la phrase donnée ici en exemple, on s’attendrait à ce que le narrateur dise simplement « Il semblait juste endormi », mais j’ai tellement l’impression d’avoir lu cette réaction des centaines de fois que je voulais la contrer. En étant une grande lectrice et en ayant étudié la littérature à l’Université, je suis parfois un peu trop consciente de ce qui existe déjà, des histoires qu’on a racontées encore et encore à travers l’histoire et des formulations qui reviennent systématiquement dans certaines situations. C’était un effort conscient de ma part dans ce récit de chercher à éviter les poncifs ou en tout cas d’en jouer, que ce soit dans les événements qui se déroulent ou dans les expressions utilisées.
Pour terminer, d’après toi, à quel public conseillerais-tu ta nouvelle ?
Je pense que ma nouvelle s’adresse à un public très large. Tout le monde a vécu la pandémie avec sa propre sensibilité et peut s’identifier à l’un ou l’autre des personnages de l’histoire. Son format court et sa lisibilité permettent à un public jeunesse d’apprécier l’histoire autant qu’un public d’adultes, et ce, que le lecteur soit novice ou aguerri. À tous ceux qui tenteront l’aventure, je dis déjà merci et bonne lecture !
Texte 3 : I => Micheline Boland Texte 5 : II => Séverine Baaziz Texte 6 : II => Edmée de Xhavée Texte 9 : I => Philippe Desterbecq
Donc, les textes de Séverine Baaziz et d'Edmée de Xhavée sont ex aequo !!!
Arghhhh Bon... On fera avec !!! et les deux textes seront publiés dans la revue...
Bravo à elles deux et un grand merci pour tous les auteurs participants, aux deux auteurs qui ont été également plébiscités ainsi que nos lecteurs toujours plus nombreux !!!