FAITES VOS JEUX : IL ETAIT UNE FOIS.... première partie... Qui a tué?? Qui est l'auteur?? comment voyez-vous la suite ?
Il était une fois trois types qui faisaient le pied de grue dans une cave de la banque Machin, au milieu de centaines de coffres-forts rangés sur les murs comme des boites d’allumettes. En réalité, ils sont quatre, car le groupe observe d’un air ennuyé, un mec en bleu de travail qui fore dans une des portes en acier, même que ça n’a pas l’air d’avancer beaucoup.
« Vous allez y arriver ? » demande le plus petit de la bande, style directeur d’agence, costume trois pièce et nœud pap.
« Oui M’sieur… » répond l’autre, arc-bouté sur sa mèche « …mais c’est pas du carton ! »
« Quelle triste fin… » ajoute un grand dadais à binocles de mutuelle, qui serre une serviette en cuir sur son ventre. Cui-là, il peut pas le cacher, c’est un huissier en chair et en os. Une tête de faux cul, de l’eau dans les caves, des godasses de gendarme…
« Ooooh oui ! » soupire le bonhomme à sa droite en levant des yeux éplorés vers le plafond. On pourrait même préciser ‘vers le ciel’ car il porte une petite croix en argent sur le revers de son veston, signe qu’il appartient à notre sainte mère l’église. « Septante ans, c’est trop tôt pour partir. Monseigneur travaillait trop. Combien de fois lui ai-je… »
« Vous en avez encore pour combien de temps ? » l’interrompt le banquier qui se fiche visiblement des heures sup du cardinal défunt et s’avance d’un pas déterminé vers l’artisan.
« Cinq minutes… je passe presque à travers. »
Et la conversation reprend. Rien que des lieux communs dont on peut comprendre que le prélat s’est payé une ixième et ultime crise cardiaque qui a mis l’évêché sens dessus dessous, vu que rien n’était prévu pour le remplacer.
« Nous ignorions totalement l’existence de ce coffre… » poursuit le saint homme. « C’est en vidant les tiroirs de son bureau que sœur Dominique a trouvé la petite carte avec le numéro… elle a d’abord cru que c’était un ticket de lavoir ! »
« Dommage qu’elle n’ait pas trouvé les clés… » conclut le costume trois pièces presque à cheval sur l’ouvrier qui s’escrime avec le coffre-fort : « Ceci dit, je dois vous avouer que je n’étais pas au courant non plus. L’employée qui s’occupait des coffres vient de prendre sa pension et ne détaillait pas les clients qui descendaient dans la cave… pour elle, c’était Monsieur Sleenad, sans plus, et je crois qu’elle aurait été bien incapable de le reconnaître dans la rue ou à la télé ! Et alors ça avance ? »
Bon, on va faire court. Après neuf minutes et trente-deux secondes, on entend enfin un déclic et le bleu de travail ouvre cérémonieusement la porte blindée devant laquelle le trio se penche les yeux écarquillés, comme s’il tentait de mater le déshabillage d’une bonne femme par le trou de serrure d’une salle de bain.
« Vous permettez… » intervient l’huissier en écartant discrètement ses collègues « … c’est à moi d’officier. Je vais enlever pièce par pièce les documents qui se trouvent dans la niche, les examiner, les nommer, les inscrire puis les poser devant vous sur cette table… »
« Je ne pense pas que vous allez trouver grand-chose… » précise l’homme de dieu « … et certainement pas des titres ou de l’argent. Monseigneur était bien au dessus de tout ça ! »
« Des effets personnels sans doute… bon, allez-y… procédez ! » ( le banquier pressé d’en finir ).
« Comme c’est curieux … » s’étonne le grand dadais la tête presqu’enfoncée dans le coffre. « On dirait… mais oui… on dirait… deux… non… trois bocaux de… concombre ! » Il sort un des récipients dont le couvercle en verre est solidement fermé par un ressort, sous lequel dépasse le joint rouge du caoutchouc.
« Montrez… » l’interrompt le prélat visiblement estomaqué. Il lève le pot vers le néon du plafond et constate comme les autres qu’un gros cucurbitacé semble en effet flotter dans une solution glauque de vinaigre, au milieu de brins d’aneth de fenouil et sans doute de quelques feuilles d’estragon.
« Oh ? vous savez… je ne suis qu’à moitié surpris ! » commente le directeur de l’agence. « On a déjà trouvé des pots de confiture et même les restes d’un sandwich… n’oubliez pas que la plupart de ces coffres sont loués par des personnes âgées qui n’ont plus toute leur tête. »
« Je puis assurer que le cardinal possédait encore toutes ses capacités… » s’indigne le prêtre en déposant le bocal sur l’établis. « Je ne comprends pas… franchement, je ne comprends pas ! »
« Soit… » conclut le banquier. « C’est peut-être étrange, mais ça va nous faire gagner beaucoup de temps. Allons-y, Monsieur l’ huissier. Indiquez ‘trois bocaux de concombres’ sur votre constat. On signe. On remet le tout à l’abbé et on s’en va… j’ai un rendez-vous qui ne peut attendre. »
« Bon… voilà... » conclut le grand dadais en regardant sa montre, « … je note la date, l’heure… et on y va. »
« Un instant ! »
Le serrurier s’approche les sourcils froncés vers les bocaux rangés sur la table et s’accroupit afin de mieux les observer. Ca dure au moins dix secondes et puis… « Je crois que nous avons un problème… » Il se redresse avec lenteur, soudain pâle comme une aspirine. « Un très très gros problème ! »
La petite troupe, qui s’apprêtait à prendre l’escalier, revient vers le centre de la salle, le regard interrogateur.
« Ce ne sont pas des concombres… » explique enfin l’homme en bleu de travail. «Voyez vous-mêmes, mais avec un peu d’attention.»
« Ne me dites pas que ce sont des courgettes ! » menace le directeur de l’agence.
« Ni des légumes, ni des fruits… » répond enfin l’artisan la voix fêlée, en s’appuyant contre le mur. « Des zizis ! »
« Comment ça des zizis ! Vous vous foutez de moi… c’est une blague de serrurier ou quoi ? »
« Je dis simplement qu’il y a un pénis et deux testicules dans chacun de ces bocaux, soit au total trois sexes masculins, c’est tout ! »
***
« Monsieur Ledent ? Le commissaire Ledent ? »
« Lui-même… » Il n’a pas du tout l’air d’un flic. Tiré à quatre épingles, costard sur mesures en tissu anglais, godasses cirées de frais, on le prendrait plutôt pour un jeune chirurgien en vacances.
« Je suis le Vicaire Général du diocèse de Malines. Mon nom est Ludovic Gestuel. C’est moi qui représentait Monseigneur Sleenad à l’ouverture du coffre de l’agence Machin… vous êtes au courant, je crois ? »
« Tout a fait. Le Procureur du Roi a vu les bocaux et demandé une autopsie. Il m’a également prié d’assurer l’enquête. Je comptais d’ailleurs vous appeler. »
« C’est confirmé ? Il s’agit bien de… comment dire… »
« De trois pénis de jeunes gens de race blanche, âgés entre 12 et 15 ans. La découpe s’est faite après le décès sans qu’on ne puisse préciser l’époque avec exactitude. Il y a quelques mois, au grand maximum. »
« Nous ne comprenons pas, nous sommes littéralement abasourdis… mais notre plus grosse crainte est que cette affaire ne parvienne à la presse. Vous savez comment ça va… tout est bon pour dénigrer l’église, se moquer du pape, traiter les curés de pédophiles etc… c’est vraiment à la mode. »
« Ne vous inquiétez pas, Monsieur Gestuel, la consigne est de rester aussi discret que possible… mais de qui parlez vous lorsque vous précisez ‘notre’ ? »
« A vrai dire… de moi. J’étais en quelque sorte le second dans la hiérarchie pastorale. Me voici donc désormais responsable du diocèse et premier sur la liste de succession. Je n’en ai parlé à personne… »
« Il faudra pourtant que j’interroge certains de vos collaborateurs. Je pense entre autres à Sœur Dominique qui était sa dame de compagnie. »
« Je ne peux pas imaginer une seconde que Monseigneur ait pu participer à une telle mascarade… mais quoiqu’il en soit, je suppose qu’on aboutira rapidement à un non-lieu puisque la personne concernée est décédée ? »
« Ca, cher Monsieur, seule la juge d’instruction pourra en décider. Pour l’instant l’affaire à été confiée à Madame la juge Emma Paleis et elle ne me donne pas l’impression de vouloir enterrer le dossier. Elle veut comprendre. »
« Mais comprendre quoi ? »
« Voilà, nous y sommes… c’est précisément mon boulot. Quand puis-je vous rencontrer ? »
***
L’ ‘Aartsbisshoppelijk paleis’ ou palais archi-épiscopal de Malines – Bruxelles est un grand bâtiment de briques rouges que barre un porche à double battant en bois ouvragé . Mais les bureaux du Vicariat se trouvent dans une annexe appelée ‘le refuge’, une maison de maître restaurée à l’ancienne.
« On se demande parfois d’où vient tout cet argent ? » songe le commissaire en parquant son véhicule de fonction dans la cour d’entrée.
Un séminariste en soutane (33 boutons !) apparaît sur le perron et vient à sa rencontre, visage souriant et bras écartés en signe de bienvenue. On l’attendait. « Bonjour commissaire, le Vicaire Général va vous recevoir immédiatement… »
Il remercie d’un hochement de tête et gravit les marches à la suite du jeune homme qui l’introduit dans une vaste salle tout en boiseries et plafond mouluré.
« Prenez place, je préviens Monseigneur… vous désirez du café ou du thé ? »
« Non merci. Vous connaissiez bien Monseigneur Sleenad ? » demande t-il avec le visage de circonstance.
« C’était vraiment un saint homme. Toujours en forme et de bonne humeur. Il se levait pourtant tous les jours à cinq heures de matin et ne manquait jamais de dire sa messe ! »
« Avec Monseigneur Gestuel, ce sera… comment dire… un autre genre ? » enchaîne Ledent.
« Hé bien… » l’étudiant semble un peu désarçonné« oui, on peut le dire comme ça. Le Vicaire Général est un homme d’ordre et de rigueur… »
« Pas un rigolo, c’est ça ? »
« Monseigneur Sleenad était vraiment très drôle… vous savez qu’il nous faisait des blagues. Un jour, il nous a fait croire qu’il avait vidé toute une bouteille de vin au cours de l’office. C’était la panique ! »
« C’est lui, là, dans le cadre ? » Une bouille de bon vivant avec un béret basque, des cheveux gris coupés courts et un œil qui pétille derrière de grosses lunettes d’écaille.
« Oui… » confirme le séminariste avec émotion. « On le regrettera ».
***
« Voilà commissaire… » déclare Le Vicaire Général en ouvrant une chemise sur son vaste bureau recouvert de cuir et complètement vide en dehors d’un téléphone à touches. Il est habillé en civil, sans col blanc, avec l’inévitable petite croix sur le revers de la veste. « J’ai demandé qu’on réponde à vos questions… ce document est pour vous, vous pouvez l’emportez. Monseigneur Sleenad gagnait très exactement 8.466,13 euros brut par mois et bénéficiait d’une voiture de fonction avec chauffeur, une Audi A4 de couleur noire. Pour l’instant, c’est moi qui l’emploie. A quoi il faut ajouter des frais divers pour une moyenne de 1.500 euros et un logement de fonction, rien de bien luxueux, je vous rassure. »
« J’ai jeté un coup d’œil sur ses comptes, » commente le flic en feuilletant les papiers, « il faisait deux ou trois retraits par mois et dépensait pratiquement tout… ça représente quand même un jolie somme. Avez-vous une idée de ce qu’il faisait de cet argent ? »
« Franchement non. Il ne quittait jamais l’évêché, sinon pour des réunions ou des célébrations et je ne lui connais aucune passion ou plaisir particuliers en dehors d’un restaurant de qualité de temps à autre… Je ne sais pas, d’autant plus qu’il n’avait plus de famille ? »
« Pourquoi louer un coffre alors ? »
L’homme d’église écarte les bras en signe d’ignorance. Comme quoi l’âme humaine peut recéler parfois de grands mystères, songe Ledent. Des zizis découpés au scalpel, un évêque sympa, des billets qui s’envolent en fumée… Menez une enquête avec tout ça.
« J’aimerais poser quelques questions à Sœur Dominique. Je suppose que Monseigneur logeait dans le bâtiment ? »
« En effet, on lui a aménagé bien avant que je n’entre à son service, un appartement moderne et confortable, 150 m² dans les combles du toit. Sœur Dominique loge à deux pas d’ici, au ‘Klein Begijnhof’, le petit béguinage. Elle vient tous les jours en vélo, qu’il vente ou qu’il pleuve ! » Il s’empare du cornet et demande en flamand à son correspondant si la sœur est présente. « Ja… dank U… elle est en haut. Je vous y conduis… »
***
Annie De Non est devenue sœur Dominique à l’âge de 20 ans, en entrant dans le couvent des Petites Sœurs des Pauvres à Anvers. Ce devait être dans les années 70, car elle en para ît soixante. Petite, rondelette mais vive, on devine des cheveux blancs sous la coiffe grise et si elle porte de petites lunettes cerclées de fer, le regard est clair, presque malicieux.
Elle les attend au haut de l’escalier en bois, devant la porte ouverte d’un appartement particulièrement lumineux, car éclairé de toutes parts par des fenêtres de toit à travers lesquels se profilent de gros nuages blancs.
« Bonjour ma Sœur… » la salue poliment le Vicaire Général. « Je vous présente le commissaire Ledent. C’est lui qui enquête sur l’affaire dont je vous ai parlé tout à l’heure… »
« Bonjour Madame, je suis désolé de… »
« A votre service Monsieur… » enchaîne t’elle en lui tendant une main calleuse. « J’ai déjà vécu pas mal de choses dans la vie, mais ça, je dois vous avouer que c’est le pompom ! Entrez, je vous ai préparé du café… »
« Oh ! Encore une chose… » ajoute Ledent en se retournant vers le vicaire qu’il surplombe de deux marches. « Je souhaiterais parler à sœur Dominique seul à seul… »
« Pas de problème… » lui répond le prélat un peu étonné. Je vous laisse. Et comme il s’apprête à redescendre…
« Vous trouverez deux de mes inspecteurs dans vos bureaux. Ne vous offusquez pas, mais ils ont mission de sonder les ordinateurs… et au besoin de les emporter »
« Mais… mais… ce n’est pas possible » s’exclame le prélat rouge d’indignation. « Vous auriez pu me prévenir… nous employons ces pc’s à longueur de journée pour notre comptabilité, notre courrier… je me demande si vous n’outrepasser pas vos droits… »
« Cela s’appelle une perquisition, Monsieur Gestuel et voici le mandat qui m’y autorise. » Il lui tend une feuille de papier tamponnée de rouge. « Le principe de la perquisition, c’est précisément de perquisitionner sans avertissement, sinon on ne trouverait jamais rien. »
« Mais trouver quoi ? » s’exclame le Vicaire de plus en plus effondré.
« Je n’en ai aucune idée… rien j’espère. Vous noterez que j’ai lancé tout ceci après le départ de vos employés. »
« Encore bien ! Bon… je fais quoi ? »
« Vous attendez… une petite heure et tout sera terminé. A tout de suite … »
***
« Vous allez me perquisitionner moi aussi ? » demande la petite sœur en refermant la porte. Son œil pétille et on sent que cette petite altercation l’a mise en joie. Encore quelqu’un qui ne peut pas sentir Gestuel…
« Non, je ne crois pas que ce soit nécessaire, mais que pensez-vous de toute cette histoire ? »
« Beaucoup de confusion, Monsieur le commissaire, beaucoup de confusion. Je connaissais bien Monseigneur Sleenad et il y a un point dans cette histoire qui ne ‘clope’ pas ! »
« Je vous écoute… » dit Ledent en tirant une chaise à lui. Ils sont dans la cuisine de l’appartement, un endroit moderne, sans ostentation, d’une propreté clinique. Elle dépose deux tasses fumantes sur la table et prend place.
« J’ignore quel mystère abracadabrant se cache derrière cette histoire, mais s’il s’agit d’une affaire de mœurs, je puis vous garantir que Monseigneur n’avait aucun goût homosexuel… »
« Pourquoi, il avait une maîtresse ? »
« Non, je ne le pense pas. Mais il savait reconnaître une jolie femme… »
« Vous l’aimiez bien ? »
« Tout le monde l’aimait. Vous ne trouverez pas une seule personne dans cet évêché pour le critiquer. Je me demande… serait-il possible que quelqu’un d’autre ait déposé ces bocaux dans le coffre-fort ? »
« C’est peu probable mais… nous vérifierons. » Puis, après avoir bu une gorgée brûlante : « On ne retrouve pas grand-chose sur ses comptes, pourtant il gagnait fort bien sa vie. Monsieur Sleenad était-il dépensier ou joueur ? »
« Joueur sûrement pas. Dépensier encore moins, car il ne cessait de se plaindre que je remplissais inutilement son frigo… même qu’il me soupçonnait de toucher une petite commission chez les commerçants ! ( elle rit, avec un regard un peu mélancolique ) Il adorait taquiner… »
***
Les deux inspecteurs sont assis sur la table d’un bureau et fument nonchalamment une cigarette quand Ledent les rejoint. Gestuel est dans la pièce attenante et lit son bréviaire en faisant les cent pas. Le commissaire lève les sourcils pour demander discrètement s’ils ont trouvé quelque chose et les deux hochent négativement de la tête…
« Pas d’images pornos ou d’adresses de sites spéciaux ? » (mezzo voce)
« Non, mais j’ai trouvé dans le pc de l’Evêque… pour autant qu’on puisse parler de son ordi car il savait à peine comment s’en servir… un album avec trois photos de jeunes adolescents au milieu de ce qui ressemble à un camp scout. »
« Quel genre de photos… »
« Tout ce qu’il y a de plus normal… tenez je les ai imprimées. Ici, ils font la popote… là, ils regardent l’objectif en rang d’oignons et là, ils montent une tente. »
Ledent examine les feuilles avec interrogation… « Vous lui avez demandé ? »
« Il ne veut plus rien dire sans la présence de son avocat ! C’est vraiment un chieur. Ils se sont téléphonés il y a une demi-heure et j’ai cru comprendre qu’il allait rappliquer immédiatement… »
« Ok, on se tire… » conclut Ledent avec une pointe de mauvaise humeur.
« … et on laisse tout en place. Amen. »
***
Le commissariat de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles – zone locale 4453, se trouve dans un grand immeuble gris environné d’une multitude de voitures de police blanches à bandes bleue, car le parking intérieur est si petit que les agents stationnent n’importe comment dans les rues avoisinantes. Sans parler des véhicules banalisés reconnaissables au gyrophare abandonné sur le siège avant.
La permanence de Ledent se trouve au premier et donne sur la gare de Schaerbeek, un bâtiment classé, avec des briques polychromes et une tour centrale en forme de beffroi. On dirait un gigantesque hôtel de ville, style XIXe.
Le commissaire contemple rêveusement la place Reine Elisabeth sur laquelle glissent de longs trams jaunes, en sirotant un café soluble qui tiédit dans son gobelet de plastique.
On ne peut pas dire que ce dossier l’emballe des masses . D’autant qu’il n’y a pas de plainte et que le principal suspect est décédé. Il jette un coup d’œil blasé sur la pile des autres affaires ( urgentes celles-là ) et soupire… Il vient de passer un quart d’heure au téléphone avec la juge d’ instruction et le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a aucune envie de laisser tomber.
« Normal… » lui a expliqué son supérieur, « …elle sort de l’univ et vient de commencer. Elle cherche à briller… ».
« Je veux comprendre, Commissaire… » une voix haut perchée, un rien prétentieuse : « cherchez du côté des hôpitaux, des morgues… voyez du côté des disparitions non élucidées… et puis cet argent, il a bien dû partir quelque part… et n’oubliez pas que de nombreux psychopates et pédophiles sont des gens sympathiques et bien notés… mais j’insiste… discrétion absolue. »
Comme s’il n’avait pas déjà effectué toutes ces vérifications. Sans résultat.
Il contemple les trois photos étalées sur son bureau et relis les observations faites par l’inspecteur qu’il a chargé du suivi. « Ces jeunes gens ont des types latino-américains, mais l’endroit ressemble à un coin d’Ardennes. Le style de tentes, les ingrédients cuisinés… belge ou du nord de la France. »
Il décroche son téléphone et forme un numéro.
« Aartsbischoppelijk Paleis van Mechelen, wat kan ik voor U doen ? »
“Je voudrais parler au Vicaire Général s’il vous plait, de la part du com… de Monsieur Ledent.”
« Un instant… »
Le prélat prend immédiatement la communication. Le ton est radouci, presque obséquieux (son avocat lui a probablement conseillé un profil bas)
« Bonjour, Monsieur Ledent, que puis-je pour vous ? »
« Voilà… » explique le commissaire en essayant de prendre un ton amical, « …le cardinal avait-il dans sa famille ou parmi ses amis, des neveux, des cousins ou enfants de ceux-ci, qui pratiquaient du scoutisme ou une activité semblable ? » Et d’expliquer les photos copiées sur son ordinateur… « C’est sans doute sans importance, mais je suis obligé de tout vérifier… ne serait-ce que pour fermer des pistes. »
« Je n’étais pas un intime de Monseigneur… » répond Gestuel « mais il pourrait s’agir de souvenirs de ‘Enfance inter-mondes’… c’est une asbl qui s’occupe de jeunes immigrés et je crois savoir que Monseigneur y était fort attaché. »
« Vous avez un téléphone, une adresse ? »
« Pas sous la main, mais vous le trouverez sur internet… c’est à Chassepierre, près de la frontière française. J’y ai conduit Monseigneur une fois, à l’époque où il s’était cassé le pied. En fait, c’est le seul endroit où il acceptait de passer ses vacances… chez ses ‘petits’ comme il disait. Deux semaines par an… j’ y pense : c’est peut-être là que partait l’argent ? En tous les cas il ne souhaitait pas que cela se sache… sa modestie était proverbiale. »
***
Madame Van Gompel, ex-employée de la banque Machin et tout récemment mise à la pension, habite une maison de rangée dans la banlieue de Tournai. Des aboiements furieux résonnent derrière la porte d’entrée et on voit une ombre blanche s’agiter dans tous les sens à travers le verre dépoli du panneau.
« Calme, Julos, calme… » se fâche une voix fatiguée, puis après pas mal de remue-ménage, une petite bonne femme en tablier apparaît dans l’embrasure, l’œil interrogateur.
Ledent lui présente sa carte avec un large sourire et explique en quelques mots la raison de sa présence, sans entrer dans les détails, cela va de soi. Un coffre semble abandonné dans la chambre forte du siège où elle travaillait. D’après les documents comptables, il a été ouvert deux mois avant son départ à la retraite par un certain Monsieur Sleenad. Ce nom lui dit-il quelque chose ?
Non. Elle ne voit pas. Ce n’était certainement pas un client régulier… de toute façon les personnes qui vont au coffre se contentent en général de crier « coffre » pour qu’elle pousse sur le bouton qui règle l’ouverture de la porte blindée qui mène à la cave. La plupart du temps, sans même lever les yeux, surtout si elle est en train de manipuler de l’argent.
« Je comprends, mais à l’ouverture du coffre ? Vous avez dû lui faire remplir des papiers, obtenir sa signature etc… »
« Oui bien sûr, mais à ce moment là je regarde plus les documents à compléter que le client et puis je ne sais pas si vous l’avez remarqué… mais je porte des lunettes. Je suis myope. »
« Cette tête ne vous rappelle rien ? » Il lui montre la photo qu’il a piquée en douce lors de son premier passage à l’ Evêché.
« Maintenant que vous le dites… oui peut-être… les lunettes en écaille… mais ne me demandez pas de mettre la main au feu ! »
Bref, se dit notre flic en rentrant sur Bruxelles à du 160 à l’heure (gyrophare sur le toit), même Donald Duck avec un béret basque aurait fait l’affaire. Cette enquête pédale dans la semoule. Tout le monde parait sincère, le suspect (mais est-ce vraiment un suspect ?) semble le meilleur homme du monde (‘semblait’ puisqu’il est décédé) et pourtant ! Trois bocaux avec des zizis et leurs orphelines… c’est quand même curieux non ?
Break. Ce soir la Belgique joue contre la Finlande. Un match amical mais bon… l’occasion ou jamais de vérifier si les jeunots choisis par le sélectionneur sont capables de relever le niveau plus que moyen de l’équipe titulaire…
Ce soir : pyjama, pantoufles, café, biscuits et foot, volume à fond, les pieds sur la table du salon. Sa femme en profitera pour repasser. On dirait que les paniers de linge attendent le match pour se remplir.
Les belges ont perdu. 2-1, pffff….
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‘Enfance Inter-Mondes’, le blog est là sur l’écran. Une page sommaire, avec quelques liens classiques du genre ‘qui sommes-nous ?’, ‘contact’ etcétéra… on en a vite fait le tour. L’association existe depuis sept ans et accueille, le temps d’un dépannage ( quelques jours, deux semaines ), des adolescents immigrés illégaux que lui envoie les juges de la jeunesse.
L’endroit est sympa : cinq chalets en bois apparemment bien équipés, regroupés derrière une ferme médiévale où se trouvent les cuisine, réfectoire et salle de séjour. Le tout à l’orée d’une hêtraie dont la clairière herbeuse descend en pente douce vers la Semois, une rivière qui serpente paresseusement à travers les prairies du village.
Ledent n’arrive pas à se concentrer sur son enquête et rêvasse en parcourant d’un regard résigné les bureaux en fer qui encombrent sa permanence. Les ordinateurs (un par inspecteur), les câbles réseaux qui pendouillent au plafond, les cordons d’alimentation qui s’emmêlent sous les pieds de tables et les piles de dossiers qui s’entassent dans les moindres recoins de l’espace : sur les appuis de fenêtre, les radiateurs, les armoires, et même contre le mur de la porte d’entrée qui ne s’ ouvre plus qu’à moitié… et ce foutu néon qui clignote depuis trois jours parce que personne n’a la courage d’aller acheter un tube dans une quincaillerie et surtout de grimper sur une chaise pour le remplacer…
Une petite journée en Ardennes lui ferait le plus grand bien. « bon, j’appelle… »
Le responsable du centre s’appelle Clairefontaine et a une voix calme et posée.
Oui, il a appris le décès du cardinal et cela le chagrine doublement. D’une part, parce que c’était un homme bon et jovial qui ne venait pas souvent mais que les gosses adoraient. D’autre part, parce qu’il était le généreux donataire qui permettait à l’institution de vivre et que désormais… il n’a aucune idée de ce qui va se passer !
Des montants ? « Monsieur Sleenad exigeait la plus grande discrétion, mais bon… Vous êtes quand même la police… cinq mille euros par mois. Sans cet argent, je peux fermer… »
Des problèmes avec les jeunes ? Jamais. Une seule fois, une bagarre pour un paquet de cigarettes. Il n’a même pas dû s’en occuper car les autres ados sont intervenus eux-mêmes…
Des disparitions ? Tout le temps. Ces jeunes acceptent de passer une semaine ou deux à Chassepierre qui est quand même un bled perdu, pour ne pas être conduit dans un centre fermé. L’idée c’est de leur donner le temps de se mettre en règle, mais une fois sur deux, ils s’éclipsent avant et s’évanouissent dans la nature…
Leurs nationalités ? De tout, absolument de tout. Le monde entier arrive au centre, des Roms, des Brésiliens, des Kurdes… la police les ramasse la nuit à la gare du midi, essaie péniblement de leur établir une identité puis les envoie là où il y a de la place…
« Mais dites-moi, il y a un problème ? Quelqu’un du village a déposé plainte ? » Non, pas vraiment bafouille Ledent, on lui a demandé de contrôler un petit traffic de shit… rien de bien grave.
Puis après avoir dépose le cornet sur son socle, in petto : « pas de corps, pas de témoin, pas de motif… mais bon sang de bon sang, qui (sinon le cardinal lui-même) s’est amusé à remplir ces bocaux, à les ranger dans un coffre et pourquoi ? »
ALORS, ALORS.... QUI, COMMENT, POURQUOI, DANS QUELLES CIRCONSTANCES ???? A VOS MENINGES !!!!!!! Enfin, qui est l'auteur ????